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Rencontre avec l'économiste, pape de la "stagnation séculaire"

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  • Rencontre avec l'économiste, pape de la "stagnation séculaire"

    De passage en France, le brillant économiste américain démontre, avec sa truculence et sa clarté habituelles, que «la plupart des fruits de l’innovation ont déjà été cueillis».

    Ce jour-là, la Banque de France préférait communiquer plein pot sur la page d’accueil de son site à propos de l’opération Pièces jaunes. Pourtant, le 16 janvier, à son siège parisien de la rue Croix-des- Petits-Champs, l’institution - dont la pédagogie de l’économie est l’une des missions - recevait une superstar. L’Américain Robert Gordon, 76 ans, professeur à l’université de Northwestern, près de Chicago (Illinois), est le pape de la «stagnation séculaire». On restera donc en famille, avec des experts, pour profiter de l’oracle, à qui les professeurs Philippe Aghion (Collège de France) et Gilbert Cette (Banque de France) - co-organisateurs de l’événement - donnent sans chichi du «Bob».

    Les tablettes? Un gadget

    Sûr de son effet, Robert Gordon nous annonce qu’il va falloir se faire à l’idée que «la plupart des fruits de l’innovation ont déjà été cueillis». Cravaté, alors qu’il pratique d’habitude le pull ras-du-cou, Bob nous bluffe par ses formules chocs et sa science du «manque d’enthousiasme». Pas d’équations compliquées avec cet économiste-là. Juste quelques graphiques simples pour démontrer que l’histoire de cette quatrième révolution industrielle qui va détruire des emplois - 5,1 millions en cinq ans très exactement selon le World Economic Forum de Davos - c’est du… pipeau.

    Les robots? «Ils ont été inventés en 1961 et ont commencé à pouvoir peindre des voitures plus de trente ans après.» L’impression 3D? «Pas de débouché dans la production de masse.» L’intelligence artificielle? «Un jeu à somme nulle qui concerne tout juste les traducteurs.» Le cloud? «Il y a toujours des gens derrière les ordinateurs, on change juste les lieux de stockage.» La voiture autonome? «Cela peut inquiéter les taxis et les camionneurs, et encore, il faudra toujours du monde pour charger et décharger les semiremorques.» Quand elles ne sont pas reléguées au rang de gadgets - «comme les tablettes qui remplacent les calepins pour les types qui relèvent les compteurs» - ces innovations sont au mieux «complémentaires et non substituables». Bref, cette révolution ne créera pas de productivité, et comme la productivité est, selon Gordon, le facteur clé de la croissance, cette dernière va stagner. Au moins pendant vingt-cinq ans. Voilà résumée la théorie de la « stagnation séculaire».

    Just facts and figures

    Pour un peu, le monde de Robert Gordon est relégué à ce qu’il était avant 1770 et le début de la première révolution industrielle en Angleterre. Une société où l’on n’invente pas grand-chose, où l’on se méfie du progrès et où la croissance est faible. Faut-il s’en réjouir comme le font les « décroissants », fans de Robert Gordon ? Faut-il s’en alarmer comme l’ont fait les économistes Daniel Cohen et Patrick Artus, eux aussi fans de Robert Gordon, en une de Challenges, en février 2015? Bob, lui n’en a cure. Just facts and figures. Il vous sort sa courbe séculaire retraçant les gains de productivité : une petite poussée jusqu’en 1900 et une autre de 1996 à 2004. Au milieu, une énorme bosse domine le vingtième siècle, effet de la deuxième révolution industrielle (électricité, eau courante, moteur à explosion…). «Si vous voulez voir les choses vraiment bouger, reportez vous aux années 1910-1920 aux Etats-Unis.» Mais quoi, et la troisième révolution industrielle, celle de l’informatique et de l’Internet? Merci de se référer à la piteuse remontée de la courbe des gains de productivité en fin de siècle: «Cette troisième révolution a été un échec, regardez, il y a toujours des banquiers, des médecins, des enseignants, des commerçants ; toutes ces innovations ont un peu changé leur travail, c’est tout.»

    Depuis 1973, la régression

    Sûr de lui, le professeur ne répond même pas aux objections de ses collègues les plus capés comme Nicholas Crafts (université de Warwick), critiquant ses statistiques, ou Barry Eichengreen notant qu’à cause de ces innovations il n’a plus de secrétaire pour le seconder à l’université de Berkeley. Et à Jean-Claude Trichet, ex-maître des lieux, qui lui demande si l’effondrement de la courbe de productivité en 1973 n’est pas, «par hasard», liée à l’irruption de l’inflation, il répond: «Pas du tout, 1973 marque la fin des importants relais de croissance aux Etats-Unis qu’étaient la généralisation de l’air conditionné dans le sud du pays, le renouvellement de la flotte aérienne avec des avions à réaction et l’achèvement du maillage autoroutier.»

    Depuis? Rien. Ça régresse. «On va moins vite et le lancement du Boeing 707, une vraie innovation, remonte à 1958.» Le plan de relance de 1.000 milliards de dollars de Trump peut-il changer la donne? «Ça va faire monter le dollar de 25%, mais réparer des ponts n’impacte pas la croissance. La seule chose efficace serait d’élargir les autoroutes en ville, ce qui est impossible, et d’investir dans les écoles accessibles à tous, ce qui n’est pas dans le plan.» Très remonté, Philippe Aghion, assis près de lui, conclut tout de même la séance par un plaidoyer «pour l’innovation et l’optimisme de combat» en moulinant des bras. Pour un peu, Robert Gordon se prenait un revers.

    Making of
    Nous avons écouté et dialogué avec Robert Gordon, le plus en vue des économistes américains, au siège de la Banque de France, à Paris. Il était invité à la Secular stagnation and growth measurement conference, un colloque international organisé par les professeurs Philippe Aghion et Gilbert Cette. Un événement dans le monde académique tout à fait accessible à l’homo economicus lambda ayant quelques rudiments d’anglais et un peu de curiosité.


    challenges
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