Annonce

Réduire
Aucune annonce.

Frère Adrien Candiard : en quête du "vrai visage de l'islam

Réduire
X
 
  • Filtre
  • Heure
  • Afficher
Tout nettoyer
nouveaux messages

  • Frère Adrien Candiard : en quête du "vrai visage de l'islam

    Arabisant, dominicain, cet ex-normalien a publié un livre intitulé "Comprendre l'islam, ou plutôt : pourquoi on n'y comprend rien". Il vaut vraiment le détour.

    Stimulant, érudit sans être abscons, salubre, voire salutaire, le livre du frère Adrien Candiard ouvre des espaces rarement explorés. Le titre déjà sonne comme un pied de nez aux petits précis et autre Islam pour les nuls qui pullulent en libraire. Car, comme il y avait des « Kremlinologues » qui tentaient de percer l'opacité soviétique, désormais beaucoup s'improvisent « islamologues », avec le même sens erratique du décryptage. Adrien Candiard n'a pas cette prétention. Seulement l'humilité de poser les bonnes questions.

    Alors que la question de l'islam, et son pendant politique l'islamisme hantent et obsèdent l'Occident, ce livre, tiré d'une conférence donnée à la basilique Sainte-Clotilde, le 19 novembre 2015, soit quelques jours après les attentats de Paris, n'a pas la prétention d'y apporter une réponse totale et figée. Au contraire. Tout y est fluide et sans volonté d'enfermer dans des définitions rigides et réductrices. Les réponses esquissées soulèvent alors d'autres questions, dans une arborescence en déploiement constant.

    Faut-il avoir peur de l'islam ?

    Avec une ironie légère, Adrien Candiard s'amuse de la question gravement posée à longueur de colonnes ou de dîners en ville : faut-il avoir peur de l'islam? Les réponses doctes données alors, les versets qui prônent la tolérance tout autant que ceux qui incitent à la violence n'aidant pas à une meilleure compréhension de cette religion.

    Adrien Candiard pointe un paradoxe : celui de « l'omniprésence de l'islam dans le débat public : plus on l'explique, moins on le comprend ». Puis une erreur, ou une naïveté : croire que l'islam n'a rien à voir avec « nous ». Or, « cette fois, il s'agit de nous. Le nous d'une société dont l'islam est désormais la deuxième religion, mais qui ne sait pas encore si elle y est vraiment légitime ».

    Demeure la question : « Pourquoi peut-on dire sur l'islam tant de choses contradictoires et apparemment infondées ? »

    À la recherche de l'islam introuvable

    Si Adrien Candiard appartient à l'ordre dominicain, cela n'empêche pas qu'il pose volontairement le problème d'une façon qui n'a rien à envier à la casuistique jésuitique : selon lui « deux erreurs courantes empêchent de comprendre quoi que ce soit à l'islam. La première, c'est de croire que l'islam existe, la seconde, de croire qu'il n'existe pas. »

    Pas simple, d'emblée. Mais ce que veut dire par là l'auteur est qu'il ne faut pas croire que les musulmans ne sont que des musulmans et que seule leur identité religieuse prévaut en eux. Ce serait ignorer, comme chez tout être humain, les autres facteurs et déterminismes sociaux, psychologiques, de genre, culturels aussi.
    Renoncer à croire que l'islam existe, pour l'auteur, c'est alors aborder « l'extrême diversité des manières de vivre » cette religion. Faire un choix dans ces manières de vivre reviendrait selon lui « à essentialiser l'islam », à le figer dans « une essence éternelle et stable ».

    Islam et islams

    Par exemple, en France, l'islam est souvent ramené aux seuls pays arabes et à ses soubresauts alors que le plus grand pays musulman est l'Indonésie, que le Sénégal est insensible aux sirènes de Daech et que l'Inde compte plus de musulmans que tout le Proche-Orient ne compte d'habitants. Des données objectives qui décentrent l'islam de la seule problématique de la géopolitique arabe.

    Autre caractéristique de ces « islams », sa diversité théologique. Évidemment, on songe d'emblée à la grande division entre sunnites et chiites. Pourtant, beaucoup ignorent qu'une troisième branche, le kharidjisme, s'y ajoute. Et même ces blocs de foi ne sont en rien homogènes. Le chiisme offre ainsi les visages multiples des duodécimains iraniens, des ismaélites indiens, alaouites ou alevis.

    Le sunnisme n'échappe pas à ce multiple dans l'un, même si le wahhabisme a tenté d'imposer sa seule doctrine. Car quoi de commun avec cette branche somme toute issue de la seule Arabie saoudite et les puissantes confréries soufies sénégalaises ?

    Djihad et charia

    Même le mot « djihad » suppose des acceptions différentes, même si désormais il renvoie à un imaginaire sanglant. Effectivement un salafiste de Daech y voit une injonction sanglante, mais un juriste classique énoncera qu'il s'agit là « d'une obligation collective » quand un soufi soufflera que le djihad est une ascèse personnelle, une lutte contre soi seulement.

    Autre mot ambigu, la charia, qui ramène à un imaginaire horrifique de mains coupées et de femmes lapidées. Pourtant, en arabe, ce terme renvoie simplement à la volonté de Dieu, à ses commandements. Or, demander à un musulman s'il est pour ou contre l'application de la charia, c'est poser une question faussement simple : « C'est l'obliger à répondre par la positive, mais sur un malentendu : il est bien sûr, favorable à la volonté de Dieu. Faut-il en conclure qu'il souhaite couper la main des voleurs ? Rien n'est moins sûr », note l'auteur avec justesse.

    Au final, ce qui unit les musulmans tient en un credo simple : l'unicité de Dieu, que Mohammed est son prophète. La chahada en somme, ou profession de foi.

    Où l'on apprend que l'islam existe pourtant

    Le raisonnement d'Adrien Candiard, simple et didactique, interroge ensuite l'hypothèse d'une existence effective de l'islam.

    Il pose ainsi de façon faussement ingénue : « De quoi l'islam est-il le nom ? » Deux écueils sont alors à éviter : toutes les questions actuelles liées à l'islam ne se résument pas au seul effet « de la misère sociale, des politiques néo-impérialistes de l'Occident, du passé colonial, de tout ce qu'on voudra », sans que ce soit lié à l'islam. Éviter ainsi le matérialisme historique, comme si la religion ne constituait pas aussi « un moteur historique réel » au lieu d'être ramené à un simple symptôme social.

    Mais cette position est tout aussi absurde que de vouloir tout expliquer par le seul islam et son pendant politique, l'islamisme. Ce dernier est d'ailleurs devenu un vaste fourre-tout médiatique où l'on range, selon l'auteur « tout ce qui nous paraît inacceptable dans l'islam », soulignant avec propos qu'on construit ainsi « un grand méchant loup islamiste, dont le seul défaut est de ne correspondre à rien de réel, sinon à nos propres refus et angoisses ».

    Car en arabe, le concept d'islamisme ne renvoie à rien de plus précis qu'à l'islam lui-même, note-t-il. Et qu'il est l'un des visages que prend l'islam actuellement. Or de quel droit quelqu'un d'extérieur pourrait-il s'arroger le droit de fixer la frontière entre islam et islamisme ? Verbatim encore à Adrien Candiard qui pose avec force qu' « il n'appartient pas à des observateurs étrangers de décider que ce visage [de l'islamisme], dans lequel se reconnaissent aussi des musulmans sincères, n'a rien à voir avec l'islam parce qu'il ne nous plaît pas ».

    Lire le Coran, oui, mais comment ?

    Pour « comprendre » les « islams », pourquoi ne pas revenir à sa source, le Coran, pour enfin saisir l'objectivité de cette religion insaisissable ? Pas si simple, répond Adrien Candiard. Car le Coran est un texte, selon lui, « à peu près incompréhensible ». Si certains passages sont clairs, d'autres le sont beaucoup moins en raison du sens même des mots arabes du texte dont le sens est « absolument conjecturel ». Mais attention, cela ne signifie pas qu'on puisse absolument tout faire dire à ce texte. Car il « ne parle pas seul » et appelle à une exégèse.

    Or pour l'auteur, « ce qui fera l'unité de la lecture (…), c'est l'interprétation ». Et il constate que si l'islam a proposé dans l'histoire diverses interprétations, personne ne peut prétendre définir « la plus juste. Sauf à être musulman et à prendre parti. » Ce qu'Adrien Candiard se garde bien de faire précisément.

    Plus encore, il appelle à comprendre la spécificité du Coran pour les musulmans. Pour eux, il n'est pas, comme la Bible, un texte révélé, porté par des auteurs dont la sensibilité transparaît à travers les écrits. Pour les chrétiens, le mot ne compte pas, seul son sens importe. Ce qui explique que les Évangiles aient été écrits en grec, qui n'est pas une langue sacrée, mais la langue de la communication à l'époque des Apôtres.

    Le Coran est porteur d'une autre dimension symbolique. Comme le résume joliment Adrien Candiard, « les chrétiens lisent la Bible comme de la prose, les musulmans lisent le Coran comme de la poésie ». Il est la Parole même de Dieu, « sans auteur humain ». Dès lors « comment peut-on supporter que cette Parole soit ambiguë » ?

    Une crise interne à l'islam

    Alors à quelle conclusion arrive ce frère dominicain qui aura su nous mener jusqu'alors dans les méandres des débats théologiques, dans la jungle touffue des hadiths (ou propos rapportés de Mohamed) et des différentes écoles juridiques de l'islam ?

    À cette simple et pourtant effective conclusion : d'abord que l'islam est une diversité qui aspire à l'unité. Ensuite que la crise de l'islam est d'abord une crise interne. « L'opposition entre chiites et sunnites chauffée à blanc ; et se fait jour, au sein même du sunnisme, une guerre très dure pour la définition de l'orthodoxie. » L'islam connaît donc une crise de modèle.

    La première opposition se cristallise à travers la rivalité Iran-Arabie saoudite. Comme au temps de la guerre froide où les affrontements entre les deux empires se faisaient indirectement sur les sols d'autres pays, la rivalité arabo-perse se fait principalement à travers le Yémen et la Syrie, et relativement le Liban.

    À y regarder de plus près, même la création puis l'expansion de Daech pourraient s'expliquer par ce prisme, le succès de cette organisation en Irak tenant au sentiment de marginalisation des sunnites du Nord face à un État contrôlé par les chiites.

    Mais cette opposition ravive aussi, par contrecoup, un autre conflit, interne au monde sunnite, celui-là. Pour l'expliquer, Adrien Candiard met en garde : pour le comprendre, il nous faut abandonner un schéma explicatif hérité des Lumières qui pose, de façon irréfragable, que la tradition est forcément rétrograde et que la modernité est « ouverte et rationnelle ».

    L'opposition de deux forces

    Car deux forces aspirent, au sein de l'islam sunnite, à définir seules l'orthodoxie. La première est l'islam traditionnel sunnite ou islam impérial, c'est-à-dire élaboré au sein des empires arabe et ottoman. Cet islam avait fourni à ces empires tout à la fois de structure législative, religieuse et spirituelle.

    La seconde est le salafisme, de l'arabe salaf, qui désigne les pieux anciens, les trois premières générations de musulmans « formés par l'exemple ou le souvenir encore frais » du prophète Mohamed. Pourtant, selon Adrien Candiard, « le salafisme n'est pas un mouvement traditionnel. C'est même le contraire : il refuse l'islam traditionnel, il refuse la tradition (…) au nom d'un rapport direct à l'origine ». En cela, il n'est pas forcément non plus un mouvement conservateur puisqu'il cherche précisément à dynamiter le passé. Or, comme le note avec ironie l'auteur, « l'avantage avec les arrière-arrière-arrière-arrière-grands-parents est qu'on ne les a pas connus ». Le passé est donc fantasmé, voire fantasmagorique. Le salafisme rêve de « musulmans chimiquement purs » sans le poids de l'histoire, de la culture, de l'environnement. Des musulmans hors-sol en somme.

    Si le djihadisme contemporain vient en effet toujours du salafisme, cela ne signifie pas forcément que tous les salafistes sont terroristes. La majorité est pacifique, quiétiste. Mais pour Adrien Candiard, il n'en demeure pas moins que « guerrier ou non, le salafisme crée les conditions intellectuelles et spirituelles de la violence ». La matrice idéologique en somme.

    L'imitation du passé n'est pas le passé

    Mais ce salafisme n'est en rien l'islam des origines puisqu'il ne fait qu'imiter. Or « l'imitation du passé n'est pas le passé ». Est-il pour autant la vérité de l'islam ? « Certainement pas », répond avec force le frère dominicain qui souligne que ceux qui le pensent ne font au final que reprendre les thèses salafistes et leur donner ainsi du poids.

    Et de conclure, dans un credo qui se déploie avec talent tout au long du livre : « Notre devoir est de résister à ces thèses. Nous n'avons pas à choisir quel est le vrai visage de l'islam, mais continuer à tenir qu'il y en a plusieurs, pas parce que cela nous fait plaisir, mais parce que cela est vrai. »


    Le Point fr

  • #2
    Très intéressant . MERCI, cher Haddou;
    Lorsque le Pélican, lassé d'un long voyage , .....

    (Alfred de Musset )

    Commentaire

    Chargement...
    X