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Contre les envahisseurs et l’oppression. Les chants de résistance des Algériens

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  • Contre les envahisseurs et l’oppression. Les chants de résistance des Algériens

    L’histoire de l’Algérie est celle d’un pays qui a connu plusieurs envahisseurs qui ont tous été expulsés. Ce ne fut pas simple et chaque région de ce vaste pays, un peu comme la surface de l’Europe, a lutté pour la liberté et l’indépendance. C’est de notre point de vue un hommage à rendre à l’Algérienne et à l’Algérien d’avoir chacun à sa façon lutté avec les armes, avec l’esprit, avec ses dispositions physiques, avec ses affinités artistiques ou sportives.
    Dans cette contribution, nous voulons mettre l’accent sur la poésie et le chant qui ont accompagné les heurs et les malheurs de l’Algérie.

    En règle générale, les poèmes et les chants étaient des hymnes à la liberté en décrivant la douleur des vaincus, mais on trouve, pourquoi ne pas le dire et ceci sans porter de jugements de valeur des aèdes, des troubadours pour chanter les exploits des envahisseurs. On sait que l’armée d’invasion ira jusqu’à susciter et encourager ce type de chants tout à sa gloire.

    Parmi les chants qu’il m’a été donnée de consulter le plus ancien, à ma connaissance est celui dit-on de la Johannide un poème de Corripus mazigh ? faisant l’éloge du général byzantin Jean Troglita Cela se passait vers 550 Né dans la province d’Afrique, Corippe exerçait probablement le métier d’enseignant si l’on en croit l’adjectif « grammaticus ou de de poète itinérant 1. En 549, il récita devant les notables de Carthage son poème épique, la Johannide.

    Pour la période précédant l’invasion coloniale de 1830 , et décrivant la période ottomane, Venture de Paradis en 1894 rapporte un chant algérien du XVIIIe siècle, composé à l’occasion du bombardement d’Alger par les Danois en juillet 1770. Il immortalise la gloire des Algériens face aux Danois. Les vers composant ce chant chantent la victoire de l’armée du sultan face aux ennemis, aux chrétiens et aux infidèles.

    Nous trouvons aussi beaucoup de chants bédouins notamment ceux chantant la beauté féminine ( le très beau poème et chant de Hayzia chanté notamment parAbdelhamide Ababsa ) et celle de la vie bédouine ( un très beau poème de l’émir Abdelkader ) avec un chanteur de talent Khelifi Ahmed avec le fameux chant ( kalbi tfakar ‘arban rahala, mon cœur se souvient des Arabes se déplaçant dans le ésert avec leurs tentes)

    Nous allons dans ce qui suit « zoomer » surtout sur les chants de tristesses, de privations et par-dessus tout des suites des conséquences d’une colonisation du sabre et du goupillon.

    Quacidate de Salah bey : « Galou el arab galou » « les arabes ont dit ».

    L’une des qacidas qui raconte en creux la période ottomane et les révolutions du palais qui se terminent mal pour ceux qui présument de leur force est la fameuse qacida dédiée à Salah Bey ottoman aimé de ses sujets constantinois et qui eut un destin tragique

    « Voilà un bey, écrit lle docteur Boudjemaa Haichour tant aimé par sa communauté puis haï ou trahi par les siens. Il s’agit de Salah Bey Ben Mostefa né à Smyrne en 1771 et mort à Constantine le lundi 20 août 1792 (Moharem 1207). Au-delà de ce chef-d’œuvre de la poésie populaire, jamais une aussi belle pièce du terroir n’a pu envoûter les mélomanes et les hommes politiques que celle de la qaçida Galou el Arab Galou, chanté dans le répertoire de l’école de Constantine dans le mode mahzoun zeidane, en fait une oraison funèbre (marthia) écrite en hommage à celui qui fut Bey de Constantine durant 22 ans, soit le plus long règne des beys qui se sont succédé dans le Beylicat de l’Est . La chanson de Galou el arab galou est liée comme tant d’autres qaçidate locales à des événements vécus par la population l’oraison funèbre dédiée à Salah Bey et dont les meilleurs interprètes sont El Hadj Mohamed-Tahar Fergani Raymond Leyris » (1)

    « Galou El Arab Galou Lanaâti Salah wala malou
    Saqma taqtalou Wa eytihou el arkab ala el argab
    Hamlatni ya raqiq an nab Rouhou al darou ya zayara

    « Les Arabes ont dit
    Nous ne livrerons ni Salah ni ses biens Nous nous livrons à une bataille pour sa cause
    Même si nous voyons s’accumuler des têtes et des cadavres. Tu m’as délaissé, ô toi sans parole. Allez chez lui ô visiteurs !

    « Gal al arbi gal Sidi salah bey ach houa yaqtal
    Midhi min allah jaât allah yahram man kan hadhara Rouhou al darou ya zayara

    « L’Arabe a dit: Pourquoi on l’a tué C’est donc sa destinée

    Puisse Dieu procurer miséricorde à tous les présents Allez chez lui ô visiteurs. » (…)

    « Ya hamouda ya oulidi at’hala feddar Matloumouche allia Ya kbadi addat babana
    Law arfat hakda yadjrali Manasqoun el bouldane Nabni kheima ala awladi Wa anâchar el Arbane Youma fin houa Baba Rayah wala harban

    « O Hamouda mon fils Prends soin de la famille Ne m’en voulez pas O mes enfants.
    C’est la coutume de notre père Si je savais que cela aller m’arriverer
    Je n’aurais fréquenté les villes J’aurais planté une tente à mes fils Et j’aurais vécu parmi les ruraux Maman ! ou est passé mon père ? Est-il partant ou en fuite ? »

    « Hamouda ya wlidi Danag Maâ Diwan
    Hain Ataoulou Tasbih Waâtaoulou lamam
    Galou lou lat Khaf Ya Salah hadha Amr esoltane »

    « O Hamouda mon fils Prends soin du cabinet. Après lui avoir formulé un rosaire
    Et lui donner assurance et réconfort. On lui a dit : O Salah n’aie crainte C’est un ordre du Sultan « (1)

    « La Qaçida de Galou el arab Galou se termine poursuit l’auteur, par un khlas intitulé Alkhaoua Ya Alkhaoua. c’est ainsi que prend fin le règne de Salah Bey. Il est enterré au fond de Sidi El Katani dont les autorités de la wilaya ont commencé depuis quelques mois la restauration. La date de sa mort est inscrite sur une plaque de marbre portant le mois de Moharem 1207.

    « Je ne saurais conclut le docteur Haichour terminer cette étude sans rappeler l’inscription portée sur le fronton de la mosquée Sidi Lakhdar dont voici la traduction d’A. Cherbonneau : « Les splendeurs du bon augure sont descendues des sublimes régions de la félicité. Afin de consacrer une mosquée érigée pour le bien public et elles ont inondé le firmament de leur lumière. C’est le Bey de l’époque qui l’a bâtie, c’est le glorieux Salah. Ce prince si zélé pour les bonnes œuvres, et qui les amasse comme un trésor pour le jour du jugement dernier. Dieu lui réserve une place dans le paradis avec bien d’autres avantages. Si tu veux savoir ô lecteur la date du monument, prononce les mots suivants : cette mosquée est destinée au culte de Dieu. » (1190 Hégire-1776 de J.C) » (1)

    Une expression de la résistance par la résilience et le témoignage

    L’homme de lettre Abdelmadjid Khaouah décrivant la longue complainte faite de poésie et de chant pour raconter le calvaire des Algériens sous le joug colonial écrit :

    « La poésie algérienne a été longtemps une parole de l’opprimé. Si elle a du à un moment historique emprunter sa langue au colonisateur, elle s’est manifestée avant tout comme le ferment d’une identité On peut dire, sans se tromper qu’aussi loin remonte la mémoire, le Verbe a rythmé avec constance les drames et les allégresses de l’Algérie. Dans sa dimension orale, sa posture savante, tant dans les campagnes que dans les cités, la Parole poétique ne s’est point dérobée aux rendez-vous de l’histoire. Et même quand elle fut contrainte à user, ruser, se saisir et prendre possession d’un vocabulaire étranger, elle a entretenu les braises, avivé l’espoir, et récuser narguer l’oppression. Ténue, délicate ou virulente et éclatée, multiple, cette Parole est à l’image de nos tapisseries. Aux heures de l’extrême péril, il y a toujours un Meddah ou un Guwal pour prendre la parole. Depuis les temps reculés dans le Maghreb, la poésie a occupé une place centrale dans la société. Que ce soit en pays berbérophone ou dans les régions où prédomine la langue arabe les conteurs “Guwwalin” (diseurs) et les meddahs (aèdes) ont perpétué les antiques traditions et les hauts faits des tribus. Leurs œuvres allient la louange et la satire. A ce propos, Jean Amrouche indique que “le poète est celui qui a le don d’asefrou, c’est à dire de rendre clair, intelligible ce qui ne l’est pas… Ces clairvoyants et ces clairchantants ne sont ni des mages ni des prophètes. Ils vont aux champs comme les autres ou vendent leur pacotille dans les villes. Ils ne font pas métier de chanter. Ils restent dans le corps du peuple pourtant ils plongent dans son âme. De là une autre mérite : les œuvres, achevées comme des pierres taillées, restent prises dans la vie la plus quotidienne ».(2)

    « Ces œuvres poétiques poursuit l’auteur s’insèrent dans un panorama riche en traditions orales, en contes et légendes, en dictons et proverbes qui concentraient l’âme d’un peuple confronté à une succession historique d’invasions et de conquêtes et qui développèrent en lui, selon Jacques Berque “la faculté de quant à soi” qui se traduit par l’intériorité. La confrontation avec l’Autre, au travers des heurts de l’histoire laisseront non seulement “des reliefs archéologiques et sociaux mais une trace mentale indélébile” (Berque). Dans ces conditions, le poète ne pourra pas se départir d’un rôle social et civique. Il est conduit à assumer le rôle de héraut de la résistance. La conquête française de 1830 qui a ébranlé la société algérienne polarisera l’inspiration poétique » (1).

    Dans un premier temps, il s’agira d’élégies nostalgiques sur le paradis perdu, pour ensuite tendre vers le relèvement moral. Elle fut essentiellement le fait des poètes populaires. Jean Déjeux dans son essai sur La poésie algérienne de 1830 à nos jours écrit : “Les lettrés et les notables gardèrent le silence ». D’aucuns avancent qu’ils ne voulaient pas faire enregistrer par la langue classique les affronts subis et les humiliations. (…) ”La parade est donc venue des poètes populaires dans les dialectes arabes et berbères qui se firent les porte-paroles du petit peuple. Leurs sources d’inspiration proviennent du fonds ancestral arabo-musulman. Le but est de raviver la fierté et honneur gravement atteints après la conquête. Aux soirées et aux fêtes familiales, durant le Ramadhan, les poètes récitent des pièces épiques, les ghazawat, gloire de la geste arabo-musulmane. Dans les pièces, la civilisation occidentale était personnifiée par le ghoul, l’ogre. Dans les poésies élégiaques le poète exhale l’humiliation de la prise d’Alger, comme dans L’entrée des Français à Alger par le Cheikh Abdelkader » (1).

    “Repentez-vous, demandez pardon au Maître,
    Voici la fin des temps, elle nous atteint
    Elle apporte les épreuves et tous les malheurs ;
    Dorénavant plus de tranquillité”

    En fait, écrit, A. Khaouah ces poésies constituent un long chapelet de lamentations et d’exhortations au fur et à mesure de la progression de la colonisation à l’intérieur du pays et participent à susciter les foyers de rébellion et de sédition sporadiques durant tout le XIX° siècle et le début du XX°. Nostalgie de l’ancien ordre, lamentation sur les gloires passées, sur la liberté perdue face à l’intrusion par la violence d’un nouvel ordre qui impose ses innovations “impies”. Les larmes du poète se voudront une forme de résistance » (2).

    Nous allons dans ce qui suit décrire les expressions artistiques de révolte du peuple à travers trois chants qui ont été des marqueurs indélébiles de la colonisation de peuplement qui non seulement a mis en coupe réglée en clochardisant la société algérienne mais aussi en lui prenant sa sève pour en faire de la chair à canon sur tout les théâtres d’opération où l’esprit belliqueux de la France l’a amené. Ce sont surtout des complaintes qui reviennent d’une façon aimantée vers la mère aimante seule référence quand tout est perdu
    Les libertés ne se donnent pas, elles se prennent

  • #2
    Le chant du désespoir suite aux enfumades du Dahra

    Après l’invasion tragique un matin de juillet 1830, comment «oublier» de rendre hommage à toute une tribu, symbole de l’héroïsme. Les enfumades du Dahra furent l’objet d’un documentaire rehaussé par le témoignage de Hadja Zohra, arrière-petite-fille d’une survivante.Nous lisons ce témoignage poignant repris de bouche en bouche comme une chose sacrée qui devait se transmettre pour ne rien oublier devant Dieu et les hommes : « Le lendemain du crime, Mohamed Ben Mohamed inspecte les lieux à cheval et retrouve deux survivants, deux miraculés de l’enfer: un homme, Bouhraoua et Aïcha Bent M’hamed. Le sauveur se marie avec la survivante Aïcha. De cette union naissent les grands-parents de Zohra qui récitent des poèmes populaires relatant le massacre des anciens ». (3)

    Dans le même ton, la culture populaire transmise de génération en génération a permis à Guerine Abdelkader de publier un recueil de poèmes «La Brûlure – Les enfumades de la Dahra» qui raconte par le biais d’un «Goual» ou troubadour, allant de hameau en hameau, de souk en souk porter les bonnes et les mauvaises nouvelles. Ce troubadour, faisant parfois des rêves prémonitoires, dépêche sa personne chez les Ouled Riah pour leur porter la mauvaise nouvelle représentée par l’invasion de leur pays et localité par la soldatesque française, un certain 5 juillet 1830. Quelques passages du livre:

    «Que veulent-ils chez nous?

    Que vont-ils faire de nous? se demandèrent bruyamment et nerveusement les uns et les autres…»

    «Ils veulent poser des lois roumi auxquelles l’Arabe est bien soumis,

    « Ils sont en route et seront là, Pour faire l’enfer de l’au-delà.

    « Ils veulent la terre et le bétail, Et toi l’esclave qui obéit,

    Les bêtes qu’ils veulent et la volaille, Et toi, étranger dans ton pays.»

    «Nous étions mille et une personnes, Avides de paix jusqu’à l’aumône,

    « Coincées dedans les vieilles grottes, Cernées d’une force qui porte des bottes,

    Nous étions mille et un cadavres, Virés du temps d’une vie macabre,

    Brûlés vivants d’un feu banal, A l’ordre bref du général.»

    Les crimes contre l’humanité sont dit-on imprescriptibles Nous avons là encore après ceux de l’invasion un vrai crime contre l’humanité pour laquelle la justice attend d’être enfin, rendue depuis près de 170 ans On comprend dés lors, le jugement sans concession de Victor Hugo à l’endroit de ce maitre d’oeuvre de l’horreur :: «Armand Jacques dit Achille Leroy de Saint-Arnaud avait les états de service d’un chacal.» (3)

    L’écrasement de la Révolte de 1871

    Comme nous l’avons souligné les Algériennes et les Algériens meurtris sans leurs chairs ont essayé de témoigner de mémoire en mémoire d grands-mères en grands-mères pour attester de l’horreur de cette horde sauvage qui au nom du droit du plus fort est venue violenter la société algériennes pour en faire comme disait Jules Cambon un de ses gouverneurs : de l’Algérien « une poussière d’individu »

    Après l’écrasement de 1871 écrit Salem Chaker, la poésie kabyle va être marquée pendant des décennies par un pessimisme profond: le monde ancien s’écroule, les valeurs sociales ancestrales s’effondrent et l’on assiste impuissant à une totale inversion des hiérarchies morales et sociales. Les collaborateurs ont les faveurs des Français qui leur confient l’administration de leurs concitoyens… Comme l’a écrit si bien Mammeri (1968), nul mieux que le grand poète Si Mohand (v.1845-1906) n’incarne mieux cette période de désespérance. Par sa personnalité d’abord, son village originel fut rasé en 1857 lors de la campagne du maréchal Randon, sa famille subit de plein fouet la répression de 1871. Son père fut fusillé, son oncle déporté en Nouvelle Calédonie. Tous leurs biens furent saisis. Il devient poète errant menant une vie de vagabond. Il sombra dans la drogue et l’alcool. Bien qu’en rupture avec son milieu, sa poésie sera reconnue. Il est le poète des vaincus. Comme nous dit Mammeri, sa poésie est celle d’une faillite irrémédiable, de l’universel Naufrage: «Je jure que de Tizi Ouzou – jusqu’à l’Akfadou- Personne ne me dictera sa loi – Mieux vaut se briser que de plier-Mieux vaut la malédiction – Que (de vivre) là où les chefs sont des proxénètes – L’exil est inscrit sur mon front -Par Dieu nous quitterons le pays – Plutôt que d’encourir la punition divine parmi ces porcs.» (4)

    Aux origines de la chanson «El Menfi»

    Nous connaissons tous la suite de la révolte de 1871 des milliers de morts et de blessés des amendes que les tribus mettront plus de vingt ans à payer . Spoliation des meilleures terres et bannissement des chefs et de leurs familles au bagne de Nouvelle Calédonie où ils allèrent retrouvés les bannis de la Commune avec une certaine Louise Michel déportée en 1873 et qui se lia d’amitiés avec « les Arabes de Nouvelle Calédonie en enseignant, et en enseignants aux enfants de déportés (notamment des Algériens de Nouvelle-Calédonie), puis dans les écoles de filles.

    L’anthropologue Melica Ouennoughi dans un ouvrage sur la Nouvelle Calédonie a ressuscité un pan de cette douloureuse histoire à la fois sur le plan anthropologique et sur le plan agricole avec ce «marqueur» qu’est le palmier dattier. L’histoire commence par une révolte, une de plus contre les hordes coloniales. Ce qui est remarquable chez les peuples qui ne veulent pas mourir, c’est la lutte contre l’acculturation en tenant à leurs repères; la France les a dépossédés, ruinés, déportés, tondus, mais elle n’a pas pu, malgré toutes les manoeuvres, les intégrer en les désintégrant. Arrachés à leur terre natale, séparés de leurs proches, déportés par convois successifs vers les bagnes du Pacifique, les déportés devaient aussi lutter contre l’acculturation, pour ne pas perdre leur âme et leurs coutumes. Les descendants ont créé, en 1969/1970, une «Association des Arabes et des amis des Arabes» pour prendre en charge l’histoire et perpétuer la mémoire collective de leurs ancêtres. Les filles de déportés ont perpétué pieusement la mémoire: «Notre mère était une grande femme; elle était une fille rebelle aussi; elle voulait toujours nous éduquer avec la coutume algérienne. Elle maîtrisait bien la langue de son père. Il fallait toujours qu’on soit réunis. Elle nous parlait quelques mots d’arabe. Elle avait une grande admiration pour son père. Elle en était fière et c’est comme si elle avait ce rôle de transmettre la coutume des anciens: c’était une femme autoritaire», «Chacune à leur manière avait le devoir de transmettre la tradition», à travers notamment «le port du foulard berbère, les plats traditionnels, les récits et les mots à consonance arabo-berbère…» (5)

    La chanson «El Menfi» (le Déporté) interprétée magistralement par le chanteur Akli Yahyaten était chantée en Nouvelle-Calédonie au XIXe siècle par les déportés algériens, On ne peut parler justement des déportés sans citer quelques paroles douloureuses de la chanson interprétée magistralement par Akli Yahyaten – que Dieu lui prête longue vie – pour avoir su nous faire vibrer:

    «Aw ki dawni le tribunal, jadarmiya kbaar wisghaar, aa wissensla tewzen qantar, darbouni aâm wa n’haar, 3ala dakhla haffouli raas, wa aâtaouni zawra ou payas, goulou lommi matebkeesh yal menfi waldek rabbi mayy khalleesh.»

    «Quand ils m’ont amené au tribunal, les gendarmes grands et petits, m’ont mis une chaîne qui pèse un quintal, Ils m’ont condamné à un an et un jour, ils m’ont rasé la tête et m’ont donné une couverture et une paillasse. Dites à ma mère de ne pas pleurer, Dieu n’abandonnera pas ton fils»

    Cette supplique revendique deux repères: la religion et la mère. Cette mère, dernier lien ombilical qui lui reste et qu’il doit tenter de rassurer. Cette mère est en fait, notre mère, cette Algérie souffrante de voir ses meilleurs fils lui être arrachés pour l’inconnu, sans espoir de retour.»(5)

    Haj Guioum: la chanson comme instrument de guerre

    C’est une chanson avant tout satirique ! de résistance et d’humour autrement dit de politesse du désespoir Dans un entretien, le réalisateur et producteur Ali Beloud parle justement de «La résistance du peuple algérien par la poésie et la chanson». Pour le réalisateur Ali Beloud qui a remis à l’honneur deux chansons de la résistance, la première chanson est peu connue par le public, mais elle est présente et appréciée par les historiens, elle s’intitule Kif n’aâmalou (comment faire) de Hadj Guioum, du nom de Guillaume II, empereur d’Allemagne, exilé à la fin de la Grande Guerre, qui est en sorte la prémice de l’une des plus grandes catastrophes que l’humanité ait connues. C’est-à-dire, celle qui a commencé en 1914 et s’est terminée en 1945. (…) Elle a été rédigée en 1931 par un troubadour algérien qui s’appelle Houari Hanani, pratiquement inconnu du grand public qui a repris sa musique jusqu’à nos jours sans le savoir, mais sous une version raï où les paroles sont totalement détournées qui ont dénaturé la chanson révolutionnaire de ce militant nationaliste A chaque fois que ces chanteurs raï interprètent Shab El Baroud, ( Ceux qui savent faire parler la poudre) ils insultent le Mouvement national et insultent cet homme qui a passé sa vie à lutter contre le colonialisme. Dans l’esprit de Hanani, cette chanson venait à contre-courant du centenaire et non pas seulement de l’exposition coloniale de 1931. Il le dit dans la chanson. Le centenaire de l’Algérie 1830-1930, marquait pour la colonisation, le succès définitif d’une prise de territoire et l’asservissement d’un peuple, d’une manière irréversible. Cette année-là, la rue reprit sa fronde face aux manifestations insultantes des Français. Shab el Baroud de Houari Hennani vient comme une réaction géniale contre cet esprit de suffisance.» (6)
    Les libertés ne se donnent pas, elles se prennent

    Commentaire


    • #3
      «Kif naâmlou ( que pouvons nous faire ?) est une chanson tragi-comique populaire produite pour persiffler l’ennemi. Elle visait particulièrement la France coloniale. Son auteur est le peuple, anonymement et collectivement responsable d’un acte symbolique d’alliance avec l’Allemagne, contre la Triple Entente. (…) Repris par les Français, qui par tous les moyens essayèrent d’en «corrompre» les paroles, le texte résolument ironique a fermement résisté pour mettre à l’honneur, El-Hadj Guillaume, le Kaiser allemand qui s’opposa à la France et à ses alliés (…) Le texte a résisté à tous les chocs en se manifestant comme une première affirmation nationaliste, ce qui en fait un document exceptionnel.» (6)

      Dans le même ordre de cette chanson, l’historien, Joseph Desparmet, publie en 1932 une chanson, vulgarisée à Alger et aux provinces limitrophes. Desparmet analyse le rôle joué par la chanson de geste chez les «indigènes». C’est un moyen de consolation du peuple abattu par la guerre et la présence coloniale. Cette consolation se fait à travers la glorification des exploits des héros de l’Islam au temps des guerres de religion.

      «Eh! Français que t’imagines-tu? Alger n’est pas ton bien!

      L’Allemand vient qui te l’enlèvera.

      Il est fatal qu’elle redevienne ce qu’elle était jadis.

      Refrain: Aie, Aie, que faire contre lui, Hadj Guillaume, son bonheur (son étoile) monte.»

      Les chansons répandues dans l’Algérois pendant la Grande Guerre racontent sur le même air, les évènements d’actualité qui arrivent de l’autre rive de la Méditerranée, parce que les Algériens y étaient enrôlés.

      «Quand nous prîmes notre fusil et nos armes, Chacune de nos mères pleura et se lamenta, disant: Aie! Quand aurais-je quelque répit?

      Mon fils m’a laissé à l’abandon (refrain): Aie! Aie! Aie! que faire contre eux (les Allemands). Les Français voient abattre leur drapeau.»

      «Nous avons laissé nos femmes enceintes, Pour les beaux yeux du général Joffre. (Même refrain)»

      «Quand nous fûmes montés dans le train, On nous compta comme des moutons, Pendant que nos parents pleuraient sur nous.

      Mon Dieu! qu’est- ce que cette affliction? Aie, aie! aie pour ces Allemands! On nous a emmenés, Enfants et jeunes hommes, dominer toutes les nations européennes.» (7)

      En Kabylie Si Mohand ou Mohand voudrait avoir “des larmes de granit à cause de ce siècle sans pudeur”. Au début du XX° siècle, la première guerre mondiale qui voit la mobilisation des autochtones, suscite des poèmes satiriques ou des chansons au sens ambigu où l’Europe est narguée et où s’étale la misère subie. On entend à cette époque une pièce foncièrement politique contre la guerre : (2)

      “Mon seigneur Dieu
      Qu’avons-nous fait
      Mon fils et moi
      Je l’ai élevé moi-même
      Un Etat roumi me l’a pris”

      « Dès lors tout en “s’opposant à toute assimilation mécanique” (Mohamed Harbi) et après un long moment d’hésitation, de larges couches de la population ont saisi l’intérêt à se rapprocher d’une culture étrangère. “Notre peuple, écrit Bachir Hadj Ali, adopta par rapport à la langue française une attitude lucide, révolutionnaire et à la longue rentable” en l’utilisant comme “moyen d’investigation du passé, de conquête du savoir et de libération”. (…) Mais il faudra attendre 1934 pour voir la parution du premier recueil relevant d’une véritable poésie algérienne : Etoile secrète de Jean Amrouche, que l’on peut considérer comme le précurseur de la poésie algérienne de langue française. (…) Sa double filiation culturelle a été à la fois une source d’inspiration et de déchirement (…) En faisant revivre l’épopée d’un résistant à la domination romaine, il s’emploie à déchiffrer le message de l’Eternel Jugurtha dont l’un des traits de caractère est la “passion pour l’indépendance qui s’allie à un très vif sentiment de la dignité personnelle”. (2)

      “A l’homme le plus pauvre à celui qui va demi-nu sous le soleil dans le vent la pluie ou la neige à celui qui depuis sa naissance n’a jamais eu le ventre plein On ne peut cependant ôter ni son nom ni la chanson de sa langue natale. Aux Algériens on a tout pris la patrie avec le nom le langage avec les divines sentences de sagesse qui règlent la marche de l’homme” (1)

      « Pour Jean Amrouche, Il s’agit désormais d’ “habiter” un “nom” pour “ne plus errer en exil / dans le présent sans mémoire et sans avenir”. (…) La complainte(…) … est un réquisitoire contre la misère et l’indifférence de la société coloniale et bien-pensante. L’acte de naissance le plus probant de cette littérature de combat est signé par le roman visionnaire de Mohamed Dib, L’incendie, un an avant l’embrasement du 1er- novembre » (1)

      « ”Nous les ancêtres, nous vivons au passé
      « Nous la plus forte des multitudes
      « Notre nombre s’accroît sans cesse
      « Et nous attendons du renfort
      Pour peser d’un poids subtil sur la planète
      Et lui dicter nos lois”,

      écrit Kateb Yacine dans Le cadavre encerclé. (…) Mais soumise aux impératifs idéologiques, la création littéraire peut être galvaudée si elle se résout à n’être que le relais d’un discours politique. Kateb Yacine avait déjà mis en garde en 1958 sur l’impasse qui menaçait la littérature à abdiquer ses droits à la critique face à l’instance politique (…) Parole de l’urgence accablée souvent par un immédiat tragique, la poésie algérienne a reflété les enjeux de son époque et parfois anticipé sur son avenir ». (2)

      Le chant outil de mobilisation pendant la révolution

      Le chant patriotique a accompagné la Révolution et lui a donné un contenu épique. «Min Djibalina (De nos montagnes), écrit Lamine Bechichi ancien ministre, que les Scouts musulmans algériens ont exécuté le 8 Mai 1945 à Sétif, comportait entre ses lignes et ses refrains un «défi des plus audacieux au – Régiment de Sambre et Meuse – qui inspira sa musique», Le texte littéraire de ce chant a été écrit en 1931 par le poète algérien Mohamed Laïd Al Khalifa. Le chef scout Hassen Belkired avait chanté, en 1942 à Constantine,

      «Min Djibalina Talaâ Saout El Ahrar»

      « Younadina lilistiklall »

      « De nos montagnes s’est élevée la voix des hommes libres »

      « Qui nous appelle à nous battre pour l’indépendance »

      « (…) Les chants patriotiques algériens sont des poèmes, chants populaires et parfois chansons musicales qui ont été chantés, scandés par les combattants algériens et la population algérienne pendant et après la Guerre d’Algérie. Ils font aujourd’hui partie du patrimoine culturel et musical algérien. On peut diviser ces chants en trois catégories(6).
      Les poèmes, écrits par de grands poètes notamment Moufdi Zakaria, avec le très connu hymne algérien Kassaman. On peut citer aussi Messali Hadj et enfin Abdelhamid Ben Badis qui a écrit «Chaabou el Djazairi muslimoun wa ila al ûrubati yantassib». « Le peuple algérien est musulman et il est lié à l’arabité » (8)

      Citons aussi le chant algérien «A Thamourth». ( O mon pays) ; Les chansons, écrites par des chanteurs algériens pour signifier l’amour de la patrie juste après l’indépendance.» (7)

      Pendant la guerre les lycéens n’hésitaient pas aussi à chanter le chant des partisans français qui se battaient contre l’Allemagne, conçus par Maurice Druon et Joseph Kessel sur une musique d’Anna Marly

      « Ami, entends-tu le vol noir des corbeaux sur la plaine?
      Ami, entends-tu le bruit sourd du pays qu’on enchaîne?
      Ce soir l’ennemi connaîtra le prix du sang et des larmes.
      C’est nous qui brisons les barreaux des prisons, pour nos frères,
      La haine à nos trousses, et la faim qui nous pousse, la misère.
      Ami, si tu tombes, ami sort de l’ombre à ta place…. »

      Nous de pouvons conclure sans citer cet hymne à la liberté chanté en kabyle

      «Ayama a’zizen ourathrou.»

      «Ma mère qui m’est chère ne pleure pas.»

      Et cette chanson fabuleuse de Farid Ali est d’une valeur inestimable. Matoub l’a reprise et a eu un très grand succès. Parmi Les autres chansons de la Révolution citons sans être exhaustif celle de Ali Maâchi- reprise magistralement par Nouara- qui est une perle, en ce sens elle fait l’unanimité du fait qu’elle reprend des chansons spécifiques à chaque région:

      «Ya nass a mahou houbi el akbar,

      ya nass a mahou houbi el a3dham,

      law tas’alouni nafrah ou nabchar (bis),

      wen koul biladi el djazaïr»

      «O gens quel est mon plus grand amour?

      O gens quel est mon plus cher amour ?

      Si vous m’interrogez je serais content de vous annoncer la bonne nouvelle ( refrain)

      En vous disant c’est mon pays l’Algérie!»

      Ali Maâchi est né à Tiaret en 1927. Au déclenchement de la guerre de libération, les musiciens de la troupe Saffir Ettarab qu’il dirige, s’engagent dans la révolution. Ali Maâchi fut lâchement assassiné le 8 juin 1958. Il fut pendu, en même temps les pieds en pleine place publique Carnot à Tiaret.

      Nous pouvons conclure sans être exhaustif avec Slimane Azem et son beau poème

      «Ffegh ay ajrad tamurt iw»´»

      « Criquet, sors de ma terre! ».

      «Criquet, sors de ma terre! Le bien que tu y avais trouvé a été gommé à jamais».

      Après l’indépendance, chacun de nous a en tête, la chanson de El Hadj Mthamed El Anka

      « El hamdou lillah ma bqach isti’mar fi bladna »

      « Grace à Dieu le colonialisme est sorti d notre pays »

      Nous devons en définitive nous souvenir ! Je me souviens est une plaque minéralogique au Canada Nous devons nous souvenir nous aussi à chaque anniversaire de nos douleurs. En effet il n’y a pas de jours dans l’année où l’on ne commémore pas une tragédie de sang et de larmes. La lutte pour la liberté a été une constante des Algériens et des Algériennes et, de mon point de vue, il serait juste et légitime d’associer à cette indépendance dans la douleur, tous ceux qui pendant 132 ans ont lutté et souffert et ont témoigné de différentes façons dans la chanson.

      La Révolution de Novembre appartient aussi à tous ceux qui d’une façon ou d’une autre, et pas seulement par les armes, ont permis l’indépendance. Ils sont nombreux ceux qui se sont battus sans m’as-tu vu, sans rien demander en échange convaincus qu’ils ont fait leur devoir.

      Professeur Chems Eddine Chitour
      Les libertés ne se donnent pas, elles se prennent

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