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Qu’est-ce qu’une vraie nouvelle ?

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  • Qu’est-ce qu’une vraie nouvelle ?

    Quelques minutes avant le discours de départ de Barack Obama, CNN lance ce qui est censé être un énorme scoop.

    Pour l’occasion, on a même ressorti le vénérable Carl Bernstein, un des deux journalistes ayant révélé le Watergate.

    Quel scoop ? Des responsables du renseignement ont informé l’équipe de Donald Trump et le président Obama de l’existence « possible » d’un dossier compromettant pour Trump entre les mains des Russes.

    Avec mille précautions oratoires, les journalistes nous disent que le dossier lui-même contient des informations « non prouvées » sur de possibles activités (qu’on devine… sexuelles ?) de Trump en Russie.

    En même temps, le site BuzzFeed publie le document de 35 pages émanant d’un agent de renseignement britannique. C’est un tissu de rumeurs pour consommation interne, comme peuvent l’être des rapports de renseignement nullement destinés à être publiés. Des informations potentiellement explosives, comme une vidéo avec des prostituées, susceptibles de servir à faire chanter Trump.

    Réaction furieuse et instantanée de Trump : « Fake news. » Fausse nouvelle. Injuste !

    Bien fait pour lui, non ? Cet homme a pendant des années répandu la rumeur voulant qu’Obama soit né à l’étranger, il a accusé Hillary Clinton d’être « corrompue », il a prétendu que les changements climatiques sont une fraude scientifique, bref, il s’est abreuvé joyeusement aux fausses nouvelles.

    Sauf que cette fois, c’est Trump qui a raison. Si CNN avait respecté les normes responsables, il n’aurait jamais publié une moitié de nouvelle.

    ***

    Attention, réplique CNN ! On n’a jamais publié le rapport, on n’a jamais dit que le contenu du rapport était authentique. On a même dit qu’il n’y avait aucune preuve de la véracité du rapport. On a seulement dit que Trump avait reçu l’information ! D’ailleurs, Joe Biden a « confirmé » que le briefing de sécurité avait eu lieu.

    Ça ne tient pas la route : la nouvelle, ce n’est pas le briefing des agents du renseignement pour mettre en garde Trump. C’est le contenu du rapport. C’est ce que Trump a fait ou pas en Russie.

    On a ici un autre exemple de la pression exercée sur les médias traditionnels par des sites comme BuzzFeed, qui ne s’embarrassent pas de vérifications. Sachant que le site allait le diffuser, on s’est dépêché de sortir cette moitié d’information « non corroborée ».

    La vérification de faits aussi explosifs, c’est pourtant le fondement même du métier. S’agissant du prochain président des États-Unis, un adversaire déclaré du réseau, on a encore moins le droit à l’approximation.

    Au lieu de ça, CNN a lancé une énorme rumeur enrobée dans une minuscule « vraie » nouvelle et l’a fait bénir par un pape du journalisme d’enquête.

    Ce qu’il aurait fallu faire ? Poursuivre l’enquête, vérifier, contre-vérifier.

    « When in doubt, leave it out », dit le vieil adage journalistique. Dans une ère où le doute est partout et où le politicien le plus puissant de la planète fait tout pour discréditer la presse, c’est d’autant plus crucial. Autrement, qu’est-ce qui distinguera CNN de BuzzFeed ou Gawker ?

    ***

    Tout ça nous ramène à la question : qu’est-ce donc qu’une « vraie » nouvelle ? Les nouvelles sont « tout ce que l’on apprend par la presse, les médias », d’après le Robert.

    Par exemple, peut-être avez-vous appris ceci comme moi hier dans un média : « Uriner sur un partenaire sexuel n’est pas une pratique extrême, dit le Doc Mailloux. »

    Il faut raffiner le modèle, je crois.

    Une nouvelle est aussi le « premier avis qu’on reçoit d’un événement, toujours selon le Robert. Événement porté pour la première fois à la connaissance d’une personne, du public ».

    « Grippes et gastro causent un fort achalandage aux urgences » n’est pas porté à ma connaissance pour la première fois. C’était ainsi en 1979.

    Par contre, « Bobby Farnham rappelé par le Canadien », voilà qui est totalement nouveau. Je ne savais même pas qu’il jouait au hockey, je croyais que c’était le nom d’un restaurant à la sortie 55 de l’autoroute 10.

    « Le pétrole recule face à des inquiétudes de la Chine », ai-je lu le matin.

    « Le pétrole finit en hausse à New York », ai-je lu l’après-midi.

    « L’hiver bientôt à moitié derrière nous », pouvait-on lire hier. J’espère que vous ne croyez pas ça ? Fausse nouvelle.

    « Céline Dion baisse encore son prix à Jupiter Island » : ç’a l’air vrai.

    Nouvelle incontestable : « L’usage du pot médicinal en milieu de travail soulève des questions ».

    Nouvelle incertaine : « Les gens qui vivent à proximité des autoroutes plus à risque de démence ? »

    ***

    Depuis toujours, le monde bruisse de rumeurs. Est-ce vraiment pire à l’ère de l’internet ? Sans doute. D’abord parce que la propulsion des nouvelles, vraies ou fausses, n’a jamais été aussi puissante. Ensuite parce que l’internet met toutes les informations sur un pied d’égalité. Sur Facebook, rien ne distingue a priori l’article d’un journal qui répond à des normes strictes d’une nouvelle bidon. Le fondateur de Facebook, Mark Zuckerberg, qui vit largement aux dépens des médias, est assez inquiet pour s’être engagé à lutter contre la propagation des fausses nouvelles.

    Beaucoup voient dans l’élection de Donald Trump la preuve du danger de la propagation des fausses nouvelles, la fondation de l’ère de « post-vérité ». Je ne suis pas sûr que ce soit « ça » qui l’ait fait élire : il a perdu l’élection au nombre total de votes, mais gagné en ayant habilement ciblé certaines parties de certains États.

    Ce qui est certain, c’est que si l’on prétend aider le citoyen à distinguer le vrai du faux, il faut revenir sans cesse aux principes qui fondent le journalisme responsable. Il n’y a pas d’avenir autrement.


    la Presse
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