BADR’EDDINE MILI AU SOIR D’ALGERIE :
«Il faut réformer en profondeur»
Le soir - Lundi 31 octobre 2016 Propos recueillis par Mokhtar Benzaki
Partant du débat sur l’Histoire de la Révolution de Novembre, Badr’Eddine Mili évalue dans cet entretien le chemin parcouru. Un regard sans complaisance mais sans s’interdire un optimisme à la mesure des enjeux pour le pays.
Le Soir d’Algérie : L’opinion publique nationale est invitée, depuis quelque temps, à suivre un débat récurrent, de plus en plus polémique, sur l’histoire de la Révolution. En quoi ce débat vous paraît-il utile pour l’Algérie de 2016 ?
Badr’Eddine Mili : Tout débat est utile s’il vise à clarifier et faire décanter les idées et les positions des parties qui débattent. Il le serait davantage s’il se fixe pour objectif de rechercher, exclusivement, la vérité et, en l’occurrence, la vérité historique.
Si, par contre, derrière les interventions et les déclarations qui se multiplient sur le sujet se profilent des concurrences entre forces antagonistes voulant imposer, unilatéralement, des thèses amarrées à des intérêts politiques et à des représentations idéologiques sectaires, il cesse d’être un débat et finit par tourner, immanquablement, à la controverse.
La question qui domine les discussions se focalise sur la lecture qu’il y a lieu de faire des grandes dates de la Révolution, notamment le 1er Novembre 1954, pour certains, et le 20 Août 1956, pour d’autres. A quoi cette question, très disputée, renvoie-t-elle au fond ?
La confrontation qui est centrée, en apparence, sur la mémoire renvoie, au fond, à la politique, dans la mesure où la revendication d’une nouvelle lecture des grands événements de la Révolution cache, dans les faits, des approches divergentes sur l’avenir de l’Etat algérien.
Après le divorce définitif consommé, depuis longtemps, entre les anciennes composantes du Mouvement national — PPA/MTLD, UDMA, Ulémas, PCA, courant berbériste —, les formations qui en faisaient partie et qui avaient récupéré — sous d’autres appellations — leur identité originelle, pleine et entière, entendent, aujourd’hui mettre à profit la crise morale et politique dans laquelle se débattent l’Etat et la société, pour se replacer dans la course au changement, armées d’arguments puisés dans la réinterprétation et le reclassement de ces événements.
Le FLN lui-même n’échappe pas à ce mouvement, secoué qu’il est par une crise de légitimité liée à des points importants de l’Histoire. En analysant, de très près, ce mouvement, l’observateur se retrouve en face de deux tentatives de relecture, politiquement intéressées :
• La première émane d’un panel de forces proches de la périphérie de certains centres dirigeants qui travaillent, derrière le miroir aux alouettes de l’apologie démagogique de Novembre, au remplacement de l’Etat national par un Etat de classe fondé, idéologiquement, sur la tradition, économiquement sur le libéralisme, et fonctionnant, institutionnellement, sur le mode du césarisme, un Etat qui emprunte, aussi bien au Makhzen qu’à l’Emirat de 1830, certains de ses fondamentaux, en particulier religieux.
• La seconde, soutenue par les forces se réclamant de la modernité, propose de hisser la Plateforme de la Soummam au rang de référent idéologique absolu, sinon de marqueur majeur de la Révolution auquel devrait obéir toute réflexion sur la réforme de l’Etat et de la société à mettre en perspective, dans le cadre de la lutte pour l’émergence d’un nouveau pouvoir et, donc, d’une nouvelle forme de gouvernance plus en phase avec les principes des textes fondateurs.
La problématique du débat sur l’Histoire de la Révolution ainsi posée, quelle est, selon vous, la thèse qui a le plus de chance de réunir autour d’elle un consensus ?
S’avancer à pronostiquer l’audience que chacune de ces thèses — ou d’autres —pourrait réunir autour de ses propositions reviendrait à cautionner ces tentatives de relecture et à entériner leurs plaidoyers d’une manière ou d’une autre.
Cette réserve ne devrait, cependant, pas exclure la possibilité de caractériser l’une et l’autre et d’en cerner les limites et les faiblesses.
• Si la première pèche par son passéisme et sa lecture littérale de l’évocation par la Proclamation du 1er Novembre 1954 d’un Etat fondé sur les principes islamiques, la seconde s’appuie sur une interprétation sélective de la Plateforme de la Soummam, en la soustrayant à la logique de la hiérarchie des événements et des textes. Dans la foulée, elle fait peser sur sa démarche une hypothèque sérieuse, en personnalisant la paternité de l’œuvre révolutionnaire.
Certes, l’Histoire témoigne que la Plateforme de la Soummam a insufflé à la Révolution une dynamique indispensable à la poursuite du combat, sous des formes et dans des conditions plus structurées et mieux organisées ; pour autant, elle n’autorise pas une déclassification de la
Proclamation du 1er Novembre 1954, remisée dans le casier des déclarations discutables, uniquement, parce qu’elle a envisagé l’édification du futur Etat indépendant sur la base des valeurs civilisationnelles et culturelles propres à la nation algérienne.
• Ceci dit, il ne viendrait à l’esprit d’aucun Algérien l’idée de minimiser ou de nier les mérites personnels de tel ou tel leader de la Révolution. Au contraire, tout citoyen se doit d’honorer les chouhada et de reconnaître leurs sacrifices. Cette reconnaissance serait, néanmoins, frappée de caducité si elle venait à être adossée à un classement favorisant tel dirigeant au détriment de tel autre. Nonobstant la vérité indépassable qui veut que le triomphe d’une révolution est le fruit d’une œuvre collective, qu’elle ait été initiée par une nation, un peuple ou une classe, il se trouve qu’à sa tête sont propulsées, à un moment donné, des directions produites par les circonstances de leur développement. Ces directions sont composées d’hommes issus d’horizons, d’origines sociales et de formation différents, dotés de caractères spécifiques, qui en arrivent, souvent, à s’affronter sur des choix
stratégiques, décisifs pour la continuation du processus. Il en a été, ainsi, d’hommes aussi dissemblables que Robespierre, Danton et St Just pour la Révolution française ; Lénine, Staline, Trotski, Boukharine et Zinoviev pour la Révolution bolchévique ; Mao-Zedong, Chu-Teh, Liu-Chao-Chi et Chou-En-Laï pour la Révolution chinoise ; Castro, Che Guevara, Cienfuegos et Dorticos pour la Révolution cubaine ; Nasser, Neguib, Amer, Sadate et Echaffeï pour la Révolution égyptienne, lesquels ont connu, peu ou prou, des sorts aussi tragiques que ceux réservés à bon nombre de dirigeants révolutionnaires algériens.
Que reste-t-il alors des enseignements de Novembre qui pourraient, encore, mobiliser une majorité d’Algériens autour de leur actualisation et de leur projection dans le futur ?
Le 1er Novembre 1954 s’est, indiscutablement, imposé comme la propriété une et indivisible de la nation qu’il a dotée d’un Etat souverain, d’un socle de valeurs et d’un tronc commun de références historiques qui ne sont ni à vendre ni à acheter.
Pour les anciennes comme pour les jeunes générations, il représente ce qui est arrivé au pays de plus valorisant depuis la résistance de Jugurtha à l’invasion romaine.
Juste un rappel à l’attention de ceux qui semblent l’avoir oublié :
1- Le 1er Novembre 1954 ne fut ni un accident de l’Histoire ni le don généreux d’un démiurge bienveillant.
Il a couronné une suite ininterrompue de luttes armées et politiques anticoloniales, d’une violence inouïe, qui ont coûté au peuple algérien un prix humain et matériel incommensurable.
2- Appartenant à un mouvement mondial, il s’était inscrit dans le prolongement du réveil des peuples d’Orient, de l’Inde à l’Indochine et de la Chine aux anciennes possessions de l’Empire ottoman dépecé à la fin de la Première Guerre mondiale.
3- Universel par le caractère avant-gardiste de sa contribution au combat des nations dominées, il fut un accélérateur déterminant dans la libération des peuples arabes et africains et dans le progrès de la conscience humaine dans la connaissance et la dénonciation des crimes que furent, en Algérie, le génocide, la torture, le déni religieux et linguistique et l’expérimentation de l’arme nucléaire en territoire occupé. Un patrimoine aussi riche et prestigieux ne saurait être jeté aux oubliettes ni abandonné entre les mains de vicaires ou d’héritiers présomptifs ; une façon de dire qu’il est vital, dans cette conjoncture très délicate, que la nation rassemble toutes ses énergies pour protéger Novembre contre toutes les atteintes réelles ou virtuelles qui menacent, de l’intérieur, son intégrité, son message et le parachèvement de ses promesses.
Il lui suffit, déjà, assez, de faire front au révisionnisme extérieur conçu et entretenu par les plus hautes institutions de l’ancienne puissance coloniale ainsi que par les historiens – idéologues inspirateurs et gestionnaires de la guerre de la mémoire, ouvertement, livrée à l’Algérie.
Si vous parlez de parachèvement de ses promesses, c’est que, quelque part, Novembre n’a pas accompli tout ce à quoi aspiraient les Algériens. Qu’est-ce qu’il n’a pas pu mener à son terme et pourquoi ?
Le 1er Novembre 1954 s’était, dès le début, affirmé porteur pour les Algériens d’une double espérance : celle de se voir libérer de la servitude coloniale et du servage féodal et celle de pouvoir recouvrer la plénitude de leurs droits sur leurs terres, leur langue et leur passé.
Rien qui ait été, jusque-là, promis par un quelconque parti ou organisation connus sur la scène nationale d’alors — à l’exception du PPA-MTLD-OS —, ce dont attestèrent plusieurs acteurs politiques et militaires qui ont produit — à l’intérieur des institutions révolutionnaires — des textes d’un nombre et d’un niveau intellectuel peu courants pour l’époque, indicateur probant — s’il en est – qui dément les allégations de certains milieux sur l’indigence et la rareté de documents de première main et de premier plan sur la Révolution.
On peut soutenir, à ce propos, que la Révolution de Novembre fut une Révolution écrite et non pas une Révolution orale ainsi que ses détracteurs le prétendent.
Cherif Sahli, Mahfoud Benoune, Mohamed Harbi, Mabrouk Belhocine, Mahfoud Kaddache et Aboulkacem Saâdallah, entre autres, l’ont confirmé à travers l’exhumation de pièces inédites sur lesquelles les historiens algériens ont pu travailler, en attendant que soient libérées les archives d’ici et de là-bas, prisonnières d’un déni d’écriture de l’Histoire, condamnable à tous points de vue. Le but de la Révolution, pour revenir à votre question, n’était pas, uniquement, de récupérer une souveraineté et des terres confisquées, c’était aussi et, plus essentiellement, de changer la société.
Mostefa Lacheraf et Frantz Fanon – et plus près de nous M’hamed Boukhobza et Djilali Liabès – ont décrit, par le détail, la situation de la société algérienne de l’époque, soumise au joug d’un mode de production socioéconomique archaïque et d’une pensée traditionnelle fermée à l’ijtihad. Bien que beaucoup ait été réalisé dans l’affranchissement matériel de l’homme, après la conquête de l’indépendance, il restait à la Révolution du 1er Novembre d’émanciper le peuple, culturellement et mentalement, un combat autrement plus difficile et plus long et qui, malheureusement, n’a pas encore connu son épilogue, la résolution de la contradiction entre tradition et modernité étant toujours à l’ordre du jour.
«Il faut réformer en profondeur»
Le soir - Lundi 31 octobre 2016 Propos recueillis par Mokhtar Benzaki
Partant du débat sur l’Histoire de la Révolution de Novembre, Badr’Eddine Mili évalue dans cet entretien le chemin parcouru. Un regard sans complaisance mais sans s’interdire un optimisme à la mesure des enjeux pour le pays.
Le Soir d’Algérie : L’opinion publique nationale est invitée, depuis quelque temps, à suivre un débat récurrent, de plus en plus polémique, sur l’histoire de la Révolution. En quoi ce débat vous paraît-il utile pour l’Algérie de 2016 ?
Badr’Eddine Mili : Tout débat est utile s’il vise à clarifier et faire décanter les idées et les positions des parties qui débattent. Il le serait davantage s’il se fixe pour objectif de rechercher, exclusivement, la vérité et, en l’occurrence, la vérité historique.
Si, par contre, derrière les interventions et les déclarations qui se multiplient sur le sujet se profilent des concurrences entre forces antagonistes voulant imposer, unilatéralement, des thèses amarrées à des intérêts politiques et à des représentations idéologiques sectaires, il cesse d’être un débat et finit par tourner, immanquablement, à la controverse.
La question qui domine les discussions se focalise sur la lecture qu’il y a lieu de faire des grandes dates de la Révolution, notamment le 1er Novembre 1954, pour certains, et le 20 Août 1956, pour d’autres. A quoi cette question, très disputée, renvoie-t-elle au fond ?
La confrontation qui est centrée, en apparence, sur la mémoire renvoie, au fond, à la politique, dans la mesure où la revendication d’une nouvelle lecture des grands événements de la Révolution cache, dans les faits, des approches divergentes sur l’avenir de l’Etat algérien.
Après le divorce définitif consommé, depuis longtemps, entre les anciennes composantes du Mouvement national — PPA/MTLD, UDMA, Ulémas, PCA, courant berbériste —, les formations qui en faisaient partie et qui avaient récupéré — sous d’autres appellations — leur identité originelle, pleine et entière, entendent, aujourd’hui mettre à profit la crise morale et politique dans laquelle se débattent l’Etat et la société, pour se replacer dans la course au changement, armées d’arguments puisés dans la réinterprétation et le reclassement de ces événements.
Le FLN lui-même n’échappe pas à ce mouvement, secoué qu’il est par une crise de légitimité liée à des points importants de l’Histoire. En analysant, de très près, ce mouvement, l’observateur se retrouve en face de deux tentatives de relecture, politiquement intéressées :
• La première émane d’un panel de forces proches de la périphérie de certains centres dirigeants qui travaillent, derrière le miroir aux alouettes de l’apologie démagogique de Novembre, au remplacement de l’Etat national par un Etat de classe fondé, idéologiquement, sur la tradition, économiquement sur le libéralisme, et fonctionnant, institutionnellement, sur le mode du césarisme, un Etat qui emprunte, aussi bien au Makhzen qu’à l’Emirat de 1830, certains de ses fondamentaux, en particulier religieux.
• La seconde, soutenue par les forces se réclamant de la modernité, propose de hisser la Plateforme de la Soummam au rang de référent idéologique absolu, sinon de marqueur majeur de la Révolution auquel devrait obéir toute réflexion sur la réforme de l’Etat et de la société à mettre en perspective, dans le cadre de la lutte pour l’émergence d’un nouveau pouvoir et, donc, d’une nouvelle forme de gouvernance plus en phase avec les principes des textes fondateurs.
La problématique du débat sur l’Histoire de la Révolution ainsi posée, quelle est, selon vous, la thèse qui a le plus de chance de réunir autour d’elle un consensus ?
S’avancer à pronostiquer l’audience que chacune de ces thèses — ou d’autres —pourrait réunir autour de ses propositions reviendrait à cautionner ces tentatives de relecture et à entériner leurs plaidoyers d’une manière ou d’une autre.
Cette réserve ne devrait, cependant, pas exclure la possibilité de caractériser l’une et l’autre et d’en cerner les limites et les faiblesses.
• Si la première pèche par son passéisme et sa lecture littérale de l’évocation par la Proclamation du 1er Novembre 1954 d’un Etat fondé sur les principes islamiques, la seconde s’appuie sur une interprétation sélective de la Plateforme de la Soummam, en la soustrayant à la logique de la hiérarchie des événements et des textes. Dans la foulée, elle fait peser sur sa démarche une hypothèque sérieuse, en personnalisant la paternité de l’œuvre révolutionnaire.
Certes, l’Histoire témoigne que la Plateforme de la Soummam a insufflé à la Révolution une dynamique indispensable à la poursuite du combat, sous des formes et dans des conditions plus structurées et mieux organisées ; pour autant, elle n’autorise pas une déclassification de la
Proclamation du 1er Novembre 1954, remisée dans le casier des déclarations discutables, uniquement, parce qu’elle a envisagé l’édification du futur Etat indépendant sur la base des valeurs civilisationnelles et culturelles propres à la nation algérienne.
• Ceci dit, il ne viendrait à l’esprit d’aucun Algérien l’idée de minimiser ou de nier les mérites personnels de tel ou tel leader de la Révolution. Au contraire, tout citoyen se doit d’honorer les chouhada et de reconnaître leurs sacrifices. Cette reconnaissance serait, néanmoins, frappée de caducité si elle venait à être adossée à un classement favorisant tel dirigeant au détriment de tel autre. Nonobstant la vérité indépassable qui veut que le triomphe d’une révolution est le fruit d’une œuvre collective, qu’elle ait été initiée par une nation, un peuple ou une classe, il se trouve qu’à sa tête sont propulsées, à un moment donné, des directions produites par les circonstances de leur développement. Ces directions sont composées d’hommes issus d’horizons, d’origines sociales et de formation différents, dotés de caractères spécifiques, qui en arrivent, souvent, à s’affronter sur des choix
stratégiques, décisifs pour la continuation du processus. Il en a été, ainsi, d’hommes aussi dissemblables que Robespierre, Danton et St Just pour la Révolution française ; Lénine, Staline, Trotski, Boukharine et Zinoviev pour la Révolution bolchévique ; Mao-Zedong, Chu-Teh, Liu-Chao-Chi et Chou-En-Laï pour la Révolution chinoise ; Castro, Che Guevara, Cienfuegos et Dorticos pour la Révolution cubaine ; Nasser, Neguib, Amer, Sadate et Echaffeï pour la Révolution égyptienne, lesquels ont connu, peu ou prou, des sorts aussi tragiques que ceux réservés à bon nombre de dirigeants révolutionnaires algériens.
Que reste-t-il alors des enseignements de Novembre qui pourraient, encore, mobiliser une majorité d’Algériens autour de leur actualisation et de leur projection dans le futur ?
Le 1er Novembre 1954 s’est, indiscutablement, imposé comme la propriété une et indivisible de la nation qu’il a dotée d’un Etat souverain, d’un socle de valeurs et d’un tronc commun de références historiques qui ne sont ni à vendre ni à acheter.
Pour les anciennes comme pour les jeunes générations, il représente ce qui est arrivé au pays de plus valorisant depuis la résistance de Jugurtha à l’invasion romaine.
Juste un rappel à l’attention de ceux qui semblent l’avoir oublié :
1- Le 1er Novembre 1954 ne fut ni un accident de l’Histoire ni le don généreux d’un démiurge bienveillant.
Il a couronné une suite ininterrompue de luttes armées et politiques anticoloniales, d’une violence inouïe, qui ont coûté au peuple algérien un prix humain et matériel incommensurable.
2- Appartenant à un mouvement mondial, il s’était inscrit dans le prolongement du réveil des peuples d’Orient, de l’Inde à l’Indochine et de la Chine aux anciennes possessions de l’Empire ottoman dépecé à la fin de la Première Guerre mondiale.
3- Universel par le caractère avant-gardiste de sa contribution au combat des nations dominées, il fut un accélérateur déterminant dans la libération des peuples arabes et africains et dans le progrès de la conscience humaine dans la connaissance et la dénonciation des crimes que furent, en Algérie, le génocide, la torture, le déni religieux et linguistique et l’expérimentation de l’arme nucléaire en territoire occupé. Un patrimoine aussi riche et prestigieux ne saurait être jeté aux oubliettes ni abandonné entre les mains de vicaires ou d’héritiers présomptifs ; une façon de dire qu’il est vital, dans cette conjoncture très délicate, que la nation rassemble toutes ses énergies pour protéger Novembre contre toutes les atteintes réelles ou virtuelles qui menacent, de l’intérieur, son intégrité, son message et le parachèvement de ses promesses.
Il lui suffit, déjà, assez, de faire front au révisionnisme extérieur conçu et entretenu par les plus hautes institutions de l’ancienne puissance coloniale ainsi que par les historiens – idéologues inspirateurs et gestionnaires de la guerre de la mémoire, ouvertement, livrée à l’Algérie.
Si vous parlez de parachèvement de ses promesses, c’est que, quelque part, Novembre n’a pas accompli tout ce à quoi aspiraient les Algériens. Qu’est-ce qu’il n’a pas pu mener à son terme et pourquoi ?
Le 1er Novembre 1954 s’était, dès le début, affirmé porteur pour les Algériens d’une double espérance : celle de se voir libérer de la servitude coloniale et du servage féodal et celle de pouvoir recouvrer la plénitude de leurs droits sur leurs terres, leur langue et leur passé.
Rien qui ait été, jusque-là, promis par un quelconque parti ou organisation connus sur la scène nationale d’alors — à l’exception du PPA-MTLD-OS —, ce dont attestèrent plusieurs acteurs politiques et militaires qui ont produit — à l’intérieur des institutions révolutionnaires — des textes d’un nombre et d’un niveau intellectuel peu courants pour l’époque, indicateur probant — s’il en est – qui dément les allégations de certains milieux sur l’indigence et la rareté de documents de première main et de premier plan sur la Révolution.
On peut soutenir, à ce propos, que la Révolution de Novembre fut une Révolution écrite et non pas une Révolution orale ainsi que ses détracteurs le prétendent.
Cherif Sahli, Mahfoud Benoune, Mohamed Harbi, Mabrouk Belhocine, Mahfoud Kaddache et Aboulkacem Saâdallah, entre autres, l’ont confirmé à travers l’exhumation de pièces inédites sur lesquelles les historiens algériens ont pu travailler, en attendant que soient libérées les archives d’ici et de là-bas, prisonnières d’un déni d’écriture de l’Histoire, condamnable à tous points de vue. Le but de la Révolution, pour revenir à votre question, n’était pas, uniquement, de récupérer une souveraineté et des terres confisquées, c’était aussi et, plus essentiellement, de changer la société.
Mostefa Lacheraf et Frantz Fanon – et plus près de nous M’hamed Boukhobza et Djilali Liabès – ont décrit, par le détail, la situation de la société algérienne de l’époque, soumise au joug d’un mode de production socioéconomique archaïque et d’une pensée traditionnelle fermée à l’ijtihad. Bien que beaucoup ait été réalisé dans l’affranchissement matériel de l’homme, après la conquête de l’indépendance, il restait à la Révolution du 1er Novembre d’émanciper le peuple, culturellement et mentalement, un combat autrement plus difficile et plus long et qui, malheureusement, n’a pas encore connu son épilogue, la résolution de la contradiction entre tradition et modernité étant toujours à l’ordre du jour.
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