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"L'élection de Trump doit servir d'électrochoc en Europe"

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  • "L'élection de Trump doit servir d'électrochoc en Europe"

    Dans son dernier livre "L’Amérique en colère", Christine Ockrent avait observé avec une rare lucidité le feu qui couvait dans les chaumières de l’Amérique profonde et de la "Rust Belt" en particulier, ce chapelet d’anciennes villes industrielles (Detroit, Cleveland, Columbus, etc.) frappées de plein fouet par la mondialisation.



    Un livre prémonitoire? "Je ne suis ni astrologue, ni politicien, mais juste journaliste, relativise l’ancienne présentatrice-vedette du JT d’Antenne 2, Christine Ockrent. J’ai voulu dresser un constat, celui d’une colère qui vit chez les hommes blancs peu qualifiés, âgés de 40 à 55 ans. Ils ont fait les frais de la mondialisation et constituent le gros des bataillons d’électeurs de Trump." C’est une tout autre Amérique qui installera ses quartiers à Washington. Un nouveau chapitre s’ouvre pour le pays mais aussi pour le reste du monde.

    Qu’est-ce qu’il a manqué à Hillary Clinton? Quelle a été son erreur?
    C’est une défaite cruelle pour Hillary Clinton qui a pourtant remporté la majorité des suffrages. Mais elle a commis des erreurs. D’abord celle de ne pas avoir tiré toutes les leçons de la défaite encourue contre Barack Obama lors des primaires démocrates de 2007. Le parti démocrate est devenu un parti d’experts, qui vivent entre eux et n’ont pas perçu ce que ressent le pays profond. La preuve, c’est que les démocrates ont aussi perdu des voix parmi les communautés noire et hispanique. Trump a séduit près de 30% des latinos. Ce sont des gens qui vivent légalement aux Etats-Unis mais ne veulent pas voir débarquer des illégaux. Le parti démocrate n’a pas réussi à se renouveler. Il suffit, pour s’en convaincre, d’observer l’âge moyen de ses cadres. Hillary a par ailleurs fait les frais de deux traits qui lui sont propres. D’abord, c’est une femme, et cela continue à déplaire à une frange de la population ouvertement misogyne. Ensuite, son tempérament est ce qu’il est: elle n’est pas expansive de nature et elle n’aura jamais le charisme de son mari Bill.

    Comment expliquez-vous que des femmes, qui constituent 53% de la population, aient pu voter pour un candidat qui les traite comme des êtres inférieurs?

    La colère sociale et économique ne concerne pas que les hommes, elle est présente chez certaines femmes aussi. D’autre part, il y a une dimension culturelle que l’on sous-estime grandement en Europe. Dans les milieux ultraconservateurs, la présence d’un président noir à la Maison Blanche n’a jamais été digérée. Au point de raviver un racisme latent. Et le feu vert accordé par la Cour Suprême à l’avortement et au mariage homosexuel n’a pas – mais alors pas du tout – été digéré par ce segment de la population, y compris les femmes.

    On risque dès lors d’assister à un retour en arrière?

    Oui, et même dans des proportions que l’on ne soupçonne pas. Trump va d’abord attribuer à un juge conservateur le siège laissé vacant par le juge Antonin Scalia, décédé en février dernier. Et vu l’âge très avancé de deux autres juges, il pourra à sa guise faire basculer la Cour du côté conservateur. Or on ne mesure pas assez de ce côté-ci de l’Atlantique à quel point cela aura un impact sur les mœurs américaines, sur les libertés individuelles, etc. On est sur du très long terme. L’élection de Trump n’est pas seulement la victoire d’un mouvement populiste. C’est aussi le retour à un canevas idéologique et sociétal beaucoup plus conservateur.

    À condition que Trump joigne l’acte à ses nombreuses paroles…
    La question qui occupe tout le monde, c’est de savoir s’il faut prendre au sérieux ses arguments de campagne ou s’il y aura des ajustements. N’oublions pas que l’aristocratie du parti républicain a tout fait pour faire dérailler la campagne de Trump. Celui-ci tient aujourd’hui l’ascendant, mais il ne pourra pas non plus agir contre son parti. Il y aura forcément des ajustements.

    Les médias doivent-ils faire leur examen de conscience? On dit qu’à force de charger Trump, ils ont donné envie aux gens de voter pour lui…

    Il ne faut pas se tromper de cible ni d’analyse. Les médias n’ont pas brocardé Trump au début de la campagne, bien au contraire. Pendant les primaires, il était la coqueluche des plateaux de télévision parce qu’il faisait monter les audiences. Trump a ainsi bénéficié gratuitement d’un temps d’antenne équivalent à un investissement de 2 milliards de dollars, là où ses rivaux à la primaire républicaine devaient débourser de l’argent pour pouvoir obtenir une plage à l’écran. Tout le monde était ravi de pouvoir l’accueillir. Ce n’est qu’à parti d’avril et mai 2016 que la presse – essentiellement écrite – a commencé à enquêter sur son business et ses casseroles. C’est d’ailleurs la première fois dans l’histoire politique américaine que la presse écrite s’est unanimement positionnée contre un candidat. Y compris le quotidien à grand tirage "USA Today", qui n’avait jamais été un adepte du positionnement politique jusqu’ici.

    Et pourtant, ça n’a pas suffi…

    Ce qu’on n’a pas compris à temps, c’est que les médias traditionnels ont désormais moins d’impact que les réseaux sociaux. Hillary Clinton a remporté les débats télévisés mais ça n’a pas suffi. Facebook est devenu le média numéro un aux Etats-Unis. Or sur Facebook, les gens s’informent en fonction de ce que leurs "amis" leur recommandent. Ils vont chercher des choses avec lesquelles ils sont déjà d’accord. Trump, lui, a exploité à fond cette espèce de déversoir de tout, sauf de l’information vérifiée.

    Quelles seront les implications de l’élection de Trump pour les rapports entre les Etats-Unis et l’Europe?

    Trump a été assez clair: il considère l’Otan comme un vieux machin. Les Européens devront dès lors financer davantage leur propre défense, ce qu’Obama avait d’ailleurs déjà demandé. Plus préoccupant encore est la relation que Trump entend établir avec la Russie. Un dialogue entre Trump et Poutine se fera en toute hypothèse au détriment de l’Europe. La déstabilisation de l’espace démocratique européen est une priorité politique pour Poutine. Il s’y emploie déjà avec beaucoup d’ardeur par divers canaux, à commencer par le financement de certains partis extrémistes en Europe.

    Mis à part le renforcement de sa défense, comment l’Europe doit-elle réagir?

    La chancelière Angela Merkel a donné le ton en soulignant l’importance de l’alliance traditionnelle entre l’Europe et les Etats-Unis. Mais elle a rappelé aussi l’importance de certaines valeurs fondamentales, comme le refus du racisme, le respect de l’état de droit, la dignité des personnes quelles que soient leurs origines, leur couleur de peau, leur religion ou leurs orientations sexuelles.
    La France est-elle à l’abri d’un tel cataclysme en mai 2017?

    Le système électoral français est certes plus corseté qu’aux Etats-Unis, mais il n’aura échappé à personne que Marine Le Pen fut la première à congratuler, toute guillerette, Trump pour sa victoire.

    Quelle réponse faut-il apporter au populisme pour éviter de nouveaux désastres?

    Il faut travailler sur deux tableaux. Dans l’immédiat, il faut absolument apporter des réponses aux angoisses que vivent les perdants de la mondialisation. Cela sous-entend un effort de pédagogie par rapport à une économie en pleine mutation sous l’effet de la révolution numérique. Il faut expliquer les choses. Trump promet 28 millions d’emplois nouveaux grâce au rapatriement de l’industrie lourde. Mais comment va-t-il faire pour ressusciter les anciennes aciéries? Dans un deuxième temps, il faut que l’élection surprise de Trump serve d’électrochoc pour notre classe politique en Europe dont le discours est usé. Cela nécessitera un gros effort d’imagination. Mais tout n’est pas perdu. Et ce n’est qu’ensemble que nous trouverons des solutions.




    l'Echo be
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