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Cheikh El Oqbi

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  • Cheikh El Oqbi

    Par Nacim El Okbi

    C’est au Cercle du Progrès, qui est aussi désigné en arabe sous le nom de Nadi El Taraqqi, que s’est tenue, le 22 janvier 1956, la conférence d’appel pour une trêve civile.

    Ce qui pourrait sembler être une simple adresse ou un lieu-dit est en fait le nom d’une association créée dans le cadre de la loi dite de 1901. Son siège social est au « 9, place du Gouvernement » (aujourd’hui place des Martyrs), à Alger. L’activité avait commencé en 1927 et a été interrompue pendant la guerre d’indépendance, période où le général Massu prit de force possession des lieux et en expulsa l’association, afin d’utiliser le local pour son « action psychologique » contre les Algériens en y établissant une « œuvre féminine » avec sa femme Suzanne Massu, et Lucienne, épouse du général Salan. Le but réel était de soustraire cet important lieu à l’action de la communauté musulmane qui était à cette date majoritairement acquise au combat pour l’indépendance.

    Créée par des familles algéroises dans la Basse Casbah où étaient leurs principaux lieux de rencontre, l’association du Nadi El Taraqqi s’était fixé pour « but d’aider l’éducation intellectuelle, économique et sociale des musulmans d’Algérie ». Notons qu’à cette époque la création d’une association de type communautaire, telle qu’une association israélite ou chrétienne, était fréquente.

    Les débuts de l’association

    Dès sa création, l’association du Cercle du Progrès organise des conférences avec l’aide de différentes personnalités, où les thèmes les plus divers sont abordés, par exemple : « L’esprit de l’islam », « L’importance de l’enseignement secondaire pour les musulmans d’Algérie », « La psychologie appliquée à l’éducation », « La syphilis, fléau social », « La présentation de la Ligue des droits de l’homme, ses buts et son utilité », « La tuberculose, les moyens de l’éviter », « L’agronomie », « La pratique du sport », etc.

    De nombreuses associations tiennent en partie ou totalement leur activité au sein du Cercle. Citons notamment :

    – l’activité musicale qui y est assez intense, avec les orchestres andalous des associations El Moutribia (La Mélodieuse), créée vers 1911, et El Andaloussia (L’Andalouse), née en 1929, qui, à plusieurs reprises, donnent des concerts dans la grande salle. Quant à l’association musicale El Djazaïria (L’Algérienne) dont la création date de 1930, elle a son siège au Cercle ;

    – l’association des instituteurs d’origine indigène d’Algérie y tient son congrès les 3 et 4 avril 1928 ;

    – l’association sportive « Mouloudia Club d’Alger » ou MCA s’installe au Nadi et y commence ses activités en 1928, avec comme président Si Mahmoud Ben Siam et vice-président Si Tahar Ali Chérif. Interrogé sur la conformité avec l’islam de la pratique du sport, souvent mal vue à l’époque par les traditionalistes, le cheikh El Okbi avait alors soutenu les dirigeants du MCA dans leur démarche d’encouragement des activités physiques, en particulier du football qui, par la suite, est devenu un sport de masse, acceptable et accepté par la population, et même élément d’une affirmation identitaire[1].

    En parallèle, la salle du Cercle du Progrès est utilisée pour donner des spectacles. Parmi les personnalités artistiques qui s’y sont produites, figurent le ténor Mahieddine Bachtarzi, Marie Soussan, Régina, Ben Charif, Rouïmi, Zmirou, Fakhhardji, Rachid Ksentini, Sellali Ali, dit Allalou, Bouchara, le « cheikh musicien », Lilli Abassi, etc.

    Le Cercle s’ouvre aussi à l’action sociale comme en témoigne la souscription organisée au bénéfice des sinistrés du mauvais temps en Algérie à la fin de 1927, année où les intempéries avaient causé d’énormes dégâts et fait de nombreuses victimes. Un élan national de solidarité s’était alors formé auquel le Nadi s’était joint en mobilisant tous ses moyens, comme en rendit alors compte L’Écho d’Alger.

    Cependant, malgré cette variété d’activités, les dirigeants du Cercle du Progrès, gens pieux souhaitant approfondir leur intervention, s’étaient mis à la recherche d’un animateur, un conférencier permanent qui serait versé sur les questions religieuses. Ils étaient ainsi entrés en contact avec le cheikh El Okbi, rencontré en janvier 1930 à Bou-Saada lors de l’enterrement du peintre converti à l’islam, Nasreddine Étienne Dinet, où il avait prononcé un impressionnant éloge funèbre.

    La venue du cheikh El Okbi

    Né à Biskra, Tayeb El Okbi (1889-1960) avait émigré à l’âge de 5 ans avec sa famille au Hedjaz où, après une solide formation de théologien, il était devenu conseiller du chérif Hussein qui lui avait confié la rédaction du journal réformiste El Qibla (La Direction); placé en résidence surveillée par les autorités ottomanes pendant la Grande guerre, il revient en Algérie en 1920, crée en 1927 un journal intitulé El Islah (La Réforme) et se signale par son talent oratoire et son combat contre le maraboutisme.

    Sur la proposition de Si Mahmoud Ben Siam et Si Mohamed Ben Merabet, il est invité à animer l’association du Cercle du Progrès par le conseil d’administration, dont la présidence à l’époque était assurée par Si El Mansali Hadj Mamad. Dès sa venue, le cheikh conquiert le public. Les nouvelles idées de la Nahda (la Renaissance) et de l’lslah se propagent alors avec force dans la capitale algérienne, ce qui prépare la création, en mai 1931, de l’association des Oulémas qui aura, elle aussi, son siège au Cercle du Progrès.

    L’auditoire de celui-ci devient plus nombreux, plus varié, et rapidement la salle principale ne désemplit pas, toutes les couches sociales s’y retrouvant, de la plus modeste, à l’exemple des dockers, avec à leur tête leur chef syndical Hadj Nafaa, à la plus aisée – celle qui était à l’origine de la fondation de l’association.

    Les différents témoignages rapportent que le cheikh El Okbi arpentait la Casbah et ses alentours pour inciter les gens à ne pas désespérer de la vie ; la condition de la plupart des Algériens était en effet particulièrement difficile : double imposition jusqu’à la 1e guerre mondiale, salaires très en-dessous des Européens, interdiction de pratiquer certains métiers contribuant à les paupériser. Son influence inquiète assez l’autorité coloniale pour qu’en février 1933, il soit interdit de prêche dans les mosquées par la dite « circulaire Michel ». Malgré cette entrave, l’activité du Cercle du Progrès s’amplifie sous son animation qui, rappelons-le, s’appuie sur les efforts déjà déployés précédemment par les sociétaires.

    Quelques associations méritent d’être citées, dont l’activité se développe à partir de son installation, certaines ayant trouvé aide et assistance au point d’avoir leur siège social temporairement ou définitivement au Nadi El Taraqqi. Citons notamment l’Association des étudiants musulmans de l’Afrique du Nord (AEMAN), l’Amicale des oukils judiciaires, la Ligue musulmane antialcoolique animée par le cheikh El Okbi et Abderrahmane Djillali, la société Ezzakat (La Purification) créée en mai 1931, qui avait pour but de favoriser l’instruction et l’éducation intellectuelle, économique et sociale des musulmans d’Algérie, créée par des membres du Nadi, et bien sûr l’association réformiste des Oulémas qui y tient son assemblée constitutive le 5 mai 1931 avec le cheikh El Okbi comme l’un de ses membres fondateurs (il en démissionnera en 1938).

    Une importance particulière s’attache aussi au développement de la Chabiba (La Jeunesse), association fondée sur le principe de l’éducation intellectuelle des jeunes musulmans sans distinction de classes, et qui fut rattachée au Cercle du Progrès. C’était une école mixte où le cheikh El Okbi avait tenu à introduire l’apprentissage de la langue française en parallèle à celui de la langue arabe. Parmi ses élèves, on trouve Bouras Mohamed, qui fréquentait les cours du soir, Ali Feddi, l’artiste Hattab Mohamed connu sous le nom de Habib Réda, Sid Ali Abdelhamid, le chanteur Ababsa Abdelhamid, l’artiste Abderrahmane Aziz, l’imam Kada Ben Youcef, membre fondateur avec Saadallah Boualem et Omar Lagha de l’association d’« éclaireurs musulmans algériens » El Kotb (L’Étoile polaire), l’acteur Sissani, Mme Boufedji Chama, enseignante et directrice d’école libre, Mme Bouzekri Izza, veuve d’Abane Ramdane puis épouse de Slimane Dehiles, etc.

    Quant à l’association d’aide aux nécessiteux, El Kheïria (La Bienfaisante), créée en 1933 par les membres du Cercle du Progrès, elle développe des activités multiples, telles que la distribution de repas aux nécessiteux (qui a atteint, à un certain moment, 1200 repas par jour), l’aide alimentaire aux familles, la confection de tenue pour les scouts musulmans dans les ateliers d’apprentissage de couture par les jeunes filles, la création dans la Casbah d’un asile de nuit pour les nécessiteux, etc.

    Le cheikh El Okbi est aussi à l’origine de la création d’une « Union des croyants monothéistes »[2], constituée de musulmans, chrétiens et juifs, tous gens du Livre, avec le soutien de Lamine Lamoudi, rédacteur en chef de La Défense, publication proche des Oulémas, et le journaliste Henri Bernier, Élie Gozlan pour la communautés juive, l’abbé Monchanin et le couple formé par l’ingénieur Jean Scelles et l’architecte Jeanne Scelles-Millie pour les catholiques. L’association organise au Nadi des conférences et débats sur des sujets d’intérêt commun aux trois religions ou à portée sociale comme, par exemple, une conférence donnée en 1939 sur le danger de l’emploi des « poudres blanches », héroïne et cocaïne.
    Les libertés ne se donnent pas, elles se prennent

  • #2
    Après guerre, le professeur André Mandouze et le syndicaliste chrétien Alexandre Chaulet seront parmi les « gens du Livre » qui lui rendront visite. Dans un entretien recueilli pour Le Monde par Eugène Mannoni en janvier 1957, El Okbi le soulignera : « Je tiens à rendre hommage […] à l’œuvre éminemment humaine et fraternelle entreprise ici [en Algérie] par les représentants des trois religions et particulièrement à celle de Mgr Duval, dont le sermon au lendemain des événements du 29 décembre est allé droit au cœur des musulmans »[3].

    C’est également dans le local de la place du Gouvernement qu’a été fondé, en juin 1936, le « Congrès musulman algérien » qui regroupe tous les courants politiques, à l’exception de l’Étoile nord-africaine de Messali Hadj, des Oulémas du cheikh Abdelhamid Ben Badis au Parti communiste algérien (PCA), en passant par le docteur Mohammed-Salah Bendjelloul qui est son premier président, Lamine Lamoudi, Abderrahmane Boukerdenna, Fertchoukh Amara, Ferhat Abbas, le docteur Charif Saâdane, etc. Une délégation se rend à Paris en juillet 1936 pour remettre au gouvernement de Front populaire une plate-forme de revendications.

    Lors d’une nouvelle réunion du Congrès en 1937, le cheikh El Okbi se signale par cette déclaration : « Contre ces exploiteurs, les Algériens musulmans ne demandent pas l’expropriation. Ils leur demandent seulement d’être traités en hommes. Qu’on le veuille ou non, il y a une Algérie nouvelle : la jeunesse algérienne est décidée à obtenir de légitimes satisfactions par toutes les voies légales. Si les gros colons savent le comprendre, nous serons leurs amis. En tous cas, le maintien de la situation actuelle est intolérable. Plutôt la mort que cette triste vie ! »[4]. Recevant la délégation parlementaire conduite par le député socialiste de Martinique, Joseph Lagrossilière, il fera part de l’évolution connue par le peuple algérien sous l’influence des Oulémas et défendra ces réformes à mener au plus vite : abolition du code de l’indigénat avec maintien du statut personnel des Musulmans, libre exercice du culte musulman, liberté d’enseignement de la langue arabe, respect du droit à ouvrir des écoles libres (médersas).

    La Jeunesse du congrès musulman algérien animée par Lamine Lamoudi, Hamouda Ahmed et Omar Aïchoune tient aussi ses activités au Cercle du Progrès. Le Congrès musulman entrera peu à peu en sommeil après l’abandon à la fin de 1937 du projet de réformes dit « Blum-Viollette » qu’il avait soutenu.

    La section algéroise scoute El Fallah (Le Salut), créée en 1935 avec l’aide conjointe du cheikh El Okbi et de Mahmoud Ben Siam a donné la base de la fédération des Scouts musulmans algériens (SMA). Ouvert à El Harrach où le cheikh El Okbi s’était rendu avec son ami le négociant Si Abbés Turki, le premier congrès s’en est conclu au Cercle du Progrès dont le président était à l’époque Si Mohamed Ben Merabet[5]. Le mouvement y tient la plupart de ses assemblées générales de 1936 jusqu’au décès en 1941 de Si Mohamed Bouras, son fondateur, par ailleurs membre du MCA, assidu aux conférences du cheikh El Okbi et l’accompagnant dans ses déplacements.

    À noter que la majorité des scouts affiliés au groupe El Falah étaient issus de l’école Echchabiba, et qu’ils étaient souvent présents dans des événements auxquels assistait le cheikh El Okbi tels que les fêtes d’écoles. Plusieurs membres fondateurs de la fédération étaient des habitués du Cercle du Progrès à l’exemple de Omar Lagha, participant assidu à ses conférences, de Ahmed Mezghana et Mokhtar Bouaziz, administrateurs d’associations présidées par le Cheikh El Okbi, ou d’Ahmed Hamouda et Sator H’Mida, souvent conférenciers au Nadi.

    Signalons encore l’action de la société El Kawkab el Temthili El Djazaïri (L’Astre théâtral algérien), association de promotion du théâtre parrainée par le poète et militant Moufdi Zakaria et le cheikh El Okbi et qui a eu son siège social au Cercle du Progrès.

    Enfin le « Comité de défense de la Palestine » se constitue en 1949 avec le cheikh El Okbi comme président, et la participation de Lamoudi, des muphtis cheikh Baba Ameur et cheikh Assimi Mohamed, de Si Mahmoud Ben Siam et du délégué Bachir Ben Yadjra membre de l’Union du Manifeste algérien (UDMA). Un télégramme a été adressé à Robert Schuman, ministre des Affaires étrangères et initiateur de la construction de l’Union Européenne pour l’informer de l’action du comité. Celle-ci prépare à la mission conduite en 1950 à El Qods (Jérusalem) par le cheikh El Okbi avec le journaliste Mohamed Ben Houra, tuteur de l’artiste peintre Baya, et l’islamologue Louis Massignon, en vue de faire reconnaître les droits sur les biens habous (mainmorte) algériens de Sidi Boumediene (ou Abou Mediane) et apporter le soutien des Algériens à la cause palestinienne. A l’occasion de ce déplacement, El Okbi prêche à la mosquée d’Omar, à Hébron et à Amman.

    Quelques prises de position du cheikh El Okbi

    Alors qu’à la fin des années 1930, la deuxième guerre mondiale commençait à se profiler, le cheikh El Okbi, homme de religion ne pouvait qu’encourager les efforts de concorde et de paix ; aussi affichera-t-il publiquement son soutien aux efforts de paix que la France déployait alors, en envoyant un télégramme à l’adresse du peuple français au nom du Cercle du Progrès, initiative qui conduira à sa prise de distance d’avec les Oulémas qui estimaient que la guerre ne concernait pas les Algériens. Cette prise de position lui était inspirée par le souvenir de la Grande Guerre qui, à la date du 11 novembre 1918, avait vu 260 000 soldats musulmans présents sous les drapeaux, et 35 900 hommes y avoir trouvé la mort[6]. Si le cheikh partagea en cela les illusions placées dans les accords de Munich, jamais il ne montra la moindre complaisance à l’égard du nazisme et du fascisme, doctrines à ses yeux contraires aux valeurs de l’être humain et qui sont à la source d’un conflit qui a fait quelque 60 millions de morts, sans épargner les populations extra-européennes.

    Une fois les hostilités déclenchées, tout en essayant de préserver les intérêts des Algériens, le cheikh refuse nettement de cautionner la législation anti-juive de Vichy malgré une sollicitation en ce sens du Gouvernement général. Tout au contraire, il tient à en contresigner une condamnation des plus fermes écrite par l’avocat Ahmed Boumendjel qui à l’époque assurait la défense de militants du PPA. Henri Alleg confirme que, fidèle à sa conception de la solidarité entre gens du Livre, le cheikh s’est opposé à la tentative de l’administration coloniale vichyssoise d’inciter les musulmans à des actions contre les juifs, pour leur enjoindre au contraire de ne pas s’associer à des actes hostiles que la religion réprouvait. Cette attitude éthique s’alignait par avance sur des exigences que la Déclaration universelle des droits de l’homme adoptée en 1948 est venue consacrer en stipulant que « tout individu a droit à la vie, à la liberté et à la sûreté de sa personne » (art. 3), et que « nul ne peut être arbitrairement privé de sa propriété » (art. 17).

    Fin 1943, le Comité français de libération nationale (CFLN) formé à Alger en juin précédent mettra en place, sous l’autorité du général Georges Catroux, une commission des réformes musulmanes devant laquelle seront invités l’ensemble des partis politiques, dont le PPA (qui, en 1946, deviendra le Mouvement pour le triomphe des libertés démocratiques ou MTLD) avec Messali Hadj, l’UDMA avec Ferhat Abbas, les Oulémas, et des personnalités de la société civile. Membre de cette commission, le cheikh El Okbi y sera le seul à proposer aux autorités de libérer Messali Hadj « dont le parti représente la majeure partie du peuple algérien » et à estimer que son absence serait une lacune majeure pour le travail de la commission (qui l’auditionnera en définitive lors de sa 9e séance).

    Le cheikh El Okbi appuie pour sa part les propositions de Ferhat Abbas, de l’association des Oulémas et du cheikh Bayoud. Dans sa propre audition, il défend l’abrogation des lois d’exception et de l’indigénat, la séparation de la religion et de l’État (le culte musulman restait géré par l’administration, contrairement au judaïsme et au christianisme qui bénéficiaient du régime de la loi de 1905), l’égalité des droits pour tous les Algériens, et les droits politiques sans exception avec la conservation du statut personnel musulman, l’accès à tous les postes d’autorité, l’égalité en nombre de délégués avec les Européens dans les assemblées algériennes, le droit aux naturalisés de revenir au statut personnel musulman… Le rapport final s’inspirera d’une démarche comparable, évoquant également les disparités injustifiable de salaires ou de solde militaire entre Européens et Musulmans engagés pourtant dans la même guerre.

    Si les tardives avancées civiques de l’ordonnance du 7 mars 1944 « relative au statut des Français musulmans d’Algérie » seront rapidement invalidées (par les massacres du Constantinois) en mai-juin 1945 puis par la fraude électorale systématisée par l’administration coloniale, cette commission des réformes de 1944, tout comme avec le congrès musulman des années 1936-1937, aura au moins eu le mérite de manifester l’aptitude de personnalités algériennes à faire valoir leurs opinions et à exposer aux Autorités leurs revendications pour l’avancée des droits d’une manière pacifique et ordonnée.

    En 1947, le cheikh El Okbi anticipera, dans son journal El Islah, le combat pour l’autodétermination : « Pas de régence, pas de protectorat, pas de colonisation, pas de possession, d’un pays ou d’une nation sans son consentement […], mais une liberté de choix de destinée pour tous les peuples, et l’indépendance de toute nation, principe établi dans le monde d’aujourd’hui et c’est un droit sacré aux yeux de toute nation[7]. » Les acteurs politiques d’alors n’ayant pas été écoutés, une autre génération est venue et s’est fait entendre d’une autre manière le 1er novembre 1954.

    De l’Appel pour une trêve civile à l’Algérie algérienne

    À deux jours de la conférence du 22 janvier 1956 et devant la menace déclarée d’une intervention hostile des ultras, le comité qui est à l’origine de l’appel pour une trêve civile a dû constater que les salles européennes leur étaient fermées. Le seul lieu qui pouvait répondre aux exigences de sécurité et compatible avec l’esprit de cette réunion, était la salle du Cercle du Progrès que ses membres d’origine musulmane suggérèrent au comité. La symbolique franco-algérienne de la rencontre s’est indiscutablement trouvée très renforcée par cette tenue en lisière de la Casbah et par le souvenir des multiples manifestations tant d’affirmation de l’identité algérienne que de dialogue entre les communautés que le Nadi avait accueillies. Omar Aïchoune, membre du Cercle du Progrès et du FLN, s’est chargé de la sécurité des lieux de la conférence, assisté à l’extérieur par les militants du FLN. Du côté algérien, tout s’est ainsi déroulé dans le calme, sans aucun débordement. Le service d’ordre policier mobilisé par l’administration a ainsi pu contenir les contre-manifestants ultras. Par leur pression sur les autorités au plus haut niveau lors du 6 février suivant, ceux-ci auront sans doute réussi à lapider un Appel auquel le gouvernement Mollet se donnera pas la moindre suite. L’honneur reste cependant à ceux qui auront au moins permis qu’il soit lancé le 22 janvier 1956 et qui s’y sont associés.

    Parmi eux, le cheik El Okbi dont ce fut l’une des dernières apparitions publiques. Dès 1955, sans plus d’illusions sur les possibilités d’une issue pacifique, il déclarait à Robert Barrat : « Un Gandhi était impossible en Algérie…ils nous l’auraient tué ».
    Les libertés ne se donnent pas, elles se prennent

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    • #3
      Déjà début 1956, la plupart de ses fidèles avaient intégré le FLN. Quelques mois plus tard, les 14 et 15 septembre, se tiendra encore au Nadi (alors sous la responsabilité de Si Mahmoud Ben Siam) le congrès constitutif de l’Union générale des commerçants algériens (UGCA), organisation du FLN avec à sa direction les proches collaborateurs du cheikh, Si Omar Aïchoune comme président et Si Abbas Turki comme vice-président.

      En réquisitionnant le 1er juin 1958 le siège du Cercle du Progrès, le général Massu ne pouvait ignorer qu’il privait les Algériens de ce qui était depuis trente ans leur principal forum civique et culturel.

      La suite est connue : Ali Boumendjel, ce défenseur du droit comme son frère Ahmed Boumendjel, a été défenestré par le général Aussaresses qui était l’adjoint direct du général Massu. Le général Raoul Salan a été le chef de la tristement célèbre Organisation Armée Secrète (OAS). Par sa politique de « la terre brûlée », celle-ci a voulu créer l’irrémédiable et détruire toutes relations naturelles et humaines entre communautés, poussant en définitive les Européens à penser qu’il n’y avait pas d’autre choix que « la valise ou le cercueil ». René Sintès, le plus jeune membre du comité pour la Trêve civile compte parmi les victimes de cette entreprise meurtrière dont l’abbé Scotto a pu dire : « Jusqu’à mon dernier soupir, je haïrai l’OAS en tant qu’organisation criminelle. Non seulement parce qu’elle a tué le cœur du peuple auquel j’appartiens, le cœur de mon peuple de pieds noirs. L’OAS les a violés. Ce peuple valait mieux que cela[8]. »

      Le 12 août 1962, le Cercle du Progrès se réinstallera solennellement au 9 de l’ancienne place du Gouvernement. Faisant l’historique de ce lieu, Omar Aïchoune, devenu son président, ne manquera pas d’y évoquer, au nom de la nouvelle Algérie, « la dernière conférence à Alger, en 1956, de notre très regretté compatriote Albert Camus ».


      [1]Voir Rabah Saadallah et Djamel Benfars, Les Splendeurs du Mouloudia 1921-1956, édition El Othmania, Alger, 2009 ; l’appellation du club se réfère bien sûr au Mouloud, jour de naissance du Prophète.

      [2]Si l’association est créée en 1935, des conférences sur le monothéisme, c’est-à-dire sur l’islam, la chrétienté et le judaïsme, ont eu lieu dès 1933, notamment avec Henri Bernier.

      [3]Ce sermon fait suite à des représailles ayant fait fait plusieurs centaines de morts parmi les Musulmans. Les prises de position répétées de Mgr Léon Etienne Duval, archevêque d’Alger, contre la violence et en défense des droits des Musulmans lui ont valu injures et menaces croissantes de la part des ultras qui l’avaient surnommé « Mohamed Duval ».

      [4]Ces paroles sont d’autant plus courageuses qu’El Okbi est alors sous contrôle judiciaire comme accusé d’avoir été l’instigateur du meurtre du grand muphti Bendali Amor, tué le 2 août 1936, affaire dans laquelle il ne sera acquitté par la cour criminelle d’Alger qu’en juin 1939.

      [5]Voir Mohamed Derouiche, dans Le scoutisme école du patriotisme, OPU, Alger, 2010.

      [6]Selon le rapport de l’assemblée de l’Union Française n° 131, 1952.

      [7]Cité par Ahmed Meriouche, Cheikh Taïeb El Okbi et son rôle dans le mouvement national algérien, thèse de magister, Université d’Alger, 1993.

      [8]André Mandouze, cité par Aïssa Kadri dans Instituteurs et enseignants en Algérie, 1945-1948 :histoire et mémoire, Paris, Karthala éditions, 2014.
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      • #4
        Lettre de Cheikh El Oqbi

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        • #5
          « Et bouscule les esprits des inertes, peut-être alors le bois prendra vie »
          Cheikh Abdelhamid BEN BADIS
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          • #6
            Au centre de la photo : Cheikh Tayeb El-Okbi, à sa gauche Bachir El-Ibrahimi

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            • #7
              « Nous avons le devoir de dire (…) que l’Association devra être uniquement une association de direction spirituelle, destinée à relever le peuple de sa déchéance intellectuelle et morale, vers les plus hauts degrés du savoir et de la moralité, dans le cadre d’or de sa religion, et dans la voie de son Prophète (…). En aucun cas, elle ne devra avoir le moindre rapport avec la politique (…). »

              Cité par Ali Merad, Le réformisme musulman en Algérie de 1925 à 1940. Essai d’histoire religieuse et sociale,
              Paris/La Haye, Mouton & Cie, 1967, p. 131
              Dernière modification par zwina, 03 décembre 2016, 13h22.
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              • #8
                L’USMA ET LE 05 JUILLET : « Date prémonitoire, hommes prédestinés »

                Nous sommes en juillet 1936. Dans un petit local, situé à la rue Saluste dans la basse Casbah, deux hommes parlent sports. Ils évoquent la création d’une association sportive exclusivement musulmane et au sein de laquelle ne figurerait aucun européen. Ces deux hommes sont Omar Aichoun et Mustapha Kaoui. Ils gèrent un petit négoce de sacs en jute (un commerce relativement rentable à l’époque), qui leur a permis de quitter définitivement le milieu marginal dans lequel la misère a pressé moult jeunes de la Casbah. C’est aussi l’époque où bouillonne l’activité politique. Le Mouvement Nationaliste, mené par l’Etoile Nord Africaine de l’Emir Khaled, petit fils de l’Emir Abdelkader, semble s’essouffler, alors que pointe à l’horizon la création du PPA (Parti Politique Algérien), père spirituel du FLN.

                Aichoun et Kaoui, qui se sont rangés, sont gagnés par l’effervescence qui s’est emparée de toute la Casbah, particulièrement le quartier du 2eme arrondissement, la ou se trouve le mausolée de Sidi Abderahmane, le Saint de la ville d’Alger. Ils fréquentent les militants du mouvement national, nombreux dans ce quartier et qui sont parmi les plus déterminés. Ils ont entendu parler de la nécessité de créer des clubs sportifs, cadre idéal pour sortir la jeunesse algérienne des fléaux qui la guettent, et l’idée séduit. Il faut reconnaître que le mouvement national est de plus en plus aguerri, et à Alger, la jeunesse, dans une large proportion, adhère plus facilement aux mots d’ordre patriotiques. L’un de ces mots d’ordre est la création d’associations sportives.

                Durant toute l’année 1936, les deux hommes vont multiplier les contacts, aidés par Arezki Meddad, père de la chahida Ourida Meddad, qui fut défenestrée par les paras français à l’école Sarrouy en 1957. Leur choix se porte sur Ali Lahmar, dit Ali Zaid, chahid de la guerre de libération et Sid Ahmed Kemmat. Ces hommes constituèrent le premier bureau de l’USMA, un bureau présidé par Ali Zaid, la présidence d’honneur revenant à Omar Aichoun et Arezki Meddad. Il faut ajouter qu’outre leurs activités nationalistes et sportives,Omar Aichoun et Mustapha Kaoui sont devenus des habitués du Nadi Ettaraki ( Cercle du progrès) à l’ex-place d’Orléans, appelée par les algérois « placet el oud », actuellement Sahet echouhada.

                Le cercle du progrès est géré par le Mouvement Réformateur Islamique (El Islah), dirigé par le Cheikh Tayeb El Okbi, dont le fils Djamel sera, un quart de siècle plus tard, le gardien de but de l’USMA. Craignant que la pratique du sport ne soit incompatible avec les préceptes de l’Islam, les concernés ont demandé conseil au Cheikh, qui les a non seulement encouragé, mais même donné sa bénédiction à l’USMA. Si Ahmed Kemmat sera l’architecte de la constitution de l’édifice. Pour les démarches administratives afin d’obtenir l’agrément des autorités coloniales, il demanda les statuts au Secrétaire Général du MCA, qui lui remit volontiers une copie. C’est ce geste pourtant tout à fait banal qui a permis un jour à un président éphémère du MCA (aujourd’hui disparu, Allah yerahmou) de faire croire que le mouloudia avait crée l’USMA.

                L’option USMA ayant réussie,le PPA renouvela l’opération et ainsi naquirent un peu partout des « Union Sportive Musulmane »,des « Espérance Sportives Musulmane »,des « Jeunesse Sportive Musulmane », des Widad » et des « Croissant club ». Ils étaient partout ces clubs qui furent des écoles de nationalisme et de patriotisme.

                Si à l’USMA, plus qu’ailleurs, le mouvement nationaliste joua un rôle important, la cause revient au fait que parmi ses sympathisants se trouvaient des membres du Comité Central du PPA et de son successeur le MTLD (Mouvement pour le Triomphe des Libertés Démocratique) qui donna au FLN tous ses cadres de Novembre 1954.

                Les premières actions armées furent l’œuvre d’Abderahmane Arbadji. Identifié par la police française , Abderahmane sera activement recherché. Le 23 Février 1957, victime d’une dénonciation, il se battit jusqu’à la mort sur les terrasses des maisons de la Casbah. Parmi ses compagnons, figuraient Omar Hamad et Boualem Abbaza (de son vrai nom Boualem Attalah). Très proches des dirigeants de l’USMA ,Omar Hamad, qui fut assassiné par les terroristes en 1994, et Boualem Abbaza furent respectivement Vice-président du club et président de la section football de l’USMA après l’indépendance, après être sortis indemnes et du maquis (Wilaya IV) et des cellules des condamnés à mort.
                Source : USM Alger
                Dernière modification par zwina, 03 décembre 2016, 13h38.
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                • #9

                  Cheikh Tayeb El Okbi. Une cible de l'administration coloniale (II)
                  Un membre éminent des ouléma
                  Benchaouki ArslanPublié dans El Watan le 29 - 09 - 2005

                  En juin 1936, c'est l'année du premier grand rassemblement algérien depuis le début de l'occupation française. Une délégation conduite par le docteur Bendjelloul, comprenant élus, ouléma et communistes, est reçue à Paris et remet une charte revendicatrice au gouvernement français : annulation des lois d'exception (code de l'indigénat), liberté de culte, liberté de l'enseignement de la langue arabe, égalité des droits, etc.
                  A son retour, la délégation est reçue triomphalement par le peuple et un meeting a eu lieu le 2 août 1936 au cours duquel ont pris la parole différents leaders, Bendjelloul, Abbas, Ben Badis, El Brahimi, El Okbi, Belhadj. Messali Hadj fait pour la première fois son entrée politique en Algérie et de manière éclatante. Il salue l'initiative du « congrès musulman » et clame clairement la revendication d'une Algérie indépendante. En réponse, le cheikh El Okbi souligne que « quand nous nous serons débarrassés du maraboutisme, nous pourrons alors demander l'indépendance et qu'entre-temps, la délégation a demandé l'égalité des droits, la liberté d'enseignement et de prêche ». Dans la même matinée, le mufti d'Alger, M. Kahoul, est assassiné. Les soupçons de l'Administration coloniale se tournent immédiatement vers l'Association des ouléma et particulièrement cheikh El Okbi. Ce dernier fut arrêté le 14 août 1936 au « Cercle du progrès », ainsi que Abbas Turqui, l'un des riches notables proche du mouvement islahiste, et membre du Cercle du progrès. L'administration tente de faire créditer la thèse du crime politique en arrêtant un ancien repris de justice (M. Akacha) qui accusera cheikh El Okbi. C. A. Julien rapporte (Afrique du Nord en marche - dernière édition) que « jamais il n'y a eu une coalition de toutes les forces coloniales (administration, justice, colons) contre la personne d'un seul homme (El Okbi) ». Après la confrontation au « Cercle du progrès » et chez le juge d'instruction, Akacha se rétracte. Néanmoins, le cheikh subira trois années de poursuites et de harcèlements judiciaires... L'affaire ne sera finalement jugée qu'en juin 1939. Cela ne l'empêche pas d'émettre des propos très clairs (déclaration du 23 avril 1937 El Bassaïr). En effet, face à un renforcement de l'autorité, décidée en 1937 par M. Aubant, secrétaire d'Etat, El Okbi fit la réponse suivante : « Que s'est-il passé d'anormal en Algérie qui justifierait le recours aux mesures de répression et au renforcement de l'autorité ? Il n'y a en Algérie ni révolution ni insurrection contre l'Autorité française. Il y a simplement une révolution dans les idées et une conception du devoir. Il y a un peuple qui sait que dépendant de la France, il accomplit tous les devoirs et supporte toutes les obligations, mais se voit privé de ses droits. Si l'Algérie était sur le point de s'insurger, ou si ses enfants, qui dirigent aujourd'hui son mouvement, avaient les moyens que nécessite l'insurrection, elle ne craindrait ni les menaces, ni le châtiment, et rien ne saurait l'arrêter, ni le renforcement de l'autorité, ni la puissance accrue. » (El Okbi - El Bassair, avril 1937) Cheikh Ben Badis assiste au procès en sa qualité de journaliste. Il rendra un vibrant hommage au courage de son compagnon. A. Camus suit tous les débats pour le compte d'Algérie républicain. Il dénonce « le paradoxe singulier d'une accusation qui charge du plus bas des crimes une des intelligences les plus nobles et les plus vénérées du monde islamique », (Cahier Albert Camus/fragment d'un combat/Gallimard). Un grand nombre de partis progressistes français prennent fait et cause pour le cheikh. Ce dernier et son compagnon sont acquittés pour insuffisance de preuves. Au cours du procès, le cheikh fait l'historique de l'Association des ouléma et de ses buts. Il émet l'hypothèse que les possibles auteurs de cette machination sont MM. Michel (SG préfecture) ou M. Mirante (directeur des affaires indigènes). Encore une fois, son éloquence et son audace subjuguent un grand nombre d'assistants. Jusqu'à ce jour, cette affaire demeure non élucidée.
                  Y a-t-il eu complot politique par l'Administration coloniale ou utilisation de cet assassinat pour éliminer un sérieux adversaire et nuire à l'Association des ouléma et au congrès musulman ?

                  Y a-t-il eu assassinat politique par un groupe d'islahistes ou de nationalistes sans l'aval des leaders dont El Okbi ?
                  De toutes les façons, la thèse d'une action de commandos agissant sur les ordres d'El Okbi ne peut être crédible. Certes, El Okbi était une cible prioritaire de l'Administration coloniale, mais il a toujours prôné la non-violence et avant son déplacement à Paris (juillet 1936), il avait appelé la population musulmane au calme. A la veille de la Seconde Guerre mondiale, certains progressistes ou hommes de gauche avaient insisté pour que les différents partis algériens envoient un télégramme de soutien au gouvernement français face aux ambitions hitlériennes. Ainsi, le professeur Wushendorff(7) demanda aux cheikhs Ben Badis et El Okbi l'envoi d'un tel télégramme.

                  L'implication de la politique internationale et l'Association des ouléma

                  L'affaire fut discutée au cours d'un conseil d'administration de l'Association des oulémas. En septembre 1938, la majorité et cheikh Ben Badis refusèrent l'envoi de ce télégramme. Face à la non-réalisation des réformes promises par le gouvernement français, cheikh Ben Badis décida le silence. Cheikh El Okbi et Lamine Lamoudi, en relation avec des hommes de gauche français qui ont soutenu les réformes et surtout la défense du cheikh dans l'affaire Kahoul, ont préféré maintenir une logique de dialogue. A la suite de ce différend, cheikh El Okbi annonça sa démission du conseil d'administration de l'Association des oulémas, pensant que ses collègues ne lui avaient pas donné le support nécessaire et qu'« il ne pouvait compter que sur l'appui de Dieu » (lettre de sa démission). Contrairement à ce qui a été dit, à aucun moment El Okbi ne tenta de créer une autre organisation concurrente, il a toujours maintenu qu'« il restait un simple militant de l'association ». Au cours de son procès (juin 1939), il fit une véritable plaidoirie en faveur de l'association, de ses hommes et de ses buts. El Okbi continua son association réformiste au Cercle du progrès. Les contacts entre lui et Ben Badis n'ont jamais cessé. En juillet 1939 eut lieu au Cercle du progrès, en présence d'Albert Camus, de cheikh Ben Badis et d'autres membres du conseil d'administration, une cérémonie pour célébrer l'acquittement du cheikh. De même au cinéma Majestic, une grande fête a été organisée avec la participation de plusieurs associations (scouts, troupes théâtrales, élèves de la Chabiba,...) sous la présidence de cheikh Ben Badis.

                  L'action du cheikh après la mort de cheikh Ben Badis

                  La mort de cheikh Ben Badis suscita un grand émoi en Algérie, en particulier au sein du Cercle du progrès. El Okbi rendit un hommage très appuyé « au frère, à l'ami et au grand militant », dans son journal L'Islah. En effet, avec le concours de Tewfik El Madani, de Lamine Lamoudi, le cheikh fit réapparaître L'Islah, qui continua de diffuser les idées islahistes mais largement censurées. En 1944, El Okbi fit partie de la commission des réformes et demanda :
                  la liberté d'enseignement de la langue arabe et de prêche.
                  la séparation du culte musulman et de l'Etat.
                  l'égalité totale des droits politiques.

                  Il déclara en outre que les « musulmans algériens sont intéressés par l'égalité des droits et non par une quelconque nationalité » (sous-entendu française).

                  Concernant Messali Hadj, le Cheikh déclara « Si Messali n'est pas écouté, la commission n'aura rien fait car le Parti de Messali représente aujourd'hui une majorité d'Algériens ».(10) Après 1945, le cheikh continua d'animer avec ferveur le Cercle du progrès et les deux associations La Kheiria et La Chabiba. Il se dit à plusieurs reprises un ferme partisan du bilinguisme. Il incita à la création d'autres structures du même genre et anima avec Tewfik El Madani une concertation avec tous les chefs religieux (y compris les chefs de confrérie) en vue de proposer une plate-forme pour la liberté du culte sur demande de M. Chataigeau, alors gouverneur général, considéré libéral.

                  Le comité de réforme de la Palestine

                  Dès l'occupation de la Palestine, le cheikh créa un grand élan de solidarité en faveur des Palestiniens (comité de défense de la Palestine). Un comité des cinq devait être mis en place avec El Okbi, El Ibrahimi, Bayoud, Ferhat Abbas, Messali Hadj. Des messages et pétitions furent envoyés à toutes les autorités françaises et internationales pour le retour des réfugiés, l'action d'une aide conséquente, l'internationalisation de Jérusalem. Le professeur Louis Massignon a soutenu ces actions en faveur de la Palestine et se rendit en 1950 à Jérusalem et à Hébron en compagnie du cheikh pour la défense des lieux habous algériens de Sidi Boumediène, à Jérusalem. Le cheikh fut reçu par le roi Abdallah à Jérusalem et par le roi Saoud en Arabie Saoudite. Dès 1952, le cheikh commença à souffrir sérieusement d'un diabète sévère. Son action déclina en intensité. Le 1er novembre 1954 surprit l'ensemble des courants réformistes. Le cheikh fit une dernière apparition publique le 12 janvier 1956 sur demande insistante d'Albert Camus et d'Emmanuel Robles (conférence sur la trêve civile). La conférence fut donnée par A. Camus au Cercle du progrès, en présence de Ferhat Abbas et Ouzegane. Le service d'ordre était fait par des militants du FLN. Le cheikh, alors grabataire, arriva porté sur une civière. Il tenait à apporter un dernier soutien à une tentative de règlement par la négociation. Auparavant, il avait favorisé la création de l'Union générale des commerçants algériens au Cercle du progrès. Le Cercle du progrès(8), dont l'animateur infatigable pendant près de 25 ans fut cet illustre militant islahiste, a été occupé en 1957 par les parachutistes de Massu. De même, le domicile du cheikh à Bologhine fut fouillé de fond en comble. Le 22 mai 1960, « le magicien du verbe et Lion de l'Islah algérien(9) » s'est éteint à son domicile de Bologhine. Une foule très nombreuse l'accompagna à sa dernière demeure.

                  Notes :
                  7- Le professeur avait pris cause pour les revendications du Congrès musulman algérien. 8- Le dossier « Nadi Ettaraki » a mystérieusement disparu des archives de la wilaya d'Alger. Qui a intérêt à cacher à l'Algérie l'histoire de ce haut lieu de résistance culturelle, linguistique et de renaissance, et de son illustre animateur ? 9- Expression de Ali Merad. 10- Procès-verbaux commission des réformes (1944).
                  Bibliographie sur Tayeb El Okbi
                  En langue nationale
                  Les Poètes de l'Algérie contemporaine (Mohamed El Hadi Senoussi )
                  L'Association des ouléma algériens musulmans 1931-1945 (A. Bousefssaf)
                  NAHDA algérienne contemporaine (Mohamed Ali Debbouze)
                  Une vie de combat ( A.T El Madani )
                  Falsification et contre-vérités dans le livre Une vie de combat, Mohamed T. Foudala
                  En langue française
                  Histoire du nationalisme Algérie (M. Kadache )
                  La Vie politique à Alger (1919-1939) (M. Kadache)
                  Histoire du réformisme musulman en Algérie (1925-1940) (A. Merad)
                  La Montée du nationalisme en Algérie ( A . Saâdallah)
                  Evolution politique de l'Afrique du Nord musulmane (Roger le Tourneau)
                  L'Afrique du Nord en marche (C. A. Julien)
                  Le Maghreb entre les deux Guerres (J. Berque)
                  Confréries religieuses musulmanes (P. J. André)
                  Les Capteurs du divin marabout-oulémas (Augustin Berque)
                  Le Meurtre du muphti Kahoul (P. Soldani - 1936)
                  Moghreb (voir T. El Okbi, Le Bossuet de l'Islam)
                  Le Meurtre du muphti Kahoul (J. M.Brabant) in Revue algérienne sciences juridiques. Décembre 1978 .
                  Ecrits juifs (R. Benchicou)
                  Islam maghrébin contemporain- Bibliographie annotée (Pessah Shinar)
                  Mémoires 1919-1939 (M. Bachetarzi)
                  Alger, capitale de la Résistance, B . Benkhedda
                  Vérités sur la révolution algérienne (M. Lebdjaoui)
                  Louis Massignon, Cahier de l'Herne
                  Le Cheikh T. El Okbi au Cercle du progrès, revue NAQD n° 11 par Sadek Sellam
                  Il était une fois l'ethnographie (G. Tillion)
                  Fragments d'un combat - Cahiers A . Camus
                  Entre nation et jihad - Omar Carlier.
                  Dernière modification par zwina, 06 décembre 2016, 22h56.
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                  • #10
                    L’Association des Ulamas Musulmans Algériens était, avant la Deuxième Guerre mondiale, la seule organisation que craignait l’administration. Son président fondateur, Cheikh Abdelhamid Ben Badis, dirigeait la revue Ach Chihab, dont la devise était : « L’Islam est ma religion, l’arabe ma langue, l’Algérie ma patrie ». C’est clair, c’est net. On savait que l’on ne pouvait pas ébranler Ben Badis directement. On choisit de le contourner par le biais de son père, Si Mustapha. Contrairement à ce que dit Az Zarkali dans Al A’alâm, ni le père, ni le frère de Ben Badis n’ont coupé avec lui. C’est grâce à l’apport financier de sa famille que Ben Badis pouvait donner le pain à ses étudiants. Zarkali a été mal renseigné. Le père, Si Mustapha, avait fait des emprunts à la Banque d’Algérie et malheureusement il y eut deux mauvaises récoltes de suite.

                    Millot, Directeur des Affaires Indigènes, un protégé de Massignon, convoqua le père et le fils Ben Badis ainsi que quatre personnalités arabes. Il mit devant eux le Cheikh Abdelhamid en demeure de démissionner de la présidence de l’Association des Ulamas, sinon il lui prouva, pièces en mains, qu’il pouvait ruiner son père. Pour toute réponse, le Cheikh Ben Badis répéta la parole de notre seigneur Muhammad aux Qoréichites : « s’ils mettent le soleil dans ma main droite et la lune dans ma main gauche …». Le Khalifa Djelloul ben Lakhdar, qui était l’un des quatre à assister â cette réunion, a été bouleversé par cette réponse. En sortant, il dit à ses trois compagnons : « Prenez garde à cet homme, c’est un waliy Allah, quiconque touchera à un de ses cheveux ou dira du mal de lui, qu’il se prépare à l’enfer ».

                    On visa alors le Cheikh El Okbi, qui était, après Ben Badis, le plus célèbre des Ulamas, d’autant que son activité était à Alger. On pouvait voir d’anciens truands avoir les larmes aux yeux pendant le prêche de Cheikh El Okbi. En 1936, le Front Populaire arrive au pouvoir en France. Dans son programme, il se faisait fort d’appliquer une nouvelle politique en Algérie et de répondre à bon nombre de revendications, entre autres la restitution des biens Habous à un organisme musulman. Ces biens, qui représentaient des centaines de milliers d’hectares, étaient détenus sans titres par la grosse colonisation. Le temps ayant fait son œuvre, peu de personnes pouvaient en donner la liste. Mais il était notoire que l’Imam Bendali-Kahoul les connaissait bien. Le scénario fut simple, supprimer Bendali-Kahoul et rejeter le crime sur El Okbi

                    C’est ainsi que Bendali-Kahoul a été assassiné et El Okbi accusé d’être l’instigateur ; l’accusation se fondait sur les aveux d’un pauvre bougre qui, en réalité, n’avait pas assassiné Bendali-Kahoul, car le véritable assassin était un Espagnol sorti de prison pour la cause. Massignon contacta El Okbi en prison et lui promit de le sauver, à condition que plus tard il se retire de l’Association des Ulamas. El Okbi, complètement désarçonné, accepta le marché. Il fut acquitté. Il se retira de l’Association petit à petit et jamais il ne prononça un mot contre ses anciens compagnons. El Okbi a plié sous le fardeau, il le déposa. Le soi-disant assassin de Bendali-Kahoul mourut quelque temps après en prison. Tout ce scénario a été monté par Massignon. Depuis cette affaire, dans ses écrits, le Cheikh Ben-Badis ne le nommait plus que « l’ennemi astucieux ».

                    Extrait de : Hadroug Mimouni L’ISLAM AGRESSÉ, ENAL 1988
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                    • #11
                      Ces grands "guenours"qui de tout temps ont vécus en parasites : quand-ils apporter à l'Algérie de positif ? ...

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                      • #12
                        Infinite

                        Pas le cas du cheikh El Oqbi, il avait pour pires ennemis, les caïds coloniaux qui se faisaient passer pour descendants du prophète ou nobles avec la bénédiction des autorités coloniales qui les avaient nommés.
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                        • #13
                          V. Premiers contacts avec Cheikh Tayeb El-Okbi

                          En 1930, l’administration coloniale française à célébré avec beaucoup d’éclats le centenaire de la «Conquête de l’Algérie ». Pour cela, elle a invité avec les personnalités françaises, celles parmi les Algériens qui la servaient comme les élus, les caïds et autres administratifs. A Sidi-Brahim, le grand Bach’Agha Chibane est invité à cette fête. A cette occasion le Bach’Agha à invité Cheikh Saïd pour l’accompagner à Alger. Pendant que le Bach’Agha se trouve à la fête Cheikh Saïd parcourt les rues de la capitale ; c’était sa première visite à Alger. Soudain, il s’arrête devant un immeuble en face de la Place du Gouvernement, aujourd’hui Place des Martyrs. Sur une plaque, il lit. « Nadi At-Tarekki ». Il pénètre à l’intérieur ; il se trouve devant un Alem donnant une conférence à ses fidèles. S’était Cheikh Tayeb El-Okbi.

                          Pour Cheikh Saïd s’était son premier contact avec les Oulama El-Mouslimine d’Algérie. Le bon Dieu fait bien les choses : Le Bach’Agha voulait montrer au jeune Taleb la puissance de la France. La providence le met en présence de ceux qui la combattent avec leur savoir. C’est alors que Cheikh Saïd choisit sa voie. Il veut aller à Constantine pour suivre les cours de Cheikh El Imame Abd-El-Hamid Ben-Badis. Nous avons vu que sa première expédition n’a pas abouti. Ce n’est que 4 à 5 années plus tard qu’il est allé à Constantine en 1935.

                          En effet son désir s’est réalisé après son séjour à la Zaouia de Sidi-Brahim. Aidé par son père, il va à Constantine. Après un examen, son maître le Cheikh Benbadis l’inscrit en 3ème année. Il lui accorde donc l’équivalence de la 1ère et la 2ème année. Au bout de deux années d’études fructueuses, il termine ses études et retourne à la maison avec une attestation de fin d’études délivrée par Cheikh Benbadis lui même.

                          Il convient de noter, qu’en 1936 après sa première année de séjour à Constantine, Cheikh Saïd emmène avec lui son frère Yahia et son neveu Mohammed-Arezki pour les inscrire d’abord à l’école française et, plus tard, à l’Institut de Benbadis.


                          IV. Délégation de l’association des Oulama en France (3):

                          A cette époque, l’association des Oulama avait décidé d’envoyer une délégation permanente en France, précisément à Paris. Cheikh Saïd était choisi pour cette mission parmi les meilleurs élèves de Benbadis. Cette délégation était présidé par Cheikh El-Fodil El-Ouartilani. Son action a duré pendant deux ans, de 1937 à 1939, jusqu’à la déclaration de la 2ème guerre mondiale (4).Les activités de l’association étaient stoppées. La plupart des Oulamas sont arrêtés, emprisonnés, déportés ou mis en résidence surveillée.

                          L’activité de la délégation en France consiste à organiser les travailleurs Algériens, à créer des sections pour l’association, à ouvrir des écoles d’alphabétisation, le soir, après les journées de travail, à multiplier des réunions de sensibilisation, surtout les dimanches et les jours fériés, à créer des associations culturelles etc…
                          source : Cheikh Said
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                          • #14
                            La circulaire Michel ordonne aux autorités locales de surveiller de très près les communistes et les oulémas. Par cette circulaire, les oulémas ne peuvent plus prêcher dans les mosquées, mais ceci ne diminuera pas le prestige des oulémas. Cette interdiction de prêche s'adressait surtout au cheikh El-Okbi qui bénéficiait d'un grand prestige.


                            Cet extrait est rapporté dans H. Alleg,
                            La guerre d’AlgérieT.I p. 19

                            CIRCULAIRE MICHEL 1933
                            «Il m’a été signalé de divers côtés que la population indigène est inquiétée et troublée par une certaine propagande que feraient dans ce milieu, soit des pèlerins s’inspirant du mouvement wahabite1 de La Mecque, soit des pèlerins algériens qui auraient été gagnés aux idées panislamiques, soit enfin des groupements tels que l’Association des savants musulmans2, fondée en vue de l’ouverture d’écoles privées arabes où seraient enseignés le Coran et la langue arabe – et qui est en relation suivie avec le Destour3 tunisien (…).
                            Cette situation appelle notre plus active vigilance. Il n’est pas possible de tolérer une propagande qui, sous le masque de la culture islamique ou de réformes religieuses, dissimule une orientation pernicieuse (…)


                            L'association des ulema devait faire face aux persécutions de l'administration coloniale et aux pressions des laquais de cette dernière ...Ainsi, le recteur de la mosquée de Paris, le sieur kaddour benghabrit, s'honorait d'interdire la mosquée aux membres de cette association et remerciait chaleureusement l'administration coloniale de le soutenir dans cette action ....Ce qui a amené l'association à le comparer à Ferdinand Michel et sa circulaire ci-haut

                            Source : archives el-Bassaïr, l'organe de l'association (en haut à gauche) :


                            https://archive.org/stream/ElBassarD...e/n73/mode/2up


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                            • #15
                              archives el-Bassaïr, l'organe de l'association (en haut à gauche) :
                              aucun document ne le démontre, pourrais tu nous trouver une lettre ou un extrait du journal de l'association de l'époque ?
                              Les libertés ne se donnent pas, elles se prennent

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