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Référendum : l'Italie plonge dans l'inconnu

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  • Référendum : l'Italie plonge dans l'inconnu

    Matteo Renzi, le président du Conseil italien, convoque le 4 décembre un scrutin pour modifier la Constitution. La réforme de trop, dans un pays divisé entre le Nord et le Sud? Reportage.

    Milan - Le poumon économique qui soutient Renzi du bout des lèvres
    Les appels se succèdent, environ mille par jour, avec autant de coordonnées gribouillées sur des listes sans fin. Au mur, un calendrier égrène les jours restants avant le référendum fatidique du 4 décembre : celui où les Italiens choisiront ou non de modifier leur Constitution afin, selon les promoteurs du scrutin, de simplifier le processus législatif et d'apporter davantage de stabilité politique au pays. Pour la dizaine de bénévoles milanais du Parti démocrate (**, centre gauche), mobilisés ce mardi midi à la "maison du oui", les consignes sont claires. "Il faut convaincre 150 indécis par jour, détaille Stefano Angelinis, étudiant de 24 ans. Et surtout, ne parler que de la réforme constitutionnelle. Quand nos interlocuteurs critiquent les autres mesures du gouvernement ou demandent le départ de Matteo Renzi, on recentre."

    Vendre la mère des réformes en évitant le bilan de leur patron pour ne pas "personnaliser le référendum" : voilà la difficile mission des militants du parti. Le travail accompli par Matteo Renzi depuis son arrivée au pouvoir, en 2014, n'est pourtant pas mince : 656.000 emplois créés, dont 487.000 permanents, grâce à sa réforme flexibilisant le travail, le fameux Jobs Act ; 13,4 % de hausse de la consommation des ménages ; près de 15 milliards d'euros de recettes créées grâce à la lutte contre la corruption et l'évasion fiscale ; adoption de l'union civile pour les couples homosexuels… Mais la "renzimania" des premières semaines se retrouve aujourd'hui, deux ans après, en panne.

    À Milan, le poumon économique du pays gouverné par le centre gauche, banquiers et hommes d'affaires soutiennent le chef du gouvernement du bout des lèvres, alors que sa politique leur était principalement destinée. Championne nationale du Jobs Act avec plus de 500 contrats signés, l'entreprise d'informatique Ads Group a largement profité des incitations fiscales offertes par la loi : 8.000 € de rabais par salarié sur trois ans pour un contrat signé en 2015, 3.000 € s'il est signé en 2016. "Cette bonne mesure nous a donné la possibilité de grandir en étant flexible, justifie la DRH Patrizia Biscu. Il a fallu convaincre les salariés, au départ réticents, de monter à bord. Aujourd'hui, nous espérons garder tout le monde. Ce type de contrat responsabilise, c'est la méritocratie à l'anglo-saxonne." Mais sur son vote du 4 décembre, Patrizia botte en touche. "L'économie, ce n'est pas le président du Conseil qui la fait, tranche-t-elle. Quel que soit le résultat, cela n'affaiblirait pas les entreprises italiennes."

    Depuis plusieurs semaines, des comités se multiplient à l'instigation du ** pour soutenir le oui. Mais le non, lui aussi, s'organise, prospérant sur une avance de 5 à 10 points dans les sondages, malgré le manque de moyens. Comme ce lundi soir, dans une petite salle mal éclairée d'un palazzo qui abrite un débat improvisé. "Le meilleur argument pour voter non, c'est l'antipathie que suscite Renzi, lance l'essayiste Pierfranco Pellizzetti, proche du populiste Mouvement 5 Étoiles (M5S). Son problème, c'est la vitesse, l'action pour l'action. Il veut éliminer tous les contrôles, comme avec le Jobs Act. Il fait du blairisme avec des années de retard!" L'économiste Giorgio La Malfa, un ancien ministre de Silvio Berlusconi, brandit à son tour un article du Financial Times publié la veille, s'alarmant d'une "désintégration de l'Europe" en cas d'un non italien. La salle hétéroclite – trentenaires en costume, représentants d'un comité catholique, couples d'étudiants, seniors – s'agite, choquée qu'un journal anglo-saxon ose se mêler des affaires italiennes. "On nous dit qu'on met en danger la stabilité du pays, qu'on prépare le retour à une crise de l'euro, votez non, donnez un signal!"

    Venise - L'enclave séduite par un "leader dynamique"
    À Venise, une des seules villes, avec Milan, où le oui talonne le non dans les sondages, les cieux s'annoncent plus cléments pour le président du Conseil. Longtemps dirigée par la gauche, la Sérénissime a pourtant basculé au centre droit aux dernières municipales, après un scandale de corruption autour du dossier de la montée des eaux dans la lagune. Fondatrice d'une librairie nautique, navigatrice, Cristina Giussani n'y va pas par quatre chemins. "Renzi permet enfin de sortir le pays de l'immobilisme dans lequel il était plongé", s'enthousiasme-t-elle. Elle qui a voté communiste dans sa jeunesse apprécie ce leader dynamique, qu'elle qualifie de "démocrate-chrétien plus qu'homme de gauche". Présidente du syndicat des libraires (SIL), elle salue tout particulièrement la mise en place du "bonus culture" entré en vigueur le 1er novembre : 500 € pour chaque jeune de 18 ans à dépenser en livres, expositions, ou au cinéma. "Six cent mille jeunes vont en bénéficier… À la fin, c'est l'addition de petites aides qui fait bouger l'économie

    Ville riche du nord de l'Italie, joyau touristique avec 30 millions de visiteurs par an, Venise compte une PME pour neuf habitants. Fabricant de biscuits typiquement vénitiens, Francesco Palmisano avoue avoir une "sensibilité Ligue du Nord", mais il se reconnaît étrangement dans Renzi. Il va même voter oui au référendum. "On ne change pas une équipe qui gagne. C'est le seul homme politique qui se comporte vraiment comme un professionnel en ce moment." Avec la mise en place du Jobs Act, l'entrepreneur, qui comptait déjà 18 employés et une activité en croissance, a embauché deux personnes en contrat à durée indéterminée. Cette mesure l'a séduit, lui qui se plaint d'une pression fiscale de plus de 50 %…

    Même les étudiants hésitent à enterrer tout de suite les efforts du jeune leader florentin. À la sortie de l'université Ca'Foscari, située à deux pas du Grand Canal, Matteo, 21 ans, étudiant en langues orientales, a voté pour lui aux législatives de 2013. Mais il reste indécis pour le référendum de dimanche. Il perçoit le passage de 315 à 100 sénateurs, élus non plus par le peuple mais par les conseillers régionaux ou désignés par le président de la République, comme un recul démocratique dans un pays qui a connu le fascisme. "Mais à la fin, qui va voter sur le fond de la réforme? lui demande son ami Giacomo. C'est une bataille entre ceux qui veulent faire tomber Renzi et les autres, c'est tout!"

    Naples - Le "non social" et la colère du Sud
    Depuis un pont s'élançant vers la mer, le regard dans le vide, ils scrutent la côte, celle des illusions perdues, où une demi-douzaine d'usines rouillent depuis des années, où des promoteurs immobiliers ont privatisé les plages, où la Camorra veille toujours, sur tout. "Faire tomber Renzi?" Fabio d'Auria et Ettore Scamarcia, chômeurs napolitains, en rêvent. Dans leur quartier ouvrier de Bagnoli où le chômage culmine à 60 %, le président du Conseil, justement, a terminé sa dernière visite, en avril, au milieu d'échauffourées. "Il a dit que le développement de l'Italie partirait d'ici, ruminent-ils. C'est une blague!"

    Le référendum leur permet de se rassembler pour crier un peu plus fort leur colère. "Non" à l'attentisme autour de leur ville dévorée par l'amiante, "non" à la mauvaise gestion des fonds publics. "Renzi a alloué une somme de 500.000 € pour dépolluer mais il s'est contenté de mettre des bâches blanches par terre… Les différents clans de la Camorra s'organisent pour prendre les concessions au bord de l'eau. Non seulement il n'a rien fait, mais il profite de ce système. C'est comme avec Forza Italia du temps de Berlusconi. Rien n'a changé." "Non" à l'achat de votes, aussi, comme l'illustre le scandale autour du gouverneur démocrate (**) de la région Campanie, Vincenzo De Luca, qui aurait fait pression sur 300 élus locaux en leur demandant, selon La Repubblica de jeudi, de "distribuer des cadeaux aux électeurs pour favoriser le oui"…

    Gouvernée par un maire frondeur de gauche, farouche adversaire de Renzi, Naples bouillonne contre le gouvernement. Les sit-in ont envahi la ville, les rues sont tapissées d'affiches : "Le peuple dit non." Devant l'hôpital San Gennaro, dans le quartier Sanità, Fabio et Ettore rejoignent une manifestation improvisée pour demander la réouverture de l'établissement, fermé depuis sept ans mais autogéré par des soignants au chômage ou retraités. "Pas de travail pour nos jeunes, pas de santé, je vote non, clame Felicettà Parisi, pédiatre à la retraite. Plutôt que de réformer la Constitution, il faudrait déjà l'appliquer et garantir la santé pour tous!"

    Au centre social de Bagnoli, un palazzo délabré réquisitionné sur le front de mer, on a sorti des pots de peinture rouge et d'immenses banderoles en prévision de la manifestation de ce dimanche à Rome. "Bagnoli est un symbole, il rassemble les mécontents, constate Eddy Sorge, un chômeur de 36 ans. Renzi a donné carte blanche aux plus forts, il a rendu le monde du travail instable. Mon non est un non social, qui part de la base." Sur une banderole, un pinceau cisèle un slogan sans appel : "Non à la réforme de la Constitution pour mille raisons, et non à Renzi."

    LE JDD
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