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Qu'est-ce qu'une bonne école ? Regards croisés

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  • Qu'est-ce qu'une bonne école ? Regards croisés

    Philippe Meirieu
    « Un espace de décélération dans une société d’immédiateté »

    École se dit skholé en grec et schola en latin, ce qui signifie dans les deux cas « loisir ». On voit par là que l’école était un espace préservé des impératifs de la vie quotidienne, de la production et de la violence des adultes, un lieu où on prenait du temps pour réfléchir, méditer et apprendre. Or, dans la société actuelle fondée sur l’immédiateté et l’accélération des rythmes de travail, l’école devrait être plus que jamais ce lieu privilégié où l’on prend le temps pour réfléchir et apprendre, un espace de décélération dans lequel le temps serait suspendu. Pour atteindre ce but, trois enjeux sont à penser.

    Les programmes sont supposés refléter les fondamentaux d’une société à un moment donné. L’adoption d’un socle commun de connaissances, compétences et culture me semble aller dans le bon sens. Mais ces fondamentaux sont organisés en champs qui ne recoupent pas forcément les différentes disciplines scolaires. Voilà pourquoi on pourrait très bien reconfigurer ces vieilles disciplines apparues au 18e siècle avec l’Encyclopédie pour en introduire d’autres, plus adaptées aux exigences du monde actuel : par exemple le droit, la médecine, l’écologie, le théâtre ou l’anthropologie pourraient également y prendre place.

    Par ailleurs, l’organisation de l’école est peut-être à repenser. On a tendance à oublier que c’est François Guizot qui, plus que Jules Ferry, a imposé la « forme scolaire simultanée » – soit l’idée qu’une classe est un ensemble d’élèves du même âge et du même niveau qui font la même chose en même temps. C’est un modèle problématique, dans lequel deux élèves qui parlent entre eux ne peuvent que comploter contre le maître et où l’entraide entre élèves est interdite, au profit de la concurrence de tous contre tous. En le généralisant, F. Guizot a interdit l’existence du modèle mutuel, qui existait encore dans les années 1830. Les classes étaient faites de 60 à 80 élèves allant de 5 à 15 ans, les plus âgés servaient de moniteurs aux plus jeunes et les plus avancés aux plus faibles. Pourquoi ne pas revenir aujourd’hui à cette ancienne organisation ? On pourrait par exemple regrouper cinq classes pour une conférence et créer ensuite des petits groupes de dix, pour réfléchir sur le contenu de la conférence. Ou bien faire une seule classe de 60 élèves avec deux professeurs, ce qui est bien plus efficace que deux classes de 30 pourvues pour chacune d’un seul professeur. Ou encore des groupes de cinq écoliers pour des conversations en anglais.

    Enfin, une bonne pédagogie doit se libérer de l’obsession de la notation. Apprendre à un enfant à écrire le français ne devrait pas être vécu par celui-ci comme une épreuve au terme de laquelle il sera sélectionné, mais plutôt comme un outil d’émancipation personnelle lui permettant de se libérer de l’ignorance et des préjugés. Contre un enseignement uniquement tourné vers l’évaluation, le professeur devrait plus utiliser l’histoire des savoirs pour raconter à l’enfant comment ceux-ci ont pu se constituer afin qu’il se les approprie mieux – par exemple, comment Pythagore ou Galilée ont-ils, concrètement, fait leurs découvertes ?

    Philippe Meirieu est spécialiste de la pédagogie, professeur des universités en sciences de l’éducation à l’université Lyon-II, vice-président du conseil régional Rhône-Alpes.
    François Dubet

    « Un enseignement utile tout au long de la vie »

    Une bonne école doit inculquer aux élèves des savoirs « cognitivement robustes » : la façon dont l’intelligence, la mémoire et le raisonnement sont mobilisés doit laisser des traces durables. L’injonction classique selon laquelle l’école doit apprendre à lire, écrire et compter est fondamentale, mais ne suffit pas. Plusieurs enquêtes montrent que, cinq ans après être sortis du lycée, les anciens élèves ne se souviennent de rien dans les matières qu’ils n’ont pas utilisées par la suite – par exemple, la physique pour un littéraire. L’idéal serait donc de transmettre à l’élève des modes de raisonnement scientifique qu’il gardera au long de sa vie. Cela n’est pas évident à faire, car les disciplines sont toujours jugées, dans le système scolaire, par leur ambition culturelle et selon leur degré d’abstraction. Pourtant, il vaudrait mieux incarner ces connaissances dans des pratiques : par exemple, former un groupe de rock dans un cours de musique, ou encore inculquer la capacité de s’adresser à un public dans les matières scientifiques. Aujourd’hui, les élèves français devenus étudiants peuvent être très savants, mais ils sont souvent incapables de s’adresser à un public. Au contraire des étudiants canadiens, par exemple. Mais, en privilégiant l’acquis de compétences (comme savoir écrire ou parler), on est obligé de faire des sacrifices en contrepartie, puisque le temps scolaire n’est pas extensible à l’infini. Au lieu de limiter les savoirs scolaires à une culture générale qui n’aurait pas d’utilité pratique, la solution serait d’afficher des ambitions plus modestes et pratiques. Ce ne sera pas facile. On entend régulièrement que rogner sur les programmes reviendrait à « abaisser le niveau », « niveler par le bas »… Dans le système scolaire, la peur d’affaiblir les élites et de briser les hiérarchies est encore bien trop présente.
    François Dubet est professeur de sociologie à l’université Bordeaux-II, directeur d’études à l’EHESS.

    Agnès Florin
    « Une équipe bienveillante, ouverte au débat »

    La France est en queue de peloton dans les enquêtes de qualité de vie à l’école. Une bonne école sera celle qui améliorera la qualité de vie des enfants – d’autant plus que nos recherches montrent qu’il existe un lien entre qualité de vie et résultats scolaires. Pour cela, il est essentiel de prendre en compte le point de vue des enfants. Nous avons mené une enquête sur un millier de collégiens, suivis pendant trois ans, au terme de quoi nous leur avons demandé de fournir une évaluation dans différents domaines : les relations avec les enseignants, la perception des activités qui leur sont proposées, le rapport aux autres enfants, la qualité des locaux, la possibilité de prendre des initiatives, la connaissance de l’orientation… Qu’en ressort-il ? À plus de 70 %, ils s’estiment satisfaits des relations avec leurs pairs et éprouvent un sentiment de grande sécurité à l’école. Mais 50 % considèrent qu’on leur donne trop de travail à faire à l’école et 60 % estiment qu’ils emportent trop de travail à la maison. Une majorité d’entre eux estiment que les enseignants devraient expliquer davantage, et qu’ils n’ont pas assez la possibilité de prendre des initiatives. Cela nous montre a contrario ce que peut être une bonne école. Il faudrait généraliser les débats organisés dans certains collèges avec tous les élèves sur la vie scolaire ou sur les questions conflictuelles. Mais surtout, le point le plus négatif, critiqué à plus de 70 %, concerne les évaluations : les élèves français ont peur d’avoir une mauvaise note, de trouver un mot déplaisant de leur enseignant dans le cahier de liaison destiné aux parents, de se tromper dans un exercice. Or la psychologie a largement démontré qu’on progresse en s’appuyant sur les acquis, plutôt que de pointer les manques et les insuffisances. Une autre enquête montre que les lycées souhaitent un autre type d’interaction avec leur enseignant, ils voudraient que celui-ci soit un guide qui partagerait ses passions avec eux et instaurerait un rapport de confiance non hiérarchique. Ils demandent enfin des enseignements plus modulaires – alors qu’en France les choix curriculaires sont très limités –, et sont très demandeurs de cours en sciences humaines et sociales.
    Agnès Florin est professeure en psychologie de l’enfant et de l’éducation à l’université de Nantes.
    Michel Lussault

    « Une architecture modulable, adaptée au monde actuel »

    Très curieusement, on a trop peu réfléchi à l’organisation spatiale des écoles. Les écoles construites pendant la période 1890-1940, encore très présentes dans le paysage actuel, furent conçues pour manifester la puissance de l’institution et reflétaient sur le plan géographique les principes du projet scolaire républicain : voyez ces préaux majestueux soutenus par des colonnes à la grecque, qui illustraient l’aspect solennel du savoir dispensé. À la suite notamment des travaux de Michel Foucault, certains ont été prompts à critiquer ces « temples » pour les hussards noirs de la République, qui se rapprochait par certains aspects des « dispositifs disciplinaires », et contribuaient à dresser les petits Français dans le cadre d’une « religion républicaine ». Dans les années 1960-1970, l’école subit un processus de démocratisation qui nécessite d’accueillir les enfants en masse : les bâtiments sont pensés alors sur un plan purement fonctionnel, ce sont des « écoles en kit » qui se rapprochent des grands ensembles construits à la même époque et ne sont pas pensées spécifiquement pour la vie scolaire. À quelques exceptions près, ce modèle a toujours cours aujourd’hui. Les mouvements de décentralisation ont certes permis aux collectivités territoriales de construire de nouveaux types de collèges et lycées, mais leur aspect spectaculaire (songeons au lycée de la Cité internationale de Lyon) les rapproche des grands équipements culturels. Or, il est à mon sens fondamental de construire non des monuments, mais des bâtiments qui facilitent la transmission des savoirs actuels. Il serait ainsi utile d’imaginer des salles de classe modulables, et dans chacune d’elles de disposer plusieurs grands bureaux amovibles « en îlots » pouvant accueillir plusieurs élèves ; une organisation des fenêtres qui permettrait une lumière indirecte et favoriserait la lecture sur tablettes et écrans d’ordinateurs ; une disposition des salles de classe « en pétales » autour de la cour de récréation ; ou encore un vrai lieu de vie pour les professeurs au lieu de la traditionnelle « salle des professeurs » qui ne leur permet pas d’y travailler. Ce nouveau type de bâtiments pourrait accueillir d’autres activités pendant les grandes vacances d’été, là où l’école classique n’a plus aucune utilité et reste coupée du monde pendant deux longs mois.

    Michel Lussault est professeur des universités en géographie à l’ENS-Lyon, président du Conseil supérieur des programmes.


    Ange Ansour
    « Une approche des savoirs dynamique, inspirée de la recherche scientifique »

    L’école a été conçue à l’ère industrielle pour fabriquer des ouvriers qualifiés et une élite pour les encadrer. Mais aujourd’hui, dans nos sociétés mondialisées qui doivent affronter des défis technologiques sans précédent, nous avons besoin d’élèves créatifs et critiques, capables dans leur grande majorité de faire des tâches abstraites auparavant destinées uniquement à l’élite. La figure du chercheur pourrait dès lors devenir un modèle. Le dispositif des « Savanturiers » a été fondé dans cet esprit en 2013 avec l’idée de tendre vers une sorte d’éducation par la recherche. Concrètement, nous intervenons dans les classes en proposant des projets aux enseignants qui vont permettre aux enfants de produire, valider et faire circuler les savoirs par eux-mêmes. Chaque classe est accompagnée par un mentor scientifique, venant de l’histoire, de l’astrophysique ou des neurosciences qui aide les enseignants à circonscrire leur projet et accompagne les enfants afin que leurs questionnements de sens commun se transforment en une véritable problématique scientifique. Par exemple, des glaciologues partagent avec des CM1 les relevés saisonniers qu’ils ont effectués en terre Adélie. Les élèves peuvent comparer l’expansion de la banquise et mettre ainsi en relation la température, les saisons et la surface de la banquise, et en conclure, contre l’intuition, que ce phénomène n’a rien à voir avec le réchauffement climatique, qui lui se mesure sur une durée de 200 à 300 ans. Selon moi, une bonne école permet d’inculquer les bribes d’un raisonnement scientifique de haut niveau, et prépare ainsi les enfants à leur future vie de citoyen.
    Ange Ansour est enseignante, chargée de mission au Cri (Centre de recherches interdisciplinaires) et responsable du programme « Les savanturiers ».


    SH
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