Parce que la rente pétrolière a vécu, le royaume doit changer de modèle. Au programme : rigueur budgétaire et diversifications massives.
C'est un printemps économique que nul – aux belles heures du pétrole à plus de 100 dollars le baril – ne croyait possible en Arabie saoudite. L'effondrement des cours du brut en 2014 a tout emporté. "Le royaume vit une révolution contrainte par la donne énergétique et géopolitique actuelle. La nouvelle équipe régnante sait qu'elle doit tout changer pour ne rien changer", décrit le politologue Hasni Abidi, basé à Genève. Depuis un an, les 30 millions d'habitants de la plus riche monarchie pétrolière du Golfe subissent une thérapie de choc : baisse des subventions jusqu'ici intouchables : le prix du litre d'essence à la pompe a bondi de 65% ; gel du traitement des fonctionnaires et coup de rabot sur leurs sacro-saintes primes ; coupe de 20% sur les émoluments des ministres… D'ici à deux ans, une TVA de 5 % viendra renchérir le prix des produits et des services. Total : près de 70 milliards de dollars d'économies. Riyad a aussi levé le pied sur les commandes publiques et les grands chantiers dont les groupes de BTP, de transport et les énergéticiens occidentaux faisaient leur miel.
Nuits blanches au palais et grogne sur le Net
Les Saoudiens auraient-ils mangé leur pain blanc en juste quarante ans? Au pouvoir depuis janvier 2015, le roi Salmane ben Abdelaziz Al Saoud en est convaincu. L'austérité ne suffira pas. Il veut faire table rase d'un modèle économique dépendant à près de 90% de la rente des hydrocarbures. Avec le gaz de schiste américain et la montée en puissance des énergies renouvelables, la richesse facile à coup de barils qui assurait au pays un taux de croissance annuel de 5 %, est terminée. Armé du plan de transformation "Vision 2030" du cabinet McKinsey, son fils, le vice-prince Mohammed ben Salmane, est à la manœuvre. Surnommé "M. Everything", l'hypermonarque, épaulé par des conseillers diplômés des meilleures business schools anglo-saxonnes ou issus du secteur privé, soumet ses ministres à un marathon de réunions nocturnes. "Il les convoque vers minuit et ne lève le camp que si une décision est arrêtée par rapport aux grandes lignes du plan. Il a démis deux ministres. On n'avait jamais connu cela", souffle un conseiller. L'esprit de réforme infuse aussi le Net où, sous couvert de pseudos, les hashtags "je n'arrive plus à m'en sortir" et "la vie est devenue trop chère" pullulent.
"La famille royale a engagé une course contre la montre face au chômage qui frappe 31 % des jeunes. Pour juguler ce péril, elle compte sur la diversification économique et surtout sur l'implication du secteur privé habitué à faire travailler une main-d'œuvre étrangère bon marché", résume John Sfakianakis, économiste auprès du Gulf Research Center. "Le changement est brutal mais les gens encaissent parce qu'ils valident ce pari", poursuit Patrice Couvègnes, PDG de Saudi Fransi, la quatrième banque du royaume.
Bientôt un fonds souverain de 2.000 milliards de dollars
Parviendra-t-elle à entraîner une population très fonctionnarisée et plongée dans un système d'État providence depuis des décennies? Riyad ne manque pas de leviers. Le pays s'est offert une bouffée d'oxygène en s'endettant sur les marchés internationaux. Une première. Il vient de lever 17,5 milliards de dollars. De quoi renflouer des caisses publiques qui voient fondre leurs réserves avec des recettes pétrolières divisées par trois. Le budget 2016 prévoit un déficit de 87 milliards de dollars, soit 19% du PIB contre un excédent de 8,3% en 2013.
Autre projet phare du vice-prince, la privatisation partielle du joyau économique national, la compagnie pétrolière publique Saudi Aramco. L'opération pourrait apporter au fonds souverain baptisé Public Investment Fund (PIF) une manne de 2.000 milliards de dollars. Et servir à lancer des investissements non pétroliers localement et aux quatre coins du monde. Pour l'économiste Philippe Tibi, "l'après-pétrole est enclenché" depuis que le PIF a investi en juin dernier 3,5 milliards d'euros dans la plate*forme de transport Uber. Et il se poursuit à grande vitesse : le PIF vient de s'associer au japonais SoftBank pour créer un fonds de 100 milliards de dollars dans les technologies de pointe…
Bruna Basini - Le Journal du Dimanche
C'est un printemps économique que nul – aux belles heures du pétrole à plus de 100 dollars le baril – ne croyait possible en Arabie saoudite. L'effondrement des cours du brut en 2014 a tout emporté. "Le royaume vit une révolution contrainte par la donne énergétique et géopolitique actuelle. La nouvelle équipe régnante sait qu'elle doit tout changer pour ne rien changer", décrit le politologue Hasni Abidi, basé à Genève. Depuis un an, les 30 millions d'habitants de la plus riche monarchie pétrolière du Golfe subissent une thérapie de choc : baisse des subventions jusqu'ici intouchables : le prix du litre d'essence à la pompe a bondi de 65% ; gel du traitement des fonctionnaires et coup de rabot sur leurs sacro-saintes primes ; coupe de 20% sur les émoluments des ministres… D'ici à deux ans, une TVA de 5 % viendra renchérir le prix des produits et des services. Total : près de 70 milliards de dollars d'économies. Riyad a aussi levé le pied sur les commandes publiques et les grands chantiers dont les groupes de BTP, de transport et les énergéticiens occidentaux faisaient leur miel.
Nuits blanches au palais et grogne sur le Net
Les Saoudiens auraient-ils mangé leur pain blanc en juste quarante ans? Au pouvoir depuis janvier 2015, le roi Salmane ben Abdelaziz Al Saoud en est convaincu. L'austérité ne suffira pas. Il veut faire table rase d'un modèle économique dépendant à près de 90% de la rente des hydrocarbures. Avec le gaz de schiste américain et la montée en puissance des énergies renouvelables, la richesse facile à coup de barils qui assurait au pays un taux de croissance annuel de 5 %, est terminée. Armé du plan de transformation "Vision 2030" du cabinet McKinsey, son fils, le vice-prince Mohammed ben Salmane, est à la manœuvre. Surnommé "M. Everything", l'hypermonarque, épaulé par des conseillers diplômés des meilleures business schools anglo-saxonnes ou issus du secteur privé, soumet ses ministres à un marathon de réunions nocturnes. "Il les convoque vers minuit et ne lève le camp que si une décision est arrêtée par rapport aux grandes lignes du plan. Il a démis deux ministres. On n'avait jamais connu cela", souffle un conseiller. L'esprit de réforme infuse aussi le Net où, sous couvert de pseudos, les hashtags "je n'arrive plus à m'en sortir" et "la vie est devenue trop chère" pullulent.
"La famille royale a engagé une course contre la montre face au chômage qui frappe 31 % des jeunes. Pour juguler ce péril, elle compte sur la diversification économique et surtout sur l'implication du secteur privé habitué à faire travailler une main-d'œuvre étrangère bon marché", résume John Sfakianakis, économiste auprès du Gulf Research Center. "Le changement est brutal mais les gens encaissent parce qu'ils valident ce pari", poursuit Patrice Couvègnes, PDG de Saudi Fransi, la quatrième banque du royaume.
Bientôt un fonds souverain de 2.000 milliards de dollars
Parviendra-t-elle à entraîner une population très fonctionnarisée et plongée dans un système d'État providence depuis des décennies? Riyad ne manque pas de leviers. Le pays s'est offert une bouffée d'oxygène en s'endettant sur les marchés internationaux. Une première. Il vient de lever 17,5 milliards de dollars. De quoi renflouer des caisses publiques qui voient fondre leurs réserves avec des recettes pétrolières divisées par trois. Le budget 2016 prévoit un déficit de 87 milliards de dollars, soit 19% du PIB contre un excédent de 8,3% en 2013.
Autre projet phare du vice-prince, la privatisation partielle du joyau économique national, la compagnie pétrolière publique Saudi Aramco. L'opération pourrait apporter au fonds souverain baptisé Public Investment Fund (PIF) une manne de 2.000 milliards de dollars. Et servir à lancer des investissements non pétroliers localement et aux quatre coins du monde. Pour l'économiste Philippe Tibi, "l'après-pétrole est enclenché" depuis que le PIF a investi en juin dernier 3,5 milliards d'euros dans la plate*forme de transport Uber. Et il se poursuit à grande vitesse : le PIF vient de s'associer au japonais SoftBank pour créer un fonds de 100 milliards de dollars dans les technologies de pointe…
Bruna Basini - Le Journal du Dimanche
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