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Maroc. Exclus de l’énergie solaire

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  • Maroc. Exclus de l’énergie solaire

    Tasselmante, l’oublié de la centrale solaire Noor
    REPORTAGETasselmante est le plus proche village de la centrale solaire Noor de Ouarzazate et pourtant, il semble être le plus éloigné de ses retombées socio-économiques. Emplois, électricité et éducation, le quotidien des habitants a peu changé depuis son implantation à proximité.

    Le soleil tape. En ce mois d’octobre, les milliers de panneaux solaires alignés dans la centrale Noor brillent. Un immense champ « en or » protégé par des barbelés et quelques postes de sécurité éparpillés. De l’autre côté, une longue ligne droite qui débouche sur Tasselmante, la plus proche commune du site solaire. Moins de deux kilomètres les séparent. Un village qui abrite près de 77 maisons mais qui est pourtant si silencieux ce jour-là. Pas un bruit ou presque. Un homme marche tranquillement. Abdellatif, père de trois enfants connaît très bien la centrale. Il l’a vu se construire de l’extérieur mais aussi de l’intérieur. « J’ai travaillé pendant 10 mois pour une société qui s’occupait du terrassement, raconte-t-il. C’est la seule fois où j’ai eu un emploi… Quand mon contrat s’est fini, on ne m’a plus rappelé… » Depuis cinq mois, il est au chômage. Pour l’instant, il arrive à faire vivre sa famille grâce à l’argent qu’il a mis de côté. « Je touchais 13 dirhams de l’heure », précise-t-il avant de téléphoner à Nora, sa belle-soeur qui arrive très vite avec sa cadette, Saïda. Tous les trois sont en colère. « On nous avait promis des emplois avec l’arrivée de cette centrale à côté de chez nous, lâche l’une d’entre elles. Et rare sont ceux qui ont été appelés pour y travailler ! »
    UNE MINE D’EMPLOIS À PROXIMITÉ DE TASSELMANTE, QUASI-INACCESSIBLE
    Au loin, une silhouette s’approche. C’est Moucha Kabira qui avance avec son âne transportant des sacoches remplies de dattes. Elle, non plus, n’a pas trouvé d’emploi dans la centrale malgré les démarches qu’elle a effectuées. « J’ai envoyé en mai tous les documents que m’avait demandé l’ANAPEC et depuis, aucune réponse », se désole cette veuve qui a un enfant. Elle ne comprend pas cette situation. « Parmi mes cinq frères, deux sont au chômage alors qu’il y a du travail à proximité », souffle-t-elle. En effet, sur le site qui est piloté par l’Agence marocaine de l’énergie solaire (Masen), 120 entreprises s’activent. Elles ont recruté près de 5 000 personnes. Des emplois dispatchés entre l’activité de Noor I, inaugurée en février dernier, et les travaux sur Noor II et III. « 80 % de la main d’œuvre est locale, affirme Mohsin Aitali, chargé de l’hygiène, de la sécurité et de l’environnement chez Masen, lors d’une visite presse organisée l’après-midi même. On a signé une convention avec l’ANAPEC pour favoriser l’emploi direct. »
    DE BERGER À CHÔMEUR
    L’immense terrain de la plate-forme solaire s’étale sur 3 000 hectares. Les 2 500 ha où sont implantées Noor I, II et III, appartenaient aux communes Tamzaghten Izerki, et ont été acquises en 2010 par Masen, comme l’indique un rapport sur la centrale de Ouarzazate, réalisé par la Banque africaine de développement (BAD). Une étude qui assure que « le projet n’entraîne aucun déplacement de population ni de perte d’activités économiques ». Toutefois d’après les habitants de Tasselmante, la réalité est tout autre. « Certes, personne n’habitait là-bas mais les bergers y amenaient leurs animaux ! », soutient Nora. Depuis les travaux de Noor I qui ont débuté en 2013 et les deux autres en février 2016, la plupart des bergers du village se sont vus contraints de changer de métier. « Où voulez-vous qu’ils envoient les bêtes maintenant ?, lance-t-elle. Notre village est coincé entre la centrale solaire et le bled d’à côté où les terrains sont pour leurs pâtres. » Et précise : « Les quelques habitants qui y restent encore, sont obligés de faire des kilomètres et de migrer pour nourrir leurs animaux ! » Une affirmation que conteste Masen. « Regardez autour de vous, il n’y a rien. Les bergers ne venaient pas ici. Des études ont été réalisées pour vérifier quels impacts auraient la centrale Noor si on l’installait là », insiste Mohsin Aitali.
    UN TRANSPORT INEXISTANT
    Mokhliss, le mari de Nora, est l’un de chanceux de Tasselmante. Il a enchaîné cinq contrats depuis l’arrivée de la centrale. « Je travaille aujourd’hui dans les cuisines, indique-t-il. Je gagne 3 000 dirhams par mois et j’ai un jour de repos par semaine. » Toutefois, tout n’est pas si parfait. « Je suis obligé de dormir là-bas », confie-t-il. La raison ? Un problème de transport. « Le peu de personnes y travaillant et qui sont sans véhicule, ont trois solutions pour y aller : la première, partir à pied, la première entrée est à près de quatre kilomètres. La deuxième, rester à Ouarzazate (à 21 km d’ici) parce que là, les entreprises prévoient des navettes entre la ville et Noor et la dernière, habiter à l’intérieur », énumère indignée Nora. Et son mari, de suite, nuancer comme s’il avait peur de perdre son travail après les propos de son épouse : « Je suis bien traité. Je ne me plains pas. J’ai une petite case pour dormir, je peux me doucher tous les jours et j’ai de quoi manger ». Mais pour Masen, le problème du transport est une affaire réglée. « Il est vrai qu’il y avait, à un moment donné, quelques soucis avec certains sous-traitants pour aller chercher les employés habitant dans des villages. Ils voulaient les prendre seulement de Ouarzazate, mais Masen a fait le forcing pour que cela change et maintenant, tout est rentré dans l’ordre. »
    LA DÉBROUILLE POUR AVOIR DE L’ÉLECTRICITÉ QUI SORT POURTANT DE NOOR
    Qu’a apporté l’installation de la centrale solaire Noor ? « Les routes sont goudronnées », montre du doigt Saïda. Et sa sœur d’enchaîner : « C’est la seule chose… Vous savez, tout le monde n’a pas d’électricité ici ! Nous, par exemple, on est obligé de se raccorder chez un de nos oncles qui habite juste à côté de chez nous. On a fait plusieurs demandes pour avoir un branchement direct sans réponse du président de la commune. » Pour cette femme, l’explication se cache derrière les dernières élections législatives d’octobre. « On n’est pas allé voter comme la dernière fois, et donc maintenant, on en subit les conséquences, sinon pourquoi nos sollicitations n’ont pas été acceptées ? ». A ces accusations, le président de la commune, Mohamed Ifrassin, n’a pas voulu répondre.

    « Il existe un co-financement entre Masen et différents partenaires dont les présidents des communes pour l’installation de poteaux électriques dans les villages, certifie Mohsin Aitali. Les patelins les plus proches, sont prioritaires. Leur implantation se fait petit à petit. » Aujourd’hui l’électricité qui sort de la centrale solaire Noor I alimente la grande agglomération de Ouarzazate, de Tinghir et de Tazart. « Masen a installé des panneaux solaires dans toutes les écoles autour », tient à mentionner Mohsin Aitali. A Tasselmante, il y en a deux. L’établissement scolaire est une toute petite structure où un professeur fait la classe à une quinzaine d’enfants âgés de 6 à 8 ans. Les plus grands partent à pied à trois kilomètres de là. Mais, pour les collégiens, c’est une autre histoire. « J’ai arrêté d’aller en cours cette année, murmure Fayçal, 12 ans, parce qu’il n’y a plus de place à l’internat. » Les habitants de Tasselmante pensaient que leur quotidien allait s’améliorer. En effet, sur le site Internet dédié à la centrale Noor, il est expliqué que « dans le cadre de son approche de développement durable, Masen appuie des projets qui contribuent à la lutte contre la pauvreté, l’accès aux infrastructures de base, à la croissance économique durable (… ). Masen intervient dans de nombreux secteurs : éducation, santé, agriculture, infrastructures, protection de l’environnement. » Un engagement que ne constatent pas les habitants de Tassalmante. En tout cas pour Nora, « aujourd’hui, peu de choses ont changé pour nous…, glisse-t-elle. Nous avons l’impression d’avoir été leurrés et abandonnés. »
    Le Desk
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