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Dans les ruines d’Alep

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  • Dans les ruines d’Alep

    Une tortueuse histoire familiale syrienne fait revivre un monde englouti

    ’était avant les barils d’explosifs largués par les hélicoptères, bien avant le Printemps arabe, la menace djihadiste ou l’intervention de l’armée russe. Avant même le début de la dynastie el-Assad. À une époque où la Syrie paraissait presque stable malgré les coups d’État à répétition.

    Avec Pas de couteaux dans les cuisines de cette ville, l’écrivain syrien Khaled Khalifa propose une chronique familiale sinueuse et romancée qui nous est livrée d’un seul souffle par un narrateur né en 1963, le même jour où le parti Baas a pris le pouvoir.

    Il y évoque un monde trois fois perdu : enfoui à la fois par le passage du temps, par l’éclatement familial et par la lente érosion d’Alep. Témoin intime de la vie des membres de sa famille, le narrateur, discret sur son propre compte, nous y raconte, dans une sorte de désordre effréné, la montée du totalitarisme et du chaos en s’intéressant surtout aux effets de l’Histoire sur certains de ses proches.

    Épisode fondateur : à l’âge de dix ans, leur vie a été marquée par le départ du père, parti aux États-Unis avec une archéologue américaine qui avait trente ans de plus que lui. Sa mère, fière d’appartenir à une famille qui habitait Alep depuis mille ans, avait dû reprendre l’enseignement pour subvenir aux besoins de la famille.

    À partir de ce moment, tout semble partir en vrille. Le frère de sa mère, musicien doué et homosexuel efféminé, empêtré dans des histoires d’amour compliquées. Sa soeur, malmenée par un destin en dents de scie, tour à tour courtisée par son professeur de français, amoureuse passionnée d’un officier de l’armée, membre de la milice du parti unique, bigote voilée faisant recoudre son hymen, puis femme libre et amère à l’aube de la quarantaine. Son frère, parti faire le djihad contre les Américains en Irak, en 2003.

    D’une page à l’autre, le roman fait aussi en creux le portrait d’un univers totalitaire où la violence semble augmenter en proportion avec le coût de la vie. « Si tu disais que le prix du persil était élevé, les indics pouvaient en conclure que tu te plaignais de la politique du parti ; si tu disais que tu pensais à la mort, cela signifiait que tu répugnais de vivre sous l’hégémonie du parti. »

    Épouses recluses, veuves joyeuses, demi-vierges, fonctionnaires corrompus, le 4e roman de Khaled Khalifa, fait aussi entendre les échos de plus en plus lointains du mandat français, dans l’ombre de Beyrouth, du Caire et de Paris. Une sorte de saga nostalgique et condensée de l’histoire récente de la Syrie, où tout depuis est devenu méfiance. « Des chrétiens qui craignaient les musulmans, des minorités religieuses qui craignaient la majorité, une majorité qui s’effrayait des représailles des minorités, un président qui craignait ses acolytes et ses gardiens, des acolytes qui inventaient de nouveaux moyens pour s’accuser mutuellement… »

    Né en 1964 dans un village situé au nord d’Alep, en Syrie, Khaled Khalifa a d’abord été scénariste, écrivant des séries à succès pour les télévisions arabes, avant de tenter l’aventure du roman. Il poursuit ici ce qu’il avait entrepris avec Éloge de la haine (Actes Sud, 2011), naturellement interdit en Syrie, qui s’intéressait au parcours d’une jeune intégriste au cours du soulèvement islamiste contre le régime baasiste à la fin des années 1970 — et la répression sanglante qui a suivi.

    Pas de couteaux dans les cuisines de cette ville a reçu le prix Naguib-Mahfouz en 2013, en plus de figurer parmi les finalistes de l’International Prize for Arabic Fiction (IPAF), le prix littéraire le plus important et le plus prestigieux du monde arabe.
    Pas de couteaux dans les cuisines de cette ville

    Khaled Khalifa, traduit de l’arabe par Rania Samara, Actes Sud/Sindbad, Arles, 2016, 256 pages


    Le Devoir
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