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Les intellectuels algériens et la révolution : Des moudjahidine de la plume méconnus

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  • Les intellectuels algériens et la révolution : Des moudjahidine de la plume méconnus


    «Nous disons à nos dominateurs: l’Algérie nous appartient comme une terre doit appartenir logiquement à ceux qui la travaillent, qui peinent pour la faire produire.» «C’est notre sol natal, que de pères en fils nous fécondons de notre labeur: vous êtes venus nous déposséder, nous voler nos biens et, sous prétexte de civilisation vous nous obligez maintenant, pour ne pas mourir de faim, à trimer comme des forçats pour votre profit, contre un salaire de famine.»

    Mohamed Saïl révolutionnaire algérien (1924)

    —————————————-

    Pendant plusieurs décennies l’histoire de l’Algérie indépendante s’est bornée à celle de la glorieuse Révolution de Novembre. Après l’indépendance et pendant plusieurs décades il n’a pas été question de parler ou de témoigner sur le rôle des intellectuels qui ont contribué à la victoire de la révolution. Une regrettable chape de plomb étouffait tout autre expression que celle des combattants au maquis. Nos enfants n’ont eu pour viatique identitaire que quelques allusions éparses d’une histoire trois fois millénaire. Mieux encore, Il y eut une méconnaissance de l’apport important des autres Algériens et Algériennes à l’indépendance de l’Algérie.

    Je veux restituer ma part de vérité de ce que je crois savoir pour affirmer que la Révolution algérienne, qui fut l’oeuvre des glorieux martyrs, a aussi été l’oeuvre de la société algérienne dans son ensemble, quelles que soient les confessions d’alors, sans oublier tous les Européens d’Algérie et les Français de souche qui ont cru en la Révolution. Ainsi, la notion de militant et de moudjahid devrait, de mon point de vue, être étendue à toutes celles et ceux qui ont porté haut et fort la voix de l’Algérie et les espérances du peuple pour la liberté et la dignité.

    Dans cet ordre, nous ne devons pas oublier de citer l’engagement dans des conditions difficiles des militants «Moudjahidines de la Fédération de France» qui appartenaient à juste titre à ce qu’on appelle «La septième Wilaya» dont l’un des membres actifs, Maître Ali Haroun, a décrit l’épopée de ces Algériens qui croyaient en la révolution, qui prirent des risques inouis dans une «métropole hostile», qui en payèrent le prix, notamment avec les massacres de masse du 17 octobre 1961. La révolution fut portée par tout le peuple algérien sans exclusif. Chacun avec ses moyens, même en tentant de survivre dans une atmosphère marquée par la haine est d’une certaine façon un atout, dont aurait besoin l’Algérie indépendante, qu’il s’agisse du plus humble des besogneux, de l’universitaire, du médecin, de l’homme de théâtre ou tout simplement l’Algérien lambda. Parmi les moudjahidine qui luttèrent d’une façon aussi difficile qu’avec les armes, nous n’oublierons pas de citer à côté des étudiants, l’équipe de football du FLN, le théâtre du FLN…

    Dans cet ordre, personne à mon sens ne peut ne pas apprécier à sa juste valeur le travail remarquable des délégations algériennes dans les pays étrangers avec pour mission de porter la voix de l’Algérie haut et fort pour son indépendance. A titre d’exemple et sans que cela ne soit exhaustif, l’engagement de la délégation algérienne aux Nations unies, qui, avec de faibles moyens, a donné une dimension supplémentaire au combat sur le terrain. A convaincre le sénateur John Kennedy de la justesse du combat de l’Algérie, n’était pas simple. Arriver malgré les entraves en tout genre de la France pour étouffer la voix de l’Algérie aux Nations unies et arriver en définitive à donner une visibilité chaque année lors de l’inscription de la question algérienne n’était pas une mince affaire.
    Et même là le rôle des universitaires a été traité d’une façon superficielle. Qui se souvient des universitaires et intellectuels qui sont morts pour la patrie? Qui se souvient de ces jeunes filles et jeunes garçons qui ont quitté les bancs du lycée ou de la faculté pour entrer dans la clandestinité ou mourir au maquis? La liste est longue. A ma connaissance, mis à part l’ouvrage de Yves Courrières sur la guerre d’Algérie, qui traite de la bleuite et des purges opérées et qui ont vu la fine fleur de ce pays mourir de la main de ses frères de combat. La bleuite est une manipulation des services secrets de l’armée française, du capitaine Léger. Pourtant et malgré tout, le cours de la Révolution fut irrésistible, rien ne pouvait l’arrêter.

    Mohamed Saïl, un révolutionnaire des années 1920

    S’il est un écrivain méconnu et qui a apporté sa pierre à la prise de conscience pour le combat pour la dignité mené en 1954, ce fut bien Mohamed Saïl. Arezki Slimani nous en parle: «Ce fameux paragraphe est de Mohamed Saïl. Il a été écrit en 1924. C’est à ce grand homme que l’association Taddarth-iw, à Tibane, rendra un hommage particulier. Arezki Slimani le présente: «Mohand Ameziane Sail fut l’un des militants anarchistes et indépendantistes, un militant engagé de la première heure. En 1923, il lance avec Slimane Kiouane, le Comité de défense des indigènes algériens. Durant la Première Guerre Mondiale, il est interné pour insoumission puis pour désertion. Entre 1924 et 1926, il écrit en Algérie dans Le Flambeau où il dénonce le colonialisme et le Code de l’indigénat, et appelle les Algériens à l’instruction, à la révolte et à «rejoindre les groupes d’idées avancées». En 1929, il créa le Comité de défense des Algériens contre les provocations du Centenaire. La France s’apprête à célébrer le centenaire de la conquête de l’Algérie (5 juillet 1830). L’ensemble du mouvement anarchiste dénonce le colonialisme: «La civilisation? Progrès? Nous disons nous: assassinat! (…)» (1)

    Emile Carme va plus loin dans la description de ce révolutionnaire méconnu: «(…) À l’âge de trente ans, il fustige dans Le Libertaire les «pirates rapaces» et les «canailles sanguinaires» qui assujettissent l’Algérie au nom de la Civilisation. La République, écrit-il, n’a rien à envier au fascisme: tous deux communient dans l’arbitraire et le désir de rabaisser. La même année (nous sommes en 1924), il publie dans Le Flambeau, un réquisitoire contre l’occupation de son pays. Ses mots cisaillent, tonnant contre la faim, la misère, les exactions et les humiliations qui ravagent sa terre, contre «l’ignorance, l’abrutissement dans lesquels vous nous maintenez pour mieux nous tenir sous votre joug», contre ce régime «de servitude et de trique» et la condition de «parias» dans laquelle son peuple est maintenu ».(2)

    «C’est notre sol natal, que de pères en fils nous fécondons de notre labeur: vous êtes venus nous déposséder, nous voler nos biens et, sous prétexte de civilisation, vous nous obligez maintenant, pour ne pas mourir de faim, de trimer comme des forçats, pour votre profit, contre un salaire de famine.» Pour étouffer la contestation et faire marcher au pas ce peuple rançonné, le pouvoir, poursuit-il, a institué le Code de l’indigénat». «Une honte pour une nation moderne.» (…) Et Saïl d’exhorter les hommes de bonne volonté, d’où qu’ils soient, à lutter pour «la suppression de l’odieux régime de l’Indigénat qui consacre notre esclavage». Il réclame pour les siens le droit à une vie digne et libre: «Prenez garde gouvernants, au réveil des esclaves!» «Prenez garde qu’un jour les parias en aient marre et qu’ils ne prennent les fusils.». Trente ans plus tard, le FLN surgira d’une nuit de novembre, armé et prêt à tout pour abattre le régime colonial. (…)» (2)

    «S’agissant des fêtes du centenaire de la colonisation, il écrit: «La République s’apprête, trompettes et bravos, hourras et homélies, à commémorer sa prise. (…) Saïl s’élève donc contre la foire coloniale que sera ce centenaire: «Que nous a donc apporté cette France si généreuse dont les lâches et les imbéciles vont partout proclamant la grandeur d’âme? Interrogez un simple indigène, tâchez de gagner sa confiance. (…) La presque totalité de la population indigène vit dans la misère physique et morale la plus grande. Cette misère s’étale largement. Dans les chantiers, les mines, les exploitations agricoles, les malheureux indigènes sont soumis à un travail exténuant pour des salaires leur permettant à peine de se mal nourrir. Commandés comme des chiens par de véritables brutes, ils n’ont pas même la possibilité de recourir à la grève, toute tentative en ce sens étant violemment brisée par l’emprisonnement et les tortures. N’ayant aucun des droits de citoyen français, soumis à l’odieux et barbare Code de l’indigénat, les indigènes sont traînés devant des tribunaux répressifs spéciaux et condamnés à des peines très dures pour des peccadilles qui n’amèneraient, dans la métropole, qu’une simple admonestation. Toute presse indigène étant interdite, toute association étant vite dissoute, il ne subsiste, en Algérie, aucune possibilité de défense pour les malheureux indigènes spoliés et exploités avec la dernière crapulerie qui puisse exister.» (2)

    Il meurt quelques jours plus tard, le 30 avril 1953. Moins de trois mois plus tard, six ouvriers algériens et un métallurgiste français tomberont sous les balles de la police, lors d’une manifestation en faveur de l’indépendance de l’Algérie.
    The truth is incontrovertible, malice may attack it, ignorance may deride it, but in the end; there it is.” Winston Churchill

  • #2
    Les intellectuels et la lutte pour l’indépendance

    On s’accorde à dire que la Révolution fut préparée par les élites politiques et on cite trois personnages de taille: Messali, Abbas, Ben Badis. Pourtant, la Révolution fut portée aussi et de façon importante par les intellectuels qui ont préparé avant la révolution, par leurs écrits, la dénonciation du pouvoir colonial et de la colonisation et naturellement pendant la révolution en alimentant le débat et en se battant pied à pied avec les intellectuels français racistes nostalgériques dans toutes les instances où il leur est permis de s’exprimer à travers la presse, mais aussi à travers leurs ouvrages. Sans être exhaustifs nous allons citer quelques-uns de ceux qui se sont engagés pour la dignité des Algériens et pour le combat libérateur.
    Dans un premier temps, la littérature algérienne est marquée par des ouvrages dont la préoccupation était l’affirmation de l’entité nationale algérienne par la description d’une réalité socioculturelle qui allait à l’encontre des clichés habituels de l’exotisme, c’est à ce titre qu’on assiste à la publication de romans tels que la trilogie de Mohammed Dib, avec ses trois volets que sont la Grande Maison, l’Incendie et Le métier à tisser, ou encore le roman Nedjma de Kateb Yacine qui est souvent considéré comme une oeuvre majeure. D’autres écrivains connus ont aussi contribué à l’émergence de la littérature algérienne parmi lesquels Mouloud Feraoun, Moufdi Zakaria le poète, entre autres, créateur de l’hymne national Kassaman, Mouloud Mammeri, Mohamed Dib, Malek Haddad, Jean Amrouche et Assia Djebar.» (3)
    Sans oublier le poète Mohamed Laïd el Khalifa traqué par la police pour son engagement.

    Trois écrivains dans la révolution

    Dans cet ordre, je fais mienne cette contribution de Adel Fathi, consacrée à trois géants de la littérature algérienne et leur engagement pour la Révolution. Nous lisons: «Durant les années cinquante, la voix d’un romancier avait sans doute plus de résonance dans le monde que celle, par exemple, d’un tribun dont le champ d’action est, par définition, limité dans l’espace. Aujourd’hui, on reconnaît à Mohammed Dib, Kateb Yacine, Mouloud Feraoun, leur caractère de visionnaires, du fait qu’ils ont, d’abord, vu venir l’explosion -dont ils accepteront de devenir des porte-étendards – qui allait enfin enrayer l’occupation. Toutes les oeuvres qui avaient précédé ou accompagné le déclenchement de l’insurrection du 1er Novembre 1954 évoquent avec une pertinence et véhémence inégalables l’injustice dont était victime le peuple dans son écrasante majorité. (…) Le cheminement qu’a suivi l’oeuvre de Mohammed Dib incarne cette dynamique unique dans la littérature algérienne contemporaine qui sera portée par toute une génération d’écrivains. Ainsi, dès 1952, paraît en France, La Grande Maison, premier volet de sa trilogie Algérie, qui retrace avec un réalisme saisissant le quotidien des Algériens d’avant-guerre, avec leur lot de misère, de privation et de répression. C’est là qu’il parle, en parallèle, des grèves des ouvriers agricoles et des revendications nationalistes naissantes. (…) Les deux autres volets de la trilogie, L’Incendie et Le Métier à tisser, sortent en 1954 . Ce qui lui vaudra rapidement d’être expulsé d’Algérie par la police coloniale.» (4)

    «Son concitoyen et néanmoins camarade de lutte, Kateb Yacine, entame son parcours durant la même période, fin des années quarante, parcours qui sera bientôt confondu avec celui de la lutte des Algériens pour leur indépendance. (…) Dès 1947, alors qu’il avait peine 17 ans, Yacine commence à donner des conférences sur l’histoire de la résistance algérienne, et notamment sur le parcours de l’Emir Abdelkader(…). Kateb Yacine assumera ce double engagement, politique et littéraire, jusqu’à la fin. Dans les années cinquante, il continuera à s’exprimer, par la poésie et le théâtre pour dénoncer les affres du colonialisme. En 1954, la publication de sa première pièce, le Cadavre encerclé, à Paris, coïncidait avec le déclenchement de la Révolution. Ce texte demeurera interdit en France. (…) Son roman phare, Nedjma, paraît en 1956. Parallèlement, il continue à donner des déclarations et à intervenir dans le débat politique pour porter la voix de l’Algérie en lutte contre le colonialisme, avec ses arguments d’écrivain foncièrement humaniste. Mais la police française le harcèle, il fait la connaissance d’auteurs et d’intellectuels algériens en exil, comme Malek Haddad et Mouloud Kassem (…), Il publie en 1959 Le Cercle des représailles.» (4)

    L’autre monument de la littérature algérienne, Mouloud Feraoun, suivra, lui, un tout autre cheminement. Politiquement moins engagé, il n’en sera pas moins mêlé à la grande tragédie de son peuple, par sa plume, sa présence et son rayonnement. Il a commencé à écrire son premier roman, autobiographique, Le Fils du pauvre, en 1939 réédité en 1954, mais expurgé des soixante-dix pages relatives à l’école normale de Bouzaréah, jugées «trop audacieuses». En 1953 paraît son roman phare, la Terre et le sang, Une année plus tard, la guerre éclate. La même année, il publie Jours de Kabylie. De 1955 à 1962, (…) il rédigea son Journal, publié à titre posthume. L’auteur dénoncera les exactions de l’OAS et la politique de la terre brûlée dont il sera lui-même victime.» (4)

    Dans le même ordre, lorsqu’éclate la guerre de Libération, Mouloud Mammeri se met au service de la Révolution algérienne. Il écrit d’abord, dans le journal L’Espoir d’Algérie puis, entre 1956 et 1957, il adresse à l’ONU une série de lettres dénonçant la colonisation et les exactions commises par l’armée française. Au cours de la bataille d’Alger, en 1957, il compose une pièce de théâtre intitulée Le Foehn, dont il doit détruire le manuscrit devant les menaces de mort. Après l’indépendance, Il écrivit un ouvrage-fresque l’Opium et le bâton où il résume la guerre et, le talent d’Ahmed Rachedi est d’avoir su en moins de deux heures en faire un film qui a condensé 2800 jours de tragédie, de sang, de larmes et de traumatismes.

    Mohamed Saïl a contribué avec les autres au ferment de la révolution de Novembre qui a été un coup d’éclair dans le ciel serein de la colonisation. Cette contribution est un témoignage envers tous ceux qui ont participé à cette belle épopée de Novembre.

    Professeur Chems Eddine Chitour

    Ecole Polytechnique enp-edu.dz

    1.Arezki Slimani http://www.lexpressiondz.com/ actualite/251899-mohamed-sail-revisite.html

    2.Émile Carme http://www.revue-ballast.fr/mohamed-sail-maitre-valet/

    3.https://fr.wikipedia.org/wiki/Litt%C...lg%C3%A9rienne

    4.Adel Fathi http://www.memoria.dz/jan-2014/dossi...-la-r-volution

    Photo: Mohamed Saïl (au centre) a contribué avec d’autres au ferment de la révolution de Novembre qui a été un coup d’éclair dans le ciel serein de la colonisation
    The truth is incontrovertible, malice may attack it, ignorance may deride it, but in the end; there it is.” Winston Churchill

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