Après avoir nié les exactions commises contre la minorité rohingya, le gouvernement birman a, pour la première fois, sanctionné des policiers ayant pris part aux violences. Mais pour Amnesty International, il ne s’agit là que d’une mesure de façade.
Pour la première fois, le gouvernement de Birmanie a reconnu l’existence d’exactions commises à l’encontre de la communauté rohingya dans l’État de l’Arakan, région frontalière du Bangladesh. Après la diffusion sur les réseaux sociaux d'une vidéo montrant des policiers en train de frapper des membres de cette minorité musulmane, les autorités ont annoncé, lundi 2 janvier, avoir procédé à l’arrestation de policiers impliqués dans cette violente répression.
Jusqu’alors, le gouvernement dirigé par Aung Saan Suu Kyi, lauréate du prix Nobel de la paix 1991, avait toujours rejeté les allégations de violences d’État commises contre les Rohingyas.
Selon l’ONU, pourtant, ils seraient quelque 50 000 à avoir fui "l’opération de nettoyage" menée depuis octobre par l'armée birmane contre des groupes d'hommes armés présentés comme des insurgés musulmans. Depuis le Bangladesh voisin, où ils ont trouvé refuge, ces civils décrivent les exactions des forces de l’ordre birmanes. Jeudi, "Le Monde" a publié le terrifiant témoignage de plusieurs femmes faisant état de viols collectifs, de torture et de meurtres d’enfants.
Des dizaines de vidéos ont, en outre, été diffusées sur les réseaux sociaux, mais la zone étant interdite d'accès pour les médias, notamment internationaux, et les ONG, il reste difficile de vérifier les informations. Il n'en reste pas moins que, depuis le début des troubles dans la région, l’ONU somme les autorités du Myanmar de mettre fin à ses persécutions. En décembre, le commissaire aux droits de l'Homme des Nations unies, Zeid Ra'ad Al Hussein, avait qualifié la réaction du gouvernement birman "d'irréfléchie, contre-productive et insensible" et craint même une aggravation de la situation.
La répression des Rohingyas peut-elle avoir des conséquences pour la sécurité de la région ? La communauté internationale peut-elle faire infléchir le gouvernement birman ? Éléments de réponse avec Morgane Eches, coordinatrice Birmanie-Myanmar d’Amnesty International.
France 24 : L’arrestation de plusieurs policiers soupçonnés de s’en être pris à des villageois rohingyas marque-t-elle un changement d’attitude de la part du gouvernement birman ?
Morgane Eches : C’est en réalité la continuité de la politique qui est menée au sein de gouvernement depuis le début des troubles en octobre. Face aux réactions de la communauté internationale, ils agissent au coup par coup : dès qu’il existe une preuve irréfutable d’une exaction, ils apportent une réponse. Mais s’ils peuvent ne pas le faire, ils ne le font pas parce qu’ils ne veulent surtout pas ouvrir la porte à une enquête internationale avec des observateurs indépendants. Car dans le nord de l’Arakan, l’armée a les pleins pouvoirs. Puisqu’elle contrôle les ministères de l’Intérieur, de la Défense et des Frontières, elle gère la question des Rohingyas – qu’elle considère comme une question de sécurité intérieure - de manière indépendante et autonome.
L’ONU ne peut-elle pas accentuer encore davantage la pression ?
C’est l’idée qui prévaut en ce moment. Lorsque onze prix Nobel exhortent les Nations unies à se saisir du sort des Rohingyas, c’est pour faire en sorte qu’il y ait des déclarations de l’ONU. Il y en a déjà eu mais il faudrait qu’une parole commune soit prise de la part de la communauté internationale, telle une résolution… C’est souhaitable et d’autant plus possible que la crise syrienne a récemment montré les limites du système onusien. On peut donc penser que les Nations unies, par souci de crédibilité, ont tout intérêt à essayer de remobiliser sur ce genre de dossier.
L’ONU parle de "nettoyage ethnique", le Premier ministre malaisien parle, lui, de "génocide". Connaît-on l’ampleur de la répression des Rohingyas en Birmanie ?
À Amnesty International, nous avons publié un rapport d’enquête qui dénombre énormément d’exactions menées par les forces armées : homicides, viols, incendies, arrestations arbitraires... Il est toutefois difficile d’avancer des chiffres précis car nous n’avons pas accès à la région et ne disposons que de témoignages oraux et d’images satellites. Comme nous ne pouvons pas quantifier le nombre de victimes, il n’est pas possible d'appliquer un terme international précis à ce qui se passe. C’est pour cette raison qu’au sein de notre organisation, nous parlons de " futur crime contre l’humanité". Tant qu’il n’y a pas d’enquêtes internationales, on ne pourra appliquer un terme.
L’insurrection musulmane que l’armée dit combattre ne risque-t-elle pas de se radicaliser ? Les violences commises à l’encontre des Rohingyas menace-t-elle la sécurité dans la région ? À mon sens, la Birmanie est déjà un pays en guerre, c’est un pays instable qui compte des conflits ethniques armés importants au Nord-Ouest, au niveau des frontières avec le Bangladesh, mais aussi plus au Nord avec la frontière chinoise. Ce qui est compliqué avec ce conflit, c’est qu’on voudrait opposer les bouddhistes aux musulmans, or il s’agit de conflits entre l’armée birmane et des groupes armées qui se présentent comme des résistants qui, dans certaines régions, ont des volontés d’indépendance.
Les Rohingyas, c’est un fait, sont musulmans, on ne peut donc nier la confessionnalité du conflit. Il se dit, sans que nous ayons pu le confirmer, que le groupe armé ayant attaqué les postes-frontières en octobre ait des liens avec l’Arabie saoudite. Mais on ne peut en tous cas pas parler de jihadistes comme les médias birmans l’ont fait en disant : "Attention le jihad est à nos frontières !". De fait, il est bien pratique pour le pouvoir de brandir un spectre qui fait peur au monde entier.
Quelle est la responsabilité d’Aung Saan Suu Kyi dans la répression ? Son attitude est clairement défaillante et compréhensible jusqu’à un certain niveau, puisqu’elle n’a pas les pleins pouvoirs et que l’armée détient 25 % des sièges au Parlement, mais elle a quand même la responsabilité de la population de son pays. Elle est prix Nobel de la paix, et c’est problématique qu’un prix Nobel de la paix se montre sélectif et ne prenne pas position pour l’ensemble du peuple.
France24
Pour la première fois, le gouvernement de Birmanie a reconnu l’existence d’exactions commises à l’encontre de la communauté rohingya dans l’État de l’Arakan, région frontalière du Bangladesh. Après la diffusion sur les réseaux sociaux d'une vidéo montrant des policiers en train de frapper des membres de cette minorité musulmane, les autorités ont annoncé, lundi 2 janvier, avoir procédé à l’arrestation de policiers impliqués dans cette violente répression.
Jusqu’alors, le gouvernement dirigé par Aung Saan Suu Kyi, lauréate du prix Nobel de la paix 1991, avait toujours rejeté les allégations de violences d’État commises contre les Rohingyas.
Selon l’ONU, pourtant, ils seraient quelque 50 000 à avoir fui "l’opération de nettoyage" menée depuis octobre par l'armée birmane contre des groupes d'hommes armés présentés comme des insurgés musulmans. Depuis le Bangladesh voisin, où ils ont trouvé refuge, ces civils décrivent les exactions des forces de l’ordre birmanes. Jeudi, "Le Monde" a publié le terrifiant témoignage de plusieurs femmes faisant état de viols collectifs, de torture et de meurtres d’enfants.
Des dizaines de vidéos ont, en outre, été diffusées sur les réseaux sociaux, mais la zone étant interdite d'accès pour les médias, notamment internationaux, et les ONG, il reste difficile de vérifier les informations. Il n'en reste pas moins que, depuis le début des troubles dans la région, l’ONU somme les autorités du Myanmar de mettre fin à ses persécutions. En décembre, le commissaire aux droits de l'Homme des Nations unies, Zeid Ra'ad Al Hussein, avait qualifié la réaction du gouvernement birman "d'irréfléchie, contre-productive et insensible" et craint même une aggravation de la situation.
La répression des Rohingyas peut-elle avoir des conséquences pour la sécurité de la région ? La communauté internationale peut-elle faire infléchir le gouvernement birman ? Éléments de réponse avec Morgane Eches, coordinatrice Birmanie-Myanmar d’Amnesty International.
France 24 : L’arrestation de plusieurs policiers soupçonnés de s’en être pris à des villageois rohingyas marque-t-elle un changement d’attitude de la part du gouvernement birman ?
Morgane Eches : C’est en réalité la continuité de la politique qui est menée au sein de gouvernement depuis le début des troubles en octobre. Face aux réactions de la communauté internationale, ils agissent au coup par coup : dès qu’il existe une preuve irréfutable d’une exaction, ils apportent une réponse. Mais s’ils peuvent ne pas le faire, ils ne le font pas parce qu’ils ne veulent surtout pas ouvrir la porte à une enquête internationale avec des observateurs indépendants. Car dans le nord de l’Arakan, l’armée a les pleins pouvoirs. Puisqu’elle contrôle les ministères de l’Intérieur, de la Défense et des Frontières, elle gère la question des Rohingyas – qu’elle considère comme une question de sécurité intérieure - de manière indépendante et autonome.
L’ONU ne peut-elle pas accentuer encore davantage la pression ?
C’est l’idée qui prévaut en ce moment. Lorsque onze prix Nobel exhortent les Nations unies à se saisir du sort des Rohingyas, c’est pour faire en sorte qu’il y ait des déclarations de l’ONU. Il y en a déjà eu mais il faudrait qu’une parole commune soit prise de la part de la communauté internationale, telle une résolution… C’est souhaitable et d’autant plus possible que la crise syrienne a récemment montré les limites du système onusien. On peut donc penser que les Nations unies, par souci de crédibilité, ont tout intérêt à essayer de remobiliser sur ce genre de dossier.
L’ONU parle de "nettoyage ethnique", le Premier ministre malaisien parle, lui, de "génocide". Connaît-on l’ampleur de la répression des Rohingyas en Birmanie ?
À Amnesty International, nous avons publié un rapport d’enquête qui dénombre énormément d’exactions menées par les forces armées : homicides, viols, incendies, arrestations arbitraires... Il est toutefois difficile d’avancer des chiffres précis car nous n’avons pas accès à la région et ne disposons que de témoignages oraux et d’images satellites. Comme nous ne pouvons pas quantifier le nombre de victimes, il n’est pas possible d'appliquer un terme international précis à ce qui se passe. C’est pour cette raison qu’au sein de notre organisation, nous parlons de " futur crime contre l’humanité". Tant qu’il n’y a pas d’enquêtes internationales, on ne pourra appliquer un terme.
L’insurrection musulmane que l’armée dit combattre ne risque-t-elle pas de se radicaliser ? Les violences commises à l’encontre des Rohingyas menace-t-elle la sécurité dans la région ? À mon sens, la Birmanie est déjà un pays en guerre, c’est un pays instable qui compte des conflits ethniques armés importants au Nord-Ouest, au niveau des frontières avec le Bangladesh, mais aussi plus au Nord avec la frontière chinoise. Ce qui est compliqué avec ce conflit, c’est qu’on voudrait opposer les bouddhistes aux musulmans, or il s’agit de conflits entre l’armée birmane et des groupes armées qui se présentent comme des résistants qui, dans certaines régions, ont des volontés d’indépendance.
Les Rohingyas, c’est un fait, sont musulmans, on ne peut donc nier la confessionnalité du conflit. Il se dit, sans que nous ayons pu le confirmer, que le groupe armé ayant attaqué les postes-frontières en octobre ait des liens avec l’Arabie saoudite. Mais on ne peut en tous cas pas parler de jihadistes comme les médias birmans l’ont fait en disant : "Attention le jihad est à nos frontières !". De fait, il est bien pratique pour le pouvoir de brandir un spectre qui fait peur au monde entier.
Quelle est la responsabilité d’Aung Saan Suu Kyi dans la répression ? Son attitude est clairement défaillante et compréhensible jusqu’à un certain niveau, puisqu’elle n’a pas les pleins pouvoirs et que l’armée détient 25 % des sièges au Parlement, mais elle a quand même la responsabilité de la population de son pays. Elle est prix Nobel de la paix, et c’est problématique qu’un prix Nobel de la paix se montre sélectif et ne prenne pas position pour l’ensemble du peuple.
France24
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