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Comment la terre d’Israël fut inventée – Shlomo Sand

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  • Comment la terre d’Israël fut inventée – Shlomo Sand

    Dans la guerre israélo-palestinienne, il y a un aspect qu’il ne faut jamais mésestimer. Le sionisme a opéré une gigantesque manipulation de l’histoire, de la mémoire et des identités juives. C’est cette manipulation qui permet l’adhésion majoritaire des Juifs (aussi bien en Israël que dans le reste du monde) à un projet colonialiste et militariste qui détruit chaque jour un peu plus la Palestine et généralise l’apartheid.

    Dans un ouvrage précédent (Comment le peuple juif fut inventé, chez Fayard), Shlomo Sand avait réduit à peu de choses deux mythes fondamentaux du sionisme : l’exil et le retour. Non, il n’y a pas eu d’exode massive des Juifs lors de la destruction du Temple par les troupes de Titus en 70 ap JC. Les Juifs d’aujourd’hui ne sont pas les descendants des Hébreux de l’Antiquité. Ils descendent majoritairement de convertis. L’idée sioniste qu’après des siècles d’exil, ils auraient fait leur retour sur la terre de leurs ancêtres est une fiction.

    Cette fois-ci, Shlomo Sand s’attaque à un autre mythe meurtrier. Pour les membres du courant national-religieux, « Dieu a donné cette terre au peuple juif » et au nom de ces conceptions intégristes, les Palestiniens sont des intrus. Mais les sionistes « laïques » partagent cette même conception. Ils ont fait de la Bible un livre de conquête coloniale en affirmant que les Juifs ont toujours eu un attachement indéfectible à « la terre d’Israël », ce qui leur donne un droit de propriété exclusif. C’est ce mythe de la terre qu’il passe à la moulinette avec un style agréable et de très nombreuses références historiques et bibliographiques. Bref, c’est un livre absolument indispensable.

    Histoires personnelles

    Dans Comment le peuple juif fut inventé, Shlomo Sand avait raconté quelques anecdotes personnelles. Son amitié ancienne avec le poète palestinien Mahmoud Darwish, banni de son propre pays et qui n’aura même pas pu être enterré dans son village d’origine (qui n’existe plus). L’histoire aussi de son beau-père, catalan et rescapé de la guerre d’Espagne qui finit par « atterrir » en Israël.

    Là, Shlomo nous livre quelques touches de ses origines. Il est né dans un de ces camps de rescapés juifs du génocide nazi pour lesquels il n’y avait qu’une seule destination possible : Israël. Les Palestiniens ont payé pour un crime européen.

    En 1967, Shlomo est soldat dans une armée qui fait la conquête sanglante de Jérusalem-Est. Il décrit la fièvre nationaliste des jeunes qui l’entourent, cette certitude de « revenir sur la terre de leurs ancêtres ». Il décrit aussi un crime de guerre gratuit : un vieux Palestinien torturé à mort par cette armée qui se dit morale. Son écriture s’empreigne alors d’une grande émotion.

    Shlomo Sand est un professeur universitaire d’histoire. Son université, située dans les faubourgs de Tel-Aviv, a été construite sur un de ces nombreux villages (plusieurs centaines) rayés de la carte avec l’expulsion de la population palestinienne en 1948. Les habitants de ce village n’ont pas combattu et ont espéré jusqu’au bout qu’ils ne seraient pas expulsés. L’État d’Israël pratique un négationnisme total sur la vraie histoire de cette terre et notamment sur les Palestiniens. Shlomo évoque l’action de l’association israélienne anticolonialiste « Zochrot » qui fait revivre la mémoire de ces villages rayés de la carte.

    Shlomo a milité dans le mouvement de l’extrême gauche antisioniste Matzpen dans les années 80. Il ne se définit plus comme antisioniste. Pourtant, encore plus que le précédent, son livre démolit avec beaucoup d’efficacité les mythes sionistes.

    Il est partisan de deux États vivant côte à côte en Palestine qui seraient des États de tous leurs citoyens. Il écrit pourtant : « En apparence, l’occupation, entrée dans sa cinquième décennie, prépare au plan territorial, la constitution d’un État binational ».

    Il est contre le droit au retour des réfugiés palestiniens. Il explique à titre de comparaison qu’on ne fera pas revenir les millions d’Allemands originaires des pays de l’Est descendants de ceux qui ont été chassés en 1945. Pourtant, il montre bien comment l’expulsion des Palestiniens de leur pays en 1948 a été criminelle, comment Israël a rendu définitive leur expulsion. Son enquête sur le village détruit pour construire son université (et ses habitants) est précise et sans concession.

    Il a espéré avant 1967 que son pays saurait se normaliser et faire une paix juste. Amèrement il écrit : « je ne savais pas que je vivrais la majeure partie de mon existence à l’ombre d’un régime d’apartheid, alors que le monde “civilisé”, du fait notamment de sa mauvaise conscience, se sentirait obligé de transiger avec lui, et même de lui apporter son soutien ». Le mot « apartheid » est souvent utilisé dans le livre pour qualifier la réalité actuelle.

    Une terre habitée par de nombreux peuples et une religion venue de l’étranger

    Comment le peuple juif fut inventéDans Comment le peuple juif fut inventé, il y avait un chapitre difficile pour un non-spécialiste sur la notion de « peuple ». Cette fois-ci, Shlomo examine les notions de patrie, de frontières, du droit du sol et de droit du sang. Chapitre ardu mais dont la conclusion est claire. La prétention des sionistes de retourner dans leur « patrie » au nom d’une histoire réécrite ne repose sur aucune des différentes constructions de patries que l’histoire a connue.

    Comment la terre qui est aujourd’hui Israël/Palestine fut appelée dans l’histoire ? Quelle est l’importance de Jérusalem ?

    La Bible parle de Canaan et affirme que les Hébreux sont venus de l’étranger. Les deux personnages centraux, Abraham et Moïse seraient venus, l’un de Mésopotamie, l’autre d’Égypte. Ces personnages sont légendaires. Le livre de Josué (qui est une véritable apologie du nettoyage ethnique et du génocide) évoque une terre habitée par de nombreux peuples qui restent toujours là malgré les massacres. Autrement dit la religion juive décrit un peuple venu de l’extérieur ayant une haine terrible pour les autochtones.

    Dans la Bible dévoilée, les archéologues israéliens estimaient que la Bible avait été essentiellement écrite dans le royaume de Judée, peu avant la prise de Jérusalem par les Babyloniens (VIIe siècle av JC). Shlomo Sand va plus loin. Il pense que le texte a été écrit par les lettrés qui ont été autorisés par l’empereur perse Cyrus à retourner à Jérusalem, voire plus tard à l’époque hellénistique. Ces lettrés sont entourés de paysans restés majoritairement païens, ce qui explique tout le mal que la Bible dit des autochtones.

    Dans le livre des livres, la promesse de la terre pour le peuple élu est toujours soumise à condition. Tout est conditionné par le degré d’intensité de la foi en Dieu. Quand les colons religieux actuels prétendent que « Dieu leur a donné cette terre », ils s’écartent beaucoup de leur texte fondateur. La région d’Israël/Palestine s’est appelée Canaan et la région de Jérusalem la Judée. Cette région avait un peuplement hétérogène et on y parlait des langues diverses. Ce n’est qu’à l’époque des Maccabées (IIe siècle av JC) que la religion s’est répandue dans de nouvelles régions (Samarie, Galilée, Néguev) puis plus loin dans l’empire romain. Il n’y a aucune référence à la « terre promise ». Le philosophe juif Philon d’Alexandrie a vécu à l’époque de Jésus-Christ et il est peu probable qu’il ait effectué un quelconque pèlerinage à Jérusalem pourtant toute proche.

    Contrairement au mythe enseigné aujourd’hui dans les écoles israéliennes (l’exode de plusieurs de millions de Juifs quand les troupes de Titus détruisent le deuxième temple), il y a eu trois grandes révoltes juives aux premier et deuxième siècles après JC qui traduisent un antagonisme fondamental entre polythéistes et monothéistes. Mais aucun exode massif et encore moins un tel nombre. Après la dernière révolte juive (Bar Kokhba, 135 ap JC), la région prend le nom de Palestine et la population va se convertir au christianisme puis cinq siècles plus tard à l’islam. Il n’y a pas de trace du terme « Eretz Israel » (la terre d’Israël) à l’époque.

    La religion juive et l’absence d’attachement à la terre

    Le premier commandement du Talmud « interdit explicitement aux fidèles juifs de s’organiser pour émigrer dans le foyer saint avant la venue du messie ». Seule une dissidence du judaïsme, les karaïtes prêcheront une immigration en Palestine. Malgré (comme les Juifs) une grande dispersion dans le monde, les karaïtes seront présents à Jérusalem lors de la prise de la ville par les Croisés et il y a toujours une synagogue karaïte à Jérusalem.

    Les lettrés juifs qui visitent la région au Moyen-âge cherchent surtout leurs coreligionnaires. L’un note d’ailleurs qu’il y a beaucoup plus de Juifs à Damas qu’à Jérusalem.

    À la base du sionisme, il y a l’alyah, la « montée » en Israël. C’est une manipulation : l’alyah, c’était (dans la Kabbale) « l’ascension mystique de la personne qui se condense dans la formule : ascension de l’âme ». Du IVe au XIXe siècle, les chroniques ont répertorié seulement 30 pèlerinages juifs en Palestine alors qu’elles ont répertorié 3500 comptes rendus de pèlerinages chrétiens. Il n’y a rien d’étonnant à cela. Le pèlerinage est une tradition chrétienne puis musulmane. La prière juive « l’an prochain à Jérusalem » évoque une rédemption prochaine et pas une émigration. « La ville sainte est pour le juif religieux un souvenir qui nourrit la voix et pas un site géographique attractif ».

  • #2
    Et si le sionisme était une invention chrétienne ?

    On connaît aujourd’hui les mouvements chrétiens sionistes. Ces mouvements évangélistes ont très puissamment aidé la colonisation de la Palestine financièrement et politiquement. Accessoirement, ces Chrétiens sionistes sont attachés à un « Juif irréel », pas aux Juifs réels. Pour eux, les Juifs doivent chasser de la terre sainte Armageddon (= le mal = les Arabes) puis se convertir à la « vraie foi », sinon ils disparaîtront car ce courant est millénariste (et antisémite). Ces Chrétiens sionistes ont identifié la colonisation de nouveaux territoires (Amérique du Nord, Afrique du Sud, Australie) à la conquête de Canaan par Josué.

    Déjà Mohamed Taleb était allé plus loin dans l’idée que le sionisme a des origines chrétiennes. Les Chrétiens sionistes, ce sont les « dissidents » du protestantisme (évangélistes, puritains).

    Shlomo Sand parle aussi des Anglicans et il accumule des faits sur l’histoire anglaise. Dès le XVIe siècle avec la Réforme, la Bible est traduite. Le monde hébraïque antique, tel qu’il est décrit dans la Bible devient familier. Le « juif irréel » devient sympathique. Après plusieurs siècles d’interdiction de séjour, Cromwell (en 1656) autorise le retour des Juifs en Angleterre (des facteurs économiques jouent aussi. Les Juifs chassés d’Espagne et réfugiés aux Pays-Bas ont contribué à la prospérité de ce concurrent).

    De nombreux personnages publics britanniques évoquent le « retour » des Juifs en Palestine (au XIXe siècle, Shaftbury, Palmerston et bien sûr Disraeli, Premier ministre et fils de Juif converti). Les Britanniques manifestent un intérêt croissant vers la Palestine, pièce essentielle sur la route de l’Inde.

    À partir des pogroms de 1881, des millions de Juifs de l’empire russe partent vers l’Ouest. Ils iront principalement vers les États-Unis car la Grande-Bretagne ferme ses portes. Premier ministre en 1905, Lord Balfour fait adopter en 1905 une loi très restrictive contre l’immigration, principalement celle des Juifs. Il tiendra publiquement des propos antisémites. Le même enverra à Rothschild la fameuse déclaration Balfour en 1917. Il n’y a pas contradiction. Pour Balfour, les Juifs sont « inassimilables » s’ils viennent en Europe mais ils deviennent des colons servant les intérêts de l’empire britannique s’ils vont s’installer en Palestine. Pour de nombreuses raisons, dont l’attachement à une lecture familière de la Bible, la déclaration Balfour a fait consensus chez les principaux hommes politiques britanniques.

    On a donc eu au début du XXe siècle la rencontre de trois phénomènes politiques qui ont rendu faisable le projet sioniste : une sensibilité chrétienne issue du monde protestant articulée avec une vision coloniale britannique, l’antisémitisme virulent en Europe de l’Est et l’apparition d’un nationalisme juif qui a tout inventé : l’histoire, la terre, la langue.

    Le sionisme et la religion juive

    Comment la terre d'israel fut inventee On connaît les virulentes critiques contre le sionisme, venues des Juifs socialistes qui seront hégémoniques dans le monde juif européen jusqu’à la deuxième guerre mondiale. Le Bund, parti ouvrier préconisant « l’autonomie culturelle » des Juifs sans territoire spécifique, était farouchement antisioniste. Et les partis ouvriers socialistes ou communistes dans lesquels militaient beaucoup de Juifs/ves étaient aussi très critiques.

    On connaît moins l’opposition radicale des Juifs religieux au sionisme. Le livre de Yacov Rabkin Au nom de la Torah, l’opposition juive au sionisme apporte de nombreux faits. On a souvent en tête l’attitude actuelle des religieux juifs. Depuis 1967, ils sont devenus majoritairement colonialistes, nationalistes et racistes à l’image d’Ovadia Yossef, fondateur du Shass ou du grand rabbin de la ville de Safed qui interdit de louer à des « Arabes ». Il n’en a pas toujours été ainsi et Shlomo Sand rappelle que pour les religieux, la « terre sainte » n’a jamais été la patrie des Juifs. Le judaïsme réformateur était contre le sionisme car il craignait (à juste titre) que cela retarderait la marche vers l’égalité des droits. Les Juifs orthodoxes étaient encore plus durs. Citons certains de leurs propos : « reçois la Torah dans le désert, sans pays, sans propriété terrienne », « Les sionistes n’aspirent qu’à secouer le joug de la Bible et des commandements pour n’en conserver que le national, voilà ce que sera leur judaïsme ».

    Dans le sionisme, la terre remplace la Bible, et la prosternation devant le futur État prend la place de la ferveur envers Dieu.

    Quand Theodor Herzl essaiera de rallier au sionisme les rabbins, l’immense majorité d’entre eux protestera et organisera même une résistance aux idées sionistes. Ils publieront à plusieurs en 1900 une brochure : « livre éclairant, pour les honnêtes gens, contre le système sioniste ».

    Le sionisme n’est pas seulement en contradiction avec les droits fondamentaux (refus du racisme, du colonialisme, des inégalités), il est aussi en contradiction avec la religion. Il a nationalisé le langage juif religieux et transformé la Bible en un livre de conquête coloniale.

    Le sionisme et les Arabes

    La question de la présence d’Arabes en Palestine au début du mouvement sioniste n’a quasiment jamais été soulevée. Comme la plupart des colonisateurs, les sionistes n’ont pas vu (ou pas voulu voir) le peuple autochtone.

    Pourtant, alors que jusqu’en 1922, l’immigration des Juifs en Palestine est autorisée, ce pays reste arabe à 90% à cette époque. Et les Palestiniens formeront les 2/3 de la population quand la guerre de 1948 éclate.

    Il y a eu chez les sionistes des humanistes qui imaginaient une coexistence pacifique avec les Palestiniens. Citons Ahad Haam ou plus tard Martin Buber. Mais ils ont vite été débordés par les partisans du « transfert », l’expulsion des Palestiniens.

    Dans son film La terre parle arabe, la cinéaste franco-palestinienne Maryse Gargour montre que tous les dirigeants sionistes étaient favorables au « transfert » dès 1930. Ils ne divergeaient que sur la méthode pour y parvenir.

    Dès 1930, la plupart des recherches sionistes sur le passé se sont efforcées de situer et de maintenir la terre d’Israël au centre de « l’être juif ». Ils sont parvenus à une conclusion insensée : « les Arabes se sont emparés de la terre d’Israël en 634 et ils s’y sont maintenus depuis lors en tant qu’occupants étrangers ». Certains propagandistes vont même jusqu’à comparer avec la présence arabe en Espagne qui a duré plus de 7 siècles. En fait, au-delà de tous les textes d’autojustification, la colonisation sioniste n’a connu comme seul frein que les limites du rapport de force. C’est pourquoi le gouvernement israélien actuel qui est soutenu à bout de bras par l’Occident semble pouvoir tout se permettre.

    Shlomo Sand analyse plusieurs mythes qui ont accompagné la conquête sioniste : celui du travail, celui des kibboutz qui, au-delà de l’idéal égalitaire, étaient avant tout des instruments de conquête de la terre réservés aux seuls Juifs, et celui du syndicat Histadrout, réservé lui aussi aux seuls Juifs. Les kibboutz ont systématiquement été installés dans les zones frontalières pour empêcher le retour des « infiltrés » (= les réfugiés palestiniens). Ils sont en déclin aujourd’hui parce qu’on est passé à une nouvelle forme de colonisation.

    Depuis 1967

    Le mythe de la terre a guidé la politique sioniste. Depuis 1967, il en est le centre.

    La colonisation sioniste s’est faite sous l’égide imaginaire, dynamique et mobilisatrice de la « rédemption du sol ».

    Shlomo Sand est très sévère pour la « gauche sioniste » qui a participé à toutes les conquêtes.

    Il y a eu consensus pour le concept de « judaïsation de la terre » qui signifie bien sûr l’expulsion des Palestiniens. Les nationalistes les plus zélés sont venus de la gauche : Moshé Dayan, Yigal Allon. Shlomo pense que la guerre de 1967 n’était préméditée ni d’un côté, ni de l’autre. J’ai des doutes à partir d’un témoignage familial. Un cousin de mon père, général de l’armée de l’air israélienne, m’a affirmé dès juillet 1967, qu’Israël n’avait pas été menacé, que les projets de bombardements étaient prêts depuis des années et que la colonisation allait commencer.

    Dès la fin de cette guerre, les intellectuels israéliens les plus éminents ont signé le « manifeste pour le grand Israël », prélude à la colonisation. 20 ans plus tard et malgré l’Intifada, le principe de l’État « ethno-démocratique » a repris le dessus. Le sionisme est une machine infernale qui ne saura pas s’arrêter d’elle-même.

    Pour conclure

    Logiquement, Israël se retrouve aujourd’hui gouverné par une coalition d’extrême droite. Le consensus qui a abouti à cela vient en partie d’une histoire totalement réécrite. Comme pour son livre précédent, Shlomo Sand sera sûrement très lu en Israël. Les sionistes l’injurieront. On enverra d’éminents spécialistes pour réfuter des faits pourtant indéniables. Ce livre doit nous aider à démonter les mythes meurtriers. Le jour où la « rupture du front intérieur » sera possible en Israël, ce livre, comme le précédent, aidera les Israéliens à se débarrasser d’une identité falsifiée qui contribue à détruire la société palestinienne mais qui est aussi suicidaire à terme pour les Israéliens.

    Pierre Stambul

    Entretiens

    Comment expliquer par l’histoire le tabou juif, cette impossibilité de critiquer Israël au motif que l’on passe dès lors pour antisémite ?

    C’est une évolution qui apparaît dans les années 80 et 90. Il faut la mettre en rapport direct avec la conscience européenne face à la Shoah. A partir de 1967, Israël a commencé à occuper un autre peuple – les Palestiniens- sans lui donner de droits civiques, politiques, etc. La capacité d’agir ainsi a un rapport avec un passé historique, avec la mauvaise conscience des Européens face à la mémoire des actes qu’une partie d’entre eux ont commis à l’encontre des juifs. Je crois qu’Israël profite de cette mauvaise conscience pour ne pas être critiqué autre Etat. Israël profite de la tragédie juive et de la mauvaise conscience que les Européens ont face à cette histoire.. Sans la dimension de la tragédie juive en Europe, cela n’aurait pas été possible pour un

    Il s’agit donc bien d’un sentiment engendré par la culpabilité face au génocide juif, non de la construction d’un tabou par le gouvernement israélien ?

    Il n’y a pas de conspiration.

    Commentaire


    • #3
      Pas de conspiration, mais une communication ?

      Il est évident que l’intérêt diplomatique de l’Etat d’Israël est comme pour chaque Etat d’être blanchi de ses actes criminels. Même l’Etat belge n’a pas voulu être accusé à l’époque coloniale des massacres de millions de Congolais. L’Etat d’Israël, comme les institutions juives qui soutiennent Israël, profitent de cette situation, de cette mauvaise conscience. Nous sommes en face d’une conscience mondiale mal à l’aise face au passé juif et Israël profite de cela avec tous les moyens possibles. Cela ne concerne pas tous les juifs. Beaucoup de gens se considèrent comme juifs et n’acceptent cette règle du jeu. De mon ami Pierre Vidal Naquet jusqu’à Noam Chomsky, des gens ont lutté contre les politiques israéliennes d’occupation.

      Je veux ajouter qu’il ne s’agit pas seulement d’Israël et du fait de tirer profit d’une mauvaise conscience. Le lieu de rencontre de deux mentalités – la mauvaise conscience européenne face à l’histoire juive et une haine nouvelle contre les musulmans – fait qu’Israël peut profiter de cette situation. L’une complétant l’autre. En tant qu’historien, j’ai défini les années entre 1850 et 1950 comme une époque judéophobe qui se termine plus ou moins autour de 1950 avec la Shoah. A parti des années 1980, pour peut-être unifier, souder la conscience européenne, l’islamophobie apparaît. Si être judéophobe n’est pas légitime sur la place publique, on peut être un homme politique, un écrivain, un journaliste et rester islamophobe. Cette situation politico-intellectuelle européenne aide beaucoup Israël. Ce n’est pas seulement une mauvaise conscience, c’est aussi un certain contexte islamophobe qui complète la politique israélienne.

      Diriez-vous que dans le sentiment de la rue, l’islamophobie a pris la place de l’antisémitisme, l’homme ayant par nature besoin d’un bouc émissaire ?

      Je crois que par certains aspects, l’islamophobie remplace la judéophobie sur la place publique européenne. Je pense que la judéophobie a aidé à souder des nations en Europe à partir de 1850. Exactement, comme la fonction politique de l’islamophobie aide à souder la conscience de ce qu’on appelle aujourd’hui la civilisation judéochrétienne. Dans mon livre « Comment fut inventé le peuple juif », je commence en racontant que ma tante qui a été emmenée à Auschwitz ne savait pas qu’un jour l’Europe se définirait comme une civilisation judéo-chrétienne.

      Le vent n’est-il pas en train de tourner ? Les Européens n’en ont-ils pas assez d’être traités d’antisémites lorsqu’ils critiquent la politique d’Israël ?

      Depuis que les Palestiniens ont reconnu l’existence et les droits de l’Etat d’Israël, il y a chez les Européens de temps en temps l’expression d’un certain malaise. Pas assez. J’ai perdu l’espoir qu’on puisse changer le débat en Israël. Il faut aller plus loin que de se dire que « critiquer Israël ne conduit pas à l’antisémitisme ». Il faut séparer complètement l’Etat d’Israël du nom « juif », car je ne crois pas qu’Israël soit un Etat juif. Les sionistes à la base étaient antijuifs par tempérament, par politique. Je ne mets pas en question le droit d’Israël d’exister, mais je souhaite une pression nette et claire pour qu’Israël se retire des territoires occupés. Même si c’est trop tard. Je vis dans un lieu extrêmement dangereux au plan de la politique identitaire. Israël se place à l’extrême droite quant à la sensibilité politique, mais aussi en ce qui concerne la géopolitique. C’est Israël qui amène aujourd’hui la guerre froide contre l’Iran en souhaitant qu’il y aura une guerre totale au Proche-Orient. Je suis très inquiet.

      Propos recueillis par Pascal Martin

      *********************************************

      « L’invention de la patrie juive est chrétienne » 04-10-2012
      (…)

      Quelles motivations vous ont conduit à écrire ce livre ?

      Après la publication de mon précédent ouvrage, Comment le peuple juif fut inventé ?, on m’a accusé, en décomposant la conception essentialiste du judaïsme, de vouloir détacher les juifs de la Terre sainte. J’ai ressenti le besoin d’écrire un deuxième volume pour interroger ce lien sur lequel finalement peu de recherches ont été entreprises. J’ai constaté que l’affinité religieuse des juifs avec Jérusalem était assimilée à un droit historique sur la Terre sainte, 2 000 ans après. Cette conception vient surtout d’une tradition de droite conservatrice. Par exemple dans le cas de l’Alsace-Moselle, l’Allemagne la revendiquait au nom d’un droit historique parce qu’elle faisait partie du IIe Reich contrairement à la France qui insistait sur le droit démocratique de la population à choisir sa destinée. Exemple plus récent : le droit historique invoqué par la Serbie sur le Kosovo. Les chrétiens de dialecte serbe étaient effectivement majoritaires sur ce territoire mais il y a 200 ans !

      À suivre cette logique on transformerait le monde en asile de fous : pourquoi dans ce cas ne pas chasser blancs et noirs d’Amérique, terre historique des indiens…

      Comment le concept de « patrie juive » a-t-il émergé ?

      Je montre dans mon livre qu’à l’origine la patrie juive n’existe pas. Le Talmud décrit, avec l’arrivée du messie, le rassemblement des juifs et de leurs morts à Jérusalem mais il s’agit d’une approche métaphysique qui n’a rien de politique.

      L’invention de la patrie juive est en réalité chrétienne. Elle se constitue en plusieurs étapes. La première – au XVIIe siècle – est l’œuvre de puritains anglais. Lors de la rupture du Royaume d’Angleterre avec Rome et de la fondation de l’anglicanisme, ils sont à la recherche d’un modèle d’identité collective qui se différencie du christianisme universel. Nous sommes avant les Lumières et ces élites puritaines refusent les modèles grecs ou romains parce qu’ils sont de nature païenne. Leur construction proto-nationaliste se fonde alors sur le modèle du peuple hébreu, à la fois référence biblique et modèle d’une collectivité à part. Au XIXe siècle, les évangélistes, très actifs en Angleterre, jettent les bases _ d’un sionisme chrétien, condition du retour de Jésus Christ et du triomphe de Dieu à l’issue de l’apocalypse. Cette conviction religieuse se prolonge aujourd’hui parmi les 60 millions d’évangélistes que comptent les États-Unis et dont les pressions expliquent pour partie le soutien américain inconditionnel à Israël. C’est en contact avec ces mythes, cet imaginaire biblique et le nationalisme occidental que le sionisme dans sa forme contemporaine a pris corps. Pour schématiser, les sionistes ont dit « nous sommes laïcs mais Dieu nous a quand même donné cette terre. »

      Comment voyez-vous au regard de ces recherches une issue au conflit israélo-palestinien ?

      D’abord je veux souligner un paradoxe : au regard de ce mythe territorial, c’est Jérusalem arabe et la Cisjordanie qui devraient être au centre de l’État d’Israël. Mais c’est au contraire la côte méditerranéenne avec Tel-Aviv qui l’est. Cet état de fait découle historiquement du refus de la gauche socialisante sioniste de la construction de tout État binational. Je suis personnellement favorable au retrait de tous les territoires occupés et au principe « une république pour une société ». Une république israélienne dans les frontières de 67 et une république palestinienne qui pourraient travailler à une confédération. Je m’oppose au concept d’État juif. La société israélienne est composée à 20% d’arabes qui en font partie intégrante. Qualifier Israël de manière éthno-religieuse reviendrait à parler de la France comme d’un État gallo-catholique.

      Vos écrits vous valent des menaces de la part d’intégristes, les dernières en date concernant votre conférence à Marseille. Comment le vivez-vous ?

      En Israël, j’ai récemment reçu de la poudre, parfois j’ai peur à Jérusalem. Jamais à Tel Aviv. Je dois dire qu’à Marseille ces gens sont particulièrement culottés. Je vis là bas, eux ici, ils ne veulent pas vivre avec moi mais se permette de qualifier mon ouvrage, publié chez Flammarion, d’antisémite ! Je suis bouche bée devant une telle absurdité.

      (…)

      Entretien réalisé par Léo Purguette

      Pierre Stambul

      Histoire non dite 12/01/2013

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