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USA-Royaume Uni : la grande réconciliation stratégique ?

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  • USA-Royaume Uni : la grande réconciliation stratégique ?

    Confronté à un environnement international hostile et à des concurrents agressifs, les USA et le Royaume Uni ont tout intérêt à se serrer les coudes pour éviter un jour « de battre pathétiquement des ailes comme un papillon à la périphérie du monde. »

    En quelques 200 ans, depuis la guerre d’indépendance, Américains et Britanniques sont passés de l’opposition armée à une alliance solide, qualifiée par Winston Churchill, dans son célèbre discours de Fulton, de « Special Relationship ». La percée fulgurante de Donald Trump dans la course à la présidence a laissé plus d’un observateur dubitatif quant à l’évolution de cette « relation spéciale », comme d’ailleurs en ce qui concerne l’évolution de la politique américaine dans son ensemble.

    Theresa May aura pourtant l’honneur d’être le premier dirigeant étranger reçu par le nouveau locataire de la Maison Blanche vendredi 27 janvier prochain. Le Premier ministre britannique compte bien continuer à faire vivre la « Special Relationship » et même la consolider en dessinant les contours des futures relations commerciales et diplomatiques entre les deux pays.

    Les rapports entre les États-Unis ont pourtant connu des hauts et des bas depuis la fin de la seconde guerre mondiale et le contenu d’un mémo édité pour le Congrès américain et rendu public par le Daily Mail en avril 2015, envisageait même la fin de la relation particulière entre les deux puissances anglo-saxonnes.

    La courte guerre Grande-Bretagne-USA

    Après les années difficiles qui suivirent l’indépendance des anciennes colonies américaines, l’opposition entre États-Unis et Empire britannique déboucha même sur une courte guerre en 1812. En dépit, cependant, de disputes frontalières encore vives jusqu’à la fin du XIXe siècle, le gouvernement de Sa Majesté et ses anciens sujets conclurent une alliance que le baptême des armes des première et seconde guerres mondiales allaient rendre l’une des plus solides et durables du XXe siècle.

    L’agenda diplomatique et stratégique des États-Unis évoluant largement, au cours de la présidence de Barack Obama, avec l’affirmation de la notion de « pivot asiatique » chère au 44e président américain, la relation entre Royaume-Uni et États-Unis semblait bien condamnée à ne plus devoir être si spéciale. Le mémo adressé aux membres du Congrès précisait en effet clairement en avril 2015 qu’en regard des nouvelles priorités stratégiques définies par l’administration américaine le Royaume-Uni ne devait plus être considéré comme un élément aussi central que par le passé de la diplomatie américaine.

    Le document, préparé par le Congressional Research Service, un institut d’analyse interne au Congrès, s’interrogeait en effet sur les turbulences économiques et politiques à venir pour le Royaume-Uni, à l’approche notamment du vote sur le Brexit. Un an plus tard, dans une interview accordée à Jeffrey Goldberg pour The Atlantic, Barack Obama rejetait sans vergogne la responsabilité du chaos, succédant en Lybie à la chute de Mouammar Kadhafi, sur David Cameron, « distrait, selon le président américain, par une variété d’autres choses »… en particulier le guêpier du Brexit dans lequel le Premier ministre britannique s’était bien imprudemment fourré.

    Perte d’influence de la Grande-Bretagne

    La « relation spéciale » semble en réalité depuis longtemps être vécue comme davantage spéciale d’un côté de l’Atlantique que de l’autre. Tandis que le concept fait partie intégrante de l’identité britannique, au même titre que le Blitz, les Scones, le football et les Beatles, il a commencé à être remis en question aux États-Unis dès les années 70. Comme le faisait cruellement remarquer le Time en 1970 : « Le déclin précipité du Royaume-Uni du statut de puissance mondiale à celui de nation de second rang a rendu l’alliance avec les États-Unis déséquilibrée…et improductive.» Alors que le Royaume-Uni liquidait les derniers restes de son empire, sa diplomatie a largement perdu la capacité d’influencer et d’aider la politique américaine.

    L’échec du Royaume-Uni à être admise dans la CEE a seulement confirmé que son rôle n’est plus, selon les durs propos d’un Américain, « que de battre pathétiquement des ailes comme un papillon à la périphérie du monde. » Les choses ont changé avec Margaret Thatcher.

    La Dame de fer qu’une photographie célèbre montre en train de valser avec Ronald Reagan a non seulement su consolider la relation entre les deux puissances mais aussi prouver à l’occasion de la crise des Malouines que le lion britannique n’avait pas perdu toutes ses griffes et était encore loin de se cantonner au rôle de puissance de second rang.

    Retour à la relation spéciale ?

    Le spectre de la marginalisation est donc reparu avec le recentrage de l’administration Obama mais la percée de Donald Trump aux cours des élections américaines a paradoxalement inversé les rôles. Aux Britanniques cette fois de se demander si la « relation spéciale » était toujours viable et productive si Donald Trump venait par le plus grand des miracles à être élu.

    Le nouveau maire de Londres, Sadiq Khan, épinglait en mai 2016 Trump en l’accusant d’être « ignorant en matière d’islam » tandis que David Cameron qualifiait la proposition du candidat républicain de bannir les musulmans des États-Unis de « clivante, stupide et arrogante ». Le torchon brûlait à nouveau entre les deux vieux complices, par pour les mêmes raisons cependant.

    Et puis l’impensable a eu lieu dans chacun des deux pays : la victoire du leave au référendum du 23 juin 2016 au Royaume-Uni et celle de Donald Trump aux élections américaines du 8 novembre 2016. Par un tour de magie électorale imprévu, la classe politique des deux pays voyait soudain le sol se dérober sous ses pieds avec, soudain, la même angoisse partagée (et largement entretenue par les médias nationaux et internationaux) : la marginalisation.

    La crainte d’un déclin accéléré par les choix des électeurs américains et britanniques doit pourtant être largement relativisée : quelques mois après la victoire du leave, Londres continue à faire concurrence à New-York sans que le séisme économique et financier annoncé n’ait vraiment eu lieu. Quant aux États-Unis, il reste difficile de savoir ce que réserve la personnalité de Donald Trump qui n’a pas perdu son temps pour doucher sévèrement les espoirs de la Chine de voir un Trump président se montrer plus conciliant qu’une Clinton.

    Deux possibles partenaires rapprochés

    Mais en attendant de savoir ce que réservera plus avant l’avenir aux deux pays, la relative incertitude dans laquelle ils se trouvent les rapproche. Theresa May n’a pas perdu une seconde pour annoncer dès le 9 novembre sur Facebook : « La Grande-Bretagne et les États-Unis ont une relation privilégiée et durable fondé sur les valeurs de liberté, de démocratie et de l’entreprise. On est, et restera, forte et proches partenaires sur le commerce, la sécurité et de défense. » L’avenir pourrait bien donner raison à Theresa May.

    Pour commencer, comme le remarquait déjà Simon Tate, auteur de A Special Relationship ? British Foreign Policy in the Era of American Hegemony, en mai 2016, le niveau de collaboration entre États-Unis et Royaume-Uni en termes militaires et en matière de renseignement définit à lui seul la « relation spéciale », quelle que soit l’évolution des relations diplomatiques entre les deux pays. Et Donald Trump a su rendre gracieusement la politesse à Theresa May en saluant tout d’abord le Brexit comme une occasion au cours de laquelle le Royaume-Uni s’est ressaisi « de sa propre identité » et a fustigé « l’erreur catastrophique de Merkel » dans sa gestion de la crise migratoire.

    En matière de douche froide, les Allemands ont, pour ainsi dire, été aussi copieusement servis que Pékin, après les années fastes de l’ère Obama qui voyait la « relation spéciale » germano-américaine dangereusement concurrencer la britannique. N’oublions pas cependant que dès les années de la guerre froide la RFA était devenue un partenaire stratégique crucial pour les États-Unis, et un partenaire économique progressivement plus important que la Grande-Bretagne.

    En réalité, les États-Unis n’ont pas été avare de relations spéciales au cours de leur histoire récente : Arabie Saoudite, Japon, Israël, Turquie, Allemagne… Et comme on a pu le constater récemment, ces relations ont grandement évolué.

    Theresa May doit-elle se méfier ?

    Theresa May a-t-elle donc raison de se montrer si confiante avant sa rencontre avec le nouveau chef d’État américain ? Après tout, elle pourrait aussi avoir toutes les raisons de se méfier d’un dirigeant tout de même assez fantasque pour avoir déclaré que l’OTAN était « obsolète » et même – au cours de la campagne – qu’il n’entendait pas exclure la possibilité de lâcher un jour une bombe nucléaire sur l’Europe, puisque, après tout, quand on est la première puissance nucléaire de la planète, on n’est raisonnablement en droit de n’exclure aucune option…

    Deux facteurs conduisent cependant à penser que la relation américano-britannique et l’axe anglo-saxon pourrait bien connaître encore de beaux jours. Tout d’abord, il y a fort à parier que de futures figures telles que James Mattis (secrétaire à la Défense) ne laisseront certainement pas la relation avec l’OTAN, et plus encore avec le Royaume-Uni, pilier de l’Alliance Atlantique, aller à vau-l’eau.

    Certaines des nouvelles têtes pensantes de Washington sont d’ailleurs intervenues très rapidement pour éteindre les éventuels départs de feux susceptibles de faire du tort aux vieilles amitiés. Stephen Schwarzman, conseiller du président américain, a ainsi tenu à rassurer le 24 janvier les Canadiens quant à la solidité de leur relation avec les États-Unis, présentée comme « un modèle », même en prévision de la renégociation de l’ALENA voulue par Trump. Et un deuxième facteur, plus important encore, plaide pour la consolidation de l’alliance anglo-américaine : Donald Trump et Theresa May se voient tous deux comme des « pragmatiques » et se trouvent dans une position où ils entendent renégocier durement leurs accords commerciaux.

    Plus encore, les deux dirigeants se sont fixés des objectifs aussi ambitieux qu’en rupture avec l’administration qui les a chacun précédé : la réindustrialisation du Royaume-Uni pour Theresa May et la lutte contre les délocalisations pour Donald Trump. Le caractère interventionniste et protectionniste des mesures appuyées par les deux chefs d’État s’inscrit pour le moment relativement à contre-courant des principes régissant l’économie et le commerce mondial.

    Sans parier pour le moment sur la capacité de chacun à tenir son programme, leurs positions respectives peuvent faire craindre le risque d’un plus grand isolement. Face au risque d’une relative marginalisation, confronté à un environnement international plus hostile et à des concurrents agressifs, les deux vieux alliés ont sans doute tout intérêt à se serrer les coudes pour éviter un jour « de battre pathétiquement des ailes comme un papillon à la périphérie du monde. »

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