A LA UNE / POLITIQUE / SANTÉ / Publié le 24/11/2016 . Mis à jour à 19h17 par Olivier Saint-Faustin (avec AFP)
Trop de médicaments sont "inefficaces" voire nocifs, selon les auteurs du "Guide des 4 000 médicaments utiles, inutiles ou dangereux".
Trop de médicaments sont "inefficaces" voire nocifs, selon les auteurs du "Guide des 4 000 médicaments utiles, inutiles ou dangereux". © AFP MIGUEL MEDINA
Réédité ce jeudi, un livre pointe "l'inutilité" et la "dangerosité" d'un grand nombre de médicaments. Une situation connue des médecins, qui tentent d'alerter sur les conséquences pour les patients
Lors de sa sortie en 2012, le livre des professeurs Philippe Even et Bernard Debré avait fait grand bruit. Dans le "Guide des 4 000 médicaments utiles, inutiles ou dangereux" (Cherche Midi), vendu à plus de 160 000 exemplaires et réédité ce jeudi dans une version mise à jour, les deux médecins assurent, en substance, qu'un tiers des médicaments proposés sont "inefficaces", qu'un quart sont mal tolérés et 5% potentiellement dangereux...
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Chez les praticiens, l'ouvrage est bien connu. Le docteur bordelais Bernard Plédran, trésorier adjoint et délégué régional en Aquitaine du syndicat MG, le premier chez les médecins généralistes, a lu l'édition publiée en 2012. Son sentiment à propos de l'ouvrage est mitigé. A ses yeux, le document est à la fois "la meilleure et la pire des choses".
"C'est écrit par des gens qui ne sont jamais sorti de l'hôpital, qui ne connaissent pas la vraie vie donc c'est un peu désagréable, développe-t-il. Le souci de ce livre, c'est qu'il y a beaucoup d'amalgames entre les médicaments qui sont prescrits et ceux qui ne le sont pas. Après, le livre dit beaucoup de choses qui sont vraies. Il met l'accent sur le fait que les médicaments ne sont pas des produits comme les autres, que ce ne sont pas des produits de consommation courante. Insister là-dessus, c'est une excellente idée".
La rédaction vous conseille
Troubles de l’attention : premier label à Bordeaux
L'homéopathie est de plus en plus utilisée
Un système paradoxal
Si les auteurs de l'ouvrage reconnaissent l'utilité et l'efficacité de nombreux médicaments, le professeur Even notant par exemple les "progrès réels" réalisés dans le cadre des traitements anti-cancéreux, c'est leur proportion relativement faible par rapport au nombre de produits commercialisés qui interpelle. 200 médicaments supplémentaires ont été analysés dans la nouvelle édition du "Guide des 4 000 médicaments utiles, inutiles ou dangereux". Seulement "une cinquantaine sont utiles", a assuré mercredi le professeur Even sur RTL.
En cette période d'hiver propice aux rhumes, le médecin rappelle par exemple que les médicaments en vente libre contre les congestions nasales, très courants, contiennent souvent de la pseudoéphédrine. Ils présentent donc des dangers pour la santé.
"L'exemple le plus criant, ce sont tous les médicaments contre le rhume, abonde le docteur Bernard Plédran. Tous les pharmacologues disent depuis des années qu'ils sont dangereux, qu'ils peuvent avoir des conséquences dramatiques, graves, comme des problèmes cardiaques qui peuvent aller jusqu'à la mort. Ça reste rare mais ce n'est pas anodin. Pourtant, ils continuent à être vendus librement. C'est dérangeant... Il faut savoir que ces médicaments sont passés en vente libre quand les médecins ont arrêté de les prescrire parce qu'ils étaient dangereux... C'est le paradoxe du système".
Un coût de "10 à 12 milliards" par an
Dans leur livre, les médecins citent les spécialités dans lesquelles "l'inefficacité" des médicaments est la plus importante. Ainsi, cette "inefficacité" atteint 78% dans les traitements en ORL, 62% en gastro-entérologie et 59% en pneumologie (hors cancers et infections). Aussi, 50 antitussifs sont "à retirer du marché" et "22 des 23" des mucolytiques aux noms imagés pour prétendument 'fluidifier les sécrétions bronchiques'" sont "inutiles". Même constat pour la "désensibilisation" allergique, qualifiée de "nulle".
"A un niveau encore plus dramatique, et bien plus coûteux pour la société, on trouve aussi les médicaments anti-Alzheimer, ajoute le docteur bordelais. On sait qu'ils sont tous inefficaces, qu'ils sont dangereux, avec une toxicité cardiaque importante, et malgré tout, ils continuent à être remboursés à 100%. Il faut arrêter !"
Le coût de cette inefficacité est loin d'être anodin pour la société. "Nous payons entre 10 et 12 milliards par an absolument pour rien", assène Philippe Even sur RTL. "Mettons cet argent pour aider les aidants, les familles, qui sont très mobilisées, complète Bernard Plédran. Mais au niveau du gouvernement, des autorités sanitaires, il y a un vrai souci de fonctionnement..."
Des lobbys "extrêmement efficaces"
Si un nombre toujours aussi important de médicaments inefficaces voire nocifs continue de sortir, c'est que les laboratoires pharmaceutiques sont particulièrement actifs en matière de lobbying, ce malgré les contrôles effectués par les autorités, notamment l'ANSM (Agence nationale de sécurité du médicament).
"En France, et au niveau international, on a un système qui est celui de l'amélioration du service médical rendu, raconte le docteur Plédran. Du niveau 1 au niveau 3, c'est efficace. Mais quand on est à 4 ou 5, on ne devrait même pas en discuter au niveau de l'Agence du médicament. Il ne faudrait pas autoriser, point barre. Quand il n'y a aucune amélioration, on devrait arrêter. Et malgré ça, l'Agence continue à délivrer des autorisations."
"Les lobbys pharmaceutiques sont d'une puissance non pas insoupçonnée, car tout le monde la connait, mais dramatique, déplore-t-il encore. Ils sont extrêmement efficaces. On sait qu'il y a un niveau de risque, certes limité, mais on se fiche qu'il y ait des dégâts collatéraux si on vend à des centaines de milliers de gens des comprimés qui permettent par exemple d'avoir le nez qui arrête de couler... C'est du marketing pur".
De la "désinformation"
Ces campagnes marketing, appliquées au domaine particulièrement sensible de la santé, ne s'arrêtent pas à la commercialisation de produits suspects, selon le Bordelais, qui évoque une vaste "désinformation".
"La pression des laboratoires et la désinformation subie par les médecins sur certains produits est forte, révèle-t-il. Je comprends qu'on puisse être perdu en tant que patient puisque moi, en tant que médecin, quand je veux vérifier une information, sa source, sa fiabilité, j'ai déjà beaucoup de mal… Alors quand les gens se soignent en cherchant des infos sur internet, cela peut être catastrophique. Sur internet, vérifier la source et sa fiabilité est vraiment difficile. N'importe qui peut écrire n'importe quoi, y compris les labos… On voit par exemple que certaines associations de patients mettent toujours en avant la dernière nouveauté... Et les laboratoires ne sont jamais loin derrière."
"Les gens comprennent"
Dans ce tableau bien noir, Bernard Plédran tient tout de même à pondérer son propos. Il insiste d'abord sur les progrès avérés réalisés grâce à la recherche, qui ont permis "une décroissance de la mortalité infantile, une amélioration de l'espérance de vie, ainsi que du confort de vie, de la maîtrise de la douleur, etc."
Concernant les médicaments inefficaces, il admet qu'ils jouent malgré tout un rôle dans le bien-être du patient, l'effet placebo étant "essentiel" dans le traitement des maladies. "Ça permet de retrouver l'énergie et le ressort que l'on a en nous, note-t-il. Dans une démarche strictement scientifique qui consisterait à dire 'je ne donne que le médicament qui a un niveau d'efficacité absolue', d'abord on enlèverait la moitié des médicaments, et au niveau de la santé des gens, je ne suis pas sûr que cela arrangerait les choses. Il ne faut pas négliger l'importance de l'effet placebo mais en même temps, il ne faut pas banaliser le médicamen
Selon le docteur, c'est par les échanges et les explications qu'ils peuvent obtenir de leur médecin que les patients adopteront les bons réflexes. "Quand on explique aux patients que c'est une démarche marketing des laboratoires, ils comprennent complètement. J'ai coutume de dire que je suis docteur, pas vétérinaire. J'ai affaire à des gens qui raisonnent, comprennent, à qui on peut expliquer les choses. Quand on dit qu'on est contre un médicament parce qu'il peut être dangereux, les gens entendent". Une chose est sûre, si personne ne les achète, les médicaments inutiles disparaîtront des pharmacies.
Trop de médicaments sont "inefficaces" voire nocifs, selon les auteurs du "Guide des 4 000 médicaments utiles, inutiles ou dangereux".
Trop de médicaments sont "inefficaces" voire nocifs, selon les auteurs du "Guide des 4 000 médicaments utiles, inutiles ou dangereux". © AFP MIGUEL MEDINA
Réédité ce jeudi, un livre pointe "l'inutilité" et la "dangerosité" d'un grand nombre de médicaments. Une situation connue des médecins, qui tentent d'alerter sur les conséquences pour les patients
Lors de sa sortie en 2012, le livre des professeurs Philippe Even et Bernard Debré avait fait grand bruit. Dans le "Guide des 4 000 médicaments utiles, inutiles ou dangereux" (Cherche Midi), vendu à plus de 160 000 exemplaires et réédité ce jeudi dans une version mise à jour, les deux médecins assurent, en substance, qu'un tiers des médicaments proposés sont "inefficaces", qu'un quart sont mal tolérés et 5% potentiellement dangereux...
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Chez les praticiens, l'ouvrage est bien connu. Le docteur bordelais Bernard Plédran, trésorier adjoint et délégué régional en Aquitaine du syndicat MG, le premier chez les médecins généralistes, a lu l'édition publiée en 2012. Son sentiment à propos de l'ouvrage est mitigé. A ses yeux, le document est à la fois "la meilleure et la pire des choses".
"C'est écrit par des gens qui ne sont jamais sorti de l'hôpital, qui ne connaissent pas la vraie vie donc c'est un peu désagréable, développe-t-il. Le souci de ce livre, c'est qu'il y a beaucoup d'amalgames entre les médicaments qui sont prescrits et ceux qui ne le sont pas. Après, le livre dit beaucoup de choses qui sont vraies. Il met l'accent sur le fait que les médicaments ne sont pas des produits comme les autres, que ce ne sont pas des produits de consommation courante. Insister là-dessus, c'est une excellente idée".
La rédaction vous conseille
Troubles de l’attention : premier label à Bordeaux
L'homéopathie est de plus en plus utilisée
Un système paradoxal
Si les auteurs de l'ouvrage reconnaissent l'utilité et l'efficacité de nombreux médicaments, le professeur Even notant par exemple les "progrès réels" réalisés dans le cadre des traitements anti-cancéreux, c'est leur proportion relativement faible par rapport au nombre de produits commercialisés qui interpelle. 200 médicaments supplémentaires ont été analysés dans la nouvelle édition du "Guide des 4 000 médicaments utiles, inutiles ou dangereux". Seulement "une cinquantaine sont utiles", a assuré mercredi le professeur Even sur RTL.
En cette période d'hiver propice aux rhumes, le médecin rappelle par exemple que les médicaments en vente libre contre les congestions nasales, très courants, contiennent souvent de la pseudoéphédrine. Ils présentent donc des dangers pour la santé.
"L'exemple le plus criant, ce sont tous les médicaments contre le rhume, abonde le docteur Bernard Plédran. Tous les pharmacologues disent depuis des années qu'ils sont dangereux, qu'ils peuvent avoir des conséquences dramatiques, graves, comme des problèmes cardiaques qui peuvent aller jusqu'à la mort. Ça reste rare mais ce n'est pas anodin. Pourtant, ils continuent à être vendus librement. C'est dérangeant... Il faut savoir que ces médicaments sont passés en vente libre quand les médecins ont arrêté de les prescrire parce qu'ils étaient dangereux... C'est le paradoxe du système".
Un coût de "10 à 12 milliards" par an
Dans leur livre, les médecins citent les spécialités dans lesquelles "l'inefficacité" des médicaments est la plus importante. Ainsi, cette "inefficacité" atteint 78% dans les traitements en ORL, 62% en gastro-entérologie et 59% en pneumologie (hors cancers et infections). Aussi, 50 antitussifs sont "à retirer du marché" et "22 des 23" des mucolytiques aux noms imagés pour prétendument 'fluidifier les sécrétions bronchiques'" sont "inutiles". Même constat pour la "désensibilisation" allergique, qualifiée de "nulle".
"A un niveau encore plus dramatique, et bien plus coûteux pour la société, on trouve aussi les médicaments anti-Alzheimer, ajoute le docteur bordelais. On sait qu'ils sont tous inefficaces, qu'ils sont dangereux, avec une toxicité cardiaque importante, et malgré tout, ils continuent à être remboursés à 100%. Il faut arrêter !"
Le coût de cette inefficacité est loin d'être anodin pour la société. "Nous payons entre 10 et 12 milliards par an absolument pour rien", assène Philippe Even sur RTL. "Mettons cet argent pour aider les aidants, les familles, qui sont très mobilisées, complète Bernard Plédran. Mais au niveau du gouvernement, des autorités sanitaires, il y a un vrai souci de fonctionnement..."
Des lobbys "extrêmement efficaces"
Si un nombre toujours aussi important de médicaments inefficaces voire nocifs continue de sortir, c'est que les laboratoires pharmaceutiques sont particulièrement actifs en matière de lobbying, ce malgré les contrôles effectués par les autorités, notamment l'ANSM (Agence nationale de sécurité du médicament).
"En France, et au niveau international, on a un système qui est celui de l'amélioration du service médical rendu, raconte le docteur Plédran. Du niveau 1 au niveau 3, c'est efficace. Mais quand on est à 4 ou 5, on ne devrait même pas en discuter au niveau de l'Agence du médicament. Il ne faudrait pas autoriser, point barre. Quand il n'y a aucune amélioration, on devrait arrêter. Et malgré ça, l'Agence continue à délivrer des autorisations."
"Les lobbys pharmaceutiques sont d'une puissance non pas insoupçonnée, car tout le monde la connait, mais dramatique, déplore-t-il encore. Ils sont extrêmement efficaces. On sait qu'il y a un niveau de risque, certes limité, mais on se fiche qu'il y ait des dégâts collatéraux si on vend à des centaines de milliers de gens des comprimés qui permettent par exemple d'avoir le nez qui arrête de couler... C'est du marketing pur".
De la "désinformation"
Ces campagnes marketing, appliquées au domaine particulièrement sensible de la santé, ne s'arrêtent pas à la commercialisation de produits suspects, selon le Bordelais, qui évoque une vaste "désinformation".
"La pression des laboratoires et la désinformation subie par les médecins sur certains produits est forte, révèle-t-il. Je comprends qu'on puisse être perdu en tant que patient puisque moi, en tant que médecin, quand je veux vérifier une information, sa source, sa fiabilité, j'ai déjà beaucoup de mal… Alors quand les gens se soignent en cherchant des infos sur internet, cela peut être catastrophique. Sur internet, vérifier la source et sa fiabilité est vraiment difficile. N'importe qui peut écrire n'importe quoi, y compris les labos… On voit par exemple que certaines associations de patients mettent toujours en avant la dernière nouveauté... Et les laboratoires ne sont jamais loin derrière."
"Les gens comprennent"
Dans ce tableau bien noir, Bernard Plédran tient tout de même à pondérer son propos. Il insiste d'abord sur les progrès avérés réalisés grâce à la recherche, qui ont permis "une décroissance de la mortalité infantile, une amélioration de l'espérance de vie, ainsi que du confort de vie, de la maîtrise de la douleur, etc."
Concernant les médicaments inefficaces, il admet qu'ils jouent malgré tout un rôle dans le bien-être du patient, l'effet placebo étant "essentiel" dans le traitement des maladies. "Ça permet de retrouver l'énergie et le ressort que l'on a en nous, note-t-il. Dans une démarche strictement scientifique qui consisterait à dire 'je ne donne que le médicament qui a un niveau d'efficacité absolue', d'abord on enlèverait la moitié des médicaments, et au niveau de la santé des gens, je ne suis pas sûr que cela arrangerait les choses. Il ne faut pas négliger l'importance de l'effet placebo mais en même temps, il ne faut pas banaliser le médicamen
Selon le docteur, c'est par les échanges et les explications qu'ils peuvent obtenir de leur médecin que les patients adopteront les bons réflexes. "Quand on explique aux patients que c'est une démarche marketing des laboratoires, ils comprennent complètement. J'ai coutume de dire que je suis docteur, pas vétérinaire. J'ai affaire à des gens qui raisonnent, comprennent, à qui on peut expliquer les choses. Quand on dit qu'on est contre un médicament parce qu'il peut être dangereux, les gens entendent". Une chose est sûre, si personne ne les achète, les médicaments inutiles disparaîtront des pharmacies.
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