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mémoires de yacef saadi

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  • mémoires de yacef saadi

    Mars 1955. Abane Ramdane entre en scène. Homme intègre, intelligent et lettré, ce qui était rare pour l’époque. Abane venait de sortir de prison. Il fut d’abord réticent, mais accepte finalement de s’associer au mouvement. Il débarque à Alger le 7 mars 1955 pour se rendre à la rue Barberousse dans la Casbah chez un laitier où je l’attendais pour le diriger chez moi.
    Nouvellement recruté, Abane Ramdane n’exerçait pas encore les prérogatives qui lui échoiront quelques temps plus tard. Il régnait comme une confusion.
    Par ses écrits incendiaires, Abane surpassa rapidement le statut qui fut le sien en arrivant. De conseiller d’une direction collégiale encore inconsistante de la révolution, il devint une sorte de coordinateur d’une sorte de réceptacle duquel convergeaient toutes les informations : celles des maquis, des villes, de l’étranger, etc. En fait, c’est lui qui avait le vent en poupe.
    Soutenu par deux prestigieux hommes de guerre : Krim Belkacem et le Colonel Ouamrane. Ensemble, ils s’étaient progressivement mis à préparer les premières assises du FLN Ce qui se traduira le 20 août 1956 par le fameux Congrès de la Soummam.
    L’arrestation de Bitat Rabah, en plein centre de la Casbah d’Alger, lui laissera, en revanche, les coudées franches.

    Arrestation de Rabah Bitat

    Le jeune et sympathique Aurassien réapparut fin février. Comme d’habitude, c’était pour livrer d’intéressantes ou de mauvaises nouvelles. Abdallah parlait peu mais toujours avec une note persuasive dans la voix. Cette fois, c’était pour m’annoncer l’arrivée à Alger de Slimane « El Djoudane » l’adjudant qui cherchait à prendre contact avec l’État-major. Il semble l’avoir vu une fois au magasin de son oncle Khechida, le tailleur de la rue Barberousse, où se réunissaient parfois les « Six du Premier novembre ».
    Cet homme, avait précisé Abadallah, vient d’accomplir un périlleux voyage. Il dit avoir échappé par miracle aux recherches de la police et il désire, à tout prix, entrer en liaison avec les frères du 1er Novembre ou d’autres responsables s’il le faut.
    C’était surprenant, c’était sûrement un des aspects secrets que je ne connaissais pas ! Bref, je priais Abdallah de s’en aller en prenant acte du message. Moins d’un quart d’heure après, j’en informais Bitat. À l’énoncé du nom de l’adjudant, je remarquai comme une imperceptible crispation sur son visage, un signe d’hésitation, puis il a dit : « Je me souviens de lui, c’est un ancien membre de l’OS (Organisation secrète). » On devait même lui confier une tâche importante pendant le déclenchement. Il faut le contacter. Les deux hommes se rencontreraient le surlendemain.
    El Djoudane s’évertua à lui raconter sa traversée de la frontière algéro-tunisienne en mettant l’accent sur les astuces qu’il fut contraint d’employer pour éviter les chausse-trapes.
    Mohamed Boudiaf, qu’il prétendait représenter, l’aurait chargé d’organiser la réception d’un important lot d’armes en provenance de l’étranger. Une aubaine pour l’ALN qui souffrait d’un sérieux manque d’équipements.
    La proposition d’El Djoudane avait de quoi éblouir. Il se plaçait donc dans la position du missionnaire de bon augure. À sa demande, Bitat lui accorda immédiatement une nouvelle entrevue, et puis une autre, trois jours plus tard, dans l’atelier de ferronnerie rue Kléber. Krim Belkacem était présent.
    On discuta autour d’une carte côtière que leur avait procurée Hocine Benhamza, un douanier qui, dans ses heures de détente, servait de chauffeur à Krim Belkacem pour ses déplacements. El Djoudane fut particulièrement disert, sans doute à cause de la présence du chef de la zone III. Pour couronner le tout, il suggéra d’associer Ben M’hidi aux fruits de l’entreprise.
    Pourquoi pas, s’était-on exclamé de part et d’autres. Il ne lui restait plus qu’à se rendre à Maghnia. Et ce qu’il fit le lendemain. Sur ces entrefaites, l’infatigable Ouamrane réapparut, début mars, pour nous informer qu’Abane Ramdane était enfin libre après quatre ans passés dans les prisons françaises. Le projet de le gagner à la cause se manifesta immédiatement. Contacté une première fois par Krim et son adjoint Ouamrane à Fort National où il était assigné à résidence, il s’était contenté de décliner l’offre. Désenchantés, ils revinrent à Alger pour discuter avec Bitat.
    Les deux maquisards ne se sentirent pas découragés. Les conditions que posait Abane étaient simples. S’il décidait de s’engager, ce ne serait qu’à l’appel d’un Boudiaf, d’un Ben-M’hidi ou d’un Ben-Boulaid etc.
    En fait, il ne mesurait pas encore toute l’ampleur des transformations qui s’étaient opérées dans le mouvement national, ni le douloureux enfantement qui donna naissance au FLN. Les éprouvantes années de prison avaient accentué sa prudence. Krim Belkacem et Ouamrane l’avaient compris ainsi. Bitat leur suggéra de lui renouveler l’appel en soulignant qu’il était prêt à faire personnellement une tentative pour le convaincre.
    Rassurés, ils prirent un nouveau rendez-vous avec lui. Et le 7 mars 1955, dans la matinée, je le recueillis dans l’arrière-boutique d’une crèmerie à la rue Barberousse dans la haute Casbah.
    Un autre sujet d’inquiétude me hantait depuis que les trois responsables logeaient sous le même toit, sans parler des allées et venues d’Ouamrane et de deux ou trois courts séjours de Lamine Debaghine.
    La Casbah grouillait d’indicateurs, et pour parer à toute éventualité, je louais un appartement dans le quartier de la Scala, à proximité d’El Biar pour les loger.
    Le 11 mars, El Djoudane revint à Alger pour reprendre et communiquer les résultats de ses pourparlers avec Ben-M’hidi. Celui-ci, en effet, l’avait reçu comme convenu. Il trancha avec lui, semble-t-il, la question des armes et le chargea de transmettre ses salutations à ses frères de combat. La brièveté de son séjour et la confiance que semblait lui avoir témoigner El Hakim « Ben M’hihi » auguraient de la meilleure perspective. Rendez-vous fut donc pris pour le mercredi 16 mars dans un café maure de la rue Rempart Médée à la Casbah. Krim avait un rendez-vous ailleurs, il déclina donc l’invitation. Ouamrane était absent. Abane mettait de l’ordre dans sa paperasse, Bitat, seul, irait au rendez-vous.
    Le matin du 16 mars, celui-ci quitta le refuge de la Scala vers huit heures. Sanglé dans son pardessus olivâtre, il marchait d’un pas indolent vers la rue Rempart Médée. À l’entrée de la ruelle, il frôla un Algérien qui faisait partie du dispositif de surveillance mis en place, une heure auparavant, par le commissaire de la DST Longchamp. Trois autres policiers gardaient les issues donnant sur le palier menant à la rue Rovigo et Soustara. Toutes les autres ruelles environnantes étaient bouclées. Trois autres agents du réseau parallèle de Jacques Soustelle, des Algériens également, faisaient le guet dans l’établissement.
    À peine Bitat eut-il mis le pied à l’intérieure du Café Maure qu’El Djoudane se détacha de l’ombre d’une impasse tout proche et lui emboîta le pas. Malgré la pénombre, il le repéra dans l’encoignure assis, le dos au mur. Il se dirigea vers lui et prit place en lui faisant face, déplia machinalement un journal qu’il tira de sa poche et l’étala sur la table en lui désignant de l’index une photo parue sur la première page. « Connais-tu cet homme ? Bitat inclina la tête pour examiner le cliché quand El Djoudane, animé par une impulsion démentielle, poussa la table de toutes ses forces vers le mur. C’était le signal qu’attendaient ses complices pour neutraliser Bitat.
    À la même heure, je me trouvais encore chez moi en train de négocier quelques minutes supplémentaires de sommeil. Pendant ce temps, on cognait avec force à ma porte. Si Ouakli désirait s’entretenir d’urgence. Je m’extirpai du lit en vitupérant. En voyant la tête défaite du maître ferronnier, ce devait être extrêmement grave. Il avait grise mine et les yeux catastrophés. Si Mohamed vient d’être arrêté, lança-t-il sans me laisser le temps de l’interroger. Après le choc, je sortis de la maison et sautais dans le premier taxi en maraude en direction de la Scala. Dans l’appartement, Abane était seul. Après le récit, il se saisit la tête des deux mains, il était visiblement ébranlé. Avec beaucoup de colère, il m’interrogeât : « Qu’allons-nous faire maintenant ? ». « À mon avis, il faut attendre le retour de Krim, alias Rabah. Nous aviserons ensuite. De toute manière, il n’est pas question de s’éterniser ici ? » Un court moment passa. Puis il se rua en direction de la sortie. Je le priai d’attendre mais il n’en voulut rien savoir. Il me lança par l’entrebâillement de la porte : « Je reprendrai contact »…
    Pendant que j’attendais Krim, je passais en revue les derniers événements et surtout la dernière invention de la police pour nous éliminer. Un vrai traquenard !
    Au bruit de la clef dans la serrure, j’émergeai de mes réflexions, c’était Krim qui rentrait. Sans ménagement, je lui appris l’événement. Il eut cet amer commentaire : « Depuis le premier jour, j’avais nourri des soupçons à l’égard de cette crapule ».
    Il ne nous restait plus qu’à évacuer les lieux. Arrivés chez moi au 3 rue des Abdérames, ma mère qui nous attendait, anxieuse, s’écria : « Partez, dit-elle, partez vite mes enfants. La police vient de saccager notre boulangerie. L’implication d’El Djoudane ne faisait plus de doute. J’installais Krim chez des amis sûrs et m’en fus ratisser la Casbah pour retrouver Abane, qui, dans sa précipitation, avait oublié de nous indiquer son point de chute. Après deux bonnes heures de recherche, j’eus la présence d’esprit d’aller voir dans l’arrière-boutique du laitier de Barberousse. Il y était en effet. Un quart d’heure plus tard, il rejoignit le refuge de Krim.
    Dernière modification par tawenza, 17 novembre 2016, 16h00.

  • #2
    dans le désordre

    Depuis le démantèlement de l’Organisation secrète (O.S), le groupe des Six, qui mirent le feu aux poudres le 1er Novembre 1954, se rencontrait assez souvent chez Khechida Aissa dans son local situé rue Barberousse à la Casbah d’Alger. La plupart d’entre eux étaient recherchés par la police française.
    Par ailleurs Khechida Aissa avait à ses côtés son neveu, un jeune adolescent du nom d’Abdellah, natif d’Arris dans le grand massif des Aurès, à qui il apprenait le métier de tailleur.
    Une semaine après le déclenchement, Abdallah, accompagné de Hamzaoui Mouloud un ancien de l’O.S vint me voir à notre boulangerie familiale. En se glissant entre les clients Abdallah me dit, à voix basse, que quelqu’un voudrait me voir. Il cherche un refuge. J’acquiesçai immédiatement de la tête.
    Le lendemain après-midi, deux hommes se présentèrent à la boulangerie ; Hamzaoui et l’autre qui m’était inconnu. Ce devait être le fugitif me dis-je ? Il se présenta sous le nom de Si Mohamed. Mais derrière un prénom aussi répandu, la véritable identité était pratiquement impossible à déceler.
    Connaissant Hamzaoui, j’avais confiance mais le mutisme de l’inconnu m’intriguait. Il était longiligne, misérablement vêtu et visiblement mal nourri. Hamzaoui fit les présentations et repartit. Moins d’une heure après, je l’installais confortablement chez moi, au 3 rue Abderames. Dans l’ambiance familiale, Bitat, alias Si Mohamed, se détendait. « Bien ! Lui dis-je, je crois qu’il est temps de m’expliquer ce qui se passe ». Et c’est ainsi qu’il se mit à narrer ses pérégrinations à travers la Mitidja et l’Atlas blidéen. éMais au fait, pourquoi la Mitidja ? ». « C’est parce-que lors de la répartition des tâches, des changements de dernière minute sont intervenus ».
    Didouche Mourad qui était tout indiqué pour commander la future Wilaya 4 préféra se faire affecter dans le Nord constantinois. Il y eut permutation. Et c’est ainsi que je me suis retrouvé dans l’Algérois. Tout devenait clair, le silence de Didouche Mourad s’expliquait parfaitement.
    Dans la nuit du 31 octobre Bitat et Bouchaïb Ahmed eurent pour mission d’attaquer la caserne Blondon à Blida, avec l’espoir, l’effet de surprise aidant, de récupérer des armes. Mais ce soir-là, Khoudi Saïd , le sous-officier complice, qui devait assurer la permanence de garde n’était pas de service. L’attaque tourna au désastre et l’alerte fut donnée immédiatement.
    De son côté, Ouamrane, assisté de Souidani Boudjemâa conduisait ses hommes, à l’assaut de la caserne de Boufarik. Après leurs raids respectifs, le groupe de Bitat et celui de Ouamrane devaient faire jonction à proximité de la station hivernale de Chréa pour faire le bilan.
    Le repli s’est déroulé conformément au plan établi sauf que l’imprévisible était là. Bitat et ses hommes accrochèrent en route une compagnie de fantassins. Il y eut des blessés de chaque côté. Dès lors, il ne restait plus aux rescapés qu’à se disperser. Dans la confusion, Ouamrane et une quinzaine d’hommes reprirent le chemin de la Kabylie.
    Quant à Bitat, après des détours, il réussissait à atteindre une maison aux environs de Champlain et se rendit à Alger. « Voilà toute l’histoire », conclut-il.
    Sans rien laisser dans l’ombre, je lui fis, à mon tour, un compte rendu sur la station d’Alger, depuis le 12 octobre.
    Accessoirement, je lui signalais l’existence d’un groupe passablement armé prêt à rentrer en action. Puis, du fond d’une caissette je pris sept cent mille francs en gros billets de l’époque, toutes mes économies, pour les déposer sur une table basse. Cet argent pourra nous être très utile.
    Les contacts

    Voici comment fut rétabli le contact avec les membres des six. En effet la situation nécessitait le rétablissement de toutes les liaisons. Autrement dit, reprendre intégralement en main et réunir les conditions favorables à la réunion que le comité des six avait fixée courant janvier 1955 à Alger. De cette rencontre devait logiquement naître une stratégie adaptée à une lutte à long terme.
    À l’intersection de ces réflexions Souidani Boudjemaa détenait des renseignements concernant les lieux où on pouvait se trouver avec Larbi Ben M’hidi et Didouche Mourad. Il connaissait plusieurs boîtes aux lettres en Kabylie. Rabah Bitat n’avait sur lui que l’adresse de l’agent de liaison de Souidani Boudjemaa, du nom de Rabah Abdelkader qui jouera plus tard un rôle décisif dans le développement des maquis de la Mitidja. C’est grâce à ce dernier que j’ai pu rencontrer, une première fois seul Souidani et la seconde fois en compagnie de Bitat.
    Une tentative en direction de la Kabylie par deux jeunes recrus Mustapha dit Amalphi et l’autre Bechkirou se solda par un demi-échec. Leur mission se termina à Mirabeau, un village situé à une dizaine de kilomètres de Tizi-Ouzou. Je confiai cependant un message à un intermédiaire en insistant sur l’importance de ma démarche.
    En Oranie, j’avais chargé une recrue de mon groupe de réserve, Aidoune Amar, de retrouver la trace de El-Hakim « Ben M’hidi » aux confins (algéro-marocain). Son voyage se déroula sans difficultés. Mais c’est lorsqu’il dévoila la nature de sa démarche que sa présence dans la région prit une tournure suspecte.
    Découragé, il fit demi-tour sans avoir compris ce qu’il lui arrivait. Deux échecs successifs ce n’était vraiment pas de chance.
    Deux jours plus tard je refis le chemin inverse. À Maghnia, je pris contact avec Si Morsli, un quincailler de la ville, un homme qui sous une rassurante bonhomie donnait l’impression d’être très renseigné sur nos « affaires ».
    Réconforté par la spontanéité de sa collaboration, je pris le lendemain le chemin de l’escalade, à travers les massifs montagneux en direction du Sud-Est pour atteindre en deux jours de marche, un point de chute distant d’environ quarante kilomètres.
    À l’orée d’un bois, j’étais mis en présence de maquisards. Pour dégivrer l’atmosphère, je fus réduit à réciter tout ce que je savais sur le déclenchement, en invoquant des évènements et des noms de responsables. L’échec de Aidoune était encore vivace. Mais j’étais décidé à m’accrocher pour mener ma mission à son terme.
    Vers minuit, l’un des maquisards me recommanda d’attendre dans le hameau. Tôt le matin du troisième jour, il réapparut en compagnie de Ben M’hidi qui me tendit une canne sur laquelle il s’appuyait, en m’indiquant qu’elle avait été creusée, au niveau du pommeau, d’un trou dans lequel il avait fiché un message à l’attention de Bitat. Je l’en remerciai et rebroussai chemins.
    Fin février, je transmis à Bitat un message de Ben Moukhadem, un ancien de l’O.S (nouvellement recruté) lui signalant la présence d’Ouamrane qui venait assez souvent chez un ancien élément du P.P.A (Parti du peuple algérien) du nom de si Ouakli, un serrurier de la Casbah. Bitat se rendit à l’endroit indiqué pour surprendre l’adjoint de Krim Belkacem. Le lendemain, Ouamrane se rendit auprès de Krim pour lui relater ses retrouvailles.
    Le jeu de cache-cache prit fin. Le lendemain Ouamrane se rendit chez Krim pour lui relater ses trouvailles. Ainsi fut rétabli le contact avec la zone 111 ; il ne nous restait plus qu’à aller chez le responsable kabyle au chemin Vauban près d’Hussein-Dey dans une épicerie qui leur servait fréquemment, à lui et à son adjoint, de point de ralliement. Dès lors notre maison, au 3 rue Abderames à la Casbah se transforma en .P.C, rayonnant sur la moitié des zones de combats. Mon départ pour Constantine (Condé Smendou) pour contacter Didouche Mourad fut annulé, on venait d’apprendre la mort glorieuse de ce membre des six. Quant à Mostapha Ben Boulaid, je n’ai pu le voir dans le

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    • #3
      Lorsqu’en 1954 l’Algérie entame le combat, le Maghreb dans son ensemble a déjà tracé les grandes lignes de son orientation pour se libérer de la tutelle coloniale et rompu avec les anciennes méthodes de la revendication politique dans le cadre « légal » qui lui était assigné à l’époque.
      Le problème posé pour le devenir national, objectif primordial de tout le débat qui agita auparavant les organisations politiques, n’était plus strictement au niveau du droit et du principe ou même de la bonne volonté de certains hommes d’État plus lucides que d’autres. Au déclenchement du premier novembre, il se situait au niveau de l’action généralisée révolutionnaire et armée, seule susceptible de renverser cet ordre social inacceptable et obliger la puissance coloniale peu disposée autrement aux astreignantes révisions qui sont exigées d’elle.
      Dès octobre 1954, de fortes concentrations de troupes françaises sont repérées aux confins frontaliers algéro-tunisiens. On enregistra, courant août de la même année, que les autorités en place à Constantine et à Tunis, décidaient, elles aussi, des mesures à prendre pour coordonner leurs efforts de lutte contre le soulèvement armé tunisien qui risquait de gagner l’Algérie.
      Les atouts de nos frères Maghrébins en lutte étaient alors plus important que les nôtres, enclavés comme nous l’étions, dans un système d’administration direct et sans partage dont l’essentiel de l’autorité reposait sur une implantation civile et policière considérable et un commandement militaire doté de pouvoirs relativement entendus.
      Après la seconde guerre mondiale, les idées qui travaillaient le monde rendaient caducs sous toutes formes les statuts de la domination et de la puissance. L’ère coloniale était à son dernier quart d’heure. On sentait craquer de toutes parts l’édifice de l’empire colonial français.
      L’Indochine, à 12000 km des rivages français, est déjà en guerre. Madagascar entre elle aussi en rébellion dès 1947. À Tunis la déposition brutale du Bey Moncef, souverain estimé de son peuple, accusé de collaboration avec la puissance de l’axe, crée une atmosphère difficile entre la tutelle résidentielle et le pays maltraité dans la personne de son chef.
      Au Maroc, Sidi Mohamed Ben Youcef est dépossédé de son trône et conduit en exil.
      L’Algérie, après les dramatiques journées de mai 1945 à Constantine, vivait sous la férule d’un gouverneur, dirigeant du parti SFIO ; Marcel-Edmond Naegelen, venu là pour appliquer le statut de 1947. D’entrée de jeu, il le faussait de manière honteuse ; les élections truquées d’avril 1948, qui aboutirent à l’éviction des candidats nationalistes à l’Assemblée algérienne, nouvellement créée par ce statut, contribuèrent pour une bonne part au blocage politique ressenti dans le pays avant 1954.
      Le drame qui couvait partout en Afrique noire, en Afrique du Nord, au Moyen-Orient et en Extrême-Orient, ne pouvait être contenu par une armée, fut-elle la meilleure et la plus nombreuse du monde. Le recul et le repliement sont désormais dans la logique des choses.
      C’est dans cette ambiance de « baroud en l’air » que les « fils de la Toussaint » (Mostepha Ben Boulaid, Didouche Mourad, Mohamed Boudiaf, Ben M’hidi Larbi, Krim Belkacem et Rabah Bitat) décidèrent d’engager la longue et grande Bataille d’Algérie.
      Le Front de libération nationale, organisation révolutionnaire, est devenu dès lors le moteur d’une insurrection populaire dont le but de sa contestation est la destruction de l’ordre colonial français imposé à l’Algérie par les armes, plus d’un siècle auparavant.
      L’organisation du FLN était convaincue d’avance que la solution politique, seule visée, passait par une structure d’information très étoffée et sérieuse et par une structure armée, forte et capable d’encadrer nos masses populaires en s’imposant à la domination comme l’interlocuteur qualifié en dehors de tout autre. Pour tous les révolutionnaires de notre génération, la guerre était l’unique voie qui mène vers la liberté et la dignité, la seule qu’il fallait coûte que coûte emprunter pour cette fin.
      « La résistance », dit Jacques Soustelle, gouverneur général à l’époque, « n’était le fait que d’une infirme minorité ».
      Certes oui ! Mais cette minorité incarne les espérances des plus larges couches de la population d’un pays occupé ou dominé. Elle en forme l’avant-garde armée ; celle qui s’engage pour lui, non à titre d’exemple, mais avec son accord tacite, bienveillant ou actif. Dans une telle conjoncture, la solidarité naturelle rend peuple et militants organisés, complices de la vocation partagée. La dialectique peuple-militants, formés en avant-garde armée, créait toutes les conditions requises pour la sauvegarde et la permanence des idéaux de la lutte. Il est inexact, et même inefficace du point de vue contre-révolutionnaire, de croire qu’il y a dans une structure de résistance et de combat un problème de minorité et de majorité, quand on se trouve là devant une réalité indissociable dont le mouvement d’ensemble est seul opératoire et concluant.
      Notre lutte armée révolutionnaire avant tout, parce que point limitée à l’indépendance, tournait résolument le dos aux solutions réformistes ou pacifistes du passé. C’était un acte délibéré et réfléchi du pays dans son ensemble, conscient de l’aliénation qui le frappe dans son être physique et des risques qu’il encourt pour dégager de toute tutelle son avenir national.
      Au déclenchement du premier novembre 1954, peu de gens s’étaient imaginé quel rôle incomberait aux villes en général et Alger en particulier dans la stratégie du FLN. Parmi les hommes de ce mouvement qui ont la lourde charge de mettre le feu aux poudres, il y en eût qui, plus soucieux de sauvegarder la fascinante de la future Capitale intacte, avaient plaidé pour lui conférer un statut de base arrière qui se contenterait sans risque notable d’assumer la fastidieuse fonction de pourvoyeuse de fonds, de médicaments, d’armes et de munitions à l’occasion et enfin des tenues militaires pour les maquisards engagés à combattre dans les montagnes.
      Partisans d’un embrasement généralisé incluant les villes et compagnes, dans le même degré de sacrifice en revanche, une minorité de responsable, dont moi-même, défendra avec conviction le principe plus équitable, d’une implication de toutes les régions du pays. Et comme les insurrections populaires ignorent souvent les règles en vigueur dans les guerres classiques pour n’en référer qu’au pragmatisme et à l’expérience vécue au quotidien, la ville d’Alger, puisque c’est d’elle qu’il est question jouera ces deux rôles à la fois tout au long de la guerre qui opposera Algériens et Français dans un affrontement sans rémission.
      Alger sera dans ces circonstances pourvoyeuse de fonds et de moyens à tous les maquis mais elle sera surtout combattante : l’orgueil de ses habitants l’exigeait.
      Et contrairement aux reliefs montagneux comme l’Aurès, la Kabylie, le Nord-Constantinois et l’Oranie qui disposent de vastes territoires -souvent inaccessibles aux engins blindés comme la presque île de Collo, les Némencha ou le massif de l’Akfadou- Alger n’a dû compter que sur la population de ses quartiers surpeuplés comme la Casbah, Belcourt, Bouzaréah, Climat de France ect… Et dans une moindre mesure Saint-Eugène lors de circonstances bien particulières.
      La lutte clandestine s’est imposée à nous à cause de l’exiguïté du terrain et au type cosmopolite de sa population. Pour survivre aux diverses aléas qui s’imposent à la guerre urbaine, nous avons construit un système de cloisonnement dit pyramidal. Mais tout ça évidement ne s’est pas fait en un jour. Nous ne disposions au départ que de quelques pistolets -dont certains rouillés- tout juste bons à équiper une dizaine d’hommes. Cette situation paradoxale découlait de ce que la priorité de l’armement revenait aux maquisards. J’insistais particulièrement sur ce que l’action armée impliquait de moyens et d’hommes organisés pour obtenir le succès attendu d’elle.
      J’ai pensé que la première organisation militaire devait se caractériser par une articulation souple des structures. Tous les rouages devaient baigner dans une fluidité organique afin d’éviter que ne s’instaure bureaucratie capable de peser sur les actions.
      Sur un organigramme dessiné sur une feuille de papier, j’indiquais que le chef de section ne devrait pas éprouver de difficulté majeure à communiquer ses instructions aux militants de base. J’indiquais également qu’une section de combat aurait la forme d’une pyramide composée d’une série de triangles superposés.
      À la tête de chacune de ces figures géométriques, il y aurait un responsable militaire et trois adjoints, ces derniers ne se connaissent pas entre eux. Chaque adjoint recrutera, sur la base de l’aptitude, un homme qui, à son tour, choisira deux autres fidaïs pour former deux autres groupes. Et ainsi de suite. L’opération étant appelée à se répéter jusqu’à la constitution complète d’une section, autrement dit, trente hommes répartis, trois par trois, en deux groupes, quatre cellules ou huit demi-cellules.
      Mais quoique l’organisation générale commençât à peine de prendre forme, le cloisonnement s’appliquait déjà avec la dernière rigueur sur les structures en place. Les combattants évoluaient dans une totale ignorance les uns des autres comme l’exigeait le principe du fonctionnement d’une section. Il leur arrivait de fréquenter les mêmes lieux publics, de travailler parfois au même endroit, d’être de vieux amis sans pour autant savoir ce que l’un ou l’autre faisait de ses moments de détente.
      Dans le Grand-Alger au cours de la nuit du 31 octobre au 1er novembre 1954, le déclenchement inattendu de la guerre de Libération par les Algériens a, à vrai dire, provoqué plus de turbulences psychologiques que de morts à déplorer.
      Pour les Algériens c’était juste un coup de pied dans la termitière. D’une part pour réveiller tout un peuple voué à l’apathie et de l’autre autre aux Français et à leur colons de se préparer à passer la main. Le vent de la décolonisation soufflait puissamment.
      Le 6 novembre, autrement dit cinq jours seulement après le déclenchement, tous ceux, ou presque, qui participèrent au soulèvement avaient été capturés. À Alger évidemment ! Le responsable de la série d’arrestations et cet incroyable coup de filet était commissaire à la DST. Il s’appelait Longchamp.
      Les deux derniers mois de l’année 1954 sont vite engloutis par le temps qui passe. Nous abordons l’année 1955 avec un seul « novembriste », il s’agit de Rabah Bitat, chef de la Zone de combat numéro 4 qui englobait alors aussi Alger. Et un groupe de réserve que j’ai dû mettre sur pied à la mi-octobre 1954.
      Chef de la zone III (Grande Kabylie), Krim Belkacem profitait de ses séjours à Alger pour recruter des gens afin de renforcer les effectifs de ses troupes.
      Fin janvier 1955, Didouche Mourad, le chef de la zone II (Constantinois) est abattu près de Condé Smendou. Quant à Mostepha Ben Boulaid, chef de la zone I des Aurès, il n’échappe à l’angoisse de la traque que le jour où il se fait arrêter une première fois par la DST avant d’être tué quelques mois plus tard.

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