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Idée reçue : « Les banquiers ont causé la crise de 2008 »

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  • Idée reçue : « Les banquiers ont causé la crise de 2008 »

    Il serait réducteur de dire que les banquiers ont provoqué la crise de 2008. Si ceux-ci ont évidemment prêté à des ménages insolvables et joué au casino sur la valeur de SPVs qu’ils étaient incapables de valoriser, ils ont bien été poussés au crime par l’État.

    En 2008, l était alors de bon ton de désigner les banquiers comme coupables de la “faillite du capitalisme”. Or les banquiers étaient loin d’être les seuls responsables de cette crise et malheureusement les années qui ont précédé la crise n’avaient pas grand chose à voir avec le capitalisme.

    Pour comprendre d’où vient la crise de 2008, il faut revenir en … 1992 ! Certains ne s’en souviennent peut-être pas mais l’année est marquée aux États-Unis par des émeutes dramatiques à Los Angeles. Entre le 29 avril et le 4 mai, celles-ci feront entre 53 et 55 morts et plus de 2300 blessés. 11 000 personnes seront arrêtées en l’espace de 6 jours.

    Moins d’un an plus tard, Bill Clinton entre à la Maison-Blanche et l’analyse qu’il fait de ces émeutes est la suivante : les gens n’auraient pas mis à sac certains quartiers s’ils avaient été propriétaires de leur maison. En conséquence, il faut permettre aux personnes issues des quartiers les plus modestes d’accéder à la propriété. Comment faire en sorte que ces personnes qui n’ont que peu de ressources puissent y accéder : grâce au crédit pardi !

    L’Etat américain soutien des subprimes

    Néanmoins quel établissement bancaire serait assez fou pour prêter à des ménages non solvables ? Aucun. Un des principes fondamentaux de l’économie est que l’être humain répond à des incitations. Si les incitations ne vont pas le sens qui vous convient, il faut alors les modifier. L’État américain va alors s’escrimer à modifier les incitations des banquiers pour que ceux-ci prêtent aux ménages subprimes.

    Les banques prêtent en priorité aux ménages “prime”, ceux qui offrent les meilleures garanties. Elles réalisent un arbitrage entre le risque généré par ce prêt et ce que le prêt leur rapporte (le taux d’intérêt). Plus le taux d’intérêt est élevé et donc moins elles ont intérêt à prendre de risque (pour un même risque, le profit est plus élevé).

    Les premiers changements d’incitation interviennent en 1999 avec l’abrogation du Glass-Steagle Act. Cette loi célèbre datant du New Deal séparait les activités de banque de dépôt et les activités de banques d’investissement. En abrogeant le GS Act, Bill Clinton permet aux banques d’investissement d’aller puiser dans les dépôts des épargnants pour financer leurs activités. Or les dépôts sont très faiblement rémunérés, les banques ont donc accès à leur ressource première à un coût bien plus faible.

    D’autre part, après l’explosion de la bulle internet en 2000-01, la Fed a souhaité relancer l’économie en baissant fortement les taux d’intérêts et en faisant fonctionner à plein wagon la planche à billets. En réduisant les taux d’intérêt et en fournissant aux banques leur matière première (l’argent) à un coût ridicule, la Fed les incite à prendre davantage de risque.





    Quel est l’impact d’une forte baisse des taux comme celle qu’a engagé la Fed au milieu des années 2000 ? Lorsque c’est facile de faire du profit grâce à des taux élevés, on ne va pas prendre de risque et on prête donc aux ménages “prime”, solvables. En revanche quand les taux sont plus faibles et que l’on a déjà vendu un crédit immobilier et 2 crédits à la consommation aux ménages prime, il faut sortir de sa zone de confort pour aller chercher du profit. Les banques se tournent alors vers des crédits plus risqués, mais dont le taux est plus élevé (car le risque est plus élevé) : les ménages subprimes.

    Fannie Mae et Freddie Mac

    Nous remarquons que l’État américain a donc déjà bien entamé sa modification des incitations : en abaissant les coûts de matière première des banques et en les incitant à prendre plus de risques, il pousse les banques à vendre des crédits immobiliers à des ménages subprimes. Cependant, deux éléments vont achever de pousser au crime les banques américaines, ces deux éléments portent les initiales FM : Fannie Mae et Freddie Mac.

    En effet, au travers de ces deux agences gouvernementales (“Government Sponsored Enterprises”), l’État américain va garantir les crédits hypothécaires des ménages afin encore une fois de favoriser l’accès des ménages modestes à la propriété. En juillet 2008, elles garantissaient la bagatelle de 5 trillions de dollars de crédits hypothécaires, et ce alors que depuis l’été 2007, la crise des subprimes s’est déjà manifestée aux États-Unis.

    L’État américain achève donc sa mutation des incitations envers les banques. Il les rend parfaitement irresponsables : elles peuvent se financer à un coût extrêmement faible auprès de la Fed ou directement sur le compte des épargnants et n’ont pas pas à assumer leurs pertes puisque les crédits hypothécaires sont garantis par des GSEs.

    Et que se passe-t-il lorsqu’un enfant n’a pas à assumer ses bêtises ? Il en fait beaucoup !

    Les banques ne vont alors pas se faire prier. Elles vont vendre des crédits hypothécaires à ces ménages non solvables. Il est alors intéressant de s’attarder sur la mécanique de ces crédits hypothécaires afin de se rendre compte que l’absence de responsabilité devient maladive et s’étend à tous les étages :

    Un agent bancaire va à la rencontre de M. et Mme Smith. Ces derniers ont des revenus extrêmement faibles mais souhaiteraient devenir propriétaires de leur modeste pavillon dans la banlieue de Detroit. Notre agent bancaire leur explique alors que la période est formidable : les taux sont très bas et leur prêt bénéficie de la garantie de Fannie Mae. D’autre part les prix de l’immobilier sont en constante augmentation. Leur crédit est donc couvert par la valeur de leur pavillon qui n’a de cesse de croître. Notre agent bancaire leur propose donc de souscrire à un crédit hypothécaire à taux variable. Les deux premières années, ils bénéficient d’un taux attractif très faible (teaser rate) qui sera appelé à augmenter après ces deux ans. M. et Mme Smith se disent que l’économie croît à un rythme soutenu, que leurs revenus seront donc supérieurs dans 2 ans et qu’entretemps la valeur de leur pavillon aura encore augmenté. Ils ne sont donc pas effrayés par cette augmentation des intérêts dans 2 ans. Convaincus par notre agent bancaire, ils souscrivent donc à ce prêt.
    Une fois le prêt contracté, notre banque ne va pas garder ce prêt risqué à son bilan. Elle va donc l’isoler au sein d’un Special Purpose Vehicle (SPV). Comment fonctionne un SPV ? À l’actif vous avez le prêt de M. et Mme Smith qui génère des flux de remboursement. Ces flux de remboursement servent à payer des investisseurs qui ont investi de l’argent dans le SPV. Tous ces investisseurs n’ont cependant pas pris le même risque. Certains se sont vus promettre un rendement de 2%/an, ils sont donc remboursés en premier jusqu’à ce que la totalité de la somme investie + 2%/an leur soit remboursée. D’autres ont investi la même quantité d’argent et récupèreront ce qu’il reste une fois que les premiers investisseurs auront été remboursés. S’il y a peu de défauts, ils gagneront beaucoup. Si à l’inverse il y en a beaucoup, ils perdront leur mise.
    L’histoire aurait été trop simple si les banques s’étaient contentées de mettre dans ces SPV uniquement des crédits immobiliers. Elles vont donc y placer plein de prêts présentant des niveaux de risque différent : des crédits étudiants, des crédits à la consommation, des crédits aux entreprises etc. In fine, plus personne ne sait vraiment ce que contiennent ces SPV. La banque s’est donc désengagée de la responsabilité de suivre un emprunt en le plaçant dans ces véhicules. Et en ajoutant plein d’actifs différents dans ce cocktail pourri que constitue un SPV, elle a fait en sorte que personne ne sache vraiment de quoi ils sont constitués.
    Personne n’n connaissait le contenu, pas même les agences de notations. Celles-ci ne cherchaient pas à le savoir, elles préféraient percevoir grassement leurs commissions en évitant de se mettre à dos leurs gros clients. Qui sont-ils ? Les banques. Et qui demande la notation pour les véhicules qu’elles créent ? Les banques. CQFD. Les agences de notation, organisées en cartel, n’avaient donc pas besoin d’assumer la responsabilité de leurs avis. D’autre part, la plupart des gestionnaires d’actifs ne peuvent pas acheter un titre s’il n’est pas noté. Les agences de notation étaient donc certaines de toujours percevoir leurs commissions puisqu’une banque ne peut pas se permettre de ne pas accéder aux gestionnaires d’actifs.
    Revenons à nos moutons : notre crédit immobilier a été isolé dans un SPV et a été noté AAA par S&P. Superbe ! Les grandes banques d’investissement de la planète se ruent alors pour acquérir des parts de ce SPV qui semble peu risqué au vu de sa notation, et offrir un beau rendement.
    Nous sommes alors au milieu de la décennie et tout va mieux dans le meilleur des mondes. Les taux d’intérêts sont bas : les remboursements de nos ménages subprimes qui bénéficient des teaser rates sont encore faibles, de plus en plus de ménages veulent en profiter et accéder à la propriété, ce qui pousse les prix de l’immobilier à la hausse. Les ménages américains ont l’impression de s’enrichir du fait de l’accroissement de la valeur de leur maison. Ils continuent à s’endetter et à profiter des taux bas pour prendre des crédits à la consommation et acheter une, puis deux voitures etc.

    Tous ces crédits trouvent leurs débouchés dans des SPV, ces cocktails toujours plus dangereux. Les banques s’endettent pour acheter des parts dans ces SPV.

    La Fed deale les taux bas

    La Fed agit au cours de cette période comme un dealer distribuant sa drogue au monde entier. Sa drogue s’appelle les taux bas. Elle pousse l’ensemble des acteurs économiques à s’endetter bien au-delà de leurs capacités de remboursement en leur donnant l’illusion que ce qu’ils possèdent a une valeur très élevée. Taux bas –> accès plus facile au financement –> plus grande concurrence pour acheter des titres financiers –> prix qui s’envolent.

    Malheureusement, lorsque l’on est sous l’emprise de la drogue, le retour à la réalité est souvent violent. Les taux bas ne font pas exception à cette règle. Lorsque la Fed se décide à augmenter ses taux au cours des années 2005 et 2006, de nombreux foyers se rendent compte de l’insoutenabilité de leur emprunt (d’autant plus qu’ils ne bénéficient plus des teaser rates). Ils font donc défaut. Cela ne pose pas de problème a priori : notre agent bancaire s’était assuré qu’en cas de défaut, la banque pourrait revendre la maison à sa valeur et récupérer sa mise. Malheureusement ce raisonnement est valide la plupart du temps mais pas quand tous les ménages subprimes décident de vendre leur maison au même moment. À ce moment là vous avez un surplus d’offres qui fait dévisser le prix des biens achetés. Votre emprunt n’est alors plus du tout couvert par la valeur de la maison.


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  • #2
    suite

    Les flux d’argent n’entrent alors plus dans les SPV. Les banques qui avaient massivement investi dans ces véhicules a priori sûrs commencent à se rendre compte que ce qu’on leur avait vendu comme un titre sans risque l’est au contraire excessivement.

    Comme elles avaient massivement investi dans ces SPV, elles voient la valeur des SPV et donc de leur actif se réduire à peau de chagrin. Des titres qu’elles avaient acheté 100 ne valent plus que 20 ! Quand vous apprenez que, de plus, ces achats de titres ont été financés pour elles aussi par de la dette, vous comprenez aisément que la situation devient intenable.

    Or qui finance les prêts aux entreprises ? Les banques. Lorsque les banques toussent c’est toute l’économie qui s’enrhume. Et courant 2008, les banques sont plus proches de la coqueluche que d’une rhinite. Bear Stearns est sauvée in extremis de la faillite, d’abord par de l’argent frais fourni par la Fed, puis reprise par JP Morgan après une forte décote de son cours. En septembre, c’est au tour de Merrill Lynch d’être rachetée par Bank of America. Lehman Brothers n’aura pas cette chance et fera plonger avec elle le reste des marchés financiers. Lehman Brothers doit alors servir d’exemple pour le reste des banques d’affaires : l’État ne viendra pas vous sauver.

    Ce message sera balayé d’un revers de main lorsque l’État fédéral viendra en aide à AIG qui avait pris des positions délirantes sur les crédits subprimes. Mais la quintessence de ce soutien de l’État américain aux banques d’investissement fut le Troubled Assets Relief Program : un programme de rachat d’actifs “toxiques” (pour ne pas dire pourris) par l’État américain pour rassurer les investisseurs quant à la solidité des banques américaines. Pour info, le montant initial de ces rachats devait atteindre 700 milliards de dollars et a finalement été réduit à 475 milliards.

    La raison invoquée par le département du Trésor était que si ces banques faisaient faillite, plus personne ne croirait à la solidité des banques en général. Les déposants voudraient alors à tout prix retirer leur argent. Comme nous l’avons vu précédemment, une banque n’a que 10% de l’argent que vous lui avez confié, elle serait donc incapable de répondre à cette demande. Toutes les banques feraient alors faillite, entraînant une récession mondiale.

    Ces banques “too big to fail” doivent donc être sauvées à n’importe quel prix. Même si elles prennent des risques inconsidérés, peu importe, de toute façon, l’État (ie le contribuable) sera obligé de venir à leur rescousse. Les banques ne sont donc pas responsables des risques qu’elles prennent.

    Si vous avez suivi cet article jusqu’ici vous avez compris d’où vient en premier lieu la crise de 2008 : l’absence de responsabilité. Les banques se disent qu’elles seront toujours sauvées, les agences de notation qu’elles auront toujours des clients, les agents bancaires qu’ils ne garderont pas les emprunts subprimes dans leur bilan et que Fannie Mae et Freddie Mac les rachèteront.

    La question est donc de savoir d’où provient cette absence de responsabilité ? Elle provient du trouble-jeu de la Fed et de l’État américain. En souhaitant encourager à tout prix l’accession à la propriété des plus modestes, l’État américain a engagé une politique d’argent pas cher qui a drogué l’économie mondiale à l’endettement. En rachetant les crédits subprimes via les FMs, il a dégagé les agents bancaires de leurs responsabilités vis-à-vis des crédits qu’ils accordaient à des ménages qu’ils savaient insolvables. En sauvant les banques de la faillite, il a empêché les actionnaires de faire face à leurs responsabilité en prenant leurs pertes.

    Il serait donc réducteur de dire que les banquiers ont provoqué la crise de 2008. Si ceux-ci ont évidemment prêté à des ménages insolvables et joué au casino sur la valeur de SPVs qu’ils étaient incapables de valoriser, ils ont bien été poussés au crime par l’État.

    Les politiques monétaires accommodantes, qui font fonctionner la planche à billets à plein volume et proposent des taux bas créent toujours des bulles : argent facile –> accès au financement plus facile –> plus de concurrence pour acheter des actifs –> prix des actifs s’envolent. Or une bulle doit éclater et quand elle éclate, c’est toute l’économie qui en souffre.

    Regardez maintenant les taux directeurs des banques centrales sur ces 8 dernières années et l’augmentation de la taille de leurs bilans. Comparez à ce qui a été fait au milieu des années 2000. Now you can freak out.


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