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Aucune famille n’est formellement à l’abri de l’inceste

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  • Aucune famille n’est formellement à l’abri de l’inceste

    L’entretien de la semaine
    Tassadit Cherfaoui et Pr Rachid Belhadj, respectivement psychologue clinicienne,


    chef de service de médecine légale
    «Aucune famille n’est formellement à l’abri de l’inceste»


    (1re partie)

    Samedi 4 février 2017

    Par Sarah Raymouche
    Pour ce sujet sensible et tabou, Soirmagazine a réalisé un entretien croisé avec Tassadit Cherfaoui et professeur Rachid Belhadj, respectivement psychologue clinicienne et chef de service de médecine légale du CHU Mustapha- Pacha, expert auprès des tribunaux et des cours, ont apporté, chacun dans sa spécialité, leur éclairage sur les causes de ce phénomène et dressé un profil des auteurs.

    Soirmagazine : Pour commencer cet entretien autour d’un sujet aussi sensible, je voudrais que vous éclairiez les lecteurs sur certaines définitions. Qu’est-ce que l’inceste et comment peut-on le différencier des attouchements sexuels ?
    Tassadit Cherfaoui
    : Du latin «incestus», traduit par impur, souillé, sacrilège et en littérature signifie des relations sexuelles entre des personnes dont le degré de parenté interdit le mariage. L’inceste, une atteinte aux fondements de la personnalité de la victime au travers d’une sexualité interdite, imposée et immature avec un parent. C’est donc une histoire de famille (tout type de famille). Cette dernière est a priori une source d’affection, de tendresse et de sécurité pour tous ses membres. Même si aux yeux de la société, cette famille peut paraître d’une certaine stabilité et harmonie.
    L’inceste n’est pas lié aux conditions économiques, ni au niveau intellectuel ni aux convictions religieuses. Ce fléau peut toucher toutes les catégories : médecins, avocats, ouvriers, SDF, malades ou alcooliques. Et bien entendu, plus le niveau social est élevé, plus l’acte est bien camouflé. La victime perd ses repères affectifs, comme la sincérité de l’affection, l’amour inconditionnel et la confiance. Et le traumatisme va installer chez elle le sentiment de trahison et se réfugier dans le déni et le clivage (ignorance psychologique de la réalité) comme mécanisme de défense pour survivre. Quant à l’attouchement, ceci est un acte aussi lourd sur le plan psychologique que social. Dans la relation avec sa mère et son père, l’enfant a besoin du toucher et des câlins car ce sont des marques d’amour et d’affection qui lui permettent de grandir de façon équilibrée et harmonieuse. Bien sûr, il faut distinguer le bon du mauvais toucher. Tant que ces touchers manifestent un désir sexuel inapproprié et une perversion, l’attouchement devient un abus sexuel. Tout comme les autres agressions sexuelles sur enfants, les conséquences de l’attouchement sont lourdes sur le plan psychologique même s’il n’y a pas un passage à l’acte majeur. Quand ça arrive, l’enfant a besoin d’être rassuré et mis rapidement en confiance et on ne doit surtout pas le pénaliser ou le responsabiliser.
    Pr Belhadj : La loi n°14-01 du 4 rabie ethani 1435 correspondant au 4 février 2014 modifiant et complétant l’ordonnance n° 66-156 du 8 juin 1966 portant code pénal dans son article 337 bis le définit comme suit : sont considérées comme incestes, les relations sexuelles entre :
    1- parents en ligne descendante ou ascendante ;
    2- frères et sœurs germains, consanguins ou utérins ;
    3- une personne et l’enfant de l’un de ses frères ou sœurs germains, consanguins ou utérins ou avec un descendant de celui-ci ;
    4- la mère ou le père et l’époux ou l’épouse, le veuf ou la veuve de son enfant ou d’un autre de ses descendants ;
    5- parâtre ou marâtre et le descendant de l’autre conjoint ;
    6- des personnes dont l’une est l’épouse ou l’époux d’un frère ou d’une sœur. La peine est de 10 ans à 20 ans de réclusion dans les 1er et 2e cas, de cinq ans à dix ans d’emprisonnement dans les 3e, 4e et 5e cas et de deux (2) ans à cinq (5) ans d’emprisonnement dans le 6e cas. Les relations sexuelles entre le titulaire du droit de recueil légal (kafil) et l’enfant recueilli (makfoul) sont passibles de la peine prévue pour l’inceste commis entre parents en ligne descendante ou ascendante. La condamnation prononcée contre le père, la mère ou le titulaire du droit de recueil légal (kafil) comporte la déchéance de la tutelle et/ou du recueil légal.Les attouchements sexuels sont considérés aussi comme des agressions sexuelles comme la caresse, les attouchements sur des zones sensibles, les embrassades ou, pire, les fellations ou bien encore les attouchements au niveau des parties génitales. Certes, ces agissements ne laissent pas de traces tangibles mais sont des violences. Comme aussi le fait de regarder la personne sous la douche sans son consentement ou pis encore, qu’elle soit prise en photo ou filmée sans son autorisation.
    Le fait est que l’inviolabilité du corps est un aspect sacré même auprès du mineur.Je voudrais attirer l’attention sur une terminologie qui n’existe pas dans la législation algérienne. Contrairement à la législation française, lorsqu’un sujet de sexe masculin est violé, cela est décrit comme un acte immoral et non pas viol. Cet état de fait devrait évoluer et être considéré comme un viol, car cela n’est considéré que lorsque le sujet est de sexe féminin.
    Quel est le profil des parents incestueux et quelles sont les différentes catégories ?
    Tassadit Cherfaoui
    : De plusieurs théories, j’opte pour deux types de parents abusifs. D’une part, le parent tyran despotique qui représente 20% des parents incestueux : rigide, il est faiblement capable d’autocritique et de culpabilité. Il légitime souvent la relation vécue comme passionnelle. Cela se rapproche du parent autoritaire qui exige la soumission de sa femme et de ses enfants, et qui nie les faits avant, pendant et après le procès. Il affiche des troubles psychorigides, rapports violents et d’un conformisme moral de froideur. Ces pères pervers dont les tendances pédophiliques sont très marquées ne représentent que 20% des pères incestueux et sont dits obsessionnels.Et d’autre part, le parent à polarité névrotique qui représente 80% des pères incestueux : timide, incapable de chercher à l’extérieur de l’univers familial des compensations face à la défaillance sexuelle de leur épouse décédée, partie ou réticente. Ce type est à mettre en lien avec celui des parents fusionnels, nostalgiques, à tonalité dépressive et abandonnique. Il est tout aussi semblable au parent asthénique qui est dépeint comme fragile, immature, et sous l’influence de l’alcool ou la drogue qui lui donne le sentiment d’exister et qui lui fait perdre le contrôle. Ces pères sont des abuseurs dits régressifs, c’est-à-dire qu’ils avaient une orientation sexuelle primitive envers leurs pairs mais se sont tournés vers les enfants suite à une détérioration de leur relation conjugale, d’un événement traumatisant ou d’une crise existentielle. L’identité de base s’acquiert durant les premières années, c’est la famille d’origine qui la façonne et qui est responsable de l’apparition du trouble de la personnalité des individus commettant l’inceste : l’appartenance d’un individu à son groupe familial, la fréquence ou non des séparations dans la petite enfance (avant 2 et 3 ans). Tous ces éléments ont une importance dans la constitution de l’identité et dans la stabilité ultérieure. Le système familial du délinquant sexuel est de manière générale décrit comme chaotique puisqu’il y a une confusion des rôles entre les membres de la famille ou les relations parents-enfants sont soit très distantes soit caractérisées par une promiscuité importante. L’histoire des abuseurs contient des événements familiaux teintés d’une certaine violence ; ils auraient pour la plupart été confrontés à la violence intrafamiliale, aux mauvais traitements, à des négligences, des injustices, des humiliations et parfois des abus sexuels. Aussi, nous pourrions observer la négligence de la part de leurs parents, la non-surveillance et le manque de responsabilité devant les actes antisociaux (l’absence de sanction entraîne une absence de limites). Plus précisément, les carences affectives sont donc reconnues comme majeures. Une grande partie de ces sujets ont vécu un épisode de séparation avec un de leurs parents. De plus, certains de ces sujets auraient été les témoins de violence physique entre leurs parents et les victimes d’abus sexuels. Le peu de confiance en soi que ces abuseurs affichent est la conséquence de liens affectifs parentaux insuffisants dus à une distance physique et/ou émotionnelle, aux défaillances maternelles précoces vient s’ajouter l’indifférence d’un père dominateur ou absent. Et il semble que les adolescents délinquants sexuels se sont sentis rejetés par leur mère (33%) ainsi que par leur père (50%) selon l’étude de Saunders, Award et White, 1986.Globalement, le style d’attachement aux parents au cours de l’enfance (stade fusionnel), marqué par l’insécurité, donnerait aux délinquants sexuels un modèle de relations inadéquat et une crainte de l’intimité. La séparation parentale ou le décès d’un parent semble entre autres la cause principale de l’arrêt de la prise en charge de l’enfant ; les autres causes s’échelonnant de la maladie des parents à des problèmes scolaires. Mais il peut également s’agir d’excès affectif ; car de la carence par l’absence à l’excès par la fusion, le sujet n’aurait pu avoir accès à l’empathie. Les sujets qui abusent ont été eux-mêmes abusés d‘une manière ou d‘une autre. Ce phénomène se rencontre également pour les agressions incestueuses : certains foyers sont perturbés et l’inceste entre parents et enfants, frères et sœurs, grands-parents, y est une donnée habituelle ; c’est-à-dire que ces comportements sont banalisés, qu’il n’a aucune remise en cause, aucune culpabilité des agresseurs qui accusent la justice de se mêler de leur vie privée. Là, les enfants montrent de graves perturbations au niveau affectif, scolaire, comportemental et délinquantiel, ce qui accroît le risque de commettre des actes incestueux à l’âge adulte.
    Lesoirdalgerie

  • #2
    Aucune famille n’est formellement à l’abri de l’inceste (1re partie)-Suite

    L’entretien de la semaine
    Tassadit Cherfaoui et Pr Rachid Belhadj, respectivement psychologue clinicienne,


    chef de service de médecine légale
    «Aucune famille n’est formellement à l’abri de l’inceste»


    (1re partie)-Suite

    Samedi 4 février 2017


    Pr Belhadj
    : Sur la base des expériences vécues au sein de notre service, par ordre de fréquence, l’agresseur est en premier lieu l’oncle maternel ou paternel, par la suite le frère, le grand-père puis le père. Il y a ensuite les autres paliers de liens de parenté. Je voudrais aussi signaler que les mineurs ne sont pas les seules victimes d’incestes mais également les personnes adultes, pis encore, les personnes âgées. De ce fait, nous avons connu des cas de victimes de différents paliers d’âges (nourrissons, petite enfance, jeunes enfants, adolescents, personnes adultes et personnes âgées).
    Quelles en sont les causes, et comment l’enfant se retrouve-t-il piégé (endroit, temps...) ?
    Tassadit Cherfaoui
    : La caractéristique commune est que dans toute situation abusive, il y a le contrat qui lie deux êtres dont l’un va utiliser la situation pour prendre l’autre dans un piège physique et psychique : l’adulte abuse du pouvoir qu’il a sur l’enfant et de l’amour que ce dernier lui porte. Ce processus de la relation auteur-victime est décrit par le syndrome Summit composé de 7 phases distinctes :
    - la phase du laisser-faire confiant dans laquelle l’enfant ne pose pas de questions et se laisse manipuler ou trouve un aspect ludique dans les jeux sexuels ;
    - la phase de perplexité où l’enfant se rend compte qu’il se passe quelque chose d’anormal, suscitant en lui des sensations bizarres et amenant un sentiment de culpabilité et d’hostilité envers l’agresseur ;
    - la phase du secret durant laquelle le parent agresseur impose la loi du silence, et menace l’enfant ou fait un chantage, la prison ou le suicide ;
    - la phase d’impuissance qui décrit la période où le dominé est à la merci de son parent, l’enfant éprouve deux sentiments opposés que sont le rejet de l’adulte et la culpabilité ;
    - la phase de coping qui renvoie à l’attitude de résignation de l’enfant, comme s’il s’était adapté à la situation ;
    - la phase de révélation ; et parfois la phase de rétractation.
    Pr Belhadj : Les actes incestueux ont lieu le plus souvent la nuit mais cela monte crescendo pour qu’ils aient lieu également le jour et cela peut devenir régulier. L’agresseur, dans ce cas, n’a plus d’interdit. Il y a aussi un comportement suspect de l’agresseur, il demande à ce qu’il passe la nuit avec lui ou lui propose de lui donner le bain. Il s’agit là des tâches dédiées à la maman. Il y a aussi l’aspect des sorties trop régulières au parc zoologique ou autres lieux censés être de détente pour l’enfant.
    L’agresseur choisit aussi des victimes dont la plupart sont en détresse affective (parents divorcés) ou bien handicapés (physiques et mentaux) ou bien encore les filles en puberté précoce. Les facteurs favorisants dans la petite cellule familiale, c’est surtout auprès des familles recomposées et dans le milieu intra-familial communautaire lorsqu’il y a plusieurs familles qui vivent sou le même toit. Dans ce cas, la notion d’intimité n’existe pratiquement pas, tout est ouvert. Il n’y pas de barrière. L’agresseur, comme je le dis fréquemment l’oncle, profite de l’anarchie régnante.
    (A suivre)
    Lesoirdalgerie

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