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Histoire de Blida, la ville des Roses...

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  • Histoire de Blida, la ville des Roses...

    Sidi Kouïderel-Arouci avait de fréquents démêlés avec la justice du hakem (représentants des ottomans) de Blida. Un jour — c’était du temps de Hacen-el-Gritly — Sidi Kouïder avait été appelé devant le tribunal de ce hakem pour y répondre sur des faits manquant de limpidité, et n’ayant rien de commun avec ce que nous appelons délicatesse et probité. Il se présenta devant Hacen-el-Gritly — qui était Turk — qui, bien que dans ses habitudes, n’en déplaisait pas moins souverainement à ce hakem ; de plus, ce haut fonctionnaire passait pour être complètement dépourvu de patience. Interrogé sur les faits qui lui étaient reprochés, Sidi El-Arouci répondit au hakem que, d’abord, il ne reconnaissait pas sa juridiction, et qu’ensuite, il ne lui convenait pas, à lui descendant de la fille du Prophète, de se disculper devant un impie tel que lui. Hacen-el-Gritly était d’un caractère peu endurant ; or, malheureusement pour le cherif, ce hakem avait précisément sous la main un bâton qui lui servait habituellement à faire la lumière dans les causes obscures ; mis hors de lui par l’insolence du saint homme, il se laissa aller à le rouer de coups sans même avoir songé un seul instant à lui ôter préalablement son turban vert, marque par laquelle affectent de se distinguer les descendants du Prophète. Le marabouth chercha tout naturellement à se soustraire par la fuite à la réprimande du hakem ; il se précipita dans la rue la tête nue — son turban était tombé pendant l’affaire — en jetant les hauts cris, et en maudissant Hacen-el-Gritly. La malédiction lancée par Sidi Kouïder ne devait pas tarder à être suivie d’effet : le soir même de cette aventure, le hakem était frappé d’une paralysie du pied et du bras, celui avec lequel il avait bâtonné le cherif; de plus, une sorte d’incendie s’était allumé dans son estomac, et l’eau qu’il ne cessait de demander à grands cris et dont il absorbait d’effrayantes quantités, semblait, au lieu d’éteindre le feu qui le consumait, développer, au contraire, l’intensité de la combustion, et agir comme si l’on se fût servi d’huile. Frappé si soudainement, le hakem ne douta pas un seul instant que le mal qui l’atteignait ne fut le résultat de la bastonnade qu’il avait si malencontreusement infligée au cherif-marabouth ; aussi, avait-il compris que c’était le moment ou jamais de s’en repentir et d’en exprimer ses regrets à Sidi Kouïder. On l’envoya chercher à la zaouya de Sidi Ahmedel-Kbir, et, pour le décider à se rendre à cet appel, on lui promit de somptueux cadeaux. Le saint voulut bien se déranger. A son arrivée à la demeure du hakem, ce fonctionnaire était déjà dans le plus piteux état. Sa femme se jeta aux genoux de Sidi Kouider en l’implorant pour qu’il pardonnât à son époux ; il avait eu les plus grands torts — elle le reconnaissait et lui aussi — d’avoir cédé à un mouvement de colère, et de s’être oublié jusqu’à oser frapper un homme de son caractère et de sa valeur. « Pardonne-lui, ô monseigneur ! et fais cesser les atroces douleurs que tu as appelées sur sa tête ! Par la vérité de Dieu ! si tu as pitié de lui, le nègre du hakem et ma négresse sont à toi ! »

    Pendant ce temps, le hakem se tordait de douleurs sur sa natte; on eût dit qu’il avait mangé du fruit du Zakkoum, de cet arbre qui pousse au fond de l’enfer, et qui sert de nourriture aux damnés, détestable aliment qui bouillonne dans leurs entrailles comme un métal en fusion. Mais le marabouth fut impitoyable. « Il était bon, pensait-il, de faire de temps en temps un exemple pour rappeler à ces Turks que Dieu les maudisse ! — qu’il pouvait y avoir quelque danger à malmener, ce à quoi ils étaient trop disposés, les cherifs et les marabouths. » A peine le saint était-il sorti de la maison du hakem, que ce dernier éclatait comme un projectile creux, et se fendait en deux parties. Ses entrailles ne présentaient plus que des débris brûlés et torréfiés ; une matière grasse et fétide se répandait sur le sol, et une suie puante et pénétrante tapissait les parois de cette dépouille humaine. Une flamme légère et bleuâtre courait à la surface du cadavre comme ces feux follets qui se produisent dans les marécages : c’était un spectacle horrible, et les gens de Blida en ont longtemps gardé le souvenir. Ceci se passait vers la fin du siècle dernier, dans la maison moresque qui porte aujourd’hui le numéro 5 de la rue AbdAllah.

    ps : le 5 rue abdallah n'est donc pas un bien vacant mais revient à ses anciens propriétaires qui sont les Ou Kaci.
    Dernière modification par zwina, 26 décembre 2016, 11h55.
    Les libertés ne se donnent pas, elles se prennent

  • #2
    Lalla Imma Tifelleut

    La montagne des Bni-Salah est riche en saintes : outre la chapelle funéraire de Lella Imma Tifelleut, on y compte encore celui de Lella Taourirt, la Dame du Monticule, la haouïtha de Lella Imma Mr’ita, au milieu d’un cimetière, celle de Lella Imma-Ouçâa sur la rive gauche de l’ouad El-Guethran, et le chêne-mekam de Lella Imma-Mimen sur la rive gauche de l’ouad BniAzza. Toutes ces saintes, qui ont été de pieuses femmes pendant leur existence terrestre, ont, comme les marabouths morts en odeur de sainteté, leur jour de ziara (pèlerinage) et leur fête annuelle ; elles ont aussi leurs serviteurs religieux : ce sont, généralement, les gens de la fraction qui leur ont élevé soit une chapelle dans laquelle ont été déposés leurs restes, soit un mekam rappelant le lieu où elles ont prié ou séjourné.

    A cinq cents mètres sud-ouest de la chapelle dédiée à Sidi Abd-el-Kader-el-Djilani, et à la tête d’un ravin jetant ses eaux dans l’ouad Er-Raha, s’élève un djamâ renfermant la dépouille mortelle de la plus grande sainte des Bni-Salah, Lella Imma-Tifelleut. A quelle époque vivait cette sainte femme ? La tradition kabyle, qui n’a jamais affiché de prétentions en matière de chronologie, garde le silence le plus absolu sur cette question. Il y a tout lieu de croire pourtant que ce fut avant l’apparition des marabouths dans le pays, c’est-à-dire antérieurement à la fondation du gouvernement des pachas. S’il faut en croire les Amchach, Lella Tifelleut fut d’abord la plus belle des vierges de la montagne ; tout mortel dont la prunelle rencontrait la sienne était subitement frappé de folie, et devenait incapable de produire autre chose que des soupirs. Les anciens de la tribu avaient fini par s’émouvoir d’une situation qui menaçait de transformer les Bni-Salah en une tribu d’aliénés, et une députation s’était rendue chez le père de la ravissante Tifelleut pour l’engager à la marier au plus tôt, et cela avec un étranger qui, en l’emmenant loin de la tribu, mettrait un terme à la terrible affection dont souffraient, à son endroit, les trop inflammables Bni-Salah. Mais marier la charmante Tifelleut était chose d’autant moins facile qu’elle semblait éprouver plus que de l’horreur pour la vie à deux ; aussi, réponditelle,aux ouvertures de son père par un refus très net qu’elle ne prit même point la peine de motiver. Le père, tout décontenancé, s’en alla raconter son insuccès aux notables de la tribu, et ceux-ci ne purent que gémir avec lui d’un entêtement qui menaçait d’éterniser la fore passion à laquelle étaient en proie tous les jeunes gens de la montagne. Si ce désordre des cœurs se fût localisé dans la tribu des Bni-Salah seulement, ce n’eût été que demi-mal ; mais la terrible affection fit la tache d’huile et se communiqua aux tribus voisines. Chaque jour, c’était, autour du gourbi qu’habitait la séduisante Tifelleut, un cortège de soupirants qui y venaient comme en pèlerinage, guettant avec une patience féline le moment où elle se rendait à la fontaine. Pendant longtemps, cette manifestation se borna à des soupirs; pourtant, un jeune et fougueux Misraouï(1) s’était, un jour, hasardé à lui peindre dans une kacida (petit poème) échevelée toute l’étendue de sa souffrance; il terminait en lui demandant sa main :
    « Ia lelleti ! ïa bedri ! Kouni cherikti fi âmri ! » « O ma dame ! ô ma pleine lune ! Sois mon associée dans la vie !
    »

    Le Misraouï en fut pour ses frais de poésie : l’éblouissante Tifelleut resta inflexible aux accents de cet incandescent Kabil ; celui-ci fut d’autant plus piqué de ce refus, que les filles des Bni-Misra ne lui avaient jamais rien refusé. Sa vanité de séducteur en souffrit horriblement, comme on doit bien le penser; la passion finit par l’aveugler à ce point qu’il résolut de prendre par la violence ce que la prière avait été impuissante à lui faire obtenir. C’était mal ; mais soyons indulgents pour ceux qui aiment. Il prit donc ses mesures pour enlever l’insensible Tifelleut. Cette opération présentait d’autant moins de difficultés dans l’exécution, que la jeune Kabile, trop naïvement candide pour soupçonner le mal, n’avait rien changé à ses habitudes : elle allait, comme par le passé, deux fois par jour à la fontaine, et quelquefois elle s’y trouvait seule. Le Misraouï, suivi d’un de ses serviteurs dans lequel il avait toute confiance, vint s’embusquer, un jour, dans les broussailles de chênes qui couvrent la rive droite de l’ouad El-Merdja, un peu au-dessus du douar des Amchach, et tout près du sentier par lequel passait habituellement la jeune fille pour se rendre à la fontaine. Deux mules, dont l’une portait un élégant palanquin, broutillaient, la bride sur le cou, quelques maigres touffes de dis tigrant le sol çà et là. Il n’était pas loin de l’heure de la prière du mor’reb (coucher du soleil), et, pourtant, la charmante Tifelleut ne paraissait pas encore dans le sentier qui menait à la source. Avait-elle pris un autre chemin? Ce n’était pas probable, puisque celui sur lequel le Misraouï attendait était le plus court et le plus commode. L’impatient Kabil ne savait que penser de ce retard, et mille suppositions plus ou moins sensées venaient le torturer et l’irriter. « Peut-être ai-je été aperçu par l’un de mes rivaux, pensa-t-il, ou bien, avec ce flair dont sont douées les femmes, la trop rusée Tifelleut a-t-elle deviné mon projet ? » Ce qu’il y a de certain, c’est que le Misraouï commençait sérieusement à désespérer, et que les bouillonnements de la rage sourde à laquelle il était en proie se trahissaient déjà à l’extérieur de son individu par des plissements de front, par des grincements de dents et par des serrements de poings. Mais tout à coup le visage du Misraouï se déplissa et ses poings se desserrèrent : il venait d’apercevoir au tournant du sentier celle qu’il brûlait de posséder. En effet, la belle Tifelleut s’avançait, la cruche à la hanche, et avec ce gracieux balancement de l’assiette que les femmes kabiles ont évidemment emprunté aux femmes arabes. Bien qu’on ne fût pas encore couramment sur son pâle visage les signes par lesquels Dieu distingue ses élus, il n’en brillait pas moins déjà de ce rayonnement qui émane des êtres à qui Dieu a donné ici-bas une mission de charité ou d’amour. Ces marques étaient certainement lettre close pour le brutal Misraouï ; il en ressentait les effets, mais la cause échappait à ses sens grossiers ; il ne voyait rien d’ailleurs au delà de la possession charnelle de cette merveilleuse fille. Sur un signe du Misraouï, son serviteur bridait les bêtes. Quant à lui, il s’apprêtait à fondre sur la pauvre Tifelleut dès qu’elle aurait pénétré dans le chemin creux. Avant de s’y engager, et comme si elle eût eu le pressentiment de ce qui allait se passer, elle s’arrêta et regarda autour d’elle. Le résultat de cette inspection fut sans doute satisfaisant ; car elle entra dès lors sans hésiter dans le sentier raviné qui menait à la fontaine.
    Quand elle fut à sa hauteur, le Misraouï bondit comme un tigre, et se précipita sur sa proie qu’il enleva comme il l’eût fait d’une plume ; il est vrai que l’amour doublait ses forces. La charmante Tifelleut ne poussa pas un cri, ne fit pas la moindre résistance ; elle avait compris, sans doute, qu’il était écrit que le Misraouï serait son ravisseur, et la résignation musulmane lui prescrivait dès lors de ne point chercher à lutter contre la destinée. Peut-être aussi, avait-elle pensé que le Dieu unique la tirerait de ce mauvais pas. Elle eut même assez de calme et de sang-froid pour poser sa cruche à terre sans la casser. Dans une famille habile, le fait d’une cruche cassée a, de tout temps, été un événement ; car cela y représente une perte relativement considérable. Cette cruche laissée dans le sentier était aussi une indication pour la famille de la victime, puisqu’elle permettait de déterminer l’endroit où sa disparition devait avoir eu lieu. Le Misraouï, disons-nous, enleva la thofla comme si elle eût eu la légèreté d’un oiseau, et la déposa dans le palanquin que portait la mule. Après avoir soigneusement fermé les rideaux de la litière et prescrit à son domestique de conduire la bête par la bride, le ravisseur monta sur la seconde mule et donna le signal du départ. Comme il n’eût pas été sans danger pour le Misraoui de rencontrer sur son chemin des gens des BniSalah, il se garda bien de suivre les sentiers qui reliaient entre eux les gourbis ou les douars des Kerracha, lesquels font partie de la tribu des Bni-Salah ; il escalada, au contraire, les hauteurs boisées de cèdres, qui s’allongent dans le nord-est, et suivit leurs crêtes en traversant le pays des R’ellaï. Il pénétra sur le territoire des gens de sa tribu, les Bni-Misra, par les Taoula, qui en sont une fraction, et descendit sur l’ouad ElMokthâ, où étaient ses gourbis, par l’oued Mermoucha. Il fallait à ses mules l’étonnante adresse et la sûreté de pied qui sont particulières à ces animaux, pour traverser sans accident un pays aussi affreusement tourmenté que celui qu’elles venaient de parcourir. Pendant tout ce voyage, le Misraouï, abîmé dans des pensées qui, tour à tour, lui avaient montré le ciel et l’enfer, c’est-à-dire la possession de la ravissante Tifelleut, et le châtiment que devait, inévitablement, attirer sur sa tête l’affront qu’il venait d’infliger à la famille de la jeune fille et à la tribu des Bni-Salah tout entière, le Misraouï, disons-nous, n’avait point une seule fois adressé la parole à sa victime. Il avait pensé avec raison qu’elle devait être fort irritée contre lui, et qu’il en serait probablement très mal reçu. Il s’était donc borné, en tenant sa mule à quelques pas de celle de la jeune vierge, à surveiller, autant que le lui permettait une nuit splendidement étoilée, le palanquin qui la renfermait dans ses rideaux. Il atteignit ses gourbis un peu avant l’heure de la prière du fedjeur (point du jour). Le serviteur arrêta la mule au palanquin devant un groupe d’habitations disposées à peu près en douar, et renfermées dans une haie de figuiers de Barbarie, dont les solutions de continuité étaient remplies par des broussailles sèches de jujubier sauvage. Après avoir mis pied à terre, le Misraouï s’approcha de la mule qui portait l’objet de son fougueux et brutal amour, et il écarta les voiles du palanquin en disant d’une voix qu’il s’efforçait, mais vainement, de rendre tendre : « Nous sommes arrivés, ô ma bien-aimée ! » et il s’apprêtait à la prendre dans ses bras pour la descendre de la litière. Mais, ô mi-racle ! une colombe avait remplacé la délicieuse Tifelleut, et les bras du trop passionné Misraouï s’étaient refermés sur le vide. Dans sa fureur, le grossier Misraouï eut un instant la pensée de tordre le cou à la colombe ; mais il réfléchit qu’il avait évidemment affaire à une élue de Dieu, et qu’il serait peut-être imprudent de s’y attaquer. D’ailleurs, l’oiseau s’était envolé, et avait repris la direction des Bni-Salah après avoir tournoyé, comme pour le narguer, au-dessus de la tête du ravisseur. Ce Kabil en fut pour sa honte, et, dans la crainte que son aventure ne s’ébruitât, et qu’il ne devînt la risée des tribus voisines, il quitta les montagnes des BniMisra pour s’enfoncer dans celles du Djerdjera.

    Ce miracle, on le pense bien, fit grand bruit dans toute la montagne, et il n’en fallut pas davantage pour établir la réputation de sainteté de la jeune vierge, et prouver aux incrédules qu’elle était l’amie de Dieu.

    Les libertés ne se donnent pas, elles se prennent

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    • #3
      Nous voilà dans le pays des Bni-Salah, de ces intrépides Kabils avec qui nous eûmes si souvent maille à partir de 1830 à 1841. Attention ! nous sommes en territoire militaire, et, conséquemment, sous l’odieux régime du sabre. Je
      m’attends bien à trouver au sommet de quelque mamelon la casquette du commandant supérieur hissée au bout d’une perche. Je déclare d’avance qu’à l’imitation de Guillaume Tell, je me refuse à saluer cette coiffure si l’autorité n’est pas dessous. C’est vraiment singulier comme l’air vif des montagnes pousse à la haine des tyrans et au mépris ries puissants de la terre. Que sera ce donc, mon Dieu ! quand nous serons à dix-huit cents mètres au-dessus du niveau de la mer ? J’en frémis pour le Gouvernement !...

      Avant d’aller plus loin, disons quelques mots de la topographie générale du pays dans lequel nous allons nous engager, nous réservant d’en peindre les
      détails au fur et à mesure que nous les rencontrerons. Le massif des Bni-Salah s’élève en pyramide sur une base rectangulaire dont le périmètre est baigné, au nord, par une portion de l’ouad Sidi-Ahmed-et-Kbir, à l’est, par l’ouad Abarer’ (du Renard), qui prend successivement les noms d’El-Djelatha (des Gauchers) et des Bni-Azza ; au sud, par l’ouad El-Guethran (du Goudron) et l’ouad El-Merdja (du Marais) ; à l’ouest, par l’ouad Ech-Cheffa (de la Lèvre). Chacun de ces cours d’eau marque également les frontières des Bni-Salah, et les sépare administrativement de leurs voisins, qui sont : au nord, les Blidiin (gens de Blida) ; à l’est, les R’ellaï ; au sud, les BniMsâoud,
      et à l’ouest, les Mouzaïa.

      Les deux principales arêtes du massif s’allongent dans la direction générale du système orographique de l’Afrique septentrionale, c’est-à-dire du nord-est
      au sud-ouest ; ces arêtes se nouent à un sommet commun qui s’élève de dix-huit cent quarante mètres audessus du niveau de la mer, et de quinze cent quatrevingts mètres au-dessus de Blida. Le pays s’étage en trois degrés gigantesques qui ont chacun une végétation particulière : au premier étage, les céréales, les jardins, les vergers ; au deuxième, les chênes des diverses espèces et les plantes aromatiques ; au troisième, les cèdres.

      Le massif des Bni-Salah est, généralement, boisé; des ravins encaissés, des dépressions et des crevasses profondes le ridant et le hachant en tous sens, en rendent l’ascension difficile, dangereuse même, ainsi que nous le verrons, d’ailleurs, en le parcourant. Nous débutons par l’escalade d’une rampe tortueuse inclinée à 45 degrés. Nos montures semblent comprendre que la journée sera rude ; elles hésitent un instant ; mais les braves bêtes, après avoir exhalé un long soupir, en prennent bien vite leur parti, et se lacent courageusement dans un chemin raboteux s’enroulant autour du pied du porte-ciel comme un rdif à la jambe d’une Musulmane

      Cette route, que les Arabes appellent Thrik etTrab-el-Ahmeur (chemin de la Terre rouge), à cause de la nuance rougeâtre du sol, a été ouverte par nos
      troupes, dans le courant de l’année 1840, pour faciliter les communications entre Blida et le poste qu’on venait de créer à Tala-Izid, point situé dans la montagne à douze kilomètres de la ville. Cette route, si singulièrement
      tourmentée aujourd’hui, était pourtant, en 1840, praticable pour les voitures légères : c’était, certainement, le temps des cochers téméraires et des
      gens ne tenant que médiocrement à la vie. Cette voie de communication fut, l’année suivante, poussée jusqu’à l’ouad. El-Merdja, dans la direction de Médéa ; mais les mulets seulement pouvaient s’y aventurer. Nous tournons bientôt à gauche, et nous pénétrons dans une dépression ravinée, au-dessus de laquelle s’élève à droite la koudïet (mamelon) Ameur-ou-Ammar. C’était, habituellement, par ce col que les Turks envahissaient le pays des Bni-Salah lorsqu’ils avaient à y punir quelque mutinerie, ou à y réprimer quelque
      résistance aux ordres de l’ar’a des Arabes, de qui ces montagnards relevaient directement.

      Ces démêlés entre les Turks et les Bni-Salah naissaient le plus ordinairement à propos des corvées que le gouvernement exigeait des tribus. Ces corvées
      étaient une sorte d’impôt en nature auquel il était toujours imprudent de chercher à se soustraire. Parmi ces impôts, figurait en première ligne la thouïza, culture gratuite, par corvée, des terres du Baïlek.

      Le gouvernement turc possédait dans la Mtidja, avant la conquête, un grand nombre de haouch (fermes) dont il faisait cultiver les terres par les tribus qui en étaient voisines. Les Bni-Salah, dont le pays s’étendait autrefois, dans la Mtidja, jusqu’au haouch El-Mebdouâ,reçurent, un jour, l’ordre de faire les moissons du haouch Ben-Khelil, à l’ouest de Bou-Farik, et du haouch El-Ar’a, situé sur la route de Médéa, au pied des montagnes des Mouzaïa. Les Bni-Salah s’assemblent, discutent, s’exaltent, et finissent par décider qu’ils ne feront pas les moissons du Baïlek. C’était grave. Quelques anciens, effrayés d’une résolution aussi nettement formulée, cherchent à rouvrir la discussion,
      et s’efforcent de faire entendre aux rebelles que la résistance ne leur a jamais été bien profitable, qu’elle n’avait amené, au contraire, sur leur tribu, que ruine et désastres. Ces sages remarques ébranlent quelques esprits ; enfin, ou lève la séance en s’arrêtant à une demi-résistance : on répondra aux Turks qu’on ne peut moissonner que les blés d’un seul haouch, de celui qu’ils désigneront. Les Turks, pour sauvegarder le principe d’autorité qui fait toute leur force, rejettent la proposition des Bni-Salah et persistent à exiger la moisson des deux haouch ; ils s’étonnent que des mangeurs de glands comme les Bni-Salah osent se permettre de marchander avec leurs maîtres. Nouvelle réunion de ces Kabils ; ils sont plus tumultueux que jamais : les orateurs pérorent ; les masses s’échauffent ; les exaltés jurent par Dieu qu’ils refusent désormais toute obéissance à ces maudits Turks qui, après tout, sont l’ennemi. Les anciens essaient encore quelques timides remontrances ; mais leur voix se perd dans le bruit, et la majorité décide qu’on refusera net de faire la moisson des deux haouch, puisque l’autorité se montre si brutalement
      exigeante.

      Les Turks qui, pour le moment, ne sont pas en mesure de faire une expédition chez les Bni-Salah, paraissent fermer les yeux sur la désobéissance de ces montagnards. Il n’en est plus question. Les étourdis
      et les gens sans expérience se réjouissent et prennent de la fierté d’avoir résisté à leurs maîtres. Les hommes sages en gémissaient ; ils savaient bien
      que les Turks n’avaient jamais laissé la rébellion impunie, et ils ne cessaient de recommander aux jeunes gens de se tenir sur leurs gardes. En effet, quinze jours après cet acte de désobéissance, l’autorité faisait arrêter sur le marché de Blida, où ils avaient eu l’imprudence de reparaître, huit de
      ces Kabils pris parmi les notables du pays, et les jetait en prison. Les Bni-Salah courent aux armes, descendent de leurs montagnes, et délivrent les détenus après avoir brisé les portes de leur prison. Il n’y avait plus dès lors à reculer, et les Bni-Salah ne devaient plus songer qu’à se préparer à combattre. L’ar’a des Arabes convoque sur-le-champ les contingents des Zouetna, des Arib et des Mâdna, qui, le premier jour, viennent camper chez les Oulad-Iâïch. Ces fantassins, commandés par des chaouchs, escaladent,
      dès le matin du lendemain, par le Bordj EzZiïat, les premières pentes du pays des rebelles. Les Bni-Salah les attendent sur les mamelons boisés des Bni-Chebla (fraction des Bni-Salah) : embusqués dans les broussailles de chênes et de genets, ils laissent arriver jusqu’à eux, et sans donner signe de vie, les
      traris (fantassins) requis par le Gouvernement; puis ils sortent tout à coup des maquis qui les cachent, et se précipitent sur eux avec une grande ardeur. Surpris par la brusquerie et l’énergie de l’attaque, les requis ne peuvent tenir nulle part ; ils se retirent en laissant une dizaine des leurs sur le terrain.

      Quelques jours après, les contingents tentent une nouvelle attaque ; ils traînent, cette fois, derrière eux une pièce de canon dont ils tirent, sans beaucoup de succès, quatre ou cinq coups. Ils sont encore forcés de se retirer. Les attaques ouvertes ne leur réussissant que médiocrement, les traris essaient de la guerre de surprise : par une nuit bien sombre, ils montent, forts de 600 hommes, chez les Bni-Salah. Leur but est de faire une r’azia (incursion, coup de main) qui amène les révoltés à composition. Ils surprennent, en effet une garde de trente hommes et lui coupent quinze têtes ; le reste du poste peut s’enfuir à la faveur des ténèbres.

      La guerre se fut éternisée sans l’intervention pacifique de Sid Mahammed, fils de l’illustre marabouth d’El-Koleïaa (Koléa), Sidi Ali-ben-Mbarek, qui engagea
      les Bni-Salah à demander la paix. Elle leur fut généreusement accordée, à la condition qu’ils payeraient une rmia (amende) de 900 boudjhou (16,200 francs). On ne pouvait guère, réellement, se donner le plaisir de la révolte à meilleur marché. Les Bni-Salah eurent encore, avec les Turks, quelques affaires de ce genre dont ils se tirèrent avec le même succès, c’est-à-dire en leur cédant quelquesunes de leurs têtes et en leur payant l’amende. La Koudïet Ameur ou-Ammar a encore d’autres souvenirs de sang.
      Les libertés ne se donnent pas, elles se prennent

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      • #4
        Depuis la fin d’octobre 1839, les Bni-Salah inquiétaient Blida d’une manière incessante : postés sur les pentes les plus rapprochées de la ville, ils tiraient
        sur tout ce qui paraissait dans la citadelle, qu’ils dominaient complètement. Le 13 novembre, ils nous blessèrent ainsi trois hommes de la garnison. Le général Rullière, commandant supérieur du camp de Bou-Farik, informé de cet état de choses, résolut sinon d’y mettre un terme, du moins de faire payer cher aux Réguliers et aux Kabils leurs agaçantes attaques. Cette expédition ne pouvait être tentée par les garnisons de Blida ou du Camp-Supérieur, lesquelles se trouvaient dans l’impossibilité la plus absolue de dérober le moindre de leurs mouvements aux Bni-Salah, qui les observaient ; il devenait donc indispensable, pour mettre toutes les chances de succès de notre côté, de confier cette opération à des troupes étrangères aux garnisons de Blida et de son camp.

        Le 1er décembre, une colonne de deux bataillons, venant de Bou-Farik, arriva, vers sept heures du soir, au Camp-Supérieur ; le commandant de cette colonne prit immédiatement ses dispositions pour surprendre les grand’gardes des cantonnements de Mohammedben Allal, qui, depuis quelque temps, paraissaient se relâcher de leur vigilance habituelle. L’ennemi puisait sa confiance et sa sécurité dans la faiblesse numérique de nos garnisons, qui ne pouvaient guère songer à l’offensive. Ben-Allal ignorait l’arrivée de cette colonne au Camp-Supérieur, et, d’ailleurs, l’eût-il connue, les mouvements de troupes entre le camp de Bou-Farik et Blida étaient si fréquents, qu’il ne s’en fût pas inquiété davantage. Vers trois heures du matin, les deux bataillons prirent les armes en silence, et se dirigèrent, du CampSupérieur, vers la Koudïet Ameur-ou-Ammar et les sentiers qui sont à l’embouchure de l’ouad Es-Semmar ; ils escaladèrent sans bruit les premières pentes ; les têtes de colonnes devaient se rejoindre sur un petit plateau, au-dessous de l’Aïn-Bni-Chebla, en tournant les grand’gardes. L’expédition était périlleuse en raison surtout de la difficulté du pays ; puis l’éveil pouvait être donné trop tôt, et nos deux bataillons auraient eu en un clin d’œil les Réguliers et les Kabils sur les bras. Mais tout se passa pour le mieux : deux ou trois petits postes avancés furent surpris, et les Réguliers qui les composaient mis immédiatement hors d’état de donner l’éveil. Après des efforts inouïs, de la part surtout de la colonne de gauche, les deux bataillons se rejoignirent au-dessus des grand’gardes, dont on connaissait la position, attendu que les Réguliers ne se donnaient plus, depuis longtemps déjà, la peine d’en changer l’emplacement quand venait la nuit. Tout dormait. A un signal donné, nos soldats se rabattent à droite et à gauche sur le cabanes en feuillage, et se précipitent à la baïonnette sur les Réguliers qui, surpris, épouvantés, fuient sans armes dans toutes les directions ; mais, emprisonnés dans un cercle de fer auquel ils viennent se heurter, ils sont rejetés jusque sur les escarpements de l’ouad Sidi-El-Kbir.

        Mais des feux s’allument bientôt sur les crêtes ; tout le massif en est constellé ; de grands cris se font entendre ; les Réguliers et les contingents sont sur pied : ils s’appellent, se hèlent ; le tumulte est à son comble dans la montagne. Pendant ce temps, nos soldats poursuivent les Réguliers des grand’gardes sans relâche ; la baïonnette continue impitoyablement son œuvre de destruction, et les cadavres vont rouler au fond des ravins, ou restent accrochés par leurs bernous à quelque broussaille surplombant l’abîme. L’ordre en a été donné : la baïonnette seule doit frapper ; aussi l’ennemi, sans autre indication qu’un bruit vague de branches cassées, de pierres roulées, de cris rauques, tâtonne-t-il un instant avant de se lancer
        à la recherche des assaillants ; il se rue à tout hasard vers la rivière en poussant des hurlements que répète l’écho de la montagne. Les fantassins et les contingents de Ben-Allal sont bientôt sur nous ; mais un dernier effort de nos soldats achève la défaite des Réguliers des grand’gardes, qui sont précipités dans l’ouad Sidi-El-Kbir, et tués ou faits prisonniers. Nous faisons volte-face sur le petit plateau qui précède la Koudïet Ameur-ou-Ammar pour donner le temps à nos hommes de se rallier, et nous y attendons l’ennemi de pied ferme. Le combat s’engage sérieusement en avant de la koudïa, qui, s’avançant en presqu’île dans la rivière, n’est abordable que de front.

        Le jour allait paraître ; n’ayant plus de raisons pour continuer le combat, nos troupes repassent la rivière, et sont bientôt à l’abri du feu de l’ennemi, qui n’ose pas les suivre dans les Zenboudj de Sidi-Iâkoub. Nos pertes, ce jour-là, furent insignifiantes. La Koudïet Ameur-ou-Ammar est un petit mamelon jaunâtre appartenant au premier étage du versant septentrional du Petit Atlas. Ce mamelon se termine par une plate-forme ayant servi d’assiette à l’un des cinquante-deux blockhaus défendant la partie du fameux obstacle continu, qui s’étendait de l’ouad SidiEl-Kbir à la mer, en passant à l’ouest du village actuel de Fouka. La tête de cet obstacle est également celle du fossé d’enceinte de l’ancien territoire militaire de Blida. En 1841, sous le gouvernement du général Bugeaud, on songea à faire, dans la Mtidja, de la colonisation où devait dominer l’élément militaire. Comme on était alors en pleine guerre, et que le champ des hostilités s’étendait jusqu’à la banlieue d’Alger, cette idée avait sa valeur : il fallait, en effet, pour coloniser, des hommes ayant au même degré l’habitude du fusil et de la pioche.

        Par l’article 2 du traité de la Thafna, l’Émir avait bien voulu admettre notre souveraineté sur ce qu’on appelait autrefois l’outhan (district) d’Alger; nous
        nous étions réservé dans ce district : « Le Sahel d’Alger, la Mtidja, bornée à l’est, par l’ouad El-Khadhra et au-delà ; au sud, par la première crête de la première chaîne du Petit-Atlas jusqu’à la Chiffa, en y comprenant Blida et son territoire; à l’ouest, par la Chiffa jusqu’au coude du Mazâfran, et, de là, par une ligne droite jusqu’à la mer, renfermant Koléa et son territoire, de
        manière que tout le terrain compris dans ce périmètre soit français. » Nous l’avons dit plus haut, bien que nous eussions mis toute la discrétion possible dans ce partage, et que, par cette raison, nous fussions en droit de croire à une paix sérieuse, les Hadjouth, sous le prétexte, sans doute, que le sultan ne les avait pas consultés, et que le traité du 30 mai 1837 les lésait dans leur honorable industrie, s’empressèrent, dès le mois de juillet 1839, de recommencer leurs incursions sur notre territoire.

        Trois mois plus tard, toute la Mtidja était en feu, et le trop fameux traité avait eu le sort de tous les traités, lesquels, généralement, ne paraissaient être faits que pour être violés.

        La guerre continua avec la même intensité pendant toute l’année 1840. On voulait cependant faire de la colonisation dans la Mtidja ; on ne rêvait que fermes-modèles, exploitations gigantesques, grandes cultures, sociétés agricoles ; de l’autre côté de la mer, on trouvait que la colonisation ne marchait pas. Les diverses commissions qui, par l’ordre du Gouvernement, étaient venues s’assurer si la Mtidja, dont on parlait tant, existait bien réellement, avaient répondu affirmativement ; elles avaient même fait des rapports superbes sur ce qu’elles appelaient l’ancien grenier de Rome, sur cette terre merveilleuse qui, jadis, assuraient-elles, donnait une double récolte de céréales chaque année : « Si c’était le grenier de Rome, disait-on judicieusement en France, nous ne voyons pas pourquoi ce ne serait pas le nôtre ; faites-nous donc du blé alors, beaucoup de blé. Il est indécent qu’après huit ou neuf ans d’occupation, l’Algérie ne nourrisse pas sa mère, la France. Voyez-vous, ajoutait-on, il n’y a que les Anglais pour savoir coloniser. »
        Dernière modification par zwina, 28 décembre 2016, 10h43.
        Les libertés ne se donnent pas, elles se prennent

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        • #5
          ce fut Blida que choisirent les Pachas pour servir de lieu d’internement aux beys d’Oran, et fonctionnaires influents dont ils avaient à se plaindre, ou dont ils soupçonnaient ou redoutaient les menées contre leur pouvoir. La proximité d’Alger permettait aux Pachas de les faire surveiller d’une manière plus efficace, et de les avoir constamment sous leur œil jaloux ou méfiant. Ils étaient d’ailleurs payés pour ne point s’endormir dans une fausse ou trompeuse sécurité. En effet, il n’est que peu de Pachas ou de beys qui moururent de mort naturelle pendant les trois siècles que dura la domination turke. C’est ainsi que, parmi ces internés ou exilés à Blida, nous comptons Otsman-ben-Mohammed, 27ème bey d’Oran : mécontent de quelques mesures prises à son égard par le Pacha Mosthafa-ben-Ibrahim,il se disposait à se retirer en Égypte avec ses richesses. Prévenu de ses intentions, Mosthafa-Pacha le manda auprès de lui, le destitua, et l’interna à Blida, où il se rendit avec toute sa famille. Ceci se passait en 1802. Rentré en grâce, deux ans plus tard, auprès du Pacha, il était envoyé à Constantine en qualité de bey de cette province. Mosthafa-El-Manzali lui succédait dans le Baïlik d’Oran en 1802 ; mais il était déposé en 1805, pour son manque d’énergie, son incapacité, et pour s’être fait battre par les bandes d’Abd-el-kader-ben-Ech-Cherif et de Mohammed ben-El-Ahrech-el-Derkaouï. Il fut remplacé en 1805 par Mohammedben-Mohammed-El-Mekelleuch (le difforme), frère du bey Otsman-ben-Mohammed, qui avait été nommé bey de Constantine étant interné à Blida. Lors de la disgrâce d’Otsman, El-Mekel-leuch l’avait suivi au au lieu de son internement, où il avait continué de résider après le départ de son frère pour prendre possession du Baïlik de l’Est. Mosthafa-Pacha le fit appeler à Alger, et lui dit : « Je te nomme bey d’un Baïlik à reconquérir presque en entier. » Il accepta cette lourde tâche. Malheureusement, il tomba dans la débauche et dans tous les excès; et le pacha Ahmed-ben-Ali, qui avait succédé à Mosthafa-Pacha, le fit étrangler, en 1807, après qu’on lui eut appliqué sur la tête une calotte de fer rougie au feu. Son frère Otsman, le bey de Constantine, n’avait pas été plus heureux : il avait péri, avec tous les Turks, dans un combat qu’il avait livré, en 1803 (1218), sur l’oued Ez-Zehour, à Mohammed-ben-El-Ahrech-El-Derkaouï, qui était venu assiéger Constantine, et qu’il avait poursuivi jusque chez les kabils de l’ouad El-Kebir. Nous trouvons dans « la Revue africaine » de 1874 (18e année) un document(1) d’un grand intérêt, qui a été communiqué à M. l’Interprète principal Féraud, qui l’a traduit, par notre ami si regretté, Joseph d’Houdetot, lequel était un fanatique des Annales algériennes, surtout de celles qui se rapportaient à la période de la domination turke. Le titre de ce document est le suivant : « Éphémérides d’un Secrétaire officiel sous la domination turke, à Alger, de 1775 à 1805.» Or, comme plusieurs des faits rapportés par le Secrétaire officiel se sont passés à Blida, nous n’avons eu garde d’oublier de les mentionner ici ; l’histoire de Blida n’est point si riche que nous fassions fi de tout ce qui nous parait présenter quelque intérêt pour nos lecteurs. Nous ne nous occuperons, bien entendu, que de ce qui a trait à l’histoire que nous écrivons. Nous suivrons l’ordre des faits qui a été adopté par le Secrétaire du Bey de Tithri Ibrahim-El-Boursali, l’auteur des Éphémérides dont nous parlons. « Hoceïn-Pacha a ordonné l’arrestation de Si Hacen, bey de Tithri, dans la nuit de mardi, 3 choual 1215 (mardi, 17 février 1801). L’arrestation a été opérée par Sid El-Hadj-Kouïderben, kaïd des Arabes, dans la matinée de, mercredi, en présence du Hakem de Médéa. On lui a mis les chaînes et les anneaux aux membres. Si Mohammed-le-Canonnier a été nommé bey à sa place. En même temps, on a arrêté Si Mohammed-benEs-Snouci, secrétaire du bey Hacen, ainsi que le Kaïd ed-Dar et le barbier. Le 21, on a relâché l’ex-bey Hacen de la prison de Médéa; mais on l’a conduit à Blida, où il a été enfermé de nouveau dans le café attenant à la salle de commandement. Il s’agit ici du Café du Hakem, qui existe encore aujourd’hui dans la rue du Grand-Café, ainsi que l’ancienne salle de commandement qui est à gauche de ce Café. On a trouvé chez lui 30,000 dinars, qu’El-HadjKouïder a apportés au Pacha, ainsi que des esclaves chrétiens, des nègres et des armes. Maintenu à la prison de Blida, il a fini par avouer qu’il avait encore 60,000 dinars déposés à Alger chez le Juif Douas, et 21,000 dinars chez divers de ses administrés. On a trouvé en totalité 102,000 solthani. Dans la maison de son beau-frère, MohammedKhoudja, on a trouvé 1,500 solthani, un paquet de pierres précieuses, des vêtements d’une valeur de 800 solthani, et un coffret appartenant à sa femme. Après cela, on l’a fait sortir de prison dans la nuit de vendredi 25 de choual 1215 (11 mars 1801). On lui a laissé le jardin, le haouch, et toutes les propriétés qu’il possède à Blida. La disette et la cherté des vivres sont extrêmes. C’est au point que le saâ de blé se vend, à Blida, au prix de 7 dinars d’or; il en est de même à Médéa. A Alger,
          le blé est à 4 solthani, et l’orge à 3 (1209 -1794). Dans la matinée de dimanche, 22 de djoumad elououel, la nouvelle est arrivée à Blida que Mosthafa-ben-Sliman, surnommé El-Ouznadji, qui avait été nommé Bey de la province de l’Est en 1212 (1797), avait été arrêté à Constantine par l’entremise du khalifa Ben-El-Abiadh. En même temps que le Bey, on a fait arrêter aussi El Hadj-Hamida-ben-El-Fekhar, son secrétaire. La maison que le Bey possédait à Blida a été mise sous les scellés (1212 - 1797). On a arrêté aussi l’ancien Hakem de Blida, Brahim-ben-El-Hadj-Mahmoud. Dans l’après-midi, on a appris une autre nouvelle : c’est que la maison de Blida du susdit Brahim et celle de sa mère, la dame Aziza, étaient également mises sous les scellés. Celle-ci s’est enfuie dans le sanctuaire de Sidi Ahmed-el-Kbir. Quand on a voulu la bâtonner, elle a dit : « Ne me frappez pas; je vous montrerai où sont cachées les richesses de mon fils. Le Hakem de Blida a consenti, et elle a déclaré que, dans la maison de Sidi Mohammed-ben-Si-Brahimben-Adoul, treize caisses étaient cachées. Ces caisses contenaient des richesses inimaginables, telles que trois coffres remplis de bijoux et de pierres précieuses ( Cette maison est celle dite de Yahia-Ar’a, laquelle est située sur la route et à 150 mètres à gauche de la porte d’Alger, en face du chemin de Dalmatie). Le chaouch de l’Agha, Sid El-Hadi, par ordre du Pacha, a apporté toutes les richesses ci-dessus mentionnées au palais du Souverain. La nouvelle est arrivée annonçant que le Hakem, muni de draines, s’était rendu dans la maison du marabouth où s’était retirée la femmede Brahim-ben-ElHadj-Mahmoud. Quand il s’est disposé à l’enchaîner, elle lui a dit: « Laissez-moi tranquille encore trois jours. » Le troisième jour, en effet, elle a donné un coffret plein de joyaux. Elle est restée dans la maison du marabouth jusqu’à la nuit du 28. Son fils a été mis en liberté à ce moment. Le Hakem a eu la gracieuseté de lui laisser deux fusils montés de capucines d’argent.

          La maison qu’El-Ouznadji possède à Blida a été dévalisée. On en a retiré tous les vêtements d’homme ou de femme qui s’y trouvaient, les tapis et une foule d’effets que la langue se fatiguerait à énumérer et à spécifier. On y a trouvé une caisse contenant six gilets de femme d’un travail splendide; ces gilets recouvraient un tas de petite monnaie; au-dessous de la monnaie étaient des mahboub(1) ; puis, au-dessous encore, des douros. Tout cela a été envoyé au palais du Pacha. La dame Aziza, femme de Mahmoud, a été relâchée de la maison du marabouth le cinquième jour du mois de djoumada tania. On lui a laissé cent dinars. Dans la soirée de lundi, 13 de redjeb, on a reçu à Blida la nouvelle qu’El-Hadj-Hamida-ben-EI-HadjEl-Arbi-ben-El-Fekhar, secrétaire d’El-Ouznadji-Bey, a été crucifié contre le mur d’enceinte de Constantine le 4 du même mois. Avant ce supplice, on l’a déshabillé,et on lui a passé une chemise de cotonnade pour couvrir sa nudité. Sa tête a été couverte de tripes et de boyaux de charogne, et, dans cet état repoussant et hideux, on l’a promené en long et en large dans les rues de la ville. Lorsqu’il demandait à boire, on lui présentait de l’eau ; mais, en l’approchant de ses lèvres, on la lui retirait aussitôt sans le laisser boire. Le crieur public le précédait en criant : « Voilà le châtiment réservé à ceux qui fomentent des intrigues contre le Souverain. " Quand on l’a appliqué contre le mur pour le crucifier, le kaïd de la Kasba l’a empêché de faire sa dernière prière et de tourner la tête vers La Mekke. Précédemment, les Oulama qui l’avaient approché s’en étaient éloignés à cause de son impiété. Durant sa vie de fonctionnaire, il n’avait jamais été sensible aux plaintes qu’on lui adressait ; il ne soutenait pas non plus les droits de l’opprimé. Etant venu à une certaine époque à Alger pour le versement de l’impôt triennal dit denouch, Sidi Ben-El-Arbi, fils du saint El-Hadj-Mohammed-ben-Djâadoun, alla le voir à Haouch-El-Bey, afin d’obtenir quelque offrande pour le marabouth Sidi Abd-er-Rahman-EtTâalbi (que Dieu nous fasse participer à ses grâces !) ; il n’éprouva qu’un refus impoli de la part de l’impie Hamida. Le quêteur s’en alla, fort mécontent, trouver le Bey, qui, lui, donna son offrande. Hamida a subi le châtiment de ses fautes. On l’a enterré dans un tas de fumier, sans laver son corps, et sans l’envelopper même d’un linceul. Que Dieu nous préserve d’une si triste fin ! Le lundi, 7 du mois de redjeb (25 décembre 1797), Mosthafa-Bey-El-Ouznadji a été étranglé. Le lendemain, on a ordonné à sa famille et à tous les siens de s’en aller où la destinée les conduirait. On a apporté de Constantine tout ce qu’il possédait, argent, armes, chevaux. C’est son successeur, Ingliz-Bey, qui a été chargé d’expédier tout cela à notre seigneur le Pacha Sidi-Hoceïn, — que Dieu le fortifie ! Vers la fin de redjeb, est arrivée la nouvelle que le Hakem de Blida avait arrêté le kaïd Hacen. Celui-ci, par l’intermédiaire de Hatchi-Ali, a fait remettre eu cadeau au Hakem : 100 dinars, deux tapis de Turquie et un yathaghan en or. Ou a envoyé également à un personnage de l’entourage du Pacha la somme de 300 dinars et des tapis ornés de dorures. Alors, le Hakem, gagné par ces cadeaux, a écrit au Pacha en faveur du kaïd Hacen, qu’il avait arrêté lui-même, et celui-ci, sur ses instances, a été relâché. Dans la nuit de mardi, 14 du mois, la femme d’ElOuznadji-Bey est arrivée à Blida. J’ai transcrit ces notes afin de ne pas laisser tomber dans l’oubli les événements qui précèdent.
          On a trouvé chez E1-Hadj-Hamida, à Blida : 4,000 mahboub, 3,000 réaux, Un sac d’argent de Tunis, de 5,000 réaux, Chez le Kaïd Ed-Dar 6,000 réaux, Appartenant à Hamida Chez Bel-Abbas. 3,000 réaux, Chez Salah 200 réaux, De la maison qu’il possédait à Médéa, on a rapporté des bernous, haïks, tapis, étoffes de soie, et environ 400,000 mahboub (pièce d’or), qui ont été versés au palais du Souverain. Le bach-saïs (chef des palefreniers) Ould-Amer, s’était déjà fait payer par lui une amende de 1,000 réaux. De plus, quatre beaux mulets ; — deux belles juments ; — deux grands beaux fusils ; — deux beaux pistolets ; — vingt taureaux ; — 70 tellis de blés ; — 600 saâ d’orge ; — des effets et des vêtements venus de Tunis. Mohammed-Chaouch, beau-frère de El-Ouznadji, a payé une amende de...3.000 réaux. En outre : Dinars et valeurs des effets de corps et autres..........................................2. 000 réaux. Des meubles. Le kaïd El-Begueur lui a pris aussi............................................. ............2.000 réaux. Enfin, 500 mahboub qu’il avait envoyés à Blida pour l’acquisition d’une maison.

          Le 9 de châban 1215 (1800), Sid Otsman, avec
          ses femmes et ses enfants, est arrivé à Blida, et s’est installé dans le jardin de Ben-Debbah. Sid MosthafaKhaznadji a eu la générosité de lui donner des vivres pour nourrir sa famille. Que Dieu lui tienne compte de sa bonne action ! » Nous voyons que les Pachas avaient recours à une méthode des plus simples pour refaire leurs finances. Ils avaient un système de drainage absolument infaillible pour détourner à leur profit le courant de la fortune publique. Nous sommes peu disposés à plaindre leurs victimes, les beys, lesquels en faisaient autant à l’égard des fonctionnaires inférieurs de leurs provinces ; car, il fallait bien qu’ils les mangeassent à fond pour encaisser, et en si peu de temps, des trésors de l’importance de ceux que nous avons énumérés plus haut. Il fallait aussi qu’à leur tour, les sous-ordres pussent impunément pressurer leurs malheureux administrés, et faire monter à la surface du sol l’or qu’ils enfouissaient avec tant de soin. Le Gouvernement turk était, du haut en bas, et à tous les degrés de la hiérarchie, l’extorsion et la spéculation organisées.
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          • #6
            La ville de Blida au siècle dernier avait six portes :

            1° Bab-er-Rahba(1), au sud ; La porte du Marché aux Grains, aux Huiles, aux Bestiaux.

            2° Bab-el-Kebour(2), à l’ouest ; La porte des Tombeaux, des Sépultures.
            3° Bab-es-Sebt(3), au nord ; La porte du Marché du Samedi, parce qu’elle s’ouvrait sur le chemin qui conduisait au Marché du Sebt, sur la rive gauche de la Cheffa.

            4° Bab-ez-Zaouya(4), au nord-est ; La porte de la Zaouya, parce qu’elle s’ouvrait sur la route qui conduisait à la Zaouya de Sidi Medjebeur.

            5° Bab-ed-Dzer(5), ou Ed-Dzaïr, à l’est ; La porte d’Alger. Ed-Dzer ou Ed-Dzaïr est l’abréviation d’El-Djezaïr, les îles.

            6° Bab-el-Khouïkha(6), au sud-est ; La porte de secours, du couloir, la poterne, le guichet.

            En avant de la porte d’Alger, laquelle se trouvait à hauteur de l’ancienne mosquée, Djamâ-Baba-Mahammed (Cette mosquée portait également le nom de Djamâ Bab-ed-Dzer), se développait un vaste cimetière arabe, qui occupait les emplacements où devaient s’élever, un siècle plus tard, les bâtiments de l’Hôpital militaire et ceux de la Remonte. Les portes El-Khouïkha, Er-Rahba et El-Kebour, étaient également précédées extérieurement d’une djebbana (cimetière), qui, en raison du peu de profondeur à laquelle on y enterrait les morts, devait singulièrement compromettre, surtout en temps d’épidémie, la santé publique. Blida n’avait pas d’enceinte proprement dite ; mais on avait paré à cet inconvénient, dans un pays où le respect de la propriété est loin d’être assuré, en ouvrant, sur l’intérieur de la ville, les portes et les jours des maisons bâties sur son périmètre. On ne pouvait donc pénétrer dans Blida que par les six portes que nous avons indiquées. On remarquait encore, il y a quelques années, à gauche de la porte Er-Rahba, et sur la place de l’ancienne mosquée de Bab-Ed-Dzer, quelques portions des maisons qui composaient l’enceinte. Le voyageur anglais Shaw, qui a visité Blida en 1729, dit que cette ville a un mille de développement (1,609 mètres), que ses murs extérieurs et ses maisons ne sont que de boue, et qu’ils sont percés en plusieurs endroits par les frelons. « On comprend, ajoute-t-il, que, dans ces conditions, ils ne soient pas bien forts. Toutes les constructions, en effet, étaient faites en thabïa, c’est-à-dire en une sorte de pisé de mauvaise qualité dont les pluies avaient facilement raison. Du reste, Blida a encore de nombreux échantillons de ce genre de bâtisses.

            Blida, à part ses mosquées, n’a jamais eu d’édifices remarquables, ou valant la peine d’être cités. La fréquence des tremblements de terre ne permettait guère d’y élever des constructions de quelque valeur. Blida, avant 1830, avait quatre mosquées : le Djamâ(1) Sidi Ahmed-et-Khir, qui était sur la Place d’Armes ; le Djamâ Sidi Mohammed-ben-Sâdoun, rue des Couloughlis ; le Djamâ Et-Terk, rue du Grand-Café ; le Djamâ Baba-Mahammed, ou de Bab-Ed-Dzer ou Ed-Dzaïr, à la porte d’Alger. Deux de ces mosquées, Djamâ Sidi El-Kbir, et Djamâ Ben-Sâdoun, appartenaient au rite Maleki(2) ; les deux autres étaient du rite Hanifi(3). Nous savons que le Djamâ Sidi Ahmed-elKbir a été bâti par le saint fondateur de Blida, sur le don de ziara qui lui avait été fait, en 1535. Quant aux trois autres mosquées, elles ont été construites et reconstruites à des époques différentes, c’est-à-dire toutes les fois qu’elles ont été dégradées ou détruites par les tremblements de terre, soit par la générosité des pachas, soit au moyen d’offrandes ou de pieuses dotations provenant de fervents Croyants ayant beaucoup à se faire pardonner. Nous l’avons dit plus haut, les mosquées de Blida avaient énormément souffert du tremblement de terre de 1825 : toutes étaient à peu près hors de service et d’une fréquentation dangereuse. Ainsi que l’atteste une inscription placée au-dessus de la porte du Djamâ-et-Terk, — la Mosquée de la rue du Grand-Café, — c’est Hoçain-Pacha, le souverain régnant, qui les fit restaurer et rendre au culte en 1827. Avant le désastre de 1825, la ville de Blida comptait onze Mesdjed pour la prière de tous les jours. Il ne reste plus qu’un de ces oratoires, c’est celui qui est à gauche de Bab-er-Rahba, et qu’on nomme Mesdjed du kaïd Ahmed-ben-Kaddour. Il y a quelques années, ce Mesdjed servait de Msid. Il existait, en outre, dans l’intérieur de la ville et à ses abords, quelques kebab, ou petites chapelles consacrées à la mémoire de quelque saint marabouth. C’est ainsi que, dans la rue du Baï — ou Bey, — on remarquait une Koubba dédiée à Sidi Abd-Allah, et servant de lieu de prière aux Aïçaoua ; il en existait une autre rue Mahmoud, sous l’invocation de Sidi Kouïder-ben-Aïça. A gauche de la porte d’Alger actuelle, c’est-à-dire en dehors de la ville, auprès du lavoir de la Remonte, il existait un micocoulier plusieurs fois séculaire, qui abritait un gourbi couvert en dis, renfermant les restes de Sidi Meçâoud. Ce gourbi avait été détruit pour construire un abreuvoir sur son emplacement, et les saintes reliques qu’il contenait avaient été dispersées et jetées à tous les vents de la terre. Ces Roumis ne respectent rien ! Mais le châtiment du démolisseur avait suivi de près cette profanation : le maçon italien chargé de la destruction du gourbi sacré, était frappé de cécité au moment où il donnait son dernier coup de pioche. A côté, et sur l’emplacement de la Remonte, il y avait, sous un énorme frêne, un autre gourbi-djamâ dédié à Sidi El-Bostandji. Frêne et gourbi ont été détruits. Le périmètre de la ville était marqué, nous l’avons dit, par les maisons construites sur son pourtour, et dont les issues donnaient sur l’intérieur. En partant de l’ancienne mosquée Baba-Mahammed, ou de Bab-ed Dzer (porte d’Alger), laquelle a été démolie en 1857, la ligne périmétrique coupait la rue d’Alger actuelle, longeait tortueusement la rue Neuve jusqu’à la rue Annibal, en laissant l’emplacement de l’Hôpital militaire, qui était alors complanté d’orangers, en dehors de la ville ; la ligne faisait alors un angle presque droit, et se jetait à l’est en longeant la face sud de l’Hôpital. C’était en ce point que s’ouvrait El-Khouikha (la Poterne). La ligne reprenait sa direction sud à peu près parallèlement au mur d’enceinte actuel.

            La ligne s’ouvrait ensuite sur le quartier El-Bokâa, qu’elle bornait à l’est, ainsi que celui occupé par le service du Génie jusqu’au lavoir, quartier qui était désigné sous le nom de Hammam-Mzaleth (Étuve des Indigents). Bab-er-Rahba était à trente mètres environ à droite de la porte actuelle. On remarquait encore, il y a quelques années, des ruines de maisons indigènes au bout de la Zankat El-Bokâa, lesquelles indiquaient la direction primitive de cette rue, et son aboutissement à la porte Er-Rahba. Le quartier à droite de Bab-er-Rahba se nommait Houmet-El-Djoun : il y avait Djoun el-Ksir (le court), et Djoun eth-Thouïl (le long). L’enceinte fermait les rues Kaïd Ed-Dira, et Djoun eth-Thouïl. Elle longeait, les jardins de l’Artillerie, traversait la Manutention, le jardin de l’ancien État-major de la Place, et tournait ensuite vers le nord jusqu’au quartier de Cavalerie, qu’elle coupait pour aller aboutir à Bab-el-Kebour, porte des Tombeaux. Depuis la Manutention jusqu’à la porte des Boulevards, régnait un vaste cimetière qui donnait son nom à cette porte des Sépultures ou des Tombeaux. La ligne périmétrique descendait ensuite jusqu’en face des Écuries du Train, tournait à l’Est, et arrivait jusqu’à la rue Bab-es-Sebt actuelle, qu’elle coupait à hauteur de la Rue Grande ; puis elle continuait vers l’Est jusqu’à sa rencontre avec la rue Mered, qu’elle suivait jusqu’à la rue Bleue, à l’ouest, et la rue Mazouni, à l’est. C’est en ce point que se trouvait la porte du Sebt, Bab-es-Sebt. On remarquait, il y a quelques années, au pied de l’ancienne muraille d’enceinte — maison du Commandant de Place, — laquelle fut habitée par le colonel Duvivier, un canon de fer qu’on disait avoir appartenu à l’artillerie de Mohammed-ben-Allal, le khalifa de l’Émir Abd-el-Kader. C’était la pièce qui était en batterie sur la Koudïet Bni-Chebla, et qui fut démontée par un de nos artilleurs pointant de la Koudïet-Mimich.

            A partir de l’ancienne porte d’Es-Sebt, au bout de la rue Mered, la ligne d’enceinte de la ville piquait droit au nord jusqu’à la rue de l’Orangerie. Le quartier au-dessous de l’ancienne porte d’EsSebt se nommait Ed-Deneg. L’ancienne muraille filait ensuite au nord jusqu’à la nouvelle enceinte ; puis elle tournait à droite en longeant ce rempart presque parallèlement, traversait l’emplacement occupé par la Gendarmerie, remontait au sud jusqu’à la rue du Baï (du Bey), au bout de laquelle s’ouvrait Bab-ez-Zaouya ; elle remontait ensuite par la Zankat-Er-Rabiâ, la rue Bel-Hamdan, et atteignait la mosquée de la porte d’Alger, qui a été notre point de départ. Les rues de Blida, au nombre de trente environ avant notre occupation, étaient percées assez régulièrement. Elles se rattachaient à deux artères principales qui venaient se rencontrer à peu près au centre de la ville, et qui étaient orientées du nord-ouest au sudest, et du nord-est au sud-ouest. La première de, ces rues se prolongeait de Bab-es-Sebt à Bab-er-Rahba, et de Bab-ed-Dzer à Bab-el-Kebour. Cette dernière voie de communication était celle qui porte encore aujourd’hui le nom de rue des Couloughlis.
            Dernière modification par zwina, 30 décembre 2016, 10h29.
            Les libertés ne se donnent pas, elles se prennent

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            • #7
              Un certain nombre des rues de Blida portent encore des noms rappelant que la ville a été créée et bâtie par les Mores-Andalous, ses premiers habitants.

              Nous voulons en citer quelques-unes :

              Rue Abd-Allah, Rue Bel-Hamdan, Rue Braham (qui se nommait Zanket El-Hadj-Braham), Rue Kouïder-ben-Aïça, Rue Mahmoud, Sâdi, Rue Abd-el-Kader, Rue Mebrouk, Rue Ben-Khedda, Rue Ben-Aziza. Du reste, Blida est certainement la ville de l’Algérie qui a conservé le plus de noms arabes à ses rues. Nous citerons, indépendamment des dénominations que nous venons d’indiquer : La rue Couchef, La rue Msellem, La rue El-Mazouni, La rue Araïch, La rue El-Djoun, La rue Kaïd-Dira, La rue Sahara, La rue Souïka, La rue Derdour, La rue Louyet (pour Sebâa-Louyat), La rue Bécourt (pour Bokâa), La rue Selloum, La rue Oukfoun, La rue Zaouya, La rue Deneg, La rue Rabiâ, La rue Bou-Alem, La rue Bab-er-Rahba, La rue Bab-es-Sebt.

              Vingt-neuf rues de Blida portent donc encore aujourd’hui leurs noms d’avant notre occupation. Ce ne sont pas, je pense, les historiens qui s’en plaindront, attendu qu’ils ont là des points de repère tout trouvés. Mais nous allons parcourir l’ancienne Blida ; bien qu’en définitive, il existe encore, comme nous venons de le voir, un grand nombre de rues des temps antérieurs à la conquête, ce ne sera cependant pas sans peine que nous parviendrons à préciser les emplacements qui ont été occupés par la Blida actuelle. La porte d’Alger (Bah-ed-Dzer ou Dzaïr) s’ouvrait sur la mosquée de Baba-Mahammed (Cette mosquée, dont le minaret ne manquait pas d’une certaine élégance, a été enlevée au culte musulman en 1839, lors de l’occupation de Blida, pour être affectée au casernement des troupes. Les Tirailleurs indigènes (devenus Tirailleurs algériens en 1856) l’ont occupée jusqu’en 1857, époque de sa démolition), qu’on traversait sous une voûte (sabath) qui débouchait sur la rue de la Porte d’Alger ou d’Alger. Cette rue conservait son nom jusqu’à sa rencontre avec celle du Bey. A droite de la mosquée, et y attenant, il existait une petite chambre (bit el-Habous), où l’on déposait les brancards pour transporter les morts, et où les retardataires trouvaient à coucher après la fermeture de la porte d’Alger. Cette porte, à cause des nombreux voyageurs venant d’Alger, se fermait à l’eucha, tandis que les autres portes étaient closes au mor’reb. Une demi-heure avant la fermeture des portes, le bououab (portier) criait, en se plaçant à l’entrée : « Elbab !... El-bab ! » afin d’avertir les gens qui étaient dans la campagne qu’il allait fermer. Les portes étaient à deux battants (defef), et fermées par un énorme zekroun (verrou) de fer. Une dhellala (espèce d’auvent) en abritait le devant. C’était à droite de cette porte qu’on pendait les gens qui étaient condamnés à subir cette peine. L’instrument du supplice était des plus élémentaires : un morceau de bois fixé dans le mur, et auquel une corde était attachée, suffisait largement à cette nécessité sociale : un heursi (agent de police) hissait le condamné jusqu’à la potence, lui passait la corde au cou, et tout était dit. A droite et à gauche de la voûte sous laquelle on pénétrait pour traverser la mosquée de la porte d’Alger, on trouvait des boutiques de bredâiïa (fabricants de bâts). L’extrémité de cette voûte était habitée par des haddadin (forgerons). Les diverses professions ou industries étaient groupées par rues et quartiers. C’est ainsi qu’on trouvait les kheurrazin (cordonniers en neuf) dans la rue Bab-Ed-Dzer ; la rue Kour-Dour’li, — que nous avons appelée des Couloughlis, — jusqu’à la rue Abd-Allah, était affectée aux msebbebin (marchands en boutique d’étoffes, de vêtements tout faits), et aux tchellaktchiïa (marchands en boutique d’effets d’habillement et de meubles d’occasion). Ceux de ces commerçants qui exerçaient leur industrie à la criée et en marchant étaient appelés dellalin. On remarquait encore, il y a quelques années, près de la mosquée de Ben-Sâdoun, les arcades et les colonnettes du Café Kour-Dour’li, qui fut habité plus tard par un vieil haffaf (barbier). La rue de Kour-Dour’li était aussi fréquemment désignée sous le nom de Zanket El-Briandji(1), la rue du Gargotier, à cause d’une auberge gargote qui était très fréquentée du temps des Turks. En tournant dans la rue Abd-Allah, on trouvait de petites boutiques tenues par des kheudhdharin (marchands de légumes), et des fekkaiïn (marchands de fruits). Cette portion de rue, jusqu’à la fontaine du Grand-Café, s’appelait souk ettchina, marché aux oranges, souk ed-dellaâ, marché aux pastèques. En face de la rue du Grand-Café, toujours dans cette môme rue Abd-Allah, s’ouvraient d’autres boutiques occupées par les djezzarin (boucliers). Le pâté de maisons compris entre la rue Abd-Allah et la mosquée Ben-Sâdoun, était occupé par des kheurrazin (cordonniers en neuf), des rekkabin (cordonniers en vieux ou savetiers), et des derratin (pileurs de café). Le Café de Nacef, ainsi appelé de l’âïn de ce nom, était près de la tonnelle de l’ancien Café d’Orient. Le Souk et-tchina, dont nous parlions plus haut, se continuait jusqu’au Djamâ Et-Terk, dans la rue du Grand-Café, laquelle se nommait autrefois Zanket ElHakouma. En face de cette mosquée, se trouvait le Fondouk des Cherchalia (gens de Cherchel), lesquels apportaient des klel (grandes jarres), des bouakeul (pots de terre), et des thebari (grands pots avec anses). En face de la Hakouma (lieu où se rend la justice) du Hakem, il existait une fontaine, ou fououara (fontaine avec jet d’eau et bassin), qui appartenait à la mosquée. Du Café du Hakem jusqu’à la Place d’Armes d’aujourd’hui, il existait de petits magasins ne prenant leur jour que par la porte, qui étaient occupés par des marchands de bernous, de haïk, etc. Cette partie de la rue était appelée El-Kicerïa, le marché aux vêtements. Sur l’emplacement où fut plus tard l’État-Major de la Division militaire, sur la face Est de la Place d’Armes actuelle, il existait un Fondouk important qui était connu sous le nom de Bou-Kerkoula. De chaque côté de la rue du Grand-Café, laquelle se prolongeait jusqu’à la mosquée de Sidi Ahmed-etKbir, il y avait des saïr’in (bijoutiers), des fahthamin (charbonniers), et des haththabin (marchands de bois).

              En résumé, la ville était traversée, de Bab-El-Dzer à Bab-El-Kebour par des marchands établis dans des échoppes, sombres et malpropres comme celles que nous voyons encore aujourd’hui dans les quartiers des deux mosquées. C’était un marché perpétuel où étaient les industries indigènes. Les âththarin (épiciers-droguistes) vivaient des choses de la religion par la vente des parfums sacrés (les sebâa bekhourat), et de celles de la coquetterie féminine, par le débit des ingrédients de toilette, les odeurs, les poudres et les essences. Ils ajoutaient à ce commerce celui des épices et autres drogues incandescentes.

              Les nedjdjarin (menuisiers), et les haoukiïa (tisserands) habitaient la Grande-Rue, celle qui partageait la ville, du nord au sud, en deux portions, et qui serait assez bien représentée par les rues Bab-Es-Sebt et Bab-Er-Rahba. Un second groupe de la corporation des nedjdjarin était établi sur l’emplacement de l’ancien hôpital, devenu plus tard la Caserne d’infanterie, le Conseil de guerre et la Prison militaire. Ce quartier était relativement mal famé à cause des maisons de filles qu’on y trouvait. C’était une succursale du quartier d’El-Bokâa. C’est dans cette rue d’Er-Rahba que se trouvait le Marché aux Grains ; il était en face de l’Hôtel-deVille actuel. Il y avait, dans la ville, quatre fenadeukdjia (teneurs représentés tous les genres de commerce, toutes de fondouk), un pour les Kabils ziïatin (marchands d’huile), et trois pour y abriter les animaux.

              Le Marché aux Bestiaux avait lieu les jeudis et vendredis en dehors de la porte Es-Sebt, ainsi nommée, avons-nous dit, parce qu’elle s’ouvrait sur le chemin du marché du Sebt, qui se tenait sur l’emplacement où a été bâti le village de Mouzaïaville. Les khobbazin (boulangers ou marchands de pain), les dokhakhniïa (marchands de tabac) ; les hammamdjiïa (baigneurs, étuvistes) ; les tchakmadjiïa (armuriers) ; les tchellakdjiïa (fripiers) ; les serradjin (selliers) ; les therrazin (brodeurs) ; les khiïathin (tailleurs) ; les Abbacia(1) (couseurs de bernous) ; les feukhkhardjiïa (potiers-faïenciers) ; les kahouadjiïa (cafetiers) ; les seuhleubdjiïa (marchands de seuhleb), c’est-à-dire d’eau bouillie avec du sucre et saupoudrée de skendjebir (gingembre) ; les représentants de toutes ces professions, disons-nous, sont répandus, plus ou moins groupés, dans tous les quartiers de la ville. Quant aux heummarin (âniers ou muletiers), ils ont leurs écuries dans les fondouks, ou dans des hangars qui leur appartiennent. Blida avait aussi ses dououacin (marchands ambulants, colporteurs, revendeurs). Cette profession était surtout exercée par les Juifs, lesquels parcouraient la ville en demandant « s’il n’y avait point quelque chose à vendre, » cri où le nez n’hésitait pas à faire sérieusement sa partie. Les khobbazin (marchands de petits pains) surtout faisaient retentir toutes les rues de la ville de leurs cris agaçants, qu’ils développaient dans tous les tons de la gamme, et avec des modulations d’une justesse plus que douteuse :

              « Aïa ! es-sekhoun » — Allons ! les chauds (pains) !
              « Aïa ! es-sekhouna ! » — Allons ! la chaude (pain)!
              « Aïa ! es-semid ! » — Allons ! la semoule (la fine fleur du pain) ! « Aïa ! el-msiïah ! » — Allons ! le nettoyé (son ôté, deuxième qualité) !
              « Aïa ! el-guerchala ! » — Allons ! le pain bis !
              Les libertés ne se donnent pas, elles se prennent

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              • #8
                La rue du Bey actuelle est restée à peu de chose près ce qu’elle était sous les Turks. C’était la rue principale, et celle qu’habitaient de préférence les riches, et les fonctionnaires et agents du Gouvernement. Ainsi, Mohammed-bel-Hadj, ancien kaïd el-Arab, y avait une maison. C’était celle dite du Saule. L’ancienne maison servant, il y a quelques années, à une école de filles, appartenait à Lalla Nfouça, femme turke très riche. On arrivait à cette maison par un derb voûté, La maison du forgeron, à gauche en descendant, appartenait au Hakem Ben-Amarouch. Il existait également dans cette rue un mesdjed dédié à Sidi Abd-Allah, et dans lequel on avait établi un msid, ou école primaire musulmane. En dehors de la muraille qui formait l’enceinte de l’ancien hôpital, converti plus tard en caserne pour l’infanterie, il existait encore, il y a une vingtaine d’années, des masures qui, autrefois, étaient occupées par des deubbar’in (tanneurs). Une dérivation de 1’ouad Sidi-El Kbir y amenait l’eau. Au delà des tanneurs, il y avait des orangeries, qui se prolongeaient jusque sur la place Bab-Es-Sebt. En fait d’édifices rappelant quelques souvenirs, il ne reste plus à Blida que la Hakouma et le Café du Hakem.

                A présent que nous connaissons les rues de la vieille Blida, disons un mot de l’architecture moresque et de la maison arabe. C’est aux Arabes que nous devons l’architecture moresque ou sarrasine. Le djamâ de Korthoba (Cordoue), qui en est l’un des plus beaux types, a été construit au VIIIe siècle de notre ère par Abd-er-Rahman Ier, vice-roi des khalifes d’Orient en Espagne, qui, après s’être déclaré indépendant, prit le titre de khalife de Cordoue. Avec ses nefs surbaissées, cette architecture prend pour caractère le cintre rétréci à sa base, et la forme d’un croissant renversé. Il va sans dire que Blida, avec ses tremblements de terre fréquents et presque périodiques, n’a jamais songé à se donner le luxe de prendre ses modèles de constructions ni sur la mosquée de Korthoba, ni sur l’Alhambra de Granada. Ses maisons n’ont jamais été que des groupes de forme cubique avec tous leurs jours à l’intérieur, et piquetés, à l’extérieur, comme un dé à jouer, de trois ou quatre trous, — des judas, — étroits à n’y tolérer que le poing. C’est la maison jalouse et égoïste par excellence ; c’est le chez soi mystérieux d’un maître qui n’existe que pour lui ; cette habitation est non seulement le mur, mais la maison de la vie privée. Nous allons décomposer entièrement la maison moresque, et en indiquer toutes les parties. En analysant l’une d’elles, nous connaîtrons toutes les autres. Dans l’ancienne Régence d’Alger, la profession de maçon était, généralement, exercée par les Marokains, surtout pour les œuvres d’art, les mosquées, les oratoires, les zaouyas, les koubbas. Pour les grandes mosquées des villes, on employait à leur construction des esclaves chrétiens.

                La maison arabe se composait, d’abord, de son seuil (âthbet-el-bab) ; d’une porte (bab) ; d’un guichet dans cette porte (khouïkha) ; il existait un autre petit guichet grillé dans le haut de la porte (monkas), ou (chebbaïk) fenêtre grillée ; d’un porche ou portique (sthouan), d’un anneau ou marteau de porte pour appeler (helka ou khorsa) ; d’un auvent (dholla) ; d’un plafond (skeuf) ; l’arcade en ogive se disait el-kous ; l’enfoncement à l’intérieur faisant saillie sur la rue, el-kebou ; le plancher, el-kaâa ; l’entrée, le corridor, skifa ; la cour, ouosth ed-dar (le milieu de la maison) ; les poutres, kouatheun; la galerie de bois, deurbouz ; le plancher de la galerie, sahin ; la terrasse, sthah ; le mur d’appui de la terrasse, stara ; les solives, karastha. A Blida, les chambres prenaient leur nom de leur orientation ou de leur affectation : bit el-gueblia, ou du sud ; — bit el-r’arbia, de l’ouest ou du couchant ; — bit ech-cherguïa, de l’est ou du levant ; — bit elbahria, de la mer, ou du nord ; — la chambre où l’on travaille, où l’on mange, etc., se nomme bit el-gâad ; — la chambre à coucher, bit er-regad. Les portes se désignaient par les appellations de bab el-berrani, porte du dehors, et de bab el-fecil, porte de la séparation. Il existait autrefois dans la cour de la plupart des maisons de Blida, soit une bestana ou seroula (cyprès), soit un ârich (treille). On en trouve encore dans quelques-unes des maisons de la vieille Blida.

                La population de Blida se composait de Mores descendants des Andalous fondateurs de la ville, de Turks, de Kouloughlis, d’Arabes, de Mzabites, de Juifs, et de quelques Kabils des tribus montagnardes environnantes. Les Mores étaient restés propriétaires des maisons de leurs ancêtres, et elles leur appartenaient d’autant plus justement, que chaque génération avait été obligée de les reconstruire plus d’une fois. Les Turks occupaient les plus belles constructions de la ville, bien qu’ils eussent bâti de préférence dans les jardins d’orangers qui l’entouraient. Les bradj ou maisons de campagne étant généralement moins maltraités que les habitations de l’intérieur par les tremblements de terre. Les Kouloughlis, qui composaient habituellement la garnison de Blida, habitaient également la ville et les jardins. Les Mzabites, qui ne vivaient que des professions dont ils avaient le monopole, s’étaient construit de petits magasins ou boutiques n’ayant de jour que par la porte, et dans lesquels ils couchaient au milieu d’un capharnaüm de produits de toute espèce. Quelques-uns avaient bâti en dehors de la ville ; mais comme ils s’empressaient de regagner le Mzab dès qu’ils avaient amassé de quoi acheter quelques palmiers, ils se contentaient de louer des hanout (boutiques) pour un temps déterminé, que, le plus souvent, ils cédaient à ceux de leurs compatriotes qui venaient tenter la fortune dans le Tell.

                Quant aux Juifs, avec le peu de sécurité qu’eut présenté un établissement de quelque valeur au milieu de gens qui ne songeaient qu’à les dévaliser, ils louaient aux Blidiens de petits magasins comme on en voit encore de nos jours entre les deux mosquées, ou bien, tous commerçants, ils se faisaient vendeurs à la criée d’étoffes, de vêtements tout faits, vieux ou neufs, et d’effets de friperie de tous genres. Bien qu’astreints à des obligations des plus humiliantes, ils n’en étaient pas moins très nombreux à Blida, qui, nous l’avons dit, était un entrepôt commercial d’une grande importance. Mais ils achetaient bien cher ce droit de faire du commerce : ainsi, ils ne pouvaient monter ni bête de selle, ni de somme ; ils étaient obligés de porter des vêtements noirs ou blancs ; il ne pouvait y avoir, dans leur habillement, ni vert, qui est la couleur du Prophète, ni rouge, qui était celle de l’étendard turk ; ils ne chaussaient que des baboudj ou des belr’a, le quartier abattu. Lorsqu’ils se présentaient devant le kadhy, ils lui baisaient la main. S’ils témoignaient en présence d’un Musulman, ils ne pouvaient être debout s’il était assis, ni assis s’il était debout. Ils juraient par la formule « hakk Allah ! » par la vérité de Dieu! En fait d’impôt, ils payaient la r’erama, comme les Musulmans. La population de Blida ne les maltraitait pas trop. Mais, par exemple, ils ne se hasardaient pas à prendre des familiarités avec les Musulmans, surtout avec les Turks et les Kouloughlis ; car ils n’ignoraient pas à quoi ils se seraient exposés. Du reste, ils savaient conserver leurs distances devant les maîtres du pays, lesquels les ménageaient d’autant plus, qu’ils en avaient plus souvent besoin. Ils jouissaient, généralement, de quelque aisance; quelques-uns même possédaient une certaine fortune; mais ils ne s’en vantaient pas. Quoi qu’il en soit, souvent ils étaient saignés à blanc par les Turks, particulièrement quand ceux-ci avaient besoin d’argent. Pendant la période d’anarchie dans laquelle Blida fut plongée de 1830 à 1838 : ils avaient compris qu’il fallait qu’ils se pressassent ; car tout portait à croire que nous ne tarderions pas à occuper la ville, et à mettre un terme à leurs déprédations. Quelques-uns purent acquérir des maisons et des jardins d’orangers. « On ne leur faisait pas de mal, nous disait un jour un vieux Turk, parce qu’ils n’en valaient pas la peine. Ils avaient deux ou trois synagogues très modestes, et qu’il dit été malaisé de confondre avec la mosquée de Cordoue. Leur cimetière était au nord de BabEs-Sebt, en face de l’ancien Magasin à Fourrages. Quant aux Juives, elles ne portaient pour vêtement qu’une djebba (robe) de couleur, sans ornements d’or; elles avaient pour coiffure un foulard de soie noire, arrangé sur la tête à peu près comme celui qu’elles portent encore de nos jours. Elles ne sortaient que le samedi. Les Musulmans croient que les Juifs se présenteront devant Dieu, au jour du jugement dernier, la main droite attachée au cou.

                La culture des céréales était faite presque exclusivement, autour de Blida, par les Kabils des tribus voisines, lesquels venaient, eu dehors des touïza qui leur étaient imposées par les Turks, faire leurs ensemencements dans la partie sud de l’Outhan des Bni-Khelil. La nourriture de la population se composait, généralement, de blé, d’orge et de fèves. Elle ne mangeait de la viande que très rarement, et seulement aux fêtes où c’est d’obligation religieuse. Il est bien entendu que ceux qui pouvaient se donner ce luxe, se nourrissaient volontiers de viande de mouton pendant la saison d’hiver. Avant l’occupation française, un beau mouton se payait 6 francs ; un bœuf, 55 francs ; une vache, 25 francs. Nous savons que le vendredi (nehar el-Djemâa — jour de la réunion) est le jour consacré chez les Musulmans, Pendant la prière, qui durait une heure et demie, personne ne devait travailler. Longtemps encore après l’occupation française, les tisserands et les cordonniers ne se livraient, pendant cette journée, à aucun travail; ils profitaient de ce repos pour faire leurs achats. La prière était indiquée, mais le vendredi seulement, par un pavillon vert (eulam el-akhedhar) qu’on hissait au sommet des minarets. Ce pavillon indiquait également le jour du vendredi. A onze heures et demie, on hissait le vert ; à midi, on l’abaissait, et on hissait le pavillon blanc. A midi et demie, ce pavillon était amené, et la prière commençait. Ce dernier signal était l’appel à la mosquée. Ce jour-là, tout Musulman devait revêtir ses plus beaux habits. A la mort d’un âalem (savant), le pavillon vert était hissé au sommet des minarets, et n’était amené que lorsque les funérailles étaient terminées.
                Dernière modification par zwina, 30 décembre 2016, 10h28.
                Les libertés ne se donnent pas, elles se prennent

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                • #9
                  les lieux des portes de l'ancienne ville existent toujours sauf bab rahba qui c'est déplacé a coté du stade tchaker a plusieurs km
                  Dernière modification par zemfir, 30 décembre 2016, 21h55.
                  "sauvons la liberté , la liberté sauve le reste"

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                  • #10
                    La route de Blida à Alger était, à peu de chose près, la même qu’aujourd’hui dans l’espace de quelques centaines de mètres, puis ensuite elle festonnait capricieusement en appuyant tantôt à droite, tantôt à gauche. Elle passait entre la kebiba (petite koubba) de Sidi Mohammed-Moula-eth-Thrik ou Sahab-eth-Thrik, (On surnommait ce saint marabouth Moula ou Sahab-eth-Thrik, c’est-à-dire le Maître ou le Compagnon du Chemin, parce que son tombeau se trouvait sur le bord du chemin, lequel était celui de l’Est. Les lemmes y allaient en ziara (pèlerinage) le vendredi) laquelle se trouve à l’entrée et à droite de la route actuelle de Dalmatie, avant d’arriver au cimetière européen. C’est entre ce point et l’ancien bordj de YahïaAr’a (Aujourd’hui, maison Gonin, en face de l’ancien théâtre du Tapis-Vert), que le général de Bourmont avait établi son quartier général le 24 juillet 1830, lors de la première expédition sur Blida. Du reste, cette ville n’avait que trois débouchés principaux, la route d’Alger, celle de l’Est ou de la Kabylie, et celle de l’Ouest ou du Sebt, qui conduisait aussi dans le Tithri.

                    Nous ne faisons mention que pour mémoire du chemin qui aboutissait à la Zaouya de Sidi Medjebeur, et du sentier qui conduisait au tombeau de Sidi Ahmed-el-Kbir, au fond de la gorge de ce nom, bien que, pourtant, il fût plus fréquenté que tous les autres, à cause du pèlerinage hebdomadaire qu’y faisaient les Blidiens, et bien d’autres Croyants, ses serviteurs religieux. A l’exception du bordj (maison de campagne) de Yahïa-Ar’a, dont nous venons de parler, il n’en est point d’autres, autour de Blida, qui rappellent quelque souvenir historique digne d’être cité. Il n’est personne qui, ayant visité Blida, n’ait remarqué, à gauche de la route d’Alger, et à cent et quelques mètres de la porte de ce nom, en face du point d’amorce de la route de Dalmatie, une charmante maison de style moresque rectifié, dont la coupole s’élève gracieusement au-dessus d’un délicieux bois d’orangers qui lui fait, pendant les mois d’hiver de notre France, une ceinture de verdure, piquetée de fleurs odorantes et de fruits d’or. C’est là un ravissant séjour, où il doit faire excellent à vivre, et qui rappellerait un coin de la demeure des khalifes s’il était moins européanisé, c’est-à-dire moins ouvert, plus mystérieux, plus oriental, et moins accommodé aux exigences prosaïques de la vie des civilisés. C’est vraiment dommage ! Un pin d’Alep, plusieurs fois séculaire, peut-être, élève fièrement sa cime dans l’air bleu de velours de Blida, et étend horizontalement ses branches trapues autour de son tronc moussu et excorié, particularités qui indiquent le grand âge de ce géant végétal. S’il fallait s’en rapporter à la légende, ce majestueux conifère aurait été, sous les Turks, un bois de justice, un gibet. Ce qui avait donné lieu à cette supposition, c’est que, pendant longtemps, on a pu constater la présence, enroulées autour de ses branches inférieures, de cordes d’un diamètre très suffisant pour supporter facilement un pendu indigène. Quand ces cordes, effilochées et noircies par le temps, étaient tourmentées par le vent, elles semblaient la chevelure d’un noyé lui flagellant les joues. Mais, malgré notre respect pour la légende, laquelle est bien plus intéressante que l’histoire, nous allons cependant la saper et la faire tomber : les Juifs exécuteurs par la pendaison ne prenaient point tant de peine pour donner satisfaction à la société musulmane : ils suspendaient tout simplement les gens qui étaient confiés à leurs soins suprêmes à un morceau de bois fiché dans la muraille d’enceinte près de la porte d’Alger, ou bien à une corde passée dans un créneau, et retenue intérieurement par un bâton. Du reste, le supplice de la pendaison n’était employé qu’en faveur des zgaïth (la canaille), lesquels le préféraient de beaucoup, pour les satisfactions qu’on y trouve, du moins, pendant quelques instants que les suppliciés, affirme-t-on, trouveraient toujours trop courts à leur gré. Nous ne demandons pas mieux que de nous en rapporter à eux.

                    Le bordj Yahïa-Ar’a, cette gracieuse habitation dont nous venons de parler, fut le théâtre d’une scène tragique qui eut pour résultat de faire disparaître du nombre des vivants, et dans des conditions des plus dramatiques, un homme d’une grande valeur et d’un incontestable mérite, mort, qui, si elle eût pu être évitée, aurait, bien certainement, retardé la conquête d’Alger; on l’eût, sans doute, indéfiniment ajournée, bien que tout porte à croire « qu’il était écrit » que la France réussirait là où les Espagnols avaient si souvent et si désastreusement échoué.

                    Nous voulons dire quel fut l’hôte illustre de cette charmante demeure, et comment il y termina sa glorieuse et si active existence. Nous sommes trop heureux de rencontrer sous notre plume un caractère de cette trempe, surtout dans le milieu où le hasard l’avait placé, pour le laisser de côté, et ne point le faire connaître à nos lecteurs algériens, aux Blidiens particulièrement, dont les pères, en définitive, ont été — approximativement — les concitoyens ; car Yahïa est mort Blidi, et ses restes doivent avoir été déposés dans le vaste cimetière couvrant la ville à l’est, et le plus voisin de sa demeure. Sans doute, ils ont eu le sort commun, et le niveau du voyer de la civilisation a dû passer sur les terrains bossués par les cadavres des générations que tous les fléaux ont donné en pâture à la terre. L’homme qui fut plus tard le célèbre Yahïa-(Ar’a, et dont nous allons raconter la fin tragique, se nommait Yahïa-ben-Mosthafa, et était originaire des côtes de la Mer Noire (Kara-Daniz), en Roumélie. A Page de dix-huit ans, il quittait son pays, où il exerçait la profession de mekfouldji (cordonnier), s’embarquait pour Alger, et s’engageait dans la Milice turke en qualité d’iouldach. Il végétait pendant une dizaine d’années dans cette position inférieure. Il habita longtemps la caserne Bab-Azzoun, laquelle était exclusivement réservée aux Zebenthouth de la Milice. La solde de l’ani-iouldach (jeune soldat) n’avait rien d’exagéré : pendant les trois premières années de son service, il touchait 4 rial derehem (2 fr. 48 cent.) tous les quatre mois. Après trois ans, il devenait askiiouldach (vétéran), et recevait dès lors un rial-boudjhou et 8 mouzounat (2 fr. 55 cent.) par mois. Aussi, Yahïa était-il obligé de reprendre son métier de cordonnier toutes les fois qu’il était appelé à faire son année de khezour ou de disponibilité, c’est-à-dire tous les trois ans. Sa supériorité sur ses compagnons finit cependant par être appréciée comme elle le méritait, et, dès lors, il arrivait assez promptement aux hauts emplois du Gouvernement algérien. Il fut d’abord nommé sendjakdar (porte-étendard), puis, successivement, chaouch et kheznadar d’Aomar-Ar’a, qu’il suivit dans les diverses expéditions qu’il dirigea : il s’en fit remarquer; aussi, quand, le 7 avril 1815, Aomar-Ar’a fut nommé Pacha, celui-ci l’éleva-t-il au kaïdat des Bni-Khelil, ou de Bou-Farik. Son commandement s’étendait de l’ouad El-Harrach à l’ouad Ech-Cheffa.

                    C’est alors qu’il vint habiter Blida, où il resta deux ou trois ans, et qu’il acheta à un nommé El-Ouzenadji le bordj ou maison de campagne dont nous parlons plus haut. Aomar-ben-Mohammed-Pacha ayant été étranglé en 1817, son successeur, Ali-Pacha, nomma Yahïa kaïd des Bni-Djâd, en récompense de sa brillante conduite dans les combats livrés devant Alger, les 29 et 30 novembre de cette année, contre la colonne de l’Est, qui s’était mise en pleine révolte, avait nommé pacha un chaouch turk, et marché sur Alger en entraînant à sa suite tous les mécontents des tribus arabes dont elle avait traversé le territoire. Pendant que Yahïa était kheznadar d’Aomar-Ar’a, il avait noué des relations intimes avec Hoçaïn-benHoçain, qui était alors imam, et qui devint successivement oukil de Ras-Outha, khodjat-et-kheil (Ministre des Domaines nationaux), puis, enfin, Pacha le 1er mars 1818.

                    Dès son arrivée au pouvoir, le nouveau Pacha, qui n’avait point oublié son ami Yahïa, lui confia l’importante et lourde charge, très recherchée d’ailleurs, d’Arab-Ar’aci, d’Ar’a des Arabes. Il remplaçait l’Ar’a Machen-ben-Atsman. L’Ar’a des Arabes était le personnage le plus considérable de la Régence, et il marchait immédiatement après le Pacha : c’était une sorte de Ministre de la Guerre, et il commandait les troupes en campagne.
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                    • #11
                      Yahïa était à peine entré en fonctions, qu’une insurrection éclatait dans le kaïdat de Bor’ni : les tribus des Guechthoula et des Bni-Sedka s’étaient soulevées contre le kaïd, auquel ils reprochaient d’avoir fait exécuter quelques Kabils accusés de vol, et elles avaient attaqué le Bordj Bor’ni, défendu par une garnison d’une centaine de janissaires, et par les Abid d’Aïn-Ez-Zaouya, qui s’y étaient enfermés. Or, le Bordj n’avait ni puits, ni citernes, et la provision d’eau, conservée dans des jarres, ne pouvait durer que quelques jours. Les Kabils n’eurent donc à exercer autour du Bordj qu’un blocus rigoureux pour avoir raison de sa garnison. En effet, au bout de sept jours, les Turks durent capituler. Les marabouths de la Zaouya de Sidi Abd-er-Rahman Bou-Kobreïn, et des Bni-Smâïl vinrent s’interposer, et couvrirent les Turks et les Abid de leur anaïa. Le Bordj Bor’ni fut entièrement détruit par les Kabils. Une autre révolte venait, en même temps, d’éclater dans l’Ouest, sous l’impulsion du marabouth d’Aïn Madhi, Sid Ahmed-ben-Salem-Et-Tedjini, et gagnait rapidement du terrain, et à ce point de menacer bientôt sérieusement l’existence même du Gouvernement turk. Le Bey d’Oran, Hacen, marcha contre le cherif, dont les goums lâchèrent pied presque sans combattre, abandonnant ainsi leur chef, qui restait bientôt seul avec 260 fantassins. Enveloppés facilement par la cavalerie du Bey, les rebelles succombèrent, et Tedjini et son khoudja furent décapités. Leurs têtes furent apportées à Alger, et exposées à la porte extérieure de la Kasba en 1234 (année 1818 de notre ère.)

                      Si nous rapportons ces faits, c’est à cause de leurs graves conséquences pour la Kabilie. En présence de la révolte de Tedjini, Yahïa-Ar’a avait convoqué tous les goums arabes, en y comprenant les cavaliers des Amraoua, lesquels, en vertu des conventions, ne devaient le service militaire que dans leur pays, et cette règle n’avait jamais été violée : les Zmoul des Amraoua-et-Tahta s’exécutèrent pourtant d’assez bonne grâce ; mais les Zmoul des Amraouael-Fouaka n’envoyèrent que quelques jeunes gens, et une poignée de khammas. On réunit ainsi environ 200 cavaliers, qui, sous la conduite du kaïd du Sebaou, prirent part à une expédition de plusieurs mois de durée. Or, les Turks ne laissaient jamais une désobéissance impunie ; seulement, ils savaient attendre l’occasion pour en châtier les auteurs. Aussi, tant que Yah’ia-Ar’a eut besoin des cavaliers des Amraoua, il sut dissimuler ses intentions à leur égard, mais les Amraoua-el-Fouaka n’ayant pas tardé à lui donner de nouveaux motifs de mécontentement, il profita de cette occasion pour ne pas différer davantage le châtiment qu’il avait résolu de leur infliger. Une querelle de sfouf entre les chefs des diverses Zmala du Sebaou, vint fournir à Yahïa-Ar’a le prétexte qu’il attendait. L’homme le plus important des Zmoul-el-Fouaka était, à cette époque, Mahammed Ou-Kaci, de Tamdat-El-Blath ; or, ce Kabil avait pris, à l’égard des kakis turks du Sebaou, des allures indépendantes qui ne pouvaient être du goût du Gouvernement, ou de ses agents. Un jour, Mahammed-ou-Kaci s’était rendu, avec les gens de son soff, sur le marché du Sebt-Ali-Khoudja (près de Draâ-Ben-Khedda), pour y acheter des moutons, qu’ils devaient offrir, à l’occasion de l’Aïd-el-Kbir, au kaïd du Sebaou. Les Betrouna amenèrent à cet agent des individus des Oulad-Bou-Khalfa qu’ils avaient pris en flagrant délit de vol. Le chef de cette Zmala ne voulut point laisser emmener ses administrés à Bordj-Sebaou, et il les délivra de vive force. Ce conflit amena une nefra sur le marché, et des représailles de la part de Mahammed-ou-Kaci, lequel, sa revanche prise, ne jugea pas prudent de rester dans la plaine, et se réfugia soit dans les Bni-Aïci, soit dans les Bni-Ouaguennoun, tribus qui pactisaient avec les rebelles.

                      Yahïa-Ar’a, qui avait envoyé son chaouch à Bordj-Sebaou pour se renseigner sur la situation des insurgés, apprit que les gens de Tamda établissaient, chaque nuit, dans leur village une garde de soixante hommes, tant cavaliers que fantassins, pour le protéger contre les maraudeurs. Yahïa-Ar’a prit ses dispositions pour enlever cette garde.

                      Son chaouch, Mohammed-ben-Kanoun, avait reçu l’ordre de réunir le plus secrètement possible, pour une nuit déterminée, à Bordj-Sebaou, tous les cavaliers des Icer et des Arnraoua-et-Tahta. Il partit d’Alger de sa personne dans la matinée, suivi de quelques cavaliers seulement ; il arrive la nuit même à Bordj-Sebaou, où il trouva tout le monde prêt ; puis, sans s’arrêter, il marchait sur Tamda, qu’il surprenait et enlevait sans résistance. Il faisait brûler le village, et décapiter une trentaine d’individus qui s’étaient laissés surprendre. Ce coup de main exécuté, Yahïa-Ar’a rentrait à Bordj-Sebaou, où se réunissait la colonne avec laquelle il allait opérer contre les tribus insurgées. Dès que sa colonne, composée de janissaires et de goums arabes fut organisée, Yahïa-Ar’a alla camper à Zaouya, en face du village de Makouda des BniOuaguennoun, où s’étaient rassemblés les révoltés. Il n’hésite pas à ordonner l’attaque; l’infanterie turke pénètre de vive force dans la fraction de Tinkachin, puis dans celle d’El-Hara-ou-Kacha, où l’artillerie avait pu préparer l’attaque. Le succès paraissait certain : mais les contingents arabes qui marchaient avec les janissaires, ne pouvant résister à leur passion pour le pillage, s’étaient répandus dans les maisons du village sans le moindre souci des suites du combat. Mahammed-ou-Kaci profita habilement du désordre qui était la conséquence de cette dispersion des gens du goum, pour faire opérer un mouvement offensif par ses Kabils. Après un combat acharné, les Turks furent repoussés et obligés de rentrer dans leur camp. Un grand nombre de cavaliers furent tués dans les maisons où ils avaient pénétré pour se livrer au pillage. Les pertes furent importantes de part et d’autre. Jugeant les forces dont il disposait insuffisantes pour réduire les révoltés par la force, Yahïa se décida à retourner à Alger, sans poursuivre ses opérations, mais sans y renoncer cependant, les Turks ayant pour principe de ne jamais oublier, ou laisser impuni un affront fait à leurs armes. Seulement, ils savaient attendre, aussi longtemps que possible, une occasion favorable. Yahïa fit une sorte de paix avec Mahammed ou Kaci, lequel, fort embarrassé de sa victoire, s’était hâté d’accepter les ouvertures que lui avait fait faire l’Ar’a par son chaouch, et par El-Hadj-Mohammedben-Zamoum, le chef de la puissante Confédération des Flicet-ou-Mellil.
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                      • #12
                        Mahammed-ou-Kaci lui donnant chaque jour de nouveaux griefs contre lui, et, d’un autre côté, ledit Gouvernement ne voulant point recourir à la force ouverte, avait trouvé plus simple et moins chanceux de chercher à se défaire de Mahammed-ou-Kaci et de ses partisans en leur tendant un guet-apens : il fut donc décidé qu’on les attirerait à Bordj-Sebaou sous un prétexte quelconque, et qu’on les mettrait tous à mort. Bien qu’il eût des griefs personnels contre eux, le kaïd Ibrahim-ben-Youb ne voulut cependant point — fait bien rare chez les Turks — se prêter à cette trahison; mais El-Hadj-Smâïl-benSi-Mosthafa-Terki n’eut point les mêmes scrupules, et accepta d’être l’exécuteur du complot. Les dispositions furent prises par le nouveau kaïd.

                        Mahammed-ou-Kaci et les Amraoua-el-Fouaka furent convoqués au Bordj-Sebaou sous le prétexte d’une razia à exécuter sur une tribu qu’on ne désignait pas (ceci se passait vers le milieu de juin 1820), et en plein mois de Reumdhan. Le secret du complot ayant été parfaitement gardé, Mahammed-ou-Kaci et ses gens se rendirent sans défiance à la convocation du kaïd de Bordj-Sebaou. La dhifa leur fut servie après le coucher du soleil ; le repas terminé, El-Hadj-Smâïl introduisit Mahammed-ou-Kaci et six de ses compagnons dans la salle d’armes, à l’étage supérieur du Bordj, sous le prétexte de leur distribuer de la poudre pour la razia annoncée. Ils étaient sans armes. Les conjurés étaient présents. Au signal donné, ils devaient s’élancer à la fois sur les râteliers d’armes, et faire feu chacun sur celui qui leur avait été désigné. Les choses se passèrent comme il avait été convenu, et cet horrible guet-apens avait pleinement réussi.

                        Quant aux cavaliers qui étaient venus avec les chefs des Amraoua-el-Fouaka, aux premiers coups de feu, ils s’étaient empressés de sauter à cheval, et de prendre la fuite, poursuivis par les cavaliers de BordjSebaou, qui en tuèrent un certain nombre. Nous regrettons de voir la main de Yahïa-Ar’a dans cet affreux complot, qui amoindrit fort à nos yeux, bien qu’il faille tenir compte du milieu dans lequel il vivait, cette belle et grande figure de l’Ar’a des Arabes. Les conséquences de cette tuerie furent le partage des Zemoul-el-Fouaka entre plusieurs chefs rivaux, et, par suite, le manque d’unité d’action dans la répression des attaques incessantes des Kabils contre l’autorité des Turks : aussi, un jour, la Zmala de Mekla fut-elle enlevée et à moitié incendiée par les Bni-Djenad.

                        Yahïa-Ar’a témoigna un vif mécontentement de cette faiblesse des Zmoul de Mekla. El-Hadj-Mohammed-ben-Zamoum profita de l’occasion pour lui lancer cette allusion au massacre que nous venons de raconter: « Les hommes capables de commander ne sont plus là ; il n’est donc pas étonnant que les autres se laissent manger. »
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                        • #13
                          En 1823, les Bni-Abbas attaquent un camp turk dans l’ouad Mar’ir. Après un combat assez vif, dans lequel quelques hommes furent tués des deux côtés, les Bni-Abbas abandonnent la partie, et l’habile diplomatie de Mohammed-ben-Kanoun, le très intelligent chaouch de Yahïa-Ar’a, lui permet d’arriver sans autre accident à Alger. A la suite de cette agression des Bni-Abbas, Hoceïn-Pacha donna l’ordre d’arrêter tous les individus de cette grande et industrieuse tribu qu’on trouverait dans les villes, et de les emprisonner. Ces faits se passaient à la fin de 1823 ; mais ce n’est qu’au mois d’août 1824 que Yahïa-Ar’a sortit d’Alger avec une colonne pour châtier les Bni-Abbas. Du reste, au printemps de cette même année 1824, ces Kabils avaient soulevé contre eux de nouveaux griefs : Ben-Kanoun, le chaouch de Yahïa-Ar’a, escortant un détachement de janissaires, ayant voulu camper à Tamata, sur la rive gauche de l’ouad Sahel, en face des Bni-Abbas, les Kabils de la fraction des Bou-Djelil vinrent l’attaquer, et il dut poursuivre sa route jusqu’aux Cheurfa.

                          Yahïa-Ar’a avait résolu de punir, à leur en laisser le souvenir, ces actes de rébellion des Bni-Abbas. En conséquence, au mois d’août 1824, il marcha sur cette tribu avec une colonne composée de 1,000 soldats turks, et d’environ 8,000 cavaliers arabes, et alla camper à Tamata, en face de la fraction rebelle. Il écrivit alors aux Bni-Abbas pour les inviter à se soumettre ; mais la fraction des Bou-Djelil seule consentit à traiter avec les Turks, et à payer l’amende de guerre. Yahïa se décida donc à marcher sur les fractions récalcitrantes. Le Tachrifat raconta en ces termes cette partie de l’expédition : « L’Ar’a étant sorti pour combattre les Kabils de la tribu des Bni-Abbas, les attaqua le 20 hidja 1239 (16 août 1824), leur brûla douze villages, coupa sept têtes, et fit seize prisonniers qui furent conduits à Alger, et employés aux travaux des carrières de pierre sises hors Bab-el-Ouad. » Ce châtiment infligé aux Bni-Abbas donna tellement à réfléchir aux tribus de l’ouad Sahel qui avaient fait cause commune avec eux, que six d’entre elles firent sans retard leur soumission à Yahïa-Ar’a. De l’ouad Sahel, Yahïa-Ara se rendit dans l’Ouennour’a pour punir les tribus du soff Biodh-Oudenou qui avaient pris part à la révolte. Ces tribus se soumirent sans résistance, et 1’Ar’a séjourna quelque temps sur leur territoire pour faire payer les amendes, et pour préparer un coup de main qu’il méditait contre les Mezzaïa et les Bni-Mecâoud.

                          Yahïa surprit ces deux tribus après une marche rapide, les enveloppa de tous côtés, brûla leurs villages, leur tua du monde, et fit un butin considérable. Le Tachrifat parle en ces termes de l’expédition contre les Mezzaïa : « Yahïa-Ar’a est allé châtier les Kabils des environs de la ville de Bougie : il leur a brûlé trente villages, a coupé six têtes, et fait vingt-sept prisonniers, qui ont été conduits à Alger, et employés à casser des pierres dans les carrières sises hors Babel-Ouad. Trente femmes furent également liées et placées dans la maison du Chikh el-Blad. Hoceïn-Pacha daigna ensuite accepter la soumission des Mezzaïa, et fit mettre les prisonniers en liberté le 21 redjeb 1240 (11 mars 1825). »
                          Les libertés ne se donnent pas, elles se prennent

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                          • #14
                            Boulifa donne une autre version du conflit qui suivit l'assassinat par traitrise de Moh Ou Kaci
                            Les libertés ne se donnent pas, elles se prennent

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                            • #15
                              Suite version Mohand Said Boulifa en 1925



                              Les libertés ne se donnent pas, elles se prennent

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