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L’école mondialisée

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  • L’école mondialisée

    C’est reparti. Comme tous les trois ans, la nouvelle fournée de tests Pisa va nous offrir son lot d’atermoiements, d’autocritiques et de pétage de bretelles. Aux quatre coins du monde, on va voir des ministres de l’Éducation, nommés souvent la veille, déchirer leur chemise et promettre tout et son contraire.

    Le scénario est chaque fois le même. Les grands prêtres de l’OCDE, ce think tank de la mondialisation heureuse basé à Paris, nous fournissent un palmarès des principaux systèmes éducatifs du monde. Ce hit-parade prétend comparer la qualité de la formation offerte dans plus de 70 pays souvent aux antipodes sur les plans culturel, scolaire et socio-économique. Faisant fi des programmes, ignorant volontairement toute évaluation des savoirs, ces tests ne cherchent à mesurer que quelques « compétences » de base auprès des jeunes de 15 et 16 ans en lecture, en mathématiques et en sciences. Habiletés dont on nous dit bien qu’elles seraient fondées, non pas sur des apprentissages scolaires, mais sur les aptitudes des élèves à appréhender les situations de la vie quotidienne.

    On peut donc être champion du Pisa et ne pas connaître la capitale de son pays. Un élève peut obtenir plus que la moyenne en mathématiques sans avoir jamais entendu parler du théorème de Pythagore. Un pays peut même être cité en exemple malgré un taux de décrochage abyssal.

    Au début, ces tests ont fait autorité. Mais les ficelles du Pisa commencent à être apparentes. Pour bien se classer, il faut surtout être un petit pays homogène. Les meilleurs élèves sont soit de petites sociétés tricotées serré (Finlande, Estonie), soit des pays asiatiques où les élèves sont soumis à un régime draconien (Japon, Corée du Sud, Singapour). Aucun grand pays multiculturel, même avec les meilleures universités du monde, ne fait d’étincelles. Les États-Unis, l’Allemagne, la France et le Royaume-Uni obtiennent chaque année des résultats plutôt moyens. Les grands pays qui, comme la France, accueillent une immigration pauvre et souvent analphabète ont systématiquement de mauvais résultats. Au contraire, ceux qui, comme le Canada, accueillent une immigration favorisée plus instruite que la moyenne se classent évidemment en tête. « Mieux vaut être riche et en santé que pauvre et malade ! » aurait dit en son temps Yvon Deschamps…

    Si, depuis 15 ans, ces tests ont pu permettre de mesurer certaines évolutions à l’intérieur de chaque pays, force est de constater qu’ils ont surtout été un vecteur d’uniformisation de l’école et de sa subordination aux besoins de l’entreprise mondialisée. En s’appuyant sur l’expérience de la formation professionnelle et les pédagogies qui en sont issues, les concepteurs de ces tests se sont toujours montrés plus soucieux de former des employés « compétents » et « polyvalents » que des citoyens cultivés et instruits.

    En 2014, dans le Guardian, plus de 80 experts internationaux avaient réclamé la suspension de ces tests subventionnés à coups de millions par les États. Ils contestaient la capacité d’un test aussi « étroit » et « peu objectif » à rendre compte de la diversité des systèmes d’éducation dans le monde. Selon eux, le Pisa ne fournit que des évaluations quantitatives très contestables et ne suscite que des réformes à court terme essentiellement destinées à faire du chiffre. Mais surtout, il ne s’intéressait qu’à la préparation des élèves au marché du travail, au détriment des autres vocations de l’école, comme l’éducation morale, civique et culturelle.

    Les experts rappelaient que, contrairement aux évaluations comparables faites par des organismes publics, ces tests étaient réalisés par un consortium public-privé à but lucratif. Ils s’élevaient contre un « régime Pisa » impliquant une batterie toujours plus grande de tests et de techniques pédagogiques préfabriqués réduisant d’autant l’autonomie des enseignants et « le plaisir d’apprendre ».

    Forts de l’hypermédiatisation de leurs tests, les responsables n’ont jamais hésité à s’ingérer dans la vie politique de certains pays. En France, les représentants de l’OCDE n’ont pas craint de flatter les réformes pourtant controversées de la ministre de l’Éducation Najat Vallau Belkacem et de critiquer le retour aux savoirs fondamentaux que propose le candidat de la droite François Fillon.

    La grand-messe qui entoure chaque année les tests Pisa est bien le symptôme que nos dirigeants ne savent plus à quel saint se vouer face à la crise de l’école. Pauvre social-démocratie ! Incapable de réduire sur le terrain les inégalités engendrées par la mondialisation, elle s’est rabattue sur l’école, quitte à la détourner de sa mission première, à en rabaisser le niveau et à s’en remettre à des slogans aussi vides que l’« école de la réussite ».

    Tel est en effet le nom d’une école d’où la culture, les savoirs fondamentaux et la littérature ont progressivement été expulsés. Pourtant, l’école ne saurait être une machine à fabriquer de l’égalité et encore moins une machine à « réussir ». C’est d’abord une institution faite pour instruire et éduquer. Et c’est à cela que l’on devrait avant tout mesurer sa réussite.


    Le Devoir
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