Comme des millions d'internautes, j'ai été captivé ce dernier weekend d'octobre par les manifestations qui ont suivi, à Al-Hoceima et dans d'autres villes marocaines, le décès tragique de Mouhcine Fikri, jeune vendeur de poisson. Le défunt a été happé, au petit matin du 28 octobre, par le compacteur d'une benne à ordures qui aurait été appelée par une autorité (laquelle?) pour détruire une cargaison d'espadons dont la pêche est interdite en ce moment pour des motifs de gestion de stock. L'enquête dira, j'espère, qui a vendu au défunt les 500 kilogrammes d'espadon interdit et qui en a ordonné la destruction immédiate au lieu de saisir la marchandise et soumettre le contrevenant à la procédure légale habituelle.
Laissons les enquêteurs faire leur travail et examinons la manière dont les dirigeants du pays ont fait face aux réactions en chaîne provoquées par la mort de feu Mouhcine.
Sans vouloir aucunement minimiser la gravité de la mort tragique d'un homme, je vois dans cet épisode une parfaite illustration de l'effet papillon bien connu des théoriciens de la complexité et des systèmes non linéaires. L'effet papillon désigne des dynamiques où de petites causes (incidents) produisent de très grandes conséquences.
La mort de Mouhcine a eu lieu en présence de nombreux témoins équipés de téléphones. Un film insupportable s'est propagé sur les réseaux sociaux à très grande vitesse et a provoqué en très peu de temps un premier rassemblement à Al-Hoceima, inaugurant ainsi une série de manifestations à travers le pays.
Dans d'autres circonstances, l'accident aurait fait l'objet d'une procédure locale et n'aurait fait l'objet d'aucune publicité. Dans un Maroc qui n'a pas encore complètement digéré le printemps arabe et où les médias officiels sont supplantés par les réseaux sociaux, la mort d'un seul homme provoque des secousses qui menacent les fondations du pays.
Les autorités ont réagi en deux temps. Elles ont d'abord réagi avec un discours légal rationnel affirmant, en substance, que le défunt a violé la loi, que la destruction de la cargaison a été légalement ordonnée par les autorités et que le procureur allait mener une enquête sur les circonstances de la mort de Mouhcine. S'il ne s'agissait pas d'une situation complexe, cette réponse aurait été suffisante.
Les événements du week-end ont montré que ce discours qui ne manque pas de vérité mais qui manque d'empathie n'a pas suffi. La mort de Mouhcine a provoqué des réactions émotionnelles, donc irrationnelles, chez les marocains. Peu importent les circonstances précises du drame ou la culpabilité de Mouhcine. Les marocains ont projeté sur l'accident une autre grille de lecture (la hogra) et l'ont attribué au Makhzen. Deux slogans, reproduits dans l'image qui illustre ce texte, ont fait mouche: "Nous sommes tous des Mouhcine' et 'Écrase-le!'.
De là où je suis (Londres), je dois donner acte aux dirigeants marocains d'avoir compris que la situation devenait complexe et d'avoir ajusté leur réaction, dans un deuxième temps. Dans une situation hautement émotionnelle, il ne sert à rien de répondre avec des arguments rationnels. Il faut faire preuve d'empathie et laisser les émotions s'exprimer.
Dans un geste inédit, le gouverneur et le procureur d'Al-Hoceima sont allés à la rencontre des manifestations à trois heures du matin, en tenue informelle et sans dispositif de sécurité. Le gouverneur a fait part de sa tristesse, exprimé des condoléances à la famille du défunt et a promis une enquête transparente qui pourrait être suivie de près par des représentants des manifestants. Le procureur en a pris l'engagement devant une foule qui avait du mal à maîtriser sa colère. J'ai trouvé particulièrement courageux, de la part du gouverneur et du procureur, de rester sur place et d'entendre (encaisser) ce que les manifestants avaient à leur reprocher et de ne pas reprendre le discours légal rationnel de la première phase de la réaction. Pour la première fois, à ma connaissance, les deux plus hauts représentants provinciaux de ce que les Marocains appellent le Makhzen faisaient face en personne et étaient vulnérables. Je ne peux pas cacher que j'ai craint pour leur sécurité tant les foules sont imprévisibles et peu importe s'il s'avère qu'ils ont reçu des ordres pour faire cette sortie.
La deuxième séquence qui traduit une compréhension de la complexité de la situation, au plus haut niveau de l'Etat, a été l'envoi du ministre de l'intérieur à Al-Hoceima pour présenter les condoléances du roi à la famille de la victime et promettre une enquête sans concession. Dans sa déclaration à la sortie de la maison familiale de Mouhcine, le ministre de l'intérieur a fait preuve d'empathie, même si on sent qu'il n'est pas forcément très à l'aise dans l'exercice ou du moins devant les caméras. Il a soigneusement évité le langage de la première phase.
L'attitude des autorités locales, dans les autres villes qui ont connu des manifestations, est un autre indice de l'intelligence de la situation. Dans ces manifestations, dont il faut souligner l'ambiance extrêmement pacifique, des citoyens ont tenu des propos très durs pour les gouvernants. Dans un Maroc dont j'ai encore la mémoire, on arrêtait et on jetait en prison des gens pour des propos dix fois moins graves. Il faut espérer que les manifestants du week-end ne feront pas l'objet de représailles différées après exploitation des nombreux films qui circulent sur la toile.
Ainsi, après une première séquence où ils n'ont pas pris la mesure de la complexité de la situation, les dirigeants marocains ont rapidement trouvé le bon registre et ont abandonné la langue de bois rationnelle-légale au profit d'une attitude plus empathique.
Je ne peux pas conclure sans déplorer la discrétion des leaders des partis politiques censés représenter le peuple descendu dans les rues des villes marocaines. Je n'ai peut-être pas toute l'information mais je n'ai vu et entendu que Nabila Mounib, émue au milieu des manifestants à Rabat.
Je déplore le silence du chef du gouvernement. Emettre un communiqué laconique, en tant que secrétaire général de son parti, pour inviter ses militants à ne pas se joindre aux manifestants n'est pas à la hauteur de la situation. Il aurait dû faire le déplacement en personne à Al-Hoceima. Demander aux militants de son parti de ne pas descendre dans la rue est susceptible de laisser le champ libre à des forces malveillantes.
Où sont passés l0es leaders des autres partis aussi? Tout semble se passer comme si la classe politique trouvait son compte (lequel?) dans une situation où le plus haut sommet de l'Etat se trouve, de facto, en première ligne. La démocratie a besoin de corps intermédiaires impliqués dans la vie quotidienne des citoyens et qui ne se rappellent pas seulement à leur bon souvenir à l'approche des élections. Beaucoup de chemin reste à faire sur ce plan.
Huffpost Maroc
Laissons les enquêteurs faire leur travail et examinons la manière dont les dirigeants du pays ont fait face aux réactions en chaîne provoquées par la mort de feu Mouhcine.
Sans vouloir aucunement minimiser la gravité de la mort tragique d'un homme, je vois dans cet épisode une parfaite illustration de l'effet papillon bien connu des théoriciens de la complexité et des systèmes non linéaires. L'effet papillon désigne des dynamiques où de petites causes (incidents) produisent de très grandes conséquences.
La mort de Mouhcine a eu lieu en présence de nombreux témoins équipés de téléphones. Un film insupportable s'est propagé sur les réseaux sociaux à très grande vitesse et a provoqué en très peu de temps un premier rassemblement à Al-Hoceima, inaugurant ainsi une série de manifestations à travers le pays.
Dans d'autres circonstances, l'accident aurait fait l'objet d'une procédure locale et n'aurait fait l'objet d'aucune publicité. Dans un Maroc qui n'a pas encore complètement digéré le printemps arabe et où les médias officiels sont supplantés par les réseaux sociaux, la mort d'un seul homme provoque des secousses qui menacent les fondations du pays.
Les autorités ont réagi en deux temps. Elles ont d'abord réagi avec un discours légal rationnel affirmant, en substance, que le défunt a violé la loi, que la destruction de la cargaison a été légalement ordonnée par les autorités et que le procureur allait mener une enquête sur les circonstances de la mort de Mouhcine. S'il ne s'agissait pas d'une situation complexe, cette réponse aurait été suffisante.
Les événements du week-end ont montré que ce discours qui ne manque pas de vérité mais qui manque d'empathie n'a pas suffi. La mort de Mouhcine a provoqué des réactions émotionnelles, donc irrationnelles, chez les marocains. Peu importent les circonstances précises du drame ou la culpabilité de Mouhcine. Les marocains ont projeté sur l'accident une autre grille de lecture (la hogra) et l'ont attribué au Makhzen. Deux slogans, reproduits dans l'image qui illustre ce texte, ont fait mouche: "Nous sommes tous des Mouhcine' et 'Écrase-le!'.
De là où je suis (Londres), je dois donner acte aux dirigeants marocains d'avoir compris que la situation devenait complexe et d'avoir ajusté leur réaction, dans un deuxième temps. Dans une situation hautement émotionnelle, il ne sert à rien de répondre avec des arguments rationnels. Il faut faire preuve d'empathie et laisser les émotions s'exprimer.
Dans un geste inédit, le gouverneur et le procureur d'Al-Hoceima sont allés à la rencontre des manifestations à trois heures du matin, en tenue informelle et sans dispositif de sécurité. Le gouverneur a fait part de sa tristesse, exprimé des condoléances à la famille du défunt et a promis une enquête transparente qui pourrait être suivie de près par des représentants des manifestants. Le procureur en a pris l'engagement devant une foule qui avait du mal à maîtriser sa colère. J'ai trouvé particulièrement courageux, de la part du gouverneur et du procureur, de rester sur place et d'entendre (encaisser) ce que les manifestants avaient à leur reprocher et de ne pas reprendre le discours légal rationnel de la première phase de la réaction. Pour la première fois, à ma connaissance, les deux plus hauts représentants provinciaux de ce que les Marocains appellent le Makhzen faisaient face en personne et étaient vulnérables. Je ne peux pas cacher que j'ai craint pour leur sécurité tant les foules sont imprévisibles et peu importe s'il s'avère qu'ils ont reçu des ordres pour faire cette sortie.
La deuxième séquence qui traduit une compréhension de la complexité de la situation, au plus haut niveau de l'Etat, a été l'envoi du ministre de l'intérieur à Al-Hoceima pour présenter les condoléances du roi à la famille de la victime et promettre une enquête sans concession. Dans sa déclaration à la sortie de la maison familiale de Mouhcine, le ministre de l'intérieur a fait preuve d'empathie, même si on sent qu'il n'est pas forcément très à l'aise dans l'exercice ou du moins devant les caméras. Il a soigneusement évité le langage de la première phase.
L'attitude des autorités locales, dans les autres villes qui ont connu des manifestations, est un autre indice de l'intelligence de la situation. Dans ces manifestations, dont il faut souligner l'ambiance extrêmement pacifique, des citoyens ont tenu des propos très durs pour les gouvernants. Dans un Maroc dont j'ai encore la mémoire, on arrêtait et on jetait en prison des gens pour des propos dix fois moins graves. Il faut espérer que les manifestants du week-end ne feront pas l'objet de représailles différées après exploitation des nombreux films qui circulent sur la toile.
Ainsi, après une première séquence où ils n'ont pas pris la mesure de la complexité de la situation, les dirigeants marocains ont rapidement trouvé le bon registre et ont abandonné la langue de bois rationnelle-légale au profit d'une attitude plus empathique.
Je ne peux pas conclure sans déplorer la discrétion des leaders des partis politiques censés représenter le peuple descendu dans les rues des villes marocaines. Je n'ai peut-être pas toute l'information mais je n'ai vu et entendu que Nabila Mounib, émue au milieu des manifestants à Rabat.
Je déplore le silence du chef du gouvernement. Emettre un communiqué laconique, en tant que secrétaire général de son parti, pour inviter ses militants à ne pas se joindre aux manifestants n'est pas à la hauteur de la situation. Il aurait dû faire le déplacement en personne à Al-Hoceima. Demander aux militants de son parti de ne pas descendre dans la rue est susceptible de laisser le champ libre à des forces malveillantes.
Où sont passés l0es leaders des autres partis aussi? Tout semble se passer comme si la classe politique trouvait son compte (lequel?) dans une situation où le plus haut sommet de l'Etat se trouve, de facto, en première ligne. La démocratie a besoin de corps intermédiaires impliqués dans la vie quotidienne des citoyens et qui ne se rappellent pas seulement à leur bon souvenir à l'approche des élections. Beaucoup de chemin reste à faire sur ce plan.
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