Guerre d’AlgérieLe 18 mars 1962, les accords d’Evian mettent fin à un conflit qui a fait des centaines de milliers de morts
Charles-Henri Favrod, le Vaudois qui s’est retrouvé au cœur des négociations
Chez lui, à Saint-Prex, Charles-Henri Favrod se remet d’une opération qui l’empêche de bien marcher. A près de 85?ans, il garde une étonnante mémoire de cette guerre d’Algérie qui s’est terminée, il y a exactement cinquante?ans, avec la signature des accords d’Evian.
Rien d’étonnant. Ce grand reporter à la Gazette de Lausanne , auteur de plusieurs livres, sans oublier son rôle à la tête du Musée de l’Elysée, a favorisé des rencontres secrètes qui ont débouché sur les accords d’Evian.
Tout commence en 1953.
«Je sors de l’université. Je suis sur le chemin de l’Algérie.» C’est dans une petite librairie au Caire qu’il fait la connaissance de Ben Bella, le futur premier président de l’Algérie, qui vient acheter L’Equipe.
«Ben Bella venait de s’échapper de prison. Il avait effectué en 1949 un hold-up à la poste d’Oran pour alimenter les fonds de la révolution.»
Ben Bella le footballeur
Et, quelques mois plus tard, en été 1954, c’est en Suisse que se prépare la guerre d’Algérie. «Durant le Championnat du monde de football, les Algériens se sont tous donné rendez-vous à Berne pour fixer la date du début de l’insurrection, le 1er novembre 1954. Et Ben Bella, un grand footballeur qui aurait pu jouer à l’OM, était furieux de ne pas voir les matches!»
Charles-Henri Favrod va comprendre, en France, le drame qui se noue. A Nanterre, en 1955, il voit dans quelles conditions vivent les Algériens. Il se rappelle ce que Camus lui a dit: «Les Français ont fait des Algériens un peuple de clochards.»
Il rencontre aussi Evelyne Sullerot, une féministe qui cache un Algérien recherché par la police. Tayeb Boulahrouf va alors gagner la Suisse en 1956 et créer à Lausanne une antenne du FLN. «Il logeait à l’Hôtel d’Orient, une pension pour jeunes filles!»
Lausanne, base logistique
Lausanne devient alors une base logistique. «C’est ici qu’arrive l’argent. On a prétendu que j’étais un porteur de valises. C’est faux. Boulahrouf sera le parrain de mon fils. Et, grâce à lui, je suis au cœur du dispositif, ce qui va me permettre d’aller au Caire voir les chefs historiques.»
C’est en 1956 toujours que se préparent, sans succès, les premières rencontres secrètes. Dans le même temps, la bataille d’Alger fait rage et les rangs du FLN sont décimés en 1957. «Je rencontre alors Saad Dalhab (ndlr: un cadre du FLN), qui arrive à Montreux pour se faire soigner. C’est un homme intelligent, rusé, les choses sérieuses vont commencer.»
En 1958, Charles-Henri Favrod, de retour d’Alger, publie un livre, La révolution algérienne. Son éditeur dit un jour à de Gaulle, revenu au pouvoir grâce à la guerre: «Il y a un petit Suisse qui s’intéresse à l’Algérie.» Le livre sera publié avec sa bénédiction.
De son côté, le premier ministre, Michel Debré, donne son autorisation pour une série de discussions. «Je suis alors approché par Pierre Racine, son chef de cabinet. Mais, en 1960, on est encore loin d’une conférence à Evian.»
L’affaire Dubois
Dans le même temps, la Suisse doit se faire pardonner l’affaire Dubois. En 1957, le procureur de la Confédération a fourni des informations aux services secrets français. Et c’est peut-être grâce à ces informations que la France a réussi à arraisonner l’avion dans lequel ont pris place Ben Bella et les chefs historiques de l’insurrection.
Charles-Henri Favrod est au courant de ce dossier, qu’il propose en vain à son rédacteur en chef, Pierre Béguin. Grâce à ses contacts, c’est la Tribune de Genève qui sortira l’affaire. René Dubois, lui, finira par se suicider.
Cette affaire va révolter Max Petitpierre, le chef du département politique. «Le FLN sera surveillé mais on ne les inquiète surtout pas.»
En cette fin d’année 1960, la situation devient alors dramatique en Algérie, et le général de Gaulle pense que la solution militaire n’est plus la bonne. «Pierre Racine, qui a reçu l’aval de Michel Debré, me demande alors d’organiser une rencontre. L’interlocuteur français sera Claude Chayet, du Quai d’Orsay. On me prie de trouver un interlocuteur algérien.»
Ce sera son ami Dahlab. «On marche sur des œufs. Je suis considéré comme un gêneur par Berne, même si Max Petitpierre m’aime bien.» Ce qui n’est pas le cas du négociateur suisse, Olivier Long.
Chayet et Dahlab finiront par se rencontrer, le 2 février 1961, à l’Hôtel d’Angleterre à Genève. «Mais je sais par Belahrouf qu’une médiation suisse est en route.»
Naïvement, le département politique annonce qu’il va effectivement assurer une mission de bons offices. «La réponse de l’OAS (Organisation armée secrète) arrive vite. Le maire d’Evian est assassiné. Berne réalise qu’elle aurait mieux fait de se taire. Quant aux discussions, elles n’avancent pas vite, mais elles avancent.»
Chez l’émir du Qatar
La délégation algérienne trouve refuge dans la résidence de l’émir du Qatar à Genève. Puis elle se rapproche d’Evian, au Signal-de-Bougy. «La première conférence échoue lamentablement. Il faut revenir aux discussions secrètes. Chayet et Dahlab vont ainsi se revoir à plusieurs reprises. Il faut faire vite, la République ne contrôle plus l’Algérie, l’OAS se déchaîne.»
C’est dans ce climat que seront signés les accords d’Evian, le 18 mars 1962. «Au soir des accords d’Evian, la décolonisation est en marche. Moi, je me tiens à carreau.»
Source: 24heures.ch
Ps. En Algérie on confond souvent Charles-Henri Favrod et François Genoud-trésorier du FLN- et personnage autrement plus énigmatique dans la révolution algérienne à l'instar de Jean Ziegler en autres.
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