L’angoisse technologique nous guette tous à des degrés divers. Mais il y a pire que de craindre d’être remplacé par un robot intelligent, il y a aussi la peur de devoir lui obéir.
Et il y a plus inquiétant que la délocalisation, il y a l’automatisation, nous a glissé l’ex-président Obama dans son dernier discours, décochant un petit avertissement à son successeur qui se promet de créer plus de jobs depuis que Dieu et le pétrole existent.
Donald Trump me fait penser à ces ouvriers anglais du textile au début du XIXe siècle (les luddites) qui ont détruit des machines comme moyen de protestation parce qu’elles les envoyaient au chômage.
L’expression luddite fallacy est apparue pour décrire une erreur de jugement voulant que l’humain perde sa valeur au profit de la technologie.
Qui du robot humanisé et de l’humain robotisé est le plus grand imbécile?
Luc Simonet
Sauf qu’effectivement, beaucoup d’humains sont déjà remplacés par des machines plus intelligentes qu’eux, comme les chevaux ont été renvoyés au pâturage par l’arrivée des Ford.
Chauffeurs de taxi, camionneurs, employés de chaînes de restauration rapide : à vos casquettes! Conseillers financiers et juridiques, adjoints administratifs, caissiers, vendeurs, et même les arpenteurs géomètres vont y passer, remplacés par des drones, des GPS et des logiciels précis.
Je lisais récemment dans le magazine L’actualité que le soutien psychologique chez nos policiers provinciaux est offert à l’essai en mode virtuel depuis le printemps dernier. L’intelligence artificielle ne porterait pas de jugement et on peut consulter rapidement, par curiosité ou nécessité, 24/7, derrière un écran. Un confessionnal moderne, quoi.
Devant cette hécatombe potentielle du milieu du travail qui touchera un emploi sur trois au Québec d’ici 10 à 20 ans (42 % à l’échelle du Canada), il semble que nous ne soyons pas préparés.
Tout le monde est pour le progrès, mais pour l’instant, 80 % des emplois créés au Canada le sont à temps partiel, et la plupart dans le secteur des services, me souligne mon économiste de mari.
On aura toujours besoin d’infirmières et d’éducatrices en garderie et les femmes seront d’ailleurs deux fois moins touchées par l’automatisation dans certains secteurs. Il y a des avantages à avoir un talent naturel pour les emplois moins payants.
Si le passé est garant de l’avenir
Il y a bien sûr des vues contraires et des boules de cristal embuées sur cette problématique fascinante dans laquelle nous sommes déjà plongés. Les guichets automatiques n’ont pas fait disparaître les caissiers dans les banques, ni les brosses à dents électriques les dentistes, et les hommes n’ont pas cédé complètement leur place aux dildos.
Certains économistes spécialisés dans l’économie du travail, comme Pierre Fortin et l’Américain David Autor, demeurent plutôt optimistes. Ils prévoient que nous inventerons de nouveaux emplois que nous n’imaginons pas pour l’instant, que la robotisation nous donnera du temps libre ou nous permettra d’être deux fois plus productifs.
Pierre Fortin avance que l’emploi est passé de 59 % à 76 % — grâce aux femmes, surtout — chez les 15 à 64 au Québec, depuis 1976, et le taux de chômage de 9 % à 7 % en dépit de la robotisation.
Le prix des biens et services étant plus bas, nous pourrions disposer de plus d’argent pour… consommer davantage. L’économiste croit que notre insatiabilité pour les biens matériels — nous consommons deux fois plus qu’il y a 40 ans —, encouragée de façon manipulatrice par le système économique, maintiendra la demande vers la croissance.
Mais il convient que ce sont les effets néfastes de l’automatisation — emplois désuets et difficulté pour cette main-d’oeuvre à retrouver des emplois de même qualité — qui ont favorisé l’élection de Donald Trump.
« La fin du travail n’existe pas, c’est la nature des emplois qui va changer, soutient Pierre Fortin. Il y a aura polarisation : plus d’emplois de haut niveau bien payés et de bas niveau mal payés. » Et l’économiste croit encore que la meilleure façon de se protéger, c’est « d’éduquer notre monde ».
Enwèye à l’école!
Une récente édition de The Economist (14-20 janvier 2017) consacrait sa une à « Comment survivre dans l’âge de l’automatisation », sous le titre « Lifelong learning ». Les futurs travailleurs seront en formation continue toute leur vie. La révolution technologique exigerait des liens plus étroits entre le « marché » de l’éducation et celui de l’emploi.
Mais l’époque où des diplômes d’études supérieures garantissaient des emplois mieux rémunérés est peut-être soumise à une réalité plus complexe, même si ceux-ci sont moins affectés par les risques d’automatisation.
La tendance semble s’être renversée aux États-Unis depuis 2001. Les salaires des universitaires diminuent par rapport à ceux des moins éduqués, tandis que leurs dettes d’études augmentent.
Il ne faut pas que le robot soit trop intelligent, sinon il voudra rien foutre
Jean-Marie Gourio
Au-delà des diplômes, devant l’invasion barbare, certains envisagent même un postcapitalisme et l’instauration d’un revenu universel.
J’en parlais avec mon grand B de 13 ans cette semaine. Il s’enthousiasmait devant la perspective de ne plus sortir de son lit...
— Si les robots nous remplacent, c’est super! On n’aura plus besoin de travailler, me lance-t-il, déjà prêt à être décrocheur scolaire.
– Oui, c’est l’employé idéal. Mais qui va payer pour les écoles, les hôpitaux, les routes, les policiers? Tu vas acheter ta bouffe avec quel argent? Et certains vont travailler tandis que d’autres vont se prélasser?
— … !?
— Il y a une solution, tu crois?
— Le problème, c’est l’argent, maman…
Un ado de 13 ans est capable de se transformer en marxiste sans avoir vu Les temps modernes de Chaplin, sans cours d’éducation à la vie économique néolibérale et sans même savoir que les deux personnes les plus fortunées au Canada possèdent l’équivalent de 30 % des avoirs des plus pauvres au pays.
En attendant, mon B veut devenir programmeur de jeux vidéo. Je l’encourage fortement vers ce secteur ludique et plein d’horizons qui m’échappent, pourvu que ces jeux ne soient ni violents, ni sexistes, ni racistes, ni genrés, ni pornographiques. Grosse commande.
Voilà une carrière postmoderne prometteuse avec des études de courte durée, sans dettes et avec beaucoup de potentiel pour occuper des millions de chômeurs qui se tourneront les pouces.
le Devoir
Et il y a plus inquiétant que la délocalisation, il y a l’automatisation, nous a glissé l’ex-président Obama dans son dernier discours, décochant un petit avertissement à son successeur qui se promet de créer plus de jobs depuis que Dieu et le pétrole existent.
Donald Trump me fait penser à ces ouvriers anglais du textile au début du XIXe siècle (les luddites) qui ont détruit des machines comme moyen de protestation parce qu’elles les envoyaient au chômage.
L’expression luddite fallacy est apparue pour décrire une erreur de jugement voulant que l’humain perde sa valeur au profit de la technologie.
Qui du robot humanisé et de l’humain robotisé est le plus grand imbécile?
Luc Simonet
Sauf qu’effectivement, beaucoup d’humains sont déjà remplacés par des machines plus intelligentes qu’eux, comme les chevaux ont été renvoyés au pâturage par l’arrivée des Ford.
Chauffeurs de taxi, camionneurs, employés de chaînes de restauration rapide : à vos casquettes! Conseillers financiers et juridiques, adjoints administratifs, caissiers, vendeurs, et même les arpenteurs géomètres vont y passer, remplacés par des drones, des GPS et des logiciels précis.
Je lisais récemment dans le magazine L’actualité que le soutien psychologique chez nos policiers provinciaux est offert à l’essai en mode virtuel depuis le printemps dernier. L’intelligence artificielle ne porterait pas de jugement et on peut consulter rapidement, par curiosité ou nécessité, 24/7, derrière un écran. Un confessionnal moderne, quoi.
Devant cette hécatombe potentielle du milieu du travail qui touchera un emploi sur trois au Québec d’ici 10 à 20 ans (42 % à l’échelle du Canada), il semble que nous ne soyons pas préparés.
Tout le monde est pour le progrès, mais pour l’instant, 80 % des emplois créés au Canada le sont à temps partiel, et la plupart dans le secteur des services, me souligne mon économiste de mari.
On aura toujours besoin d’infirmières et d’éducatrices en garderie et les femmes seront d’ailleurs deux fois moins touchées par l’automatisation dans certains secteurs. Il y a des avantages à avoir un talent naturel pour les emplois moins payants.
Si le passé est garant de l’avenir
Il y a bien sûr des vues contraires et des boules de cristal embuées sur cette problématique fascinante dans laquelle nous sommes déjà plongés. Les guichets automatiques n’ont pas fait disparaître les caissiers dans les banques, ni les brosses à dents électriques les dentistes, et les hommes n’ont pas cédé complètement leur place aux dildos.
Certains économistes spécialisés dans l’économie du travail, comme Pierre Fortin et l’Américain David Autor, demeurent plutôt optimistes. Ils prévoient que nous inventerons de nouveaux emplois que nous n’imaginons pas pour l’instant, que la robotisation nous donnera du temps libre ou nous permettra d’être deux fois plus productifs.
Pierre Fortin avance que l’emploi est passé de 59 % à 76 % — grâce aux femmes, surtout — chez les 15 à 64 au Québec, depuis 1976, et le taux de chômage de 9 % à 7 % en dépit de la robotisation.
Le prix des biens et services étant plus bas, nous pourrions disposer de plus d’argent pour… consommer davantage. L’économiste croit que notre insatiabilité pour les biens matériels — nous consommons deux fois plus qu’il y a 40 ans —, encouragée de façon manipulatrice par le système économique, maintiendra la demande vers la croissance.
Mais il convient que ce sont les effets néfastes de l’automatisation — emplois désuets et difficulté pour cette main-d’oeuvre à retrouver des emplois de même qualité — qui ont favorisé l’élection de Donald Trump.
« La fin du travail n’existe pas, c’est la nature des emplois qui va changer, soutient Pierre Fortin. Il y a aura polarisation : plus d’emplois de haut niveau bien payés et de bas niveau mal payés. » Et l’économiste croit encore que la meilleure façon de se protéger, c’est « d’éduquer notre monde ».
Enwèye à l’école!
Une récente édition de The Economist (14-20 janvier 2017) consacrait sa une à « Comment survivre dans l’âge de l’automatisation », sous le titre « Lifelong learning ». Les futurs travailleurs seront en formation continue toute leur vie. La révolution technologique exigerait des liens plus étroits entre le « marché » de l’éducation et celui de l’emploi.
Mais l’époque où des diplômes d’études supérieures garantissaient des emplois mieux rémunérés est peut-être soumise à une réalité plus complexe, même si ceux-ci sont moins affectés par les risques d’automatisation.
La tendance semble s’être renversée aux États-Unis depuis 2001. Les salaires des universitaires diminuent par rapport à ceux des moins éduqués, tandis que leurs dettes d’études augmentent.
Il ne faut pas que le robot soit trop intelligent, sinon il voudra rien foutre
Jean-Marie Gourio
Au-delà des diplômes, devant l’invasion barbare, certains envisagent même un postcapitalisme et l’instauration d’un revenu universel.
J’en parlais avec mon grand B de 13 ans cette semaine. Il s’enthousiasmait devant la perspective de ne plus sortir de son lit...
— Si les robots nous remplacent, c’est super! On n’aura plus besoin de travailler, me lance-t-il, déjà prêt à être décrocheur scolaire.
– Oui, c’est l’employé idéal. Mais qui va payer pour les écoles, les hôpitaux, les routes, les policiers? Tu vas acheter ta bouffe avec quel argent? Et certains vont travailler tandis que d’autres vont se prélasser?
— … !?
— Il y a une solution, tu crois?
— Le problème, c’est l’argent, maman…
Un ado de 13 ans est capable de se transformer en marxiste sans avoir vu Les temps modernes de Chaplin, sans cours d’éducation à la vie économique néolibérale et sans même savoir que les deux personnes les plus fortunées au Canada possèdent l’équivalent de 30 % des avoirs des plus pauvres au pays.
En attendant, mon B veut devenir programmeur de jeux vidéo. Je l’encourage fortement vers ce secteur ludique et plein d’horizons qui m’échappent, pourvu que ces jeux ne soient ni violents, ni sexistes, ni racistes, ni genrés, ni pornographiques. Grosse commande.
Voilà une carrière postmoderne prometteuse avec des études de courte durée, sans dettes et avec beaucoup de potentiel pour occuper des millions de chômeurs qui se tourneront les pouces.
le Devoir
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