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Que reste-t-il du socialisme ?

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  • Que reste-t-il du socialisme ?

    Les socialistes d’aujourd’hui ont-ils encore un lien avec leurs ancêtres du 19e siècle ? Ou n’ont-ils plus de socialiste que le nom ? Plusieurs livres étudient la question à l’aune de l’histoire mouvementée de ce courant politique.
    Dans son numéro de début juin, la revue Politis s’interroge « Qu’a encore de socialiste le parti qui en porte le nom ? » Plus subtil, mais tout aussi symptomatique, un ouvrage vient de paraître sous le titre Quand les socialistes inventaient l’avenir. L’emploi de l’imparfait a l’air de dire implicitement : « Suivez mon regard ! » Dire du gouvernement Hollande qu’il a entraîné des désillusions auprès de ses électeurs tient de l’euphémisme. Le Parti socialiste (PS) subit actuellement l’une des plus terribles hémorragies de militants de son histoire, militants qui quittent le parti faute de s’y reconnaître. L’appartenance du PS à la famille socialiste questionne de plus en plus, et pas seulement ses adversaires. En 2008, Manuel Valls lui-même propose un abandon du terme qu’il juge dépassé. Quant aux autres partis d’obédience socialiste tels que le Parti communiste français (PCF), ou les trotskistes, ils déclinent et n’ont plus les moyens politiques de susciter une polémique pour contester le qualificatif « socialiste » au PS. Un petit détour par l’histoire permet de mieux comprendre où sont les socialistes actuellement.

    Aux racines du socialisme, des scientifiques

    La première génération du socialisme, marquée en France par les penseurs Saint-Simon et Charles Fourier, ne s’inscrit pas encore dans un objectif de lutte des classes, principe qui émergera plus tardivement au 19e siècle. Le projet des pionniers, révolutionnaire, est de parvenir à une société fondée sur l’autogestion, remettant en cause toutes les structures sociales traditionnelles qui prévalaient jusqu’alors, des privilèges aristocratiques à la notion d’héritage en passant par le mariage. La politique ne constitue pas le point central de leur pensée, ils se penchent plutôt sur les questions d’économie et de régénération de la société. Ils fondent leurs idées sur le constat de la misère ouvrière liée à la révolution industrielle dont ils sont des contemporains et des observateurs de première ligne.

    Saint-Simon souhaite « l’accroissement du bien-être du plus grand nombre ». Pour atteindre cet objectif, il a pour ambition de fonder une « physique sociale » : il désire faire de l’économie et de la politique des sciences parfaitement rationnelles, au même titre que la physique. L’un de ses disciples, Auguste Comte, deviendra d’ailleurs le fondateur de la sociologie… Saint-Simon prône la prééminence des « producteurs » sur les « oisifs », dont il théorise la disparition à long terme. Ses disciples utilisent sa pensée pour proposer une vision méritocratique de la société. Il ne remet pas en cause la propriété privée, ce que d’autres feront après lui, tel Pierre Proudhon qui aura cette phrase devenue emblématique : « La propriété c’est le vol », mais aspire à supprimer les héritages afin de ne pas fausser le jeu du talent. La pensée saint-simonienne n’est pas si éloignée des libéraux, si ce n’est qu’elle se fonde sur un culte de la science et de la technique, ce qui en fait une réflexion définitivement à part. Cette façon d’appréhender le monde social augure un versant autoritaire dont certaines branches du socialisme, dont l’exemple le plus caricatural est le stalinisme au 20e siècle, ne se déprendront jamais tout à fait.

    Charles Fourier vient donner une coloration plus libertaire au socialisme. Là où Saint-Simon propose une science de la société, C. Fourier, lui, expose une science de l’homme. Le qualificatif de libertaire lui est attribué dans le sens où il estime que l’échange le plus direct possible, qu’il s’agisse des mœurs ou de l’économie, est le plus à même de guider l’homme vers l’harmonie sociale : il en vient ainsi à condamner le commerce ou la police. Longtemps étudié à travers le prisme de sa postérité (Marx, Nietzsche, Freud), ou résumé à son idée du phalanstère, C. Fourier est aujourd’hui redécouvert par les féministes pour sa théorie de l’affranchissement illimité de l’individu sans distinction de sexe et de la liberté sexuelle.
    Les premiers socialistes se situent hors du champ politique : ils veulent d’abord fonder une science nouvelle qui rationalise l’être humain. Mais ils se distinguent des scientifiques par leur volonté d’appliquer cette science au réel afin d’aboutir à un projet de transformation radicale. Ils seront a posteriori définis par Marx et Engels comme des « socialistes utopistes » afin de les distinguer de leur propre pensée qualifiée de « socialisme scientifique ».
    Tenter une définition de ce qu’est le socialisme est un exercice difficile s’il en est, tant la grande famille socialiste présente plusieurs visages, à commencer par ceux de ses fondateurs. Parmi eux, Marx et Bakounine sont deux figures majeures. Contemporains, ils se sont opposés sur des questions idéologiques mais aussi sur leurs conceptions respectives de la politique.
    L’idéologie de Bakounine est qualifiée de « socialisme libertaire » ; elle s’oppose à la définition de l’idéologie marxiste comme « socialisme autoritaire ». Au niveau politique, les deux hommes se retrouvent dans la même organisation, l’Assemblée internationale des travailleurs (AIT), créée en 1864. Alors que Marx en est l’un des fondateurs, Bakounine la rejoint en 1868, sans en avoir la même conception. Bakounine est un fervent partisan de l’abstention politique. Considéré comme le père de l’anarchisme, il conçoit les classes ouvrières comme devant s’émanciper d’elles-mêmes et entend donner une latitude importante aux diverses organisations qui composent l’AIT. Marx n’a pas la même approche : il pense que l’Internationale doit préparer l’arrivée au pouvoir du mouvement ouvrier. Pour cela, il souhaite voir l’AIT prendre la forme d’une instance centralisée. Le conflit entre les deux hommes se poursuit dans leur postérité : la pensée de Marx accouche du mouvement marxiste qui connaîtra des dérives autoritaires au cours du 20e siècle mais continuera d’alimenter les réflexions des divers mouvements socialistes. La pensée de Bakounine, à l’inverse, n’a trouvé qu’une place marginale dans les courants socialistes du 20e siècle, mais perdure à travers les mouvements anarchistes et de communisme libertaire et dont on retrouve la trace dans des syndicats tels que la Confédération nationale du travail (CNT).

    Unité éphémère

    Le 20e siècle semble débuter pour le socialisme français sous le signe de l’unification puisqu’en 1905, les différents courants se rallient lors de la création de la Section française de l’Internationale ouvrière (SFIO). Le principe révolutionnaire prévaut alors, la déclaration de principe est rédigée en ces termes : « Le Parti socialiste (…) n’est pas un parti de réforme mais un parti de lutte de classes et de révolution. » Cependant, les débats et autres controverses continuent de traverser le mouvement politique.
    Sous l’impulsion de Jean Jaurès, la social-démocratie réformiste, désireuse d’instaurer le socialisme en respectant le cadre de l’État, commence son ascension au détriment des autres courants plus révolutionnaires. Le match n’est pourtant pas gagné puisque la période voit aussi naître la révolution d’octobre 1917 et l’instauration en URSS d’une version de la dictature du prolétariat, chère à Marx.

    La révolution bolchevique a des conséquences sur tout le mouvement socialiste puisque Lénine, en créant une Internationale communiste, rallie à lui une partie des socialistes. Le congrès de Tours en 1920 marque le divorce entre les sociaux-démocrates et les communistes. Ces derniers sortent de la SFIO pour créer leur propre parti, affaiblissant durablement le parti et créant une concurrence dans le paysage socialiste français. L’unité qui avait prévalu au début du siècle vole en éclats. Quant à son rapport à la réforme, la SFIO se garde bien de le définir dans l’entre-deux-guerres : sa doctrine reste révolutionnaire mais la gestion de ses mandats, notamment municipaux, montre une acculturation du socialisme avec la République.

    L’épreuve du pouvoir

    Le 20e siècle place aussi le socialisme en position de gouverner. L’idéologie est mise à mal par les contraintes exigées par le pouvoir. Léon Blum, membre de la SFIO, est le premier socialiste français à endosser une charge politique nationale. La mémoire collective l’associe aux sourires éclatants des ouvriers découvrant pour la première fois le plaisir d’une baignade estivale, tant il est relié aux lois sociales du Front populaire, des congés payés à la semaine de 40 heures. À la tête de l’État français à partir de 1936, il ne remet pas en cause l’économie de marché : c’est l’un des premiers renoncements aux principes du socialisme dans un contexte de crise majeure de la politique française mise à mal par la montée du fascisme. Par là, il marque un virage important de la pensée socialiste. Il théorise la distinction entre conquête du pouvoir révolutionnaire et exercice du pouvoir réformiste, suivant les pas de son maître à penser, Jaurès. En effet, l’homme n’aspire pas à voir son parti s’approcher du pouvoir. Au congrès national de la SFIO, en 1946, il déclare : « Pendant quinze ans, avec mon ami Vincent Auriol, j’ai fait tout ce qui dépendait de moi pour éloigner le parti de l’exercice du pouvoir. »

    Blum formule ainsi le dilemme qui s’offre aux socialistes : l’ambition de conquérir le pouvoir ou au contraire de s’éloigner d’un exercice perçu comme corrupteur. La rupture avec l’économie capitaliste n’est pas pour autant abandonnée, mais elle est considérée comme étant irréalisable dans le cadre institutionnel de la République. Au même congrès, Blum tente une rénovation idéologique de son parti en voulant substituer l’intérêt général à l’intérêt de classe. Il remplaçait le principe de « lutte des classes » par celui d’« action de classe » mais c’est Guy Mollet, fidèle marxiste, qui emporte le secrétariat général, inscrivant la ligne directrice du parti dans une proximité avec la doctrine originelle.

    Lors des trente glorieuses, l’économie mixte et la voie réformiste de la social-démocratie ont gagné du terrain dans toute l’Europe. Dans le paysage dévasté du socialisme sur le continent, la SFIO fait figure d’exception car elle ne revient pas, sur le papier, sur sa nature révolutionnaire. La SFIO n’accède plus au pouvoir national, le problème soulevé par Blum sur l’exercice du pouvoir se transpose alors à l’échelle locale, les maires socialistes devant arbitrer entre l’ambition révolutionnaire de leur parti et leurs obligations à respecter le cadre légal. Les mairies socialistes se transforment en « laboratoires politiques » marginalisés par la direction nationale du parti et disposant d’une faible marge de manœuvre pour mettre en place leur utopie urbaine. Il en résulte que bien que continuant à se proclamer révolutionnaire, la SFIO commence sa dérive vers un exercice réformiste du pouvoir.

  • #2
    suite

    Embourgeoisement et personnalisation

    En 1981, le socialisme français fait à nouveau l’épreuve du pouvoir. François Mitterrand, devenu président, revient sur les ambitions de l’union des gauches en imposant l’austérité. Le programme qu’il parvient à instaurer en 1971 lors du congrès d’Épinay, permettant l’union du tout jeune PS (qui remplace la SFIO en 1969) avec les communistes, est un véritable programme de rupture avec la société capitaliste. Nationalisation, planification, autogestion, aspiration à l’égalité tout en préservant les droits et libertés individuelles : tout le vocabulaire du socialisme historique y est représenté. Sa victoire à la direction du Parti sonne donc plutôt comme un retour aux valeurs du socialisme, d’où l’intensité de la déception lorsque, arrivé à la présidence de la République, il revient sur ses engagements de campagne. Jusqu’au bout, Mitterrand présenta cette politique d’austérité comme une parenthèse, ne revenant jamais, en parole, sur l’ambition d’une sortie du capitalisme. Michel Rocard, lui, n’eut pas les mêmes précautions oratoires que son président. Il fut le premier qui en appela à « une société solidaire en économie de marché », marquant par là un tournant dans l’histoire du socialisme français. Sa voix est restée sans écho pendant longtemps mais est timidement reprise dans la déclaration de principe du PS en 1990, dans laquelle le Parti se dit « favorable à une société d’économie mixte ».

    Au début du 20e siècle, lutte des classes et masse ouvrière formaient le ciment du vocable socialiste. Aujourd’hui, François Hollande, issu d’une famille bourgeoise, dirige le pays depuis l’Élysée après un parcours scolaire sans faute qui l’a amené à fouler les parquets de la prestigieuse École nationale d’administration (Ena). La sociologie du parti socialiste (SFIO puis PS) Une autre histoire du socialisme (Aude Chamouard, 2013) apporte un éclairage sur la « désouvriérisation » ou « notabilisation ». Ce processus entamé au début de l’entre-deux-guerres se confirme tout au long du siècle. Il se retrouve d’abord chez les élus de la SFIO dont le profil est de plus en plus celui de notables ou d’experts : alors qu’un tiers des députés du parti étaient ouvriers en 1924, ils ne sont plus que 11 % en 1936. En parallèle, le recrutement des militants change et s’oriente vers les classes moyennes. La concurrence exercée par le Parti communiste n’y est pas étrangère, la proportion d’ouvriers ne bougeant pas au sein du PCF, mais c’est aussi la réussite sociale d’un certain nombre de socialistes qui explique cette évolution. Le profil sociologique des élus et militants du parti influence sa doctrine et le pousse vers une normalisation au sein de l’horizon politique français. Sous la IVe République, le mouvement ne fait que se renforcer et le taux d’ouvriers au sein du parti subit une érosion, tandis que le vieillissement s’accentue. À l’inverse, le taux d’enseignants dans les rangs socialistes bondit, passant de 14 % à 33 % sur la période de la IVe République.

    Le cumul des mandats pratiqué à grande échelle montre aussi une personnification du pouvoir. L’hiatus entre l’être et le paraître du parti ne date pas d’hier : la SFIO se rêvait déjà comme un parti de masse et révolutionnaire alors qu’elle rassemblait principalement des notables locaux qui pratiquaient des politiques réformistes.

    La fin d’une histoire ?

    La gauche socialiste est idéologiquement déboussolée en France. « Il existe un hiatus entre l’étiquette et le contenu », souligne le politiste Frédéric Sawicki. Le PS conserve son titre, malgré sa dérive hors du champ du socialisme historique, et, ne rencontrant pas de vents contraires, il dévie de sa ligne originelle, tel un navire sans gouvernail. Si personne ne lui conteste l’appellation de socialiste au sein du champ politique, la société civile, elle, a plus de mal à relier ce nom au parti qui le porte. Les visages du socialisme sont nombreux et hétérogènes aujourd’hui, comme ils l’étaient dès l’origine. La phrase d’Anatole Leroy-Beaulieu pour qualifier cette nouvelle doctrine, à la fin du 19e siècle, annonçait déjà ce constat : « Mot lui-même vague, sous lequel tous n’entendent pas la même chose. » Même si une définition univoque de ce qu’est le socialisme reste impossible à établir, ce mot n’en reste pas moins une pierre angulaire de l’histoire de ces deux derniers siècles, qui charrie des identités et des mémoires politiques. Reste à savoir ce qu’il en adviendra au 21e siècle. Est-on arrivé, comme interroge le livre de Jérôme Grondeux, à la fin d’une histoire ?



    Bibliographie

    Quand les socialistes inventaient l’avenir (1825-1860)
    Thierry Bouchet, Vincent Bourdeau, Edward Castleton, Ludovic Frobert et François Jarrige (dir.), La Découverte, 2015.
    Le Parti socialiste d’épinay à l’élysée (1971-1981)
    Noëlline Castagnez et Gilles Morin (dir.), Presses Universitaires de Rennes, 2015.
    Socialisme : la fin d’une histoire ?
    Jérôme Grondeux, Payot, 2012.
    Une autre histoire du socialisme
    Aude Chamouard, CNRS, 2013.


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