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BADR’EDDINE MILI : Il faut réformer en profondeur

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  • BADR’EDDINE MILI : Il faut réformer en profondeur

    BADR’EDDINE MILI AU SOIR D’ALGERIE :
    «Il faut réformer en profondeur»



    Le soir - Lundi 31 octobre 2016 Propos recueillis par Mokhtar Benzaki



    Partant du débat sur l’Histoire de la Révolution de Novembre, Badr’Eddine Mili évalue dans cet entretien le chemin parcouru. Un regard sans complaisance mais sans s’interdire un optimisme à la mesure des enjeux pour le pays.

    Le Soir d’Algérie : L’opinion publique nationale est invitée, depuis quelque temps, à suivre un débat récurrent, de plus en plus polémique, sur l’histoire de la Révolution. En quoi ce débat vous paraît-il utile pour l’Algérie de 2016 ?
    Badr’Eddine Mili : Tout débat est utile s’il vise à clarifier et faire décanter les idées et les positions des parties qui débattent. Il le serait davantage s’il se fixe pour objectif de rechercher, exclusivement, la vérité et, en l’occurrence, la vérité historique.
    Si, par contre, derrière les interventions et les déclarations qui se multiplient sur le sujet se profilent des concurrences entre forces antagonistes voulant imposer, unilatéralement, des thèses amarrées à des intérêts politiques et à des représentations idéologiques sectaires, il cesse d’être un débat et finit par tourner, immanquablement, à la controverse.

    La question qui domine les discussions se focalise sur la lecture qu’il y a lieu de faire des grandes dates de la Révolution, notamment le 1er Novembre 1954, pour certains, et le 20 Août 1956, pour d’autres. A quoi cette question, très disputée, renvoie-t-elle au fond ?
    La confrontation qui est centrée, en apparence, sur la mémoire renvoie, au fond, à la politique, dans la mesure où la revendication d’une nouvelle lecture des grands événements de la Révolution cache, dans les faits, des approches divergentes sur l’avenir de l’Etat algérien.
    Après le divorce définitif consommé, depuis longtemps, entre les anciennes composantes du Mouvement national — PPA/MTLD, UDMA, Ulémas, PCA, courant berbériste —, les formations qui en faisaient partie et qui avaient récupéré — sous d’autres appellations — leur identité originelle, pleine et entière, entendent, aujourd’hui mettre à profit la crise morale et politique dans laquelle se débattent l’Etat et la société, pour se replacer dans la course au changement, armées d’arguments puisés dans la réinterprétation et le reclassement de ces événements.
    Le FLN lui-même n’échappe pas à ce mouvement, secoué qu’il est par une crise de légitimité liée à des points importants de l’Histoire. En analysant, de très près, ce mouvement, l’observateur se retrouve en face de deux tentatives de relecture, politiquement intéressées :
    • La première émane d’un panel de forces proches de la périphérie de certains centres dirigeants qui travaillent, derrière le miroir aux alouettes de l’apologie démagogique de Novembre, au remplacement de l’Etat national par un Etat de classe fondé, idéologiquement, sur la tradition, économiquement sur le libéralisme, et fonctionnant, institutionnellement, sur le mode du césarisme, un Etat qui emprunte, aussi bien au Makhzen qu’à l’Emirat de 1830, certains de ses fondamentaux, en particulier religieux.
    • La seconde, soutenue par les forces se réclamant de la modernité, propose de hisser la Plateforme de la Soummam au rang de référent idéologique absolu, sinon de marqueur majeur de la Révolution auquel devrait obéir toute réflexion sur la réforme de l’Etat et de la société à mettre en perspective, dans le cadre de la lutte pour l’émergence d’un nouveau pouvoir et, donc, d’une nouvelle forme de gouvernance plus en phase avec les principes des textes fondateurs.

    La problématique du débat sur l’Histoire de la Révolution ainsi posée, quelle est, selon vous, la thèse qui a le plus de chance de réunir autour d’elle un consensus ?
    S’avancer à pronostiquer l’audience que chacune de ces thèses — ou d’autres —pourrait réunir autour de ses propositions reviendrait à cautionner ces tentatives de relecture et à entériner leurs plaidoyers d’une manière ou d’une autre.
    Cette réserve ne devrait, cependant, pas exclure la possibilité de caractériser l’une et l’autre et d’en cerner les limites et les faiblesses.
    • Si la première pèche par son passéisme et sa lecture littérale de l’évocation par la Proclamation du 1er Novembre 1954 d’un Etat fondé sur les principes islamiques, la seconde s’appuie sur une interprétation sélective de la Plateforme de la Soummam, en la soustrayant à la logique de la hiérarchie des événements et des textes. Dans la foulée, elle fait peser sur sa démarche une hypothèque sérieuse, en personnalisant la paternité de l’œuvre révolutionnaire.
    Certes, l’Histoire témoigne que la Plateforme de la Soummam a insufflé à la Révolution une dynamique indispensable à la poursuite du combat, sous des formes et dans des conditions plus structurées et mieux organisées ; pour autant, elle n’autorise pas une déclassification de la
    Proclamation du 1er Novembre 1954, remisée dans le casier des déclarations discutables, uniquement, parce qu’elle a envisagé l’édification du futur Etat indépendant sur la base des valeurs civilisationnelles et culturelles propres à la nation algérienne.
    • Ceci dit, il ne viendrait à l’esprit d’aucun Algérien l’idée de minimiser ou de nier les mérites personnels de tel ou tel leader de la Révolution. Au contraire, tout citoyen se doit d’honorer les chouhada et de reconnaître leurs sacrifices. Cette reconnaissance serait, néanmoins, frappée de caducité si elle venait à être adossée à un classement favorisant tel dirigeant au détriment de tel autre. Nonobstant la vérité indépassable qui veut que le triomphe d’une révolution est le fruit d’une œuvre collective, qu’elle ait été initiée par une nation, un peuple ou une classe, il se trouve qu’à sa tête sont propulsées, à un moment donné, des directions produites par les circonstances de leur développement. Ces directions sont composées d’hommes issus d’horizons, d’origines sociales et de formation différents, dotés de caractères spécifiques, qui en arrivent, souvent, à s’affronter sur des choix
    stratégiques, décisifs pour la continuation du processus. Il en a été, ainsi, d’hommes aussi dissemblables que Robespierre, Danton et St Just pour la Révolution française ; Lénine, Staline, Trotski, Boukharine et Zinoviev pour la Révolution bolchévique ; Mao-Zedong, Chu-Teh, Liu-Chao-Chi et Chou-En-Laï pour la Révolution chinoise ; Castro, Che Guevara, Cienfuegos et Dorticos pour la Révolution cubaine ; Nasser, Neguib, Amer, Sadate et Echaffeï pour la Révolution égyptienne, lesquels ont connu, peu ou prou, des sorts aussi tragiques que ceux réservés à bon nombre de dirigeants révolutionnaires algériens.

    Que reste-t-il alors des enseignements de Novembre qui pourraient, encore, mobiliser une majorité d’Algériens autour de leur actualisation et de leur projection dans le futur ?
    Le 1er Novembre 1954 s’est, indiscutablement, imposé comme la propriété une et indivisible de la nation qu’il a dotée d’un Etat souverain, d’un socle de valeurs et d’un tronc commun de références historiques qui ne sont ni à vendre ni à acheter.
    Pour les anciennes comme pour les jeunes générations, il représente ce qui est arrivé au pays de plus valorisant depuis la résistance de Jugurtha à l’invasion romaine.
    Juste un rappel à l’attention de ceux qui semblent l’avoir oublié :
    1- Le 1er Novembre 1954 ne fut ni un accident de l’Histoire ni le don généreux d’un démiurge bienveillant.
    Il a couronné une suite ininterrompue de luttes armées et politiques anticoloniales, d’une violence inouïe, qui ont coûté au peuple algérien un prix humain et matériel incommensurable.
    2- Appartenant à un mouvement mondial, il s’était inscrit dans le prolongement du réveil des peuples d’Orient, de l’Inde à l’Indochine et de la Chine aux anciennes possessions de l’Empire ottoman dépecé à la fin de la Première Guerre mondiale.
    3- Universel par le caractère avant-gardiste de sa contribution au combat des nations dominées, il fut un accélérateur déterminant dans la libération des peuples arabes et africains et dans le progrès de la conscience humaine dans la connaissance et la dénonciation des crimes que furent, en Algérie, le génocide, la torture, le déni religieux et linguistique et l’expérimentation de l’arme nucléaire en territoire occupé. Un patrimoine aussi riche et prestigieux ne saurait être jeté aux oubliettes ni abandonné entre les mains de vicaires ou d’héritiers présomptifs ; une façon de dire qu’il est vital, dans cette conjoncture très délicate, que la nation rassemble toutes ses énergies pour protéger Novembre contre toutes les atteintes réelles ou virtuelles qui menacent, de l’intérieur, son intégrité, son message et le parachèvement de ses promesses.
    Il lui suffit, déjà, assez, de faire front au révisionnisme extérieur conçu et entretenu par les plus hautes institutions de l’ancienne puissance coloniale ainsi que par les historiens – idéologues inspirateurs et gestionnaires de la guerre de la mémoire, ouvertement, livrée à l’Algérie.

    Si vous parlez de parachèvement de ses promesses, c’est que, quelque part, Novembre n’a pas accompli tout ce à quoi aspiraient les Algériens. Qu’est-ce qu’il n’a pas pu mener à son terme et pourquoi ?
    Le 1er Novembre 1954 s’était, dès le début, affirmé porteur pour les Algériens d’une double espérance : celle de se voir libérer de la servitude coloniale et du servage féodal et celle de pouvoir recouvrer la plénitude de leurs droits sur leurs terres, leur langue et leur passé.
    Rien qui ait été, jusque-là, promis par un quelconque parti ou organisation connus sur la scène nationale d’alors — à l’exception du PPA-MTLD-OS —, ce dont attestèrent plusieurs acteurs politiques et militaires qui ont produit — à l’intérieur des institutions révolutionnaires — des textes d’un nombre et d’un niveau intellectuel peu courants pour l’époque, indicateur probant — s’il en est – qui dément les allégations de certains milieux sur l’indigence et la rareté de documents de première main et de premier plan sur la Révolution.

    On peut soutenir, à ce propos, que la Révolution de Novembre fut une Révolution écrite et non pas une Révolution orale ainsi que ses détracteurs le prétendent.
    Cherif Sahli, Mahfoud Benoune, Mohamed Harbi, Mabrouk Belhocine, Mahfoud Kaddache et Aboulkacem Saâdallah, entre autres, l’ont confirmé à travers l’exhumation de pièces inédites sur lesquelles les historiens algériens ont pu travailler, en attendant que soient libérées les archives d’ici et de là-bas, prisonnières d’un déni d’écriture de l’Histoire, condamnable à tous points de vue. Le but de la Révolution, pour revenir à votre question, n’était pas, uniquement, de récupérer une souveraineté et des terres confisquées, c’était aussi et, plus essentiellement, de changer la société.
    Mostefa Lacheraf et Frantz Fanon – et plus près de nous M’hamed Boukhobza et Djilali Liabès – ont décrit, par le détail, la situation de la société algérienne de l’époque, soumise au joug d’un mode de production socioéconomique archaïque et d’une pensée traditionnelle fermée à l’ijtihad. Bien que beaucoup ait été réalisé dans l’affranchissement matériel de l’homme, après la conquête de l’indépendance, il restait à la Révolution du 1er Novembre d’émanciper le peuple, culturellement et mentalement, un combat autrement plus difficile et plus long et qui, malheureusement, n’a pas encore connu son épilogue, la résolution de la contradiction entre tradition et modernité étant toujours à l’ordre du jour.
    Othmane BENZAGHOU

  • #2
    Qu’est-ce qui a freiné la résolution de cette contradiction ?
    Deux facteurs prédominants :
    1- la résistance de l’Algérie rurale qui traîne une féodalité résiduelle d’une nuisance persistante ;
    2- l’incapacité d’une partie de la société à se défaire d’une dépendance pavlovienne vis-à-vis du pouvoir tutélaire et providentiel dans la culture duquel elle a grandi depuis 1962.
    La bataille qui tourne, aujourd’hui, autour de l’école résume, à elle seule, malgré sa confusion, l’ampleur et la rudesse de la tâche. L’enjeu de cette bataille qui reste à clarifier, quant à ses véritables objectifs et protagonistes, est la démocratie qui ne peut voir le jour sans une école libérée des pesanteurs de la vieille pensée parce que c’est, à travers l’école de la science et du mérite que la société, et donc l’Etat, seront régulés par le Droit, un droit impersonnel situé au-dessus de tous.
    Mais tant qu’une partie de la société tarde à renoncer au choix qu’elle a fait de préférer — par conviction, commodité, conditionnement ou paresse — «la sécurité» et «le confort» du passéisme aux risques et aux exigences de la modernité, l’Algérie restera condamnée à végéter entre le stakhanovisme des producteurs de fetwas et l’archéopolitique du Big Brother et de ses épigones jurassiens.

    Que faut-il, dans ces conditions, que l’Algérie fasse pour sortir de cette impasse ?
    Une seule chose : réformer, en profondeur, le système de pensée actuel, tout en respectant ses souches saines.
    On sait que ce qui freine, aujourd’hui, le développement du pays réside dans la frénésie de certains Algériens à vouloir arriver, coûte que coûte, en même temps, au sommet de la hiérarchie de la société et de monopoliser les moyens de production et de reproduction du pouvoir politique et économique.
    Apanage des classes prébendieres et prédatrices, cette boulimie dévastatrice créé une situation d’encombrement qui paralyse l’ascenseur social, multipliant, faute de régulation, les frustrations et les conflits qui finissent par être réglés au moyen de la force brutale et du déni de droit, un mode d’emploi qui tend à devenir la norme de fonctionnement privilégiée de l’Etat et de la société.
    Dans quelques années, le monde sera gouverné par le duo Etats-Unis - Chine, l’Afrique comptera deux milliards d’habitants et l’économie fonctionnera aux énergies nouvelles et au tout numérique.
    Quelle place l’Algérie occupera-t-elle dans cet espace international recomposé ?

    Ira-t-elle vers lui en traînant, dans ses valises, les talismans des zaouïas, les rituels du wahhabisme et la scolastique stérile de l’ancien temps, ou bien se résoudra-t-elle, courageusement, à se réformer, en profondeur, en exploitant les leçons des expériences de la Chine et de la Turquie qui, ayant banni, au siècle dernier, la première le confucianisme, et la seconde l’islam, au profit d’un marxisme sinisé pour l’une et d’une laïcité mise sous la coupe des militaires pour l’autre, ont été rattrapées par leurs identités initiales et reviennent, aujourd’hui, aux sources, quoiqu’avec des résultats mitigés pour la Turquie de Tayip Erdogan.
    Le monde arabe n’a pas réussi ce challenge au moment opportun, c'est-à-dire au temps de la Nahda et de l’euphorie des nationalismes triomphants avec Nasser, Boumediène et Bourguiba. L’échec est venu du recroquevillement sur elle-même d’une partie de la société qui a pénalisé le reste par ses choix rétrogrades.
    La tragédie que le monde arabe vit, en ce moment, au Proche-Orient et au Maghreb reflète, à la perfection, cet échec qui, souhaitons-le, est momentané, car le génie des peuples est connu pour tirer le meilleur du pire.

    Dans l’état actuel des choses – crise morale et politique –, qui voyez-vous être capable, en Algérie, d’initier la réforme en profondeur que vous pensez être indispensable à la régénération et au plein accomplissement de l’esprit de Novembre ?
    Vous avez, parfaitement, raison de poser cette question parce qu’effectivement, on ne discerne pas, avec suffisamment de netteté, les contours des forces agissant au sein de l’Etat, acquises à cette réforme en profondeur comme on ignore la nature des moyens dont elles disposent – sur le plan linguistique, par exemple – pour la concrétiser sur le terrain.
    C’est pourquoi j’estime que le mouvement qui suscitera et tractera cette réforme culturelle et mentale, fondamentale pour l’avenir de l’Algérie, naîtra – si ce n’est déjà fait – dans les entrailles des segments les plus éclairés de la société.
    Les deux signes avant -coureurs qui me laissent penser qu’un tel processus est en marche sont :
    1- L’irruption de la jeunesse sur la scène des sciences, des technologies, de la création, de l’entrepreneuriat et de l’innovation qui suscitent, dans ce milieu, l’investissement de beaucoup de confiance, de conviction et d’énergie.
    Il n’y a qu’à voir comment, aujourd’hui, les lauréats et leurs familles célèbrent les succès scolaire et universitaire avec l’assurance que cela conduira, qu’on le veuille ou non, au déverrouillage des portes blindées du blocage.
    2- La révolution silencieuse qui traverse la diaspora algérienne à l’étranger et qui a, substantiellement, transformé le regard de celle-ci sur le pays vers lequel elle revient régulièrement.
    Mon sentiment est qu’elle contribuera, par son implication culturelle et matérielle, à sauver l’Algérie de la crise, comme elle l’a fait, politiquement, en 1995 lors de l’élection de Liamine Zeroual à la Présidence de la République, grâce à sa forte mobilisation patriotique.

    Il y a, donc, de quoi être optimiste quant à l’avenir ?
    Ecoutez, je ne suis pas de ceux qui font commerce des difficultés de leur pays pour alimenter une littérature ou un discours de malheur. Il y a énormément d’hommes et de femmes qui œuvrent, dans l’anonymat et avec une énergie insoupçonnée, à sortir l’Algérie des ornières du retard.
    Ils le font parce qu’ils aiment leur pays et veulent le défendre contre ses ennemis de toujours. J’adhère à leur combat parce que c’est lui qui produira la pression nécessaire afin d’établir, à l’intérieur du pouvoir et de la société, des équilibres sains.
    La mission et le devoir de l’Etat et du gouvernement est d’entendre et de respecter ces hommes et ces femmes et de traduire leur travail dans des orientations politiques et programmatiques, éloignées, autant que faire se peut, de l’équilibrisme entre le jésuitisme de compromission et la modernité cosmétique.
    La décision d’une partie de l’opposition de participer aux élections législatives de 2017, en dépit des réserves de fond et de forme qui l’accompagnent, fournit un éclairage qui en dit long sur le consensus nécessaire auquel appellent les forces de la société qui tirent vers le haut pour dépasser cette phase de gel qui n’a que trop duré.
    La reconduction, à l’issue de ces élections, des majorités de laboratoire provoquera une grande déception et désespéra les Algériens de la capacité de leur Etat à faire preuve d’intelligence politique, alors que tout plaide pour un consensus dont l’expression la plus attendue serait un gouvernement aux couleurs de l’Algérie réelle.
    Une perspective bien plus en rapport avec les promesses de Novembre que la chimère d’un Etat-Makhzen maquillé en «Etat civil» que certains tireurs de plan projettent pour 2017-2019, dans le but d’exclure l’ANP du champ politique, un vieux rêve caressé par la France.
    M. B.
    Dernière modification par ott, 31 octobre 2016, 11h15.
    Othmane BENZAGHOU

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    • #3
      Houari Mouffok ou la "question du problème"



      le Soir d'Algérie, 31 décembre 2013 par Badr’Eddine Mili



      Houari Mouffok repose, désormais, dans cette petite cuvette de Béni-Messous qui, vue de son promontoire rocailleux, donne l’impression d’être une mosaïque constellée de cristaux blancs plantés, là, par le cercle disparu des derniers justes, au milieu de la garrigue et du maquis d’une falaise qui a perdu, depuis longtemps, le contact avec la mer.

      Si peu a été dit ou écrit sur ce symbole de la jeunesse engagée des années 1960, un homme bien singulier, secret et insaisissable, retranché derrière la cuirasse blindée d’un visage léonin dominé par des pommettes saillantes, taillées au burin et des paupières lourdes comparables à celles d’un Charles Bronson.

      Les sévices qu’il endura durant sa détention, au lendemain du 19 juin 1965, sont, pour beaucoup, dans l’aura qui l’a entouré, de son propre vivant, davantage soulignée par la rareté des témoignages et des documents historiques consacrés au personnage et à la période où il fit irruption et en sortit, avec la fulgurance et les mystères d’une étoile filante, un sort malheureux partagé par Hadj Ben Alla, Mohamed Séghir Nekkache et nombre de dirigeants proches du Président Ahmed Ben Bella, emprisonnés, mis au secret ou déportés au Sahara, sans procès et en violation de leurs droits humains les plus élémentaires.

      A l’exception de son ouvrage Parcours d’un militant étudiant, de l’UGEMA à l’UNEA , peu disert et assez mesuré, et d’une contribution parue il y a deux ans dans les colonnes d’El Watan, réhabilitant les concepts-clefs du socialisme, dans un style sobre et didactique, il est difficile de trouver d’autres repères pour retracer, de façon détaillée, l’itinéraire de celui que certains de ses fidèles présentent comme une icône du militantisme de gauche. Pour l’avoir côtoyé, pendant quelques mois, de son élection, en 1963, à la présidence de l’UNEA jusqu’à la manifestation des étudiants à la rue Didouche-Mourad à laquelle le Comité exécutif appela à la suite du coup d’Etat dirigé par le colonel Houari Boumediène, premier vice-président et ministre de la Défense, j’ai pu réunir, à la lumière des événements, des actions et des débats auxquels je pris part, au sein des instances de l’Union, quelques éléments d’information et d’appréciation qui peuvent aider à comprendre certains aspects de la personnalité du dirigeant patriote et progressiste qu’il fut.

      D’abord, l’image qui s’impose à celui qui le rencontre, pour la première fois, avant même qu’il ne parle, est celle de sa modestie et de sa mise simple et économe de fils du peuple, héritée de son enfance passée à la médina d’Oran dont il garda, vivace, le culte de la proximité avec les petites gens et le ferme espoir d’une revanche méritée sur la vie d’indigène sans horizon, imposée par l’occupation aux jeunes Algériens.

      Les penchants pour le rationalisme et les sciences lui firent, très tôt, entrevoir, en Algérie puis en RDA, les perspectives démocratiques et populaires sur lesquelles devaient, à son sens, déboucher la conquête de l’indépendance et son prolongement naturel, la Révolution socialiste.

      C’est pourquoi, on peut estimer que ses choix idéologiques et politiques qui recoupaient, au demeurant, par leurs motivations, leurs exigences morales et leur part de combat, ceux de beaucoup d’étudiants formés, ici et à l’étranger, étaient, déjà clairs… Avant même son accession à la tête du mouvement estudiantin post-libération.

      Ils traduisaient la légitimité des aspirations de tout un peuple à la justice, au progrès social, à la réappropriation des ressources du pays, au savoir et au travail… Tout en s’attachant à ne pas rompre avec l’esprit et la lettre de l’héritage de l’AEMNA et de l’ Ugema et avec le travail investi par les aînés pour faire des élites l’épine dorsale du pouvoir d’Etat renaissant. On décelait cette vigilante précaution dans ses discours magistralement improvisés, équilibrés, sans fioritures et, par-dessus tout, construits autour d’une logique imparable et des convictions d’un seul tenant, insécables.

      Il avait le don d’expliquer les idées les plus complexes avec les mots de tous les jours, en évitant les pièges du sectarisme et les étiquettes infamantes de l’époque.

      Il n’avait pas besoin d’invoquer, à tout bout de champ, ses classiques, pour illustrer une revendication politique ou sociale incontestable, ainsi que certains membres de son entourage, intellectualistes sophistiqués et déconnectés des réalités de la société le faisaient, systématiquement, en puisant dans ce bréviaire de quoi étaler un vernis idéologique sans valeur ajoutée quant au bien-fondé de «la vérité révolutionnaire» dont ils disaient être les détenteurs de droit.

      C’est certainement de cette rigueur et de cette fidélité, rare, aux engagements proclamés, qu’il tenait le plus clair de son charisme, un charisme qui transparaissait, aussi, de son regard perçant, tout le temps, en quête, chez l’autre, d’un éclair de compréhension et d’entendement.

      J’avais noté qu’il savait également être pragmatique et réaliste lorsque les conditions du moment lui demandaient de quitter le costume trop étroit de l’orthodoxie et de descendre du piédestal de l’autorité.

      Il avait, ainsi, beaucoup travaillé, conformément aux résolutions du congrès fondateur, à sauvegarder l’autonomie de l’Union vis-à-vis du pouvoir, à clarifier les contenus économiques et socioculturels du choix du socialisme comme modèle de développement national, à nouer des alliances stratégiques avec le monde ouvrier, les autogestionnaires paysans et les intellectuels engagés, à défendre un enseignement supérieur démocratique et de qualité ainsi que les franchises universitaires contre les tentatives de caporalisation et d’entrisme des lobbies et des officines occultes.

      Et lorsqu’il fut interpellé sur des problématiques ultra-sensibles, pour la période, comme la place de la langue arabe dans l’éducation nationale ou l’appartenance identitaire, il ne se déroba pas et fit connaître des positions courageuses qui lui attirèrent des inimitiés tenaces et rancunières qui expliquent, en partie, le triste sort qui lui fut réservé après 1965.
      Pour gérer l’ensemble de ces problématiques et permettre à l’Unea de peser sur l’orientation des décisions du gouvernement, il avait, tout de suite, compris qu’il lui fallait forger un instrument organique structuré et pourvoyeur de cadres militants, syndicalement et politiquement, capables d’intervenir, à tout moment, pour se mobiliser et mobiliser autour des tâches d’intérêt social et national.

      C’est sous cet angle-là qu’il fallait percevoir les initiatives qu’il prit pour systématiser les actions de formation, inaugurées au premier séminaire tenu à Boumerdès, en 1963, en présence de plusieurs dizaines de responsables destinés à devenir les prétoriens du mouvement.

      En lançant le chantier de reconstruction du village des Ouadhias détruit par le napalm, durant la guerre, en même temps que le volontariat, le reboisement de l’Arbatache, la médecine rurale, l’alphabétisation de masse et la culture pour tous, il voulait, aussi, démontrer que l’alliance des étudiants avec les travailleurs, les femmes et les autres secteurs de la jeunesse n’était pas un slogan creux et démagogique. Ceci dit, il serait erroné de laisser penser que la place acquise, par l’Unea, sur l’échiquier politique d’alors, était de son seul fait.

      Celle-ci était une organisation dont le fonctionnement était réglé sur le mode collégial. Le Comité directeur et le Comité exécutif, le Conseil et le Comité de section d’Alger étaient des instances délibérantes et exécutives, représentant des centaines d’étudiants venus de l’intérieur et de l’extérieur du pays et dont les débats contradictoires et houleux étaient la marque caractéristique de leurs assemblées générales et autres réunions.

      Ces instances comptaient dans leurs rangs des militants issus, en général, des milieux populaires, comme Saha Malek, Noureddine Zenine, Djamel Labidi, Djelloul Nacer, Salhi, Hadjadj, Mazouzi, Medjamia, Temime, Korba, Aït-Saïd, Keddar, Badis, Othmani, Sidi Boumediène, Mili, Aïssaoui, Lardjane, Belarbi, Khellaf, Tabti, Medjahed, Oussedik, Khelladi, Kitouni, Benhacène, Taoutaou, Boukhari, rejoints par la suite, par Ouchérif, Mahdi, Saâdi, Bouhamidi, Belloufa, Houri, Malika Abdelaziz, Mouny Berrah, Dzanouni, en compagnie de nombreux sympathisants actifs comme Mérabia, Djebbara, Kherroubi, Benaï, Maherzi, Nezzari, Sebti, Benziane, Bouzida, Houssinat, Merdaci, Ounis, Amar, Mami, Lekouaghet, Foury… et j’en oublie involontairement…
      Othmane BENZAGHOU

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      • #4
        Par ailleurs, la classe politique et syndicale ne se limitait pas à la seule Unea.

        Les militants de l’ex-PCA, dissous, en septembre 1962, par le Président Ben Bella, ainsi que ceux du monde du travail et des autres organisations de masse étaient tout aussi, sinon plus, prolifiques en actions de mobilisation et se distinguaient par une production théorique littéraire et artistique prosélytique.

        Bachir Hadj Ali, Mohamed Boudia, Sadek Hadjeres, Amar Ouzzegane, Abdelmadjid Benacer, Ali Yahia Abdenour, Abdelaziz Zerdani, Abdelhamid Benzine, Hachemi Chérif, Omar Chaou, Abdelaziz Saoudi, Boudissa, Benallègue, Brixi, Guerroudj, Akkache, Teguia, pour ne citer que ceux qui me viennent à l’esprit, en faisaient partie. Les passerelles jetées entre toutes ces organisations, ces groupes et ces forces, y compris au sein du parti du FLN, étaient nombreuses, structurelles ou conjoncturelles, en relation avec les questions et les rapports de force du moment.

        L’alliance de ces constellations de gauche culmina lors du congrès du FLN tenu en 1964 et achevé par l’adoption de la Charte d’Alger et des thèses d’avril proclamant l’irréversibilité de l’option socialiste, fortement appuyée par Rédha Malek, Mohamed Seddik Benyahia, Mohamed Harbi et Hocine Zahouane, les théoriciens de la gauche du FLN.

        Quelques jours après, au défilé du 1er Mai qui partit de la place des Martyrs pour rallier la Maison du Peuple, les étudiantes et étudiants de l’UNEA, tout de blanc vêtus, brandissaient au-dessus de leur tête le discours de clôture prononcé au congrès par le «Frère Militant» distribué, à la foule, à des milliers d’exemplaires.

        Le Président Ahmed Ben Bella ne voulait, en aucun cas, s’aliéner la carte maîtresse que l’Unea représentait pour la défense et l’illustration du socialisme, mais aussi pour la résonance de sa propre autorité nationale et internationale, lui qui était entré dans la cour des grands pays socialistes, l’URSS où il fut décoré de l’Ordre de Lénine, la République populaire de Chine, le Vietnam, Cuba, etc.

        De son côté, l’Unea, partie prenante d’une alliance de gauche qui s’opéra en opposition aux chefferies féodales et religieuses et aux universitaires et intellectuels arabophones, catalogués anti-socialistes, espérait tirer de son rapprochement avec le Président, des dividendes politiques qui feraient, d’elle, à terme, le réservoir du pouvoir d’Etat et probablement un acteur de premier plan dans les arbitrages à venir sur les choix fondamentaux de la société.

        Dans un marché de dupes qui ressemblait fort à un jeu de cache-cache, on avait d’une part, un Président, dérivant tous azimuts vers la personnalisation outrancière du pouvoir, qui actionnait tous les leviers pour manipuler l’Unea et de l’autre, celle-ci qui poussait le Président à prendre les mesures à même d’accélérer le processus de socialisation et à lui faciliter l’accès aux centres de décision, sachant même qu’il avait créé une section des étudiants du parti du FLN pour en user contre elle, comme d’un garde-fou.

        Animée par Hadjar, Benaïssa et des transfuges de l’Institut d’études arabes, relais des enseignements de Benabi, Aroua, Tidjani, Djinah, Bamatte et Iqbal, cette section ne tarda pas à exploiter la marginalisation des étudiants arabophones exclus des postes d’encadrement dans l’administration, pour attaquer l’Etat, à travers l’Unea accusée d’être discriminatoire et «suppôt de l’internationalisme prolétarien». Avec le recul, on se rend compte que Houari Mouffok en tant que dirigeant et l’UNEA avaient manqué, dans une certaine mesure, de discernement, et effectué une mauvaise évaluation de la situation générale du pays, de la place et des relations du mouvement estudiantin dans et avec la Révolution, passé et présent, et, par conséquent, surestimé leurs forces, jugeant, naïvement, que le moment était venu pour les élites de s’emparer du noyau du pouvoir d’Etat. Alors qu’en vérité, l’Unea n’était qu’une pièce accessoire du puzzle politique de cette période et il s’avéra, par la suite, qu’il était quasiment impossible de balayer, d’une pichenette, les pesanteurs d’une société encore soumise au patriarcat et à la tradition, en somme aux forces de la régression, malgré une dynamique révolutionnaire prometteuse, avant l’avènement de la saison des désillusions.

        L’une des faiblesses, toutefois relatives, de l’Union fut d’avoir négligé de se rapprocher de l’armée, jugée avec méfiance. Houari Boumediène qui n’avait pas, non plus, d’atomes crochus avec elle, la voyait d’un mauvais œil, d’une façon, certes, différente de celle de Kaïd Ahmed, parce qu’elle avait, selon lui, dévié de l’orthodoxie des constantes et qu’elle devait, elle aussi, être redressée.

        Ce qui fut fait après la mobilisation des étudiants au sein de l’ANP, à la suite de la défaite arabe du 5 Juin 1967 face à Israël jusqu’à son interdiction qui acheva de démanteler définitivement la gauche algérienne.



        Il faudra attendre les 3 Révolutions pour que, sous d’autres sigles, cette gauche tente, de nouveau, de se repositionner ; en vain, simplement parce que «la question du problème», une formule attribuée par Omar Chaou, ancien membre du Cnes de feu Mohamed Salah Mentouri, avec un humour d’une grande tendresse, nimbée de nostalgie, à Abdelaziz Saoudi, un vieux routier des mouvements de la jeunesse et des travailleurs qui débutait, ainsi, son intervention à une assemblée, rehaussée dans les années 1970, par la présence du Président Houari Boumediène, «la question du problème» ne réside pas dans le volontarisme, la stature de X ou de Y. Elle est au cœur de la doctrine et de la pratique d’un système qui exclut, d’office, une gouvernance placée sous l’égide d’une élite autonome, se reproduisant en dehors du clientélisme, du clanisme et du régionalisme. Faute d’avoir été réglée, en son temps, «la question du problème» persiste et s’aggrave même, au vu du regain ambiant de la médiocrité que vit aujourd’hui la sphère dirigeante du pays frappée de plein fouet par la dérive néo-messaliste du FLN et le plongeon de la politique dans les abysses d’un affairisme innommable.

        A quand un CRUA qui viendrait mettre un terme à une situation qui ne saurait perdurer indéfiniment ? On ne verra plus, alors, un dirigeant de l’envergure de Houari Mouffok, solitaire, stoïque et perdu dans la foule anonyme d’une chaîne de vieux retraités, attendre, patiemment, son tour pour percevoir sa maigre retraite à la poste d’El-Biar, puis quelques jours après, mourir et être enterré, entouré par ses seuls compagnons de combat, une poignée de survivants, égarés dans une Algérie orpheline de ses rêves et de ses véritables enfants.

        Justice leur sera-t-elle rendu un jour ?
        Othmane BENZAGHOU

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