L’histoire de l’Algérie est celle d’un pays qui a connu plusieurs envahisseurs qui ont tous été expulsés. Ce ne fut pas simple et chaque région de ce vaste pays, un peu comme la surface de l’Europe, a lutté pour la liberté et l’indépendance. C’est de notre point de vue un hommage à rendre à l’Algérienne et à l’Algérien d’avoir chacun à sa façon lutté avec les armes, avec l’esprit, avec ses dispositions physiques, avec ses affinités artistiques ou sportives.
Dans cette contribution, nous voulons mettre l’accent sur la poésie et le chant qui ont accompagné les heurs et les malheurs de l’Algérie.
En règle générale, les poèmes et les chants étaient des hymnes à la liberté en décrivant la douleur des vaincus, mais on trouve, pourquoi ne pas le dire et ceci sans porter de jugements de valeur des aèdes, des troubadours pour chanter les exploits des envahisseurs. On sait que l’armée d’invasion ira jusqu’à susciter et encourager ce type de chants tout à sa gloire.
Parmi les chants qu’il m’a été donnée de consulter le plus ancien, à ma connaissance est celui dit-on de la Johannide un poème de Corripus mazigh ? faisant l’éloge du général byzantin Jean Troglita Cela se passait vers 550 Né dans la province d’Afrique, Corippe exerçait probablement le métier d’enseignant si l’on en croit l’adjectif « grammaticus ou de de poète itinérant 1. En 549, il récita devant les notables de Carthage son poème épique, la Johannide.
Pour la période précédant l’invasion coloniale de 1830 , et décrivant la période ottomane, Venture de Paradis en 1894 rapporte un chant algérien du XVIIIe siècle, composé à l’occasion du bombardement d’Alger par les Danois en juillet 1770. Il immortalise la gloire des Algériens face aux Danois. Les vers composant ce chant chantent la victoire de l’armée du sultan face aux ennemis, aux chrétiens et aux infidèles.
Nous trouvons aussi beaucoup de chants bédouins notamment ceux chantant la beauté féminine ( le très beau poème et chant de Hayzia chanté notamment parAbdelhamide Ababsa ) et celle de la vie bédouine ( un très beau poème de l’émir Abdelkader ) avec un chanteur de talent Khelifi Ahmed avec le fameux chant ( kalbi tfakar ‘arban rahala, mon cœur se souvient des Arabes se déplaçant dans le ésert avec leurs tentes)
Nous allons dans ce qui suit « zoomer » surtout sur les chants de tristesses, de privations et par-dessus tout des suites des conséquences d’une colonisation du sabre et du goupillon.
Quacidate de Salah bey : « Galou el arab galou » « les arabes ont dit ».
L’une des qacidas qui raconte en creux la période ottomane et les révolutions du palais qui se terminent mal pour ceux qui présument de leur force est la fameuse qacida dédiée à Salah Bey ottoman aimé de ses sujets constantinois et qui eut un destin tragique
« Voilà un bey, écrit lle docteur Boudjemaa Haichour tant aimé par sa communauté puis haï ou trahi par les siens. Il s’agit de Salah Bey Ben Mostefa né à Smyrne en 1771 et mort à Constantine le lundi 20 août 1792 (Moharem 1207). Au-delà de ce chef-d’œuvre de la poésie populaire, jamais une aussi belle pièce du terroir n’a pu envoûter les mélomanes et les hommes politiques que celle de la qaçida Galou el Arab Galou, chanté dans le répertoire de l’école de Constantine dans le mode mahzoun zeidane, en fait une oraison funèbre (marthia) écrite en hommage à celui qui fut Bey de Constantine durant 22 ans, soit le plus long règne des beys qui se sont succédé dans le Beylicat de l’Est . La chanson de Galou el arab galou est liée comme tant d’autres qaçidate locales à des événements vécus par la population l’oraison funèbre dédiée à Salah Bey et dont les meilleurs interprètes sont El Hadj Mohamed-Tahar Fergani Raymond Leyris » (1)
« Galou El Arab Galou Lanaâti Salah wala malou
Saqma taqtalou Wa eytihou el arkab ala el argab
Hamlatni ya raqiq an nab Rouhou al darou ya zayara
« Les Arabes ont dit
Nous ne livrerons ni Salah ni ses biens Nous nous livrons à une bataille pour sa cause
Même si nous voyons s’accumuler des têtes et des cadavres. Tu m’as délaissé, ô toi sans parole. Allez chez lui ô visiteurs !
« Gal al arbi gal Sidi salah bey ach houa yaqtal
Midhi min allah jaât allah yahram man kan hadhara Rouhou al darou ya zayara
« L’Arabe a dit: Pourquoi on l’a tué C’est donc sa destinée
Puisse Dieu procurer miséricorde à tous les présents Allez chez lui ô visiteurs. » (…)
« Ya hamouda ya oulidi at’hala feddar Matloumouche allia Ya kbadi addat babana
Law arfat hakda yadjrali Manasqoun el bouldane Nabni kheima ala awladi Wa anâchar el Arbane Youma fin houa Baba Rayah wala harban
« O Hamouda mon fils Prends soin de la famille Ne m’en voulez pas O mes enfants.
C’est la coutume de notre père Si je savais que cela aller m’arriverer
Je n’aurais fréquenté les villes J’aurais planté une tente à mes fils Et j’aurais vécu parmi les ruraux Maman ! ou est passé mon père ? Est-il partant ou en fuite ? »
« Hamouda ya wlidi Danag Maâ Diwan
Hain Ataoulou Tasbih Waâtaoulou lamam
Galou lou lat Khaf Ya Salah hadha Amr esoltane »
« O Hamouda mon fils Prends soin du cabinet. Après lui avoir formulé un rosaire
Et lui donner assurance et réconfort. On lui a dit : O Salah n’aie crainte C’est un ordre du Sultan « (1)
« La Qaçida de Galou el arab Galou se termine poursuit l’auteur, par un khlas intitulé Alkhaoua Ya Alkhaoua. c’est ainsi que prend fin le règne de Salah Bey. Il est enterré au fond de Sidi El Katani dont les autorités de la wilaya ont commencé depuis quelques mois la restauration. La date de sa mort est inscrite sur une plaque de marbre portant le mois de Moharem 1207.
« Je ne saurais conclut le docteur Haichour terminer cette étude sans rappeler l’inscription portée sur le fronton de la mosquée Sidi Lakhdar dont voici la traduction d’A. Cherbonneau : « Les splendeurs du bon augure sont descendues des sublimes régions de la félicité. Afin de consacrer une mosquée érigée pour le bien public et elles ont inondé le firmament de leur lumière. C’est le Bey de l’époque qui l’a bâtie, c’est le glorieux Salah. Ce prince si zélé pour les bonnes œuvres, et qui les amasse comme un trésor pour le jour du jugement dernier. Dieu lui réserve une place dans le paradis avec bien d’autres avantages. Si tu veux savoir ô lecteur la date du monument, prononce les mots suivants : cette mosquée est destinée au culte de Dieu. » (1190 Hégire-1776 de J.C) » (1)
Une expression de la résistance par la résilience et le témoignage
L’homme de lettre Abdelmadjid Khaouah décrivant la longue complainte faite de poésie et de chant pour raconter le calvaire des Algériens sous le joug colonial écrit :
« La poésie algérienne a été longtemps une parole de l’opprimé. Si elle a du à un moment historique emprunter sa langue au colonisateur, elle s’est manifestée avant tout comme le ferment d’une identité On peut dire, sans se tromper qu’aussi loin remonte la mémoire, le Verbe a rythmé avec constance les drames et les allégresses de l’Algérie. Dans sa dimension orale, sa posture savante, tant dans les campagnes que dans les cités, la Parole poétique ne s’est point dérobée aux rendez-vous de l’histoire. Et même quand elle fut contrainte à user, ruser, se saisir et prendre possession d’un vocabulaire étranger, elle a entretenu les braises, avivé l’espoir, et récuser narguer l’oppression. Ténue, délicate ou virulente et éclatée, multiple, cette Parole est à l’image de nos tapisseries. Aux heures de l’extrême péril, il y a toujours un Meddah ou un Guwal pour prendre la parole. Depuis les temps reculés dans le Maghreb, la poésie a occupé une place centrale dans la société. Que ce soit en pays berbérophone ou dans les régions où prédomine la langue arabe les conteurs “Guwwalin” (diseurs) et les meddahs (aèdes) ont perpétué les antiques traditions et les hauts faits des tribus. Leurs œuvres allient la louange et la satire. A ce propos, Jean Amrouche indique que “le poète est celui qui a le don d’asefrou, c’est à dire de rendre clair, intelligible ce qui ne l’est pas… Ces clairvoyants et ces clairchantants ne sont ni des mages ni des prophètes. Ils vont aux champs comme les autres ou vendent leur pacotille dans les villes. Ils ne font pas métier de chanter. Ils restent dans le corps du peuple pourtant ils plongent dans son âme. De là une autre mérite : les œuvres, achevées comme des pierres taillées, restent prises dans la vie la plus quotidienne ».(2)
« Ces œuvres poétiques poursuit l’auteur s’insèrent dans un panorama riche en traditions orales, en contes et légendes, en dictons et proverbes qui concentraient l’âme d’un peuple confronté à une succession historique d’invasions et de conquêtes et qui développèrent en lui, selon Jacques Berque “la faculté de quant à soi” qui se traduit par l’intériorité. La confrontation avec l’Autre, au travers des heurts de l’histoire laisseront non seulement “des reliefs archéologiques et sociaux mais une trace mentale indélébile” (Berque). Dans ces conditions, le poète ne pourra pas se départir d’un rôle social et civique. Il est conduit à assumer le rôle de héraut de la résistance. La conquête française de 1830 qui a ébranlé la société algérienne polarisera l’inspiration poétique » (1).
Dans un premier temps, il s’agira d’élégies nostalgiques sur le paradis perdu, pour ensuite tendre vers le relèvement moral. Elle fut essentiellement le fait des poètes populaires. Jean Déjeux dans son essai sur La poésie algérienne de 1830 à nos jours écrit : “Les lettrés et les notables gardèrent le silence ». D’aucuns avancent qu’ils ne voulaient pas faire enregistrer par la langue classique les affronts subis et les humiliations. (…) ”La parade est donc venue des poètes populaires dans les dialectes arabes et berbères qui se firent les porte-paroles du petit peuple. Leurs sources d’inspiration proviennent du fonds ancestral arabo-musulman. Le but est de raviver la fierté et honneur gravement atteints après la conquête. Aux soirées et aux fêtes familiales, durant le Ramadhan, les poètes récitent des pièces épiques, les ghazawat, gloire de la geste arabo-musulmane. Dans les pièces, la civilisation occidentale était personnifiée par le ghoul, l’ogre. Dans les poésies élégiaques le poète exhale l’humiliation de la prise d’Alger, comme dans L’entrée des Français à Alger par le Cheikh Abdelkader » (1).
“Repentez-vous, demandez pardon au Maître,
Voici la fin des temps, elle nous atteint
Elle apporte les épreuves et tous les malheurs ;
Dorénavant plus de tranquillité”
En fait, écrit, A. Khaouah ces poésies constituent un long chapelet de lamentations et d’exhortations au fur et à mesure de la progression de la colonisation à l’intérieur du pays et participent à susciter les foyers de rébellion et de sédition sporadiques durant tout le XIX° siècle et le début du XX°. Nostalgie de l’ancien ordre, lamentation sur les gloires passées, sur la liberté perdue face à l’intrusion par la violence d’un nouvel ordre qui impose ses innovations “impies”. Les larmes du poète se voudront une forme de résistance » (2).
Nous allons dans ce qui suit décrire les expressions artistiques de révolte du peuple à travers trois chants qui ont été des marqueurs indélébiles de la colonisation de peuplement qui non seulement a mis en coupe réglée en clochardisant la société algérienne mais aussi en lui prenant sa sève pour en faire de la chair à canon sur tout les théâtres d’opération où l’esprit belliqueux de la France l’a amené. Ce sont surtout des complaintes qui reviennent d’une façon aimantée vers la mère aimante seule référence quand tout est perdu
Dans cette contribution, nous voulons mettre l’accent sur la poésie et le chant qui ont accompagné les heurs et les malheurs de l’Algérie.
En règle générale, les poèmes et les chants étaient des hymnes à la liberté en décrivant la douleur des vaincus, mais on trouve, pourquoi ne pas le dire et ceci sans porter de jugements de valeur des aèdes, des troubadours pour chanter les exploits des envahisseurs. On sait que l’armée d’invasion ira jusqu’à susciter et encourager ce type de chants tout à sa gloire.
Parmi les chants qu’il m’a été donnée de consulter le plus ancien, à ma connaissance est celui dit-on de la Johannide un poème de Corripus mazigh ? faisant l’éloge du général byzantin Jean Troglita Cela se passait vers 550 Né dans la province d’Afrique, Corippe exerçait probablement le métier d’enseignant si l’on en croit l’adjectif « grammaticus ou de de poète itinérant 1. En 549, il récita devant les notables de Carthage son poème épique, la Johannide.
Pour la période précédant l’invasion coloniale de 1830 , et décrivant la période ottomane, Venture de Paradis en 1894 rapporte un chant algérien du XVIIIe siècle, composé à l’occasion du bombardement d’Alger par les Danois en juillet 1770. Il immortalise la gloire des Algériens face aux Danois. Les vers composant ce chant chantent la victoire de l’armée du sultan face aux ennemis, aux chrétiens et aux infidèles.
Nous trouvons aussi beaucoup de chants bédouins notamment ceux chantant la beauté féminine ( le très beau poème et chant de Hayzia chanté notamment parAbdelhamide Ababsa ) et celle de la vie bédouine ( un très beau poème de l’émir Abdelkader ) avec un chanteur de talent Khelifi Ahmed avec le fameux chant ( kalbi tfakar ‘arban rahala, mon cœur se souvient des Arabes se déplaçant dans le ésert avec leurs tentes)
Nous allons dans ce qui suit « zoomer » surtout sur les chants de tristesses, de privations et par-dessus tout des suites des conséquences d’une colonisation du sabre et du goupillon.
Quacidate de Salah bey : « Galou el arab galou » « les arabes ont dit ».
L’une des qacidas qui raconte en creux la période ottomane et les révolutions du palais qui se terminent mal pour ceux qui présument de leur force est la fameuse qacida dédiée à Salah Bey ottoman aimé de ses sujets constantinois et qui eut un destin tragique
« Voilà un bey, écrit lle docteur Boudjemaa Haichour tant aimé par sa communauté puis haï ou trahi par les siens. Il s’agit de Salah Bey Ben Mostefa né à Smyrne en 1771 et mort à Constantine le lundi 20 août 1792 (Moharem 1207). Au-delà de ce chef-d’œuvre de la poésie populaire, jamais une aussi belle pièce du terroir n’a pu envoûter les mélomanes et les hommes politiques que celle de la qaçida Galou el Arab Galou, chanté dans le répertoire de l’école de Constantine dans le mode mahzoun zeidane, en fait une oraison funèbre (marthia) écrite en hommage à celui qui fut Bey de Constantine durant 22 ans, soit le plus long règne des beys qui se sont succédé dans le Beylicat de l’Est . La chanson de Galou el arab galou est liée comme tant d’autres qaçidate locales à des événements vécus par la population l’oraison funèbre dédiée à Salah Bey et dont les meilleurs interprètes sont El Hadj Mohamed-Tahar Fergani Raymond Leyris » (1)
« Galou El Arab Galou Lanaâti Salah wala malou
Saqma taqtalou Wa eytihou el arkab ala el argab
Hamlatni ya raqiq an nab Rouhou al darou ya zayara
« Les Arabes ont dit
Nous ne livrerons ni Salah ni ses biens Nous nous livrons à une bataille pour sa cause
Même si nous voyons s’accumuler des têtes et des cadavres. Tu m’as délaissé, ô toi sans parole. Allez chez lui ô visiteurs !
« Gal al arbi gal Sidi salah bey ach houa yaqtal
Midhi min allah jaât allah yahram man kan hadhara Rouhou al darou ya zayara
« L’Arabe a dit: Pourquoi on l’a tué C’est donc sa destinée
Puisse Dieu procurer miséricorde à tous les présents Allez chez lui ô visiteurs. » (…)
« Ya hamouda ya oulidi at’hala feddar Matloumouche allia Ya kbadi addat babana
Law arfat hakda yadjrali Manasqoun el bouldane Nabni kheima ala awladi Wa anâchar el Arbane Youma fin houa Baba Rayah wala harban
« O Hamouda mon fils Prends soin de la famille Ne m’en voulez pas O mes enfants.
C’est la coutume de notre père Si je savais que cela aller m’arriverer
Je n’aurais fréquenté les villes J’aurais planté une tente à mes fils Et j’aurais vécu parmi les ruraux Maman ! ou est passé mon père ? Est-il partant ou en fuite ? »
« Hamouda ya wlidi Danag Maâ Diwan
Hain Ataoulou Tasbih Waâtaoulou lamam
Galou lou lat Khaf Ya Salah hadha Amr esoltane »
« O Hamouda mon fils Prends soin du cabinet. Après lui avoir formulé un rosaire
Et lui donner assurance et réconfort. On lui a dit : O Salah n’aie crainte C’est un ordre du Sultan « (1)
« La Qaçida de Galou el arab Galou se termine poursuit l’auteur, par un khlas intitulé Alkhaoua Ya Alkhaoua. c’est ainsi que prend fin le règne de Salah Bey. Il est enterré au fond de Sidi El Katani dont les autorités de la wilaya ont commencé depuis quelques mois la restauration. La date de sa mort est inscrite sur une plaque de marbre portant le mois de Moharem 1207.
« Je ne saurais conclut le docteur Haichour terminer cette étude sans rappeler l’inscription portée sur le fronton de la mosquée Sidi Lakhdar dont voici la traduction d’A. Cherbonneau : « Les splendeurs du bon augure sont descendues des sublimes régions de la félicité. Afin de consacrer une mosquée érigée pour le bien public et elles ont inondé le firmament de leur lumière. C’est le Bey de l’époque qui l’a bâtie, c’est le glorieux Salah. Ce prince si zélé pour les bonnes œuvres, et qui les amasse comme un trésor pour le jour du jugement dernier. Dieu lui réserve une place dans le paradis avec bien d’autres avantages. Si tu veux savoir ô lecteur la date du monument, prononce les mots suivants : cette mosquée est destinée au culte de Dieu. » (1190 Hégire-1776 de J.C) » (1)
Une expression de la résistance par la résilience et le témoignage
L’homme de lettre Abdelmadjid Khaouah décrivant la longue complainte faite de poésie et de chant pour raconter le calvaire des Algériens sous le joug colonial écrit :
« La poésie algérienne a été longtemps une parole de l’opprimé. Si elle a du à un moment historique emprunter sa langue au colonisateur, elle s’est manifestée avant tout comme le ferment d’une identité On peut dire, sans se tromper qu’aussi loin remonte la mémoire, le Verbe a rythmé avec constance les drames et les allégresses de l’Algérie. Dans sa dimension orale, sa posture savante, tant dans les campagnes que dans les cités, la Parole poétique ne s’est point dérobée aux rendez-vous de l’histoire. Et même quand elle fut contrainte à user, ruser, se saisir et prendre possession d’un vocabulaire étranger, elle a entretenu les braises, avivé l’espoir, et récuser narguer l’oppression. Ténue, délicate ou virulente et éclatée, multiple, cette Parole est à l’image de nos tapisseries. Aux heures de l’extrême péril, il y a toujours un Meddah ou un Guwal pour prendre la parole. Depuis les temps reculés dans le Maghreb, la poésie a occupé une place centrale dans la société. Que ce soit en pays berbérophone ou dans les régions où prédomine la langue arabe les conteurs “Guwwalin” (diseurs) et les meddahs (aèdes) ont perpétué les antiques traditions et les hauts faits des tribus. Leurs œuvres allient la louange et la satire. A ce propos, Jean Amrouche indique que “le poète est celui qui a le don d’asefrou, c’est à dire de rendre clair, intelligible ce qui ne l’est pas… Ces clairvoyants et ces clairchantants ne sont ni des mages ni des prophètes. Ils vont aux champs comme les autres ou vendent leur pacotille dans les villes. Ils ne font pas métier de chanter. Ils restent dans le corps du peuple pourtant ils plongent dans son âme. De là une autre mérite : les œuvres, achevées comme des pierres taillées, restent prises dans la vie la plus quotidienne ».(2)
« Ces œuvres poétiques poursuit l’auteur s’insèrent dans un panorama riche en traditions orales, en contes et légendes, en dictons et proverbes qui concentraient l’âme d’un peuple confronté à une succession historique d’invasions et de conquêtes et qui développèrent en lui, selon Jacques Berque “la faculté de quant à soi” qui se traduit par l’intériorité. La confrontation avec l’Autre, au travers des heurts de l’histoire laisseront non seulement “des reliefs archéologiques et sociaux mais une trace mentale indélébile” (Berque). Dans ces conditions, le poète ne pourra pas se départir d’un rôle social et civique. Il est conduit à assumer le rôle de héraut de la résistance. La conquête française de 1830 qui a ébranlé la société algérienne polarisera l’inspiration poétique » (1).
Dans un premier temps, il s’agira d’élégies nostalgiques sur le paradis perdu, pour ensuite tendre vers le relèvement moral. Elle fut essentiellement le fait des poètes populaires. Jean Déjeux dans son essai sur La poésie algérienne de 1830 à nos jours écrit : “Les lettrés et les notables gardèrent le silence ». D’aucuns avancent qu’ils ne voulaient pas faire enregistrer par la langue classique les affronts subis et les humiliations. (…) ”La parade est donc venue des poètes populaires dans les dialectes arabes et berbères qui se firent les porte-paroles du petit peuple. Leurs sources d’inspiration proviennent du fonds ancestral arabo-musulman. Le but est de raviver la fierté et honneur gravement atteints après la conquête. Aux soirées et aux fêtes familiales, durant le Ramadhan, les poètes récitent des pièces épiques, les ghazawat, gloire de la geste arabo-musulmane. Dans les pièces, la civilisation occidentale était personnifiée par le ghoul, l’ogre. Dans les poésies élégiaques le poète exhale l’humiliation de la prise d’Alger, comme dans L’entrée des Français à Alger par le Cheikh Abdelkader » (1).
“Repentez-vous, demandez pardon au Maître,
Voici la fin des temps, elle nous atteint
Elle apporte les épreuves et tous les malheurs ;
Dorénavant plus de tranquillité”
En fait, écrit, A. Khaouah ces poésies constituent un long chapelet de lamentations et d’exhortations au fur et à mesure de la progression de la colonisation à l’intérieur du pays et participent à susciter les foyers de rébellion et de sédition sporadiques durant tout le XIX° siècle et le début du XX°. Nostalgie de l’ancien ordre, lamentation sur les gloires passées, sur la liberté perdue face à l’intrusion par la violence d’un nouvel ordre qui impose ses innovations “impies”. Les larmes du poète se voudront une forme de résistance » (2).
Nous allons dans ce qui suit décrire les expressions artistiques de révolte du peuple à travers trois chants qui ont été des marqueurs indélébiles de la colonisation de peuplement qui non seulement a mis en coupe réglée en clochardisant la société algérienne mais aussi en lui prenant sa sève pour en faire de la chair à canon sur tout les théâtres d’opération où l’esprit belliqueux de la France l’a amené. Ce sont surtout des complaintes qui reviennent d’une façon aimantée vers la mère aimante seule référence quand tout est perdu
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