D'aucuns disent déjà que c’est le 9 novembre 2016, dans les premières heures de la nuit, que "le XXIe siècle a débuté". Avant même l’investiture de Donald Trump, dans deux semaines, le registre apocalyptique prédomine lorsqu’il s’agit d’imaginer le mandat de celui qu’on s’est résolu à appeler le 45e président américain. "Un monde s’effondre, tout est désormais possible", tweetait l’ambassadeur français aux Etats-Unis Gérard Araud, prix de "vertige", dans les minutes qui suivaient la victoire du milliardaire. "L’hiver est arrivé", renchérissait le dissident russe Gary Kasparov. Deux mois plus tard, alors que le président-élu ne passe pas un matin sans demander des comptes à Pékin sur Twitter – sur le registre passif-agressif qu’on lui connaît – le pessimisme a à peine tiédi.
Il est vrai que nous nous sommes tellement habitués à considérer la politique internationale à l'aune de l’identité du locataire de la Maison-Blanche qu’il semble certain que l’arrivée de Trump dans le jeu va coïncider avec une période de bouleversements – un sentiment renforcé par le baroud d’honneur diplomatique de John Kerry et Barack Obama, peut-être retombé sur son Nobel de la Paix en faisant ses cartons. Au vu des positions de son successeur, les fruits de la Conférence de Paris sur le conflit israélo-palestinien, le 15 janvier, seront peut-être caduques en 5 jours... La victoire de Trump alarmait en tant que symptôme : elle inquiète désormais en tant que fait. Là où Barack Obama tentait de forcer quelques verrous de l’histoire en nouant des accords avec ses ex-ennemis jurés – Iran, Cuba – Donald Trump s’entoure d’un état-major néoconservateur qui ne s’est jamais départi de sa théorie des "États-voyous".
Avec Trump, "tout peut basculer" ?
Surtout, encore choqués par la virulence de la campagne présidentielle, la plupart des observateurs se résignent à ce que l’échevelé businessman prenne sa place en 2017 dans le concert des Kim, Duterte, Erdogan, Poutine, Assad et consorts, consacrant le grand retour de la brutalité dans les discours géopolitiques. Un nouveau monde belliqueux et explosif où la démocratie à l’européenne, cet avatar si peu spectaculaire de la politique, serait condamnée à la solitude et à la figuration – à moins de couronner à son tour des radicaux forts en gueule.
A quoi assistons-nous en réalité ? A rien d’autre qu’à l’émergence du puzzle multipolaire et complexe que la chute du Mur nous avait promis. Simplement, il ne ressemble pas du tout à celui que l’on s’était imaginé à l’époque. On ne s’attendait pas à ce que l’horizon national reste si indépassable. On ne s’attendait pas à ce que ce nouveau monde soit si conflictuel, si morcelé, si insensible aux idéaux des droits de l’homme ni si profondément traversé par la radicalité religieuse.
Dépeignant "un environnement international plein d'incertitudes, avec un climat de guerre froide" dans ses ultimes vœux aux Français le 31 décembre, un François Hollande de plus en plus crépusculaire ne dressait pas d’autre constat :
"Ce que nous croyions acquis parfois pour toujours - la démocratie, la liberté, les droits sociaux, l'Europe et même la paix - tout cela devient vulnérable, réversible. On l’a vu au Royaume-Uni avec le Brexit et aux Etats-Unis lors de l'élection du mois de novembre, on le voit sur notre continent à travers la montée des extrémismes. Il y a dans l'histoire des périodes où tout peut basculer. Nous en vivons une."
Bigre, la guerre froide ! Les amateurs de contradiction ne manqueront pas d'arguer que Donald Trump apparaît déjà comme le président américain le plus russophile de tous les temps : il ne croit pas aux piratages russes, et considère à bien des égards Vladimir Poutine comme notre contemporain capital.
D’aucuns disent déjà que c’est le 9 novembre 2016, dans les premières heures de la nuit, que "le XXIe siècle a débuté". Avant même l’investiture de Donald Trump, dans deux semaines, le registre apocalyptique prédomine lorsqu’il s’agit d’imaginer le mandat de celui qu’on s’est résolu à appeler le 45e président américain. "Un monde s’effondre, tout est désormais possible", tweetait l’ambassadeur français aux Etats-Unis Gérard Araud, prix de "vertige", dans les minutes qui suivaient la victoire du milliardaire. "L’hiver est arrivé", renchérissait le dissident russe Gary Kasparov. Deux mois plus tard, alors que le président-élu ne passe pas un matin sans demander des comptes à Pékin sur Twitter – sur le registre passif-agressif qu’on lui connaît – le pessimisme a à peine tiédi.
Il est vrai que nous nous sommes tellement habitués à considérer la politique internationale à l'aune de l’identité du locataire de la Maison-Blanche qu’il semble certain que l’arrivée de Trump dans le jeu va coïncider avec une période de bouleversements – un sentiment renforcé par le baroud d’honneur diplomatique de John Kerry et Barack Obama, peut-être retombé sur son Nobel de la Paix en faisant ses cartons. Au vu des positions de son successeur, les fruits de la Conférence de Paris sur le conflit israélo-palestinien, le 15 janvier, seront peut-être caduques en 5 jours... La victoire de Trump alarmait en tant que symptôme : elle inquiète désormais en tant que fait. Là où Barack Obama tentait de forcer quelques verrous de l’histoire en nouant des accords avec ses ex-ennemis jurés – Iran, Cuba – Donald Trump s’entoure d’un état-major néoconservateur qui ne s’est jamais départi de sa théorie des "États-voyous".
Avec Trump, "tout peut basculer" ?
Surtout, encore choqués par la virulence de la campagne présidentielle, la plupart des observateurs se résignent à ce que l’échevelé businessman prenne sa place en 2017 dans le concert des Kim, Duterte, Erdogan, Poutine, Assad et consorts, consacrant le grand retour de la brutalité dans les discours géopolitiques. Un nouveau monde belliqueux et explosif où la démocratie à l’européenne, cet avatar si peu spectaculaire de la politique, serait condamnée à la solitude et à la figuration – à moins de couronner à son tour des radicaux forts en gueule.
A quoi assistons-nous en réalité ? A rien d’autre qu’à l’émergence du puzzle multipolaire et complexe que la chute du Mur nous avait promis. Simplement, il ne ressemble pas du tout à celui que l’on s’était imaginé à l’époque. On ne s’attendait pas à ce que l’horizon national reste si indépassable. On ne s’attendait pas à ce que ce nouveau monde soit si conflictuel, si morcelé, si insensible aux idéaux des droits de l’homme ni si profondément traversé par la radicalité religieuse.
Dépeignant "un environnement international plein d'incertitudes, avec un climat de guerre froide" dans ses ultimes vœux aux Français le 31 décembre, un François Hollande de plus en plus crépusculaire ne dressait pas d’autre constat :
"Ce que nous croyions acquis parfois pour toujours - la démocratie, la liberté, les droits sociaux, l'Europe et même la paix - tout cela devient vulnérable, réversible. On l’a vu au Royaume-Uni avec le Brexit et aux Etats-Unis lors de l'élection du mois de novembre, on le voit sur notre continent à travers la montée des extrémismes. Il y a dans l'histoire des périodes où tout peut basculer. Nous en vivons une."
Bigre, la guerre froide ! Les amateurs de contradiction ne manqueront pas d'arguer que Donald Trump apparaît déjà comme le président américain le plus russophile de tous les temps : il ne croit pas aux piratages russes, et considère à bien des égards Vladimir Poutine comme notre contemporain capital.
Donald Trump est-il davantage une menace pour les relations avec la Chine ? Son vrai-faux dérapage sur Taïwan, début décembre, a certes agacé Pékin ; mais le ministre des Affaires étrangères Wang Yi a immédiatement réagi avec philosophie ("Je ne pense pas que cela changera la politique adoptée depuis des années par les Etats-Unis"), signe que la Chine a déjà opté pour un certain fatalisme face aux saillies trumpiennes.
L'économie américaine est aujourd'hui trop dépendante de la locomotive chinoise pour risquer un début de guerre commerciale. La volonté de Donald Trump de retirer les Etats-Unis du TPP (Traité transpacifique), un accord de libre-échange spécifiquement conçu pour exclure la Chine, arrangerait même plutôt Pékin.
Une géopolitique d'homme à homme
Sa vision ultra-personnalisée des affaires mondiales est en tout cas à double tranchant. L’auteur de "The Art of the Deal" est un homme fermement animé par le fantasme qu’on peut régler n’importe quel problème en s’asseyant en tête-à-tête autour d’une table pendant une heure, et qui se sent personnellement capable de retourner n’importe quelle situation en sa faveur à coups d’esbroufe, de cajoleries et de fausses confidences. Cette confiance en lui, cette conception "d’homme à homme" de la politique, a été sa plus grande force et sera sa plus grande vulnérabilité. Son admiration envers Vladimir Poutine n’est si forte que parce qu’il s’attend à ce que ce dernier la lui rende ; il ne pourra pourtant jamais parler sur un pied d’égalité avec lui, ne serait-ce parce qu’au contraire de Poutine, un président américain a mille rouages institutionnels et médiatiques à qui rendre compte, comme le note cette semaine Garry Kasparov.
Et là où l’administration Obama s’en prend classiquement à l’économie russe plutôt qu’aux réseaux Poutine, ce dernier n’hésite pas à frapper personnellement – dix ans plus tard, Nicolas Sarkozy s’en souvient encore. Donald Trump peut-il supporter le même genre d’humiliations ? Il offre en tout cas de nombreux points vulnérables, à commencer par la présence massive des membres de sa famille dans les lieux de pouvoir. Au moins deux de ses nouveaux lieutenants ont des intérêts personnels sur le sol russe : son futur secrétaire d’Etat Rex Tillerson, PDG de la major pétrolière ExxonMobil, et son futur secrétaire au Commerce, le milliardaire Wilbur Ross. Enfin, la minceur de ses convictions factuelles et idéologiques le rend éminemment réceptif aux discours de charme.
Cette prime donnée à la personnalisation du pouvoir sur la logique de représentation propre à l’Occident déforme les perceptions. Elle donne aujourd’hui le sentiment paradoxal, et pourtant largement partagé, que les cartes sont désormais entre les mains d’une demi-douzaine de puissances moyennes, dotées d’une capacité de nuisance – Russie, Turquie, Israël, Iran, Arabie saoudite pour ne citer qu’eux. Autant de poids lourds régionaux qui ont pour point commun de savoir se rendre incontournables et de jouer admirablement entre deux eaux.
Irak-Syrie, le redécoupage qui vient
La meilleure preuve de cette recomposition ? La capacité d’Erdogan à faire chanter l’Europe sur les 3 millions de réfugiés syriens coincés sur son sol tout en continuant de brandir les négociations d’adhésion à l’UE ; à organiser une purge massive de tous les contre-pouvoirs en Turquie sur le prétexte d’un putsch d’amateurs ; à nouer un concordat militaire avec Moscou tout en demeurant sous le giron de l’Otan ; et à se permettre de bombarder en même temps les deux belligérants du nord de la Syrie – Daech, dont il a aidé le développement quand les djihadistes l’arrangeaient, et les milices kurdes, soutenues par l’Occident. Le tout avec une popularité inentamée, largement bâtie sur les divisions ethniques et religieuses du pays, qui lui permet d’envisager de rester aux commandes jusqu’à 2024. Un nouveau référendum constitutionnel, en avril, devrait encore étendre l'étendue de ses pouvoirs personnels.
Un autre homme est dans l’œil du cyclone, et tout surpris de s’y trouver sain et sauf : Bachar el-Assad. Il était le dernier domino des printemps arabes, et il n’est pas tombé. La reprise d’Alep, qu’on disait impossible, a été achevée en trois mois, par un écrasement aérien continu associé à un intense travail d’infiltration au sol ; sa première grande victoire en presque 6 ans de guerre. Privés de tout espoir de victoire, les derniers milliers de rebelles, patchwork indéchiffrable de groupuscules armés par l’Occident et les pays sunnites, attendent d’être neutralisés dans la région d’Idlib. La trêve laisse les mains libres au régime pour reprendre Palmyre à Daech. De l’autre côté de la frontière, en Irak, Mossoul est sur le point de tomber. Au profit de qui ? La guerre aborde une nouvelle phase mais est loin de s’achever.
Il est vrai que nous nous sommes tellement habitués à considérer la politique internationale à l'aune de l’identité du locataire de la Maison-Blanche qu’il semble certain que l’arrivée de Trump dans le jeu va coïncider avec une période de bouleversements – un sentiment renforcé par le baroud d’honneur diplomatique de John Kerry et Barack Obama, peut-être retombé sur son Nobel de la Paix en faisant ses cartons. Au vu des positions de son successeur, les fruits de la Conférence de Paris sur le conflit israélo-palestinien, le 15 janvier, seront peut-être caduques en 5 jours... La victoire de Trump alarmait en tant que symptôme : elle inquiète désormais en tant que fait. Là où Barack Obama tentait de forcer quelques verrous de l’histoire en nouant des accords avec ses ex-ennemis jurés – Iran, Cuba – Donald Trump s’entoure d’un état-major néoconservateur qui ne s’est jamais départi de sa théorie des "États-voyous".
Avec Trump, "tout peut basculer" ?
Surtout, encore choqués par la virulence de la campagne présidentielle, la plupart des observateurs se résignent à ce que l’échevelé businessman prenne sa place en 2017 dans le concert des Kim, Duterte, Erdogan, Poutine, Assad et consorts, consacrant le grand retour de la brutalité dans les discours géopolitiques. Un nouveau monde belliqueux et explosif où la démocratie à l’européenne, cet avatar si peu spectaculaire de la politique, serait condamnée à la solitude et à la figuration – à moins de couronner à son tour des radicaux forts en gueule.
A quoi assistons-nous en réalité ? A rien d’autre qu’à l’émergence du puzzle multipolaire et complexe que la chute du Mur nous avait promis. Simplement, il ne ressemble pas du tout à celui que l’on s’était imaginé à l’époque. On ne s’attendait pas à ce que l’horizon national reste si indépassable. On ne s’attendait pas à ce que ce nouveau monde soit si conflictuel, si morcelé, si insensible aux idéaux des droits de l’homme ni si profondément traversé par la radicalité religieuse.
Dépeignant "un environnement international plein d'incertitudes, avec un climat de guerre froide" dans ses ultimes vœux aux Français le 31 décembre, un François Hollande de plus en plus crépusculaire ne dressait pas d’autre constat :
"Ce que nous croyions acquis parfois pour toujours - la démocratie, la liberté, les droits sociaux, l'Europe et même la paix - tout cela devient vulnérable, réversible. On l’a vu au Royaume-Uni avec le Brexit et aux Etats-Unis lors de l'élection du mois de novembre, on le voit sur notre continent à travers la montée des extrémismes. Il y a dans l'histoire des périodes où tout peut basculer. Nous en vivons une."
Bigre, la guerre froide ! Les amateurs de contradiction ne manqueront pas d'arguer que Donald Trump apparaît déjà comme le président américain le plus russophile de tous les temps : il ne croit pas aux piratages russes, et considère à bien des égards Vladimir Poutine comme notre contemporain capital.
D’aucuns disent déjà que c’est le 9 novembre 2016, dans les premières heures de la nuit, que "le XXIe siècle a débuté". Avant même l’investiture de Donald Trump, dans deux semaines, le registre apocalyptique prédomine lorsqu’il s’agit d’imaginer le mandat de celui qu’on s’est résolu à appeler le 45e président américain. "Un monde s’effondre, tout est désormais possible", tweetait l’ambassadeur français aux Etats-Unis Gérard Araud, prix de "vertige", dans les minutes qui suivaient la victoire du milliardaire. "L’hiver est arrivé", renchérissait le dissident russe Gary Kasparov. Deux mois plus tard, alors que le président-élu ne passe pas un matin sans demander des comptes à Pékin sur Twitter – sur le registre passif-agressif qu’on lui connaît – le pessimisme a à peine tiédi.
Il est vrai que nous nous sommes tellement habitués à considérer la politique internationale à l'aune de l’identité du locataire de la Maison-Blanche qu’il semble certain que l’arrivée de Trump dans le jeu va coïncider avec une période de bouleversements – un sentiment renforcé par le baroud d’honneur diplomatique de John Kerry et Barack Obama, peut-être retombé sur son Nobel de la Paix en faisant ses cartons. Au vu des positions de son successeur, les fruits de la Conférence de Paris sur le conflit israélo-palestinien, le 15 janvier, seront peut-être caduques en 5 jours... La victoire de Trump alarmait en tant que symptôme : elle inquiète désormais en tant que fait. Là où Barack Obama tentait de forcer quelques verrous de l’histoire en nouant des accords avec ses ex-ennemis jurés – Iran, Cuba – Donald Trump s’entoure d’un état-major néoconservateur qui ne s’est jamais départi de sa théorie des "États-voyous".
Avec Trump, "tout peut basculer" ?
Surtout, encore choqués par la virulence de la campagne présidentielle, la plupart des observateurs se résignent à ce que l’échevelé businessman prenne sa place en 2017 dans le concert des Kim, Duterte, Erdogan, Poutine, Assad et consorts, consacrant le grand retour de la brutalité dans les discours géopolitiques. Un nouveau monde belliqueux et explosif où la démocratie à l’européenne, cet avatar si peu spectaculaire de la politique, serait condamnée à la solitude et à la figuration – à moins de couronner à son tour des radicaux forts en gueule.
A quoi assistons-nous en réalité ? A rien d’autre qu’à l’émergence du puzzle multipolaire et complexe que la chute du Mur nous avait promis. Simplement, il ne ressemble pas du tout à celui que l’on s’était imaginé à l’époque. On ne s’attendait pas à ce que l’horizon national reste si indépassable. On ne s’attendait pas à ce que ce nouveau monde soit si conflictuel, si morcelé, si insensible aux idéaux des droits de l’homme ni si profondément traversé par la radicalité religieuse.
Dépeignant "un environnement international plein d'incertitudes, avec un climat de guerre froide" dans ses ultimes vœux aux Français le 31 décembre, un François Hollande de plus en plus crépusculaire ne dressait pas d’autre constat :
"Ce que nous croyions acquis parfois pour toujours - la démocratie, la liberté, les droits sociaux, l'Europe et même la paix - tout cela devient vulnérable, réversible. On l’a vu au Royaume-Uni avec le Brexit et aux Etats-Unis lors de l'élection du mois de novembre, on le voit sur notre continent à travers la montée des extrémismes. Il y a dans l'histoire des périodes où tout peut basculer. Nous en vivons une."
Bigre, la guerre froide ! Les amateurs de contradiction ne manqueront pas d'arguer que Donald Trump apparaît déjà comme le président américain le plus russophile de tous les temps : il ne croit pas aux piratages russes, et considère à bien des égards Vladimir Poutine comme notre contemporain capital.
Donald Trump est-il davantage une menace pour les relations avec la Chine ? Son vrai-faux dérapage sur Taïwan, début décembre, a certes agacé Pékin ; mais le ministre des Affaires étrangères Wang Yi a immédiatement réagi avec philosophie ("Je ne pense pas que cela changera la politique adoptée depuis des années par les Etats-Unis"), signe que la Chine a déjà opté pour un certain fatalisme face aux saillies trumpiennes.
L'économie américaine est aujourd'hui trop dépendante de la locomotive chinoise pour risquer un début de guerre commerciale. La volonté de Donald Trump de retirer les Etats-Unis du TPP (Traité transpacifique), un accord de libre-échange spécifiquement conçu pour exclure la Chine, arrangerait même plutôt Pékin.
Une géopolitique d'homme à homme
Sa vision ultra-personnalisée des affaires mondiales est en tout cas à double tranchant. L’auteur de "The Art of the Deal" est un homme fermement animé par le fantasme qu’on peut régler n’importe quel problème en s’asseyant en tête-à-tête autour d’une table pendant une heure, et qui se sent personnellement capable de retourner n’importe quelle situation en sa faveur à coups d’esbroufe, de cajoleries et de fausses confidences. Cette confiance en lui, cette conception "d’homme à homme" de la politique, a été sa plus grande force et sera sa plus grande vulnérabilité. Son admiration envers Vladimir Poutine n’est si forte que parce qu’il s’attend à ce que ce dernier la lui rende ; il ne pourra pourtant jamais parler sur un pied d’égalité avec lui, ne serait-ce parce qu’au contraire de Poutine, un président américain a mille rouages institutionnels et médiatiques à qui rendre compte, comme le note cette semaine Garry Kasparov.
Et là où l’administration Obama s’en prend classiquement à l’économie russe plutôt qu’aux réseaux Poutine, ce dernier n’hésite pas à frapper personnellement – dix ans plus tard, Nicolas Sarkozy s’en souvient encore. Donald Trump peut-il supporter le même genre d’humiliations ? Il offre en tout cas de nombreux points vulnérables, à commencer par la présence massive des membres de sa famille dans les lieux de pouvoir. Au moins deux de ses nouveaux lieutenants ont des intérêts personnels sur le sol russe : son futur secrétaire d’Etat Rex Tillerson, PDG de la major pétrolière ExxonMobil, et son futur secrétaire au Commerce, le milliardaire Wilbur Ross. Enfin, la minceur de ses convictions factuelles et idéologiques le rend éminemment réceptif aux discours de charme.
Cette prime donnée à la personnalisation du pouvoir sur la logique de représentation propre à l’Occident déforme les perceptions. Elle donne aujourd’hui le sentiment paradoxal, et pourtant largement partagé, que les cartes sont désormais entre les mains d’une demi-douzaine de puissances moyennes, dotées d’une capacité de nuisance – Russie, Turquie, Israël, Iran, Arabie saoudite pour ne citer qu’eux. Autant de poids lourds régionaux qui ont pour point commun de savoir se rendre incontournables et de jouer admirablement entre deux eaux.
Irak-Syrie, le redécoupage qui vient
La meilleure preuve de cette recomposition ? La capacité d’Erdogan à faire chanter l’Europe sur les 3 millions de réfugiés syriens coincés sur son sol tout en continuant de brandir les négociations d’adhésion à l’UE ; à organiser une purge massive de tous les contre-pouvoirs en Turquie sur le prétexte d’un putsch d’amateurs ; à nouer un concordat militaire avec Moscou tout en demeurant sous le giron de l’Otan ; et à se permettre de bombarder en même temps les deux belligérants du nord de la Syrie – Daech, dont il a aidé le développement quand les djihadistes l’arrangeaient, et les milices kurdes, soutenues par l’Occident. Le tout avec une popularité inentamée, largement bâtie sur les divisions ethniques et religieuses du pays, qui lui permet d’envisager de rester aux commandes jusqu’à 2024. Un nouveau référendum constitutionnel, en avril, devrait encore étendre l'étendue de ses pouvoirs personnels.
Un autre homme est dans l’œil du cyclone, et tout surpris de s’y trouver sain et sauf : Bachar el-Assad. Il était le dernier domino des printemps arabes, et il n’est pas tombé. La reprise d’Alep, qu’on disait impossible, a été achevée en trois mois, par un écrasement aérien continu associé à un intense travail d’infiltration au sol ; sa première grande victoire en presque 6 ans de guerre. Privés de tout espoir de victoire, les derniers milliers de rebelles, patchwork indéchiffrable de groupuscules armés par l’Occident et les pays sunnites, attendent d’être neutralisés dans la région d’Idlib. La trêve laisse les mains libres au régime pour reprendre Palmyre à Daech. De l’autre côté de la frontière, en Irak, Mossoul est sur le point de tomber. Au profit de qui ? La guerre aborde une nouvelle phase mais est loin de s’achever.
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