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L'empire contre-attaque

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  • L'empire contre-attaque

    On les disait despotiques, archaïques, dépassés par les États-nations, les empires reviennent en force dans les analyses.

    L’humanité est entrée dans l’histoire avec l’écriture, il y a quelque cinq millénaires. Du même moule a surgi une forme politique qui a régenté l’essentiel de cette histoire : les empires. Jusqu’au XVIIIe siècle, ce moment où des entités inédites issues de l’Europe, les États-nations, les ont supplantés. Convaincus d’être l’aboutissement logique de la maturation politique, les États se sont donné le beau rôle. L’empire est devenu un repoussoir, un souvenir d’un passé révolu. Fin de l’histoire ? Non. Ces dernières années, l’historiographie a renouvelé le genre. Aujourd’hui émerge une « nouvelle histoire impériale ».


    Des « laboratoires de la diversité »


    Empires. De la Chine ancienne à nos jours est l’un des jalons de ce renouvellement. Frederick Cooper et Jane Burbank y soulignent que les empires coloniaux occidentaux, « qui se pensaient les plus avancés de l’histoire – assurés de leur supériorité technologique, culturelle ou raciale – n’ont survécu que quelques décennies, tandis que l’empire ottoman a duré six cents ans ».

    Première question donc : si les empires ont été des modèles politiques primitifs, procédant par agglomération de conquêtes à la manière de l’éphémère entreprise d’Alexandre le Grand (instrumentalisée d’ailleurs, comme le montre Pierre Briant, dans nombre des débats de l’époque les Lumières), comment expliquer la pérennité de certains ? Pourquoi Rome dura-t-elle mille ans ? Comment les dynasties chinoises successives surent-elles se maintenir ?


    La réponse de F. Cooper et J. Burbank tient en une formule : les empires ont été des « laboratoires de la diversité ». Ils ont su mettre en œuvre, bien au-delà des dispositifs de coercition comme l’armée (on s’en servait avec discernement, pour des raisons de coût, comme le montre Alessandro Stanziani), des modalités de coexistence entre les multiples communautés qui les composaient. Plusieurs auteurs mettent ainsi en exergue les arbitrages, les délégations de pouvoir aux élites locales, la coexistence de normes juridiques… Ainsi les débats entre religieux chrétiens, bouddhistes, musulmans et autres dont se firent une spécialité certains empires (mongol en Asie orientale, moghol en Inde…) ne relevaient pas d’un anachronique œcuménisme, mais constituaient une façon de gérer des différences susceptibles de miner l’unité des empires. Ajoutons que s’ils surent se maintenir, c’est que les empires étaient tout sauf immobiles. La Chine des Yuan et des Ming chroniquée par Timothy Brook (1) déploya ainsi des trésors d’ingéniosité pour s’adapter aux circonstances adverses. Les empires ont en conséquence pris des formes très diverses selon les contextes.


    Khitans et Comanches, oubliés de l’histoire


    Une autre thématique émerge timidement, celle des empires oubliés. Pierre Marsone, dans La Steppe et l’Empire, peint la dynastie Khitan qui domina un immense territoire en Asie centrale et Chine du Nord. Plus troublant, la traduction de L’Empire comanche de Pekka Hämäläinen ressuscite l’une de ces entités que l’historiographie avait gommé du grand récit mondial : Comanches, mais aussi Maoris de Nouvelle-Zélande ou Zoulous d’Afrique australe… Lors de l’expansion coloniale occidentale, surgirent en réponse des formes étatiques indigènes, qui durèrent quelques décennies et firent leurs certains dispositifs clés de la modernité incarnée par les États-nations coloniaux.


    Les études postcoloniales le soulignaient depuis longtemps. Les États-nations, pour modernes qu’ils ont été, furent aussi la matrice des empires coloniaux occidentaux. Ceux-ci s’arrogèrent le monde le temps d’une parenthèse, ouverte dans la première moitié du XIXe siècle, refermée dans les décennies post-Seconde Guerre mondiale. Ces empires-là font l’objet d’une abondante production éditoriale – inscription de cette thématique au Capes d’histoire oblige –, dont témoignent un atlas, divers Sociétés coloniales à l’âge des empires, et une succession d’ouvrages s’employant à décortiquer la fabrique impériale… Cette vague remue la mémoire, questionne les identités, comme l’analyse parmi d’autres Catherine Coquery-Vidrovitch.


    Concluons sur la vision faisant de l’Occident néolibéral un Empire contemporain, réduisant le monde en autant de fiefs, analysée en France par Alain Joxe (2), menant souvent à la conclusion très contemporaine de l’anticipation du déclin – tout empire périra. Voire à une autre issue, celle de l’essor du concurrent : Michel Aglietti et Guo Bai explorent ainsi les modalités qui voient aujourd’hui une Chine hybride, subordonnant le capitalisme à de vieilles pratiques impériales, connaître une ascension inédite. Mais pour être durable, le modèle chinois requerra à terme une dose de démocratie. Cette « République » prouve déjà qu’un capitalisme sans capitaliste est possible… Inventera-t-elle demain l’Empire démocratique ?

    Les Mondes de l'océan Indien

    T. I De la formation
 de l’État au premier système-monde afro-eurasien 
(IVe millénaire 
av. J.-C./VIe siècle 
apr. J.-C.). 

    T. II L’Océan Indien au cœur des globalisations de l’Ancien Monde (VIIe-XVe siècle)

    Philippe Beaujard
    Armand Colin, 2012.

    C’est un travail sans égal que celui de Philippe Beaujard : retracer l’histoire de l’océan Indien sur cinq millénaires, celui-ci conçu comme système-monde, c’est-à-dire une unité complexe et hiérarchisée entre un ou des cœurs et leurs périphéries dont les interactions forment son organisation. Ce système-monde afro-eurasien s’est constitué autour de cinq cœurs : la Chine, l’Inde, l’Asie occidentale, l’Égypte, l’Europe du Sud puis du Nord-Ouest. Il ne faut donc pas voir l’océan Indien comme un système-monde parallèle à celui, plus familier pour nous, de la Méditerranée mais plutôt comme articulé à lui. 


    Cette histoire est également transdisciplinaire : économique, politique, sociale, religieuse et culturelle ; elle est une géohistoire. Elle permet de traiter de problématiques qui, parce qu’elles s’étalent sur la longue durée, peuvent nous éclairer aujourd’hui encore sur le devenir des systèmes-mondes. L’essor économique de ces régions est bien antérieur à celui de l’Europe occidentale. Les premiers États et les civilisations urbaines concomitantes apparaissent au IVe millénaire avant notre ère en Asie occidentale, en Égypte puis en Inde. Les premières traces de commerce à longue distance sont discernables dès le Ve millénaire, peut-être le VIe. Et ce commerce, contrairement à ce que l’on a pu penser jusqu’à il y a peu, ne concernait pas que des produits précieux. Ce qui implique des sociétés suffisamment hiérarchisées, une division du travail, une forme de culture commune fondant des réseaux d’échanges transrégionaux. 


    Qui plus est, il semble que les historiens aient sous-estimé l’importance des acteurs privés dans la constitution de ces réseaux d’échanges, parallèlement ou en complément des efforts des États. C’est donc à l’intégration progressive des différentes régions qui entourent l’océan Indien que ce système-monde conduit, « à travers l’existence de cycles économiques synchronisés avec les évolutions politiques, sociales, idéologiques ». Écologiques également puisque les variations climatiques décident aussi du déclin ou de l’essor de certaines régions. L’idée d’une invention occidentale du capitalisme est donc à relativiser. Jusqu’au XVIe siècle, « le capitalisme a sa source dans le système-monde afro-eurasien, dont l’Europe n’est alors qu’une périphérie ».

    Ce n’est qu’avec l’ouverture d’un autre système-monde sur l’Atlantique (avec l’exploitation des Amériques et la traite des esclaves africains) que le capitalisme européen put, tardivement, s’édifier.
    Thierry Jobard

    À LIRE
    Empires 

    De la Chine ancienne à nos jours

    Frederick Cooper et Jane Burbank (dir.), Payot, 2011.

    
Sous l’œil des dragons 

    La Chine des dynasties Yuan et Ming

    Timothy Brook, Payot, 2012.

    
La Steppe et l’empire

    La formation de la dynastie khitan (Liao), IVe-Xe siècle

    Pierre Marsone, Belles lettres, 2011.

    
L’Empire comanche 

    Pekka Hämäläinen, Anarchasis, 2012.
    Atlas des empires coloniaux (XIXe-XXe siècle)

    Jean-François Klein, Pierre Singaravélou et Marie-Albane de Suremain, Autrement, 2012.

    
Enjeux politiques de l’histoire coloniale 

    Catherine Coquery-Vidrovitch, Agone, 2009.


    Les Guerres de l’empire global

    Spéculations financières, guerres robotiques, résistances démocratiques

    Alain Joxe, La Découverte, 2012.


    SH
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