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Algérie-Afrique : à la recherche du temps perdu

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  • Algérie-Afrique : à la recherche du temps perdu

    Pour rattraper, voire contrecarrer, le voisin marocain, mais aussi pour dynamiser une croissance en berne, Alger part à la reconquête du continent, fort d’un immense prestige historique.

    «L’Afrique est la profondeur stratégique de l’Algérie. » Omniprésente dans la bouche de nombreux acteurs sécuritaires, diplomatiques et économiques algériens, la formule, très géopolitique, révèle les ambitions de puissance du plus vaste État du continent.
    Une aspiration que les autorités entendent désormais développer sur le terrain de la diplomatie économique, aspect majeur du soft power contemporain et vecteur de dynamisation d’une croissance plombée par la chute des cours du pétrole. Du 3 au 5 décembre 2016, Alger a ainsi accueilli son premier Forum africain d’investissements et d’affaires, organisé par la plus importante confédération patronale, en partenariat avec le ministère des Affaires étrangères.
    Construit à l’occasion du sommet de l’Organisation de l’unité africaine (OUA) de 1999, le Centre international des conférences, non loin du Sheraton Club des Pins, a reçu plus de 3 750 responsables économiques et politiques de 42 pays d’Afrique et d’ailleurs, invités à « travailler ensemble pour réussir ensemble ».
    Partenariat Sud-Sud pour des échanges gagnant-gagnant, développement de l’Afrique par les Africains et pour les Africains, l’antienne répétée de séances plénières en ateliers de travail était la même qu’en Égypte, en février dernier, lorsque le président Abdel Fattah al-Sissi avait organisé son propre premier sommet d’affaires Africa 2016, à Charm el-Cheikh.
    Les richesses africaines aux Africains
    Courtisée depuis les indépendances par les grandes puissances avides d’influence diplomatique et des ressources naturelles qui leur font défaut, l’Afrique attire désormais pour la croissance de ses marchés et son potentiel de développement. Les États africains ont été plus lents que les grandes puissances émergentes, comme la Chine et la Turquie, à envisager l’espace économique du continent dans sa globalité, mais les événements comme le forum d’Alger se multiplient ces dernières années, du Caire au Cap et d’Abidjan à Addis-Abeba, signe d’une prise de conscience que les opportunités de l’Afrique doivent profiter en premier lieu aux Africains.
    À la veille de l’événement, le ministre algérien des Affaires étrangères affichait l’ambition que l’Algérie puisse « jouer le rôle de locomotive dans l’intégration économique africaine ». Aux indélicats, qui suggèrent que le pays a dans ce domaine un train de retard sur le Maroc, dont les entreprises se sont lancées depuis plus de quinze ans à l’assaut des États de l’Ouest et dont le roi courtise maintenant ceux de l’Est, les plus fiers évoquent le « seul succès d’un marketing médiatique » chérifien.


    Mais d’autres, plus mesurés, rappellent que l’Algérie a été paralysée par une décennie de guerre contre le terrorisme dans les années 1990 et qu’il lui a fallu une décennie supplémentaire pour se remettre sur les rails. « Après quinze ans de croissance du secteur privé et l’émergence de champions économiques, nos entreprises sont aujourd’hui prêtes à s’internationaliser », plaide Amor Habes, patron du papetier Faderco et membre du conseil exécutif du Forum des chefs d’entreprise (FCE), qui organisait l’événement de décembre.
    Les atouts algériens ne manquent pas, soulignent les patrons : le pays est central en Afrique du Nord, possède des frontières avec six États du continent et parachève un réseau d’infrastructures portuaires, routières, énergétiques et technologiques complet, dont les extensions sahéliennes et jusqu’au Nigeria sont prévues de longue date.
    « l’Algérie pourrait être une locomotive du continent africain »
    Pour Slim Othmani, président de NCA Rouiba, un leader du secteur de la boisson, « l’Algérie pourrait être une locomotive du continent africain au même titre que l’Afrique du Sud ou le Nigeria. La locomotive n’a pas encore démarré, mais on entend les turbines qui se mettent en marche. Sauf que, les voies intéressantes étant nombreuses, les chauffeurs de la locomotive semblent ne pas savoir sur laquelle s’engager et sont très hésitants ».
    L’homme d’affaires, qui a séché le forum, ne manque pas de pointer les incohérences d’une diplomatie qui appelle les entreprises algériennes à s’implanter sur le continent, quand la réglementation nationale exige que les revenus des filiales étrangères soient immédiatement rapatriés sans pouvoir être réinvestis ou placés localement.
    Une règle rédhibitoire qui illustre les contradictions entre les paroles et les faits, entre les ambitions et les moyens de la diplomatie algérienne en Afrique. Enfin, souligne l’homme d’affaires franco-béninois Lionel Zinsou, intervenant au forum, « l’Algérie reste une inconnue sur le continent dans le domaine économique, mais demeure très importante dans le domaine politique. Historiquement, son combat héroïque fait que chacun en Afrique subsaharienne se sent un peu algérien ».
    Un allié historique
    Si Alger est novice en matière de diplomatie économique, sa politique africaine date d’avant même l’indépendance, quand le gouvernement provisoire recherchait des soutiens dans les capitales du continent dans son combat contre le colon français.
    Interrogés sur la conception algérienne de sa politique continentale, les diplomates locaux ne manquent pas de rappeler l’ancienneté des liens qui liaient le pays au sud du Sahara, d’où affluaient les caravanes, et l’immense prestige acquis à la faveur de la victoire du combat indépendantiste, du soutien aux mouvements d’émancipation en Afrique et de l’aide apportée par une longue politique de coopération.
    « N’est-ce pas le roi berbère Massinissa qui disait déjà contre Rome, au IIe siècle avant J.-C., “l’Afrique appartient aux Africains” ? » concluent les diplomates. Comme elle a pu être un slogan des décolonisations, l’antique formule est adaptée aux revendications économiques des États du continent.
    Mais, souligne Jacques Frémeaux, professeur à la Sorbonne en histoire du monde arabe moderne, « l’Algérie n’est pas portée à se tourner vers le sud subsaharien, les influences de la domination ottomane puis de la colonisation française attirant ses regards vers le Machrek et le Nord. Quant aux carrefours caravaniers, ils n’étaient rien d’autre que des lieux d’échanges commerciaux. L’Europe du Moyen Âge n’était pas orientale parce qu’elle avait des relations caravanières avec la Chine ».
    Enfin, le temps est loin où Amílcar Cabral, père des indépendances bissau-guinéenne et cap-verdienne, pouvait situer à Alger La Mecque des révolutionnaires. En ce début de XXIe siècle, c’est la Tunisie qui a été l’épicentre des mouvements arabes pour s’émanciper des régimes autoritaires. Le prestige historique de l’Algérie reste considérable en Afrique, mais le rappel de quelques souvenirs ne fait pas une vision d’avenir.
    Depuis le retour de la paix civile, rien n’a été fait pour renouveler l’image de marque du pays et contrer le délitement de ses politiques de coopération. Dans le domaine de l’éducation, l’arabisation de l’enseignement a détourné les Subsahariens francophones des universités algériennes. Et, regrette Chems Eddine Chitour, professeur à l’École nationale polytechnique d’Alger, « l’Algérie a formé, depuis 1962, au moins 30 000 cadres étrangers, dont beaucoup d’Africains de haut niveau. Où sont-ils ? » La généreuse diplomatie algérienne aurait eu beaucoup à gagner à entretenir les liens avec les élites locales qu’elle a formées, mais rien n’a été fait dans ce sens.
    Opportunités ratées
    Certes, le président Abdelaziz Bouteflika a effacé en 2013 la dette de quatorze pays d’Afrique, mais sans aucune contrepartie économique ni même diplomatique, regrette le diplomate de carrière et ancien ministre de la Communication Abdelaziz Rahabi. Certes, Alger a organisé un grand festival panafricain en 2009, cinquante ans après une première édition à la gloire de la révolution, mais sa politique culturelle sur le continent est indigente.
    Certes, l’Algérie s’est dernièrement illustrée sur le front des médiations africaines dans les crises soudanaise, malienne et libyenne, « mais, poursuit Rahabi, même après l’accord d’Alger, qui a réconcilié le Mali en 2015, le président ne s’est pas rendu en visite officielle dans ce pays ». Pas plus que dans aucun autre d’Afrique subsaharienne, d’ailleurs.
    Sans langue de bois, Rahabi ne cache pas son amertume : « Malheureusement, nous avons perdu beaucoup de temps et d’opportunités en Afrique sous les mandats de Bouteflika. Il n’a jamais été africain et s’est très peu déplacé sur le continent, même lorsqu’il était ministre des Affaires étrangères. »
    En Égypte, les liens du Caire avec les autres États du continent s’étaient fortement distendus sous le régime de Hosni Moubarak, au tropisme très occidental. Au-delà du prestige attaché à leur histoire récente, les deux pays sont devenus des inconnus en Afrique subsaharienne. Et ils doivent aujourd’hui mettre en œuvre des efforts considérables pour la reconquérir, au-delà de l’organisation de forums d’affaires.
    Identité africaine
    L’Algérie se sent-elle seulement africaine ? « Ne parlez pas de forum algéro-africain mais de forum africain, car nous sommes africains », avait insisté un membre du patronat venu présenter l’événement à Paris. « Nous n’allons pas en Afrique en conquérants, nous sommes africains et il faut s’identifier à l’Afrique pour réussir en Afrique », martèle Rahabi.
    Mais, pour les gens de la rue comme pour nombre d’acteurs économiques et politiques, l’Africain reste le Subsaharien. Si le président s’est rendu à Tunis et au Caire, on déplore ainsi qu’il n’ait effectué « aucune visite en Afrique », et le fait de parler du continent comme de la « profondeur stratégique de l’Algérie » paraît balayer ses latéralités arabes.
    Au lendemain des indépendances, les démonstrations panafricaines d’Alger tenaient bien moins d’un sentiment continental que de la doctrine tiers-mondiste et du mouvement des non-alignés que les révolutionnaires socialistes professaient. Un discours obsolète qui ne parle plus aux actuelles élites économiques et politiques africaines et qui peine visiblement à être renouvelé.
    Communiquer aux Algériens eux-mêmes le sentiment de leur africanité devrait constituer – conjuguée avec l’aura historique et la puissance régionale que le pays possède déjà – le fondement d’une politique africaine durable qu’un engagement plus convaincu de l’État devra soutenir.
    Il faut discuter avec le Maroc et laisser le dossier sahraoui se régler à l’ONU
    L’effort diplomatique d’Alger sur le continent est enfin trop accaparé par une autre vieille histoire, dernière résonance des discours de libération post-indépendances : la question du Sahara occidental. Territoire reconnu indépendant par l’Algérie après son évacuation par les Espagnols en 1976 mais sur lequel le Maroc s’est déclaré souverain, le Sahara occidental a motivé une intense compétition diplomatique entre les deux États et a paralysé la constitution de l’Union du Maghreb arabe (UMA), qui devrait être le premier cercle d’intégration continental de l’Algérie.
    Une figure éminente de l’opposition estime qu’« il faut discuter avec le Maroc et laisser le dossier sahraoui se régler à l’ONU. La non-construction du Maghreb économique représente une perte de développement gigantesque pour tout le monde, et je reproche aux pouvoirs de ne pas ouvrir de canaux de discussion ».
    Mais, pour Jacques Frémeaux, la dispute sahraouie va au-delà des questions de droit, de régime et de doctrine : « J’y vois surtout l’idée de contrer une grande politique saharienne du Maroc et d’empêcher sa politique d’expansion en direction du Sénégal. » Mais ne serait-elle pas en réalité l’expression de la volonté des deux États de se constituer en puissance régionale et en pivot méridional d’un continent qui suscite tous les appétits de conquête ?
    Laurent De Saint Perier
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