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Paysans suisses au Canada

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    Bonsoir
    Les agriculteurs exilés ne montrent pas de nostalgie, relève Laurence Caille. «Ils se souviennent de la Suisse comme du pays où ils sont nés, mais ils ont voulu le quitter pour pouvoir continuer à exercer leur profession. C’est un choix qu’ils assument totalement»

    Pour nombre d’agriculteurs suisses, les vastes plaines du Canada tiennent de la Terre promise. Aujourd’hui encore, beaucoup caressent le rêve d’aller s’y installer, à l’instar des dizaines de familles ayant déjà franchi le pas. Mais comment ces émigrés s’acclimatent-ils à leur nouveau pays, et quels liens conservent-ils avec la Suisse et ses traditions? Vivre avec son monde, le mémoire de licence en ethnographie présenté à l’Université de Fribourg par Laurence Caille, d’Estavannens, apporte certains éléments de réponse à ces questions. Pour réaliser son travail – «qui ne vise aucunement à refléter la réalité de l’ensemble des Suisses émigrés au Canada» – l’étudiante n’a pas hésité à aller rencontrer sur place, deux mois durant, 19 familles d’agriculteurs parties entre 1975 et 2001.
    La Stabadine explique avant tout les motivations qui ont poussé les uns et les autres à quitter la Suisse. Cette petite Suisse montagneuse où les surfaces cultivables sont une denrée rare. Un élément déterminant, comme le souligne l’un de ses interlocuteurs: «Moi, il me semblait que les fermes suisses ne valaient rien, il n’y avait pas assez de terres.» Ou cet autre: «En Suisse, un agriculteur est serré toute sa vie du point de vue des surfaces. Il doit courir les routes, faire des kilomètres d’une ferme à l’autre, de la ferme à l’alpage.» Des conditions de travail qui n’optimisent guère l’utilisation de machines agricoles, analyse Laurence Caille.

    Terres trop chères
    En outre, les terres helvétiques coûtent extrêmement cher. D’autant plus cher qu’une exploitation agricole, aujourd’hui, doit être rentable. «Si tu veux travailler la terre, en Suisse ce n’est plus faisable. Un jeune, aujourd’hui, ne peut pas prendre une exploitation en Suisse», estime l’un de ses interlocuteurs. Au Canada, par contre, de nombreuses fermes sont à vendre et les paysans peuvent acheter autant de terres qu’ils le souhaitent, «il y en a à profusion». Un immigré résume: «C’est ta possibilité à toi d’investir qui limite les possibilités.» Si la Suisse ne bénéficie pas de conditions idéales pour l’agriculture – tant du point de vue topographique que politique – le Canada est idéal. «Les agriculteurs ont évidemment plus de libertés dans un pays plus adapté à l’agriculture et riche en terres», juge Laurence Caille.
    La volonté des enfants de poursuivre dans la voie de leur père a également pu jouer dans la décision d’émigrer, ainsi que le raconte un agriculteur: «Si tu as des garçons qui veulent faire les paysans, en Suisse il n’y avait pas d’ouverture. On ne peut pas tuer son voisin pour s’agrandir. Alors puisqu’ils voulaient les deux faire paysans, on est venus en touristes et puis on a fini par émigrer.» Rien n’est pourtant jamais acquis: les enfants peuvent changer d’avis en grandissant… «Le fils a préféré faire l’université. Il a trouvé qu’on travaillait trop à la ferme et puis qu’on pouvait gagner sa vie à meilleur temps ailleurs. Il a préféré arrêter la campagne», témoigne un père.

    L’aventure et le défi
    Chez ceux qu’elle a rencontrés, Laurence Caille a retrouvé le même désir de gagner en indépendance. «Ici on travaille pour nous, donc c’était un défi qu’on s’était fixé de monter une entreprise et de créer quelque chose», explique un interlocuteur. Cet «esprit de découverte, d’aventure et de défi» semble un élément non négligeable dans la volonté de migrer. Ce n’est pourtant pas facile de faire le pas. La distance séparant la terre d’accueil de la terre natale – 7000 kilomètres – peut freiner l’enthousiasme. «Emigrer au Canada implique de quitter ses amis, sa famille, son “coin de terre”», relève Laurence Caille. La migration est pourtant vécue comme un nouveau départ plutôt stimulant. «C’était excitant, on ne savait pas où on s’en allait. C’était peut-être un peu effrayant en même temps», raconte une paysanne. «Le pire, c’est de prendre la décision, après tu es dans l’engrenage», dit encore un autre. Une fois sur place, tout n’est pas simple pour autant… «L’attente des visas paralyse la vie des immigrants, qui ne sont pas considérés comme tels avant d’avoir reçu les précieux documents officiels», explique l’étudiante. Puis, il faut se tisser un réseau de connaissances: «Trouver ses partenaires d’affaires demande un certain temps. Il faut cinq ans pour s’acclimater avec la famille, les amis, le business», résume ainsi un immigré.
    Une fois installés, comment les agriculteurs suisses s’intègrent-ils dans leur nouvel environnement et maintiennent-ils des coutumes helvétiques? «Les Suisses ont le sentiment d’appartenir à un groupe, bien qu’ils ne partagent pas forcément la même culture ou la même langue», estime Laurence Caille. Elle donne l’exemple de la Fête nationale, qui peut réunir plusieurs centaines d’exilés, de toutes générations et de toutes origines. «Le 1er Août, c’est notre Fête nationale. C’est une réunion de Suisses. On est vraiment contents de se revoir et de fêter notre Fête nationale, parce que c’est quand même la nôtre», explique une agricultrice. Un autre: «On essaie de partager ce sentiment de la nationalité suisse grâce à ce 1er Août. On a un cor des Alpes, un chœur mixte…»
    Tous ne ressentent pourtant pas le besoin de célébrer le 1er Août («Ils ne sont pas devenus plus patriotes en émigrant») ou toute autre fête traditionnelle suisse («Ce qui ne signifie pas la négation des attaches avec son pays d’origine»). Car leur pays, maintenant, c’est le Canada.
    Quant au folklore, il est surtout présent dans les habitations des personnes rencontrées. «Les Suisses ont emmené du mobilier, de la vaisselle, des objets en relation avec la vie au chalet, des sonnailles pour les vaches», résume Laurence Caille. Les costumes traditionnels sont revêtus à des occasions bien précises, le
    1er Août par exemple. Mais ils dorment bien souvent dans les placards… «Je n’ai jamais mis mon bredzon au Canada. Il est dans l’armoire depuis seize ans. J’étais assez pour le folklore en Suisse, j’aimais bien, mais je m’aperçois que ce n’est pas important», explique un paysan. Cet autre est plus radical: «Le folklore suisse, c’est pour la Suisse!»

    Peu de retours
    Une fois partis, les agriculteurs ne retournent que rarement en Suisse, constate enfin Laurence Caille. Si l’envie existe, «la motivation s’estompe avec le temps». Témoignage d’un paysan: «Il y en a bien des Suisses qui sont venus ici et qui disaient que le jour où ils auraient la retraite, ils rentreraient en Suisse, ils laisseraient à leurs enfants. Je n’en connais aucun pratiquement qui est rentré.» Car leurs enfants ont épousé des personnes dont les familles habitent souvent le Canada… Et puis il y a l’espace: «On se sentirait peut-être trop serrés, parce que là on a de la place», explique un migrant.
    Le retour au pays natal est par ailleurs rendu difficile par un sentiment de décalage: «Des amis sont rentrés après quinze ans. Ils se sentaient très Suisses au Canada. Mais la réadaptation a été très difficile: la Suisse et les Suisses avaient changé. Ils sont rentrés à la maison, mais la maison n’était plus la même», raconte un paysan. Les agriculteurs envisageraient ainsi plus volontiers une migration «en avant», vers un autre pays. «On n’en sait rien ce qu’on fera. Pour l’instant, on n’y pense pas. On ne sait pas si on va une fois faire garde-génisses en Suisse, si on achète un ranch en Argentine… Rien de prévu, mais rien d’impossible», témoigne une exilée.
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