Annonce

Réduire
Aucune annonce.

En Irak, dans les coulisses des milices chiites

Réduire
X
 
  • Filtre
  • Heure
  • Afficher
Tout nettoyer
nouveaux messages

  • En Irak, dans les coulisses des milices chiites

    Dans la bataille de Mossoul lancée par l'armée irakienne contre les djihadistes de Daech, les milices chiites jouent un rôle essentiel. Et une grande partie de leur avenir.

    Hamed al-Saadi est d'une élégance impeccable. Il porte un ensemble veste-pantalon de couleur kaki tendance qui tranche avec l'habit militaire habituel. Ajoutez à cela un trench 7/8 noir coupé près du corps et des bottines marron clair cirées au millimètre, l'Irakien pourrait presque incarner, aux vues de ces précieux atours, l'homme nouveau au sein des milices chiites. Le porte-parole des Unités de mobilisation populaires, ou les Hachd al-Chaabi, respire la civilisation et la droiture. Ce qui colle parfaitement au message que ces unités accusées d'exactions, entendent désormais faire passer. En finesse.

    "On s’est structuré avec les anciens bataillons qui ont combattu l’occupant américain puis Al-Qaïda, explique Hamed al-Saadi, mais nous avons aussi inauguré des centres d'entraînement pour les nouvelles recrues. Dans cette lutte pour libérer le monde et l'Irak des terroristes de Daech, l'encadrement est irakien mais nos frères d'Iran nous offrent tous leurs conseils". Sous les traits du Général Qassem Souleimany qui participe à la planification et apporte l'aide stratégique et technique nécessaire. "Mais il ne nous dirige pas", soutient le porte-parole.

    Lire aussi l'interview de Pierre-Jean Luizard, directeur de recherche au CNRS : "Mossoul tombera, mais ne sera jamais pacifié"

    Objectif : instauration d'un gouvernement islamique à l'iranienne

    Les Hachd al-Chaabi compteraient 140.000 hommes. Les chefs sont heureux de claironner que des milices chrétiennes, sunnites, et autres sont également intégrées dans cette guerre contre Daech. En réalité, le gros de la troupe est composé de milices chiites. Elles ont répondu à la fatwa du grand ayatollah Ali al-Sistani, lancée le 13 juin 2014, trois jours après la prise de Mossoul par Daech, et ont rejoint avec ardeur ce qui doit constituer une sorte de nouvel Irak. Le 19 décembre, le président irakien signe la loi qui intègre les Hachd al-Chaabi aux forces sécuritaires irakiennes. "Ce que l'on fait est révolutionnaire, souligne encore Hamed al-Saadi, ce n'est pas seulement militaire, c’est un projet politique pour le pays." Leur objectif, l’instauration d’un gouvernement islamique à l’iranienne.

    Dans le bureau du porte-parole, nos yeux se posent alors sur une étonnante moquette aux motifs psychédéliques des années 70, et nous ramènent à la réalité. Si le look est moderne, la pensée idéologique de cet homme raffiné ne l'est pas. Elle est toute tournée vers le pays ami, la République islamique d'Iran, que beaucoup accusent, par le biais de cette force de mobilisation populaire, de se lancer dans une reconquête politique rampante de l'Irak, après le départ de l'ancien Premier ministre Nouri al-Maliki.

    Un Etat dans l'Etat
    Alors, allons faire la tournée des popotes de ces milices chiites, loin d’être homogènes, et qui ne sont pas toutes logées à la même enseigne. Les plus importantes se revendiquent ouvertement proches de l’Iran et n’ont aucun problème d’argent ni de moyens. A commencer par l’organisation Badr, un Etat dans l’Etat. Pour se rendre chez eux, dans le quartier de Kadumia, au nord de Bagdad, il faut traverser un imposant check-point, tenu par des soldats lourdement armés. 100.000 personnes vivent dans cette partie de la ville.

    Mueen al-Kadumi, 55 ans, député, est l’adjoint du chef des Hachd al-Chaabi pour les blessés, les martyrs et l’approvisionnement. Tout en rondeur avec un air de bon père de famille inoffensif, seuls ses yeux incitent à ne pas se fier à son enveloppe corporelle. Assis à sa gauche, un Iranien prend des notes. Les deux hommes se parlent en farsi. "Nous ne travaillons pas avec les Américains mais avec les Iraniens et le général Souleimany, oui. C’est plus direct de passer par eux en termes d’approvisionnement technique, militaire et financier. Notamment pour Mossoul."

    Cet homme de 55 ans qui est aussi membre du Conseil du gouvernorat de Bagdad semble afficher une transparence étonnante et ne se cache pas derrière la langue de bois habituelle. Au point de friser la démonstration de force. Oui, bien sûr qu’il travaille avec le général Souleimany. "Les Iraniens nous apportent toutes les dernières technologies, même en terme d’approvisionnement. C'est plus pratique pour Mossoul". Et les armes? "On a acheté du matériel lors de ces deux dernières années. On en a récupéré auprès de Daech ou même auprès de l’armée irakienne. Et puis on a fait un appel d’offres." L’Iran a répondu. Il n’est pas peu fier non plus de son système d’écoutes auprès de l’ennemi. "On sait tout ce qu’ils se racontent. Quand ils disent, on a besoin de maris, on sait qu’ils planifient des attentats suicide." Ils savent aussi que certains se terrent dans Mossoul en se faisant passer pour de simples habitants et que d’autres ont fui par le désert.

    La prise de Abou Bakr al-Bagdhadi est-elle une priorité pour Hachd al-Chaabi? Non, de l’avis de tous. "Nous avons au sein de nos services, souligne le porte-parole Hamed al-Saabi, une cellule appelée Falcon qui suit à la trace si cela est possible les allées et venues du chef de Daech. Les Américains ont offert 25 millions de dollars mais l’argent ne suffit pas. C’est bien pour les opinions occidentales, chez nous cela ne fonctionne pas de la même façon. Sa mort portera un coup au moral de ses sympathisants mais l’idéologie est bien là, c’est pour cela que nous n’en faisons pas une priorité et encore moins une obsession."

    L'Iran "nous aide sur le plan militaire"
    Les Iraniens chez les Irakiens et ces derniers en Syrie pour prêter main forte à la Force Al-Qods, le bras armé des Pasdarans iraniens. Un échange de bon procédé auquel se plie ouvertement la milice du Harakat Hezbollah al-Nujaba. L'adjoint au commandement militaire nous reçoit au centre administratif situé derrière les murs d'une mini-forteresse au centre de Bagdad, où s’étalent les portraits du Guide suprême iranien Ali Khamanei. "Nous avons trois brigades et des milliers de réservistes irakiens. Ils se sont aussi battus à Alep."

    Avec son décorum iranien, dans le quartier de Jadria, la Brigade Sayyed al-Shuhada (Bataillon du Seigneur des Martyrs) est encore plus parlante. Sayed Ahmed al-Moussawi, 45 ans, un homme en treillis raffiné qui fume de fines cigarettes, avoue avoir trois femmes, ne cache pas ses liens avec le pays iranien "voisin et ami". "Ils nous aident sur le plan militaire. Il existe une cellule des opérations et de renseignements irako-iranienne. Nous refusons en revanche la moindre coopération avec les Américains." La Katiba qui affiche 3500 hommes, dont la majorité recrutée pour cet effort de guerre contre Daech, opère à Tal Afar, bastion djihadiste avant la frontière syrienne. Justement, Abou Baqr, 42 ans, responsable de l'unité des snipers, est rentré de là-bas cette nuit. A l'inverse de son supérieur, il a les traits tirés et les tennis crottées. Il a 25 snipers sous ses ordres. Il affirme être équipé de la technologie dernier cri, fournie par le gouvernement irakien qui l'achète aux Russes.

    Il faut se rendre à une vingtaine de kilomètres de Bagdad pour entendre un discours autre. La Brigade Al-Haq al-Mubin (La raison éclair), composée de 1367 hommes, se veut mixte et interconfessionnel. Le colonel Khalil el-Zubaedi, sunnite, chef de tribu marié à deux femmes chiites, est l’un des quatre fondateurs. "On a monté cette brigade avec nos propres deniers. On a vendu nos maisons, nos voitures et on paie nos soldats seulement quand on peut. Il n’y a rien de plus beau que la démocratie mais je ne la vois pas. Daech a détruit notre pays! Donc si moi je ne me bats pas, qui le fera? s’exclame ce sympathique ex-Forces spéciales qui a fait la guerre Iran/Irak. L’Iran est un pays ami mais on n’a pas besoin de son feu vert. On est encore en Irak à ce que je sache."

    Karen Lajon, envoyée spéciale à Bagdad (Irak) - Le Journal du Dimanche
Chargement...
X