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Fausses nouvelles : les journalistes valent-ils vraiment mieux que les autres ?

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  • Fausses nouvelles : les journalistes valent-ils vraiment mieux que les autres ?

    Jérôme Fenoglio, directeur du Monde, a récemment publié un éditorial sur « La défense des faits », dans lequel il célébrait un certain type de journalisme qui se fonderait seulement sur les faits et serait donc légitime en allant dénoncer sur Internet les fausses informations. Comme une sorte de chien de garde de la vérité !

    Ce n’est tout de même pas à cet homme fin, si doué pour manier l’équilibrisme cher au quotidien qu’il dirige, qu’il convient de rappeler cette évidence que les « faits » ne constituent pas un socle fixe et incontestable qu’il suffirait au journaliste de transmettre mais qu’ils sont d’une certaine manière, à partir d’un noyau dur souvent infime, construits, élaborés et interprétés. Le fait n’est jamais à disposition telle une denrée stable, même sa matérialité peut prêter à discussion.

    Plus gravement, au-delà, évoquer « la défense des faits » néglige l’élément capital que l’information tient moins à leur identification qu’à leur sélection, à leur exclusion ou à leur hypertrophie. Un exemple parmi d’autres de cette étrange discrimination. La mairie de Béziers fait l’objet d’une vigilance médiatique constante mais, pour qui connaît la réalité de cette ville et de sa gestion, frappée d’une infirmité regrettable : l’essentiel qui obligerait à en dire du bien est occulté au profit d’épisodes montés en épingle dont le seul mérite est de donner bonne conscience à la partialité de la plupart des journalistes.

    Défiance à l’endroit des journalistes politiques

    Ces considérations s’inscrivent dans un mouvement général qui, selon une enquête réalisée par l’Institut Kantar pour La Croix, confirme pour 2016 une pente descendante nette pour la confiance qu’inspirent au public les supports d’information. Tous sont concernés : radio, télévision, journaux et web. Particulièrement, une forte majorité de sondés éprouve une défiance envers les journalistes politiques « qui ne seraient pas indépendants des pressions des pouvoirs politiques et du pouvoir ».

    Année après année, cette approche négative s’amplifie à proportion, me semble-t-il, de l’appréciation très positive, quand on les écoute ou qu’on les lit, dont les journalistes continuent à se prévaloir. Comme s’il y avait chez eux, notamment pour l’analyse de la politique, quelque chose d’irremplaçable.

    Tout démontre au contraire que pour un citoyen bien informé – et il en est de nombreux qui passionnés sont capables de s’appuyer sur le même terreau que celui des journalistes spécialisés -, il n’y a pas de partage à opérer entre les amateurs et les professionnels. L’intelligence, la psychologie, l’analyse des rapports de force, l’humus à la fois divers et au fond vieux comme le monde qui imprègne l’actualité politique et sociale ne paraissent pas représenter une frontière infranchissable entre ceux qui ont fait de ces exigences un métier et tous les autres qui se projettent dans cet univers avec une curiosité et une liberté d’autant plus intenses qu’elles ne sont ligotées par rien ni personne.

    La chambre d’écho journalistique

    Mon expérience personnelle, toujours dans un aimable contexte, m’a confronté parfois à cette situation. Pressenti pour une émission, j’étais reporté au motif que le sujet devait être d’abord traité par des journalistes.

    Par exemple à une ou deux reprises pour C dans l’air.

    Caroline Roux que j’apprécie au plus haut point fait pourtant, assez souvent, débattre des journalistes entre eux.

    Comme si leur présence garantissait une vision plus clairvoyante et offrait une capacité d’intelligibilité qui dépasserait par principe celle d’autres invités « profanes » eux aussi épris de joutes intellectuelles et politiques. Ce n’est pas en offenser certains, piliers de cette emblématique moment, que de les écouter certes avec intérêt mais sans être frappé de saisissement par l’originalité de leur perception.

    Je pense même – je rejoins sur ce plan Daniel Schneidermann et la défiance considérable à l’égard des journalistes politiques – qu’ils n’ont qu’un avantage, mais pervers et préjudiciable, par rapport à l’amateur éclairé : ils connaissent tous les politiques et ont des liens de complicité avec eux, qui ont forcément une incidence sur les modalités de leur analyse et de son expression. Quand il y a connivence, c’est pire.

    C’est la raison qui explique cette impression que j’ai souvent ressentie en écoutant les journalistes de droite ou de gauche : une liberté encadrée, un souci de vérité mais limité, de l’audace contrôlée, des susceptibilités à ménager, des évidences à ne pas dire, un enlisement dans les données techniques mais des tiédeurs intellectuelles, des prudences calculées pour ne pas insulter l’avenir. Règne alors comme une objectivité molle, plus précautionneuse qu’exigeante.

    Sans doute ne serais-je pas autant sollicité par cette envie d’universalité au détriment des enfermements professionnels si ce n’était pas chez moi une obsession qui touche bien d’autres domaines. La Justice est trop fondamentale pour être laissée aux seuls magistrats : les citoyens aux assises sont une bénédiction. Le football est un sport trop populaire pour être abandonné aux commentateurs et experts qui nous en privent en mauvais français. Le cinéma est une passion trop partagée pour être livrée aux seuls spécialistes. J’imagine le Festival de Cannes ouvert aux vents du grand large.

    J’en suis sûr.

    Les citoyens sont des journalistes comme les autres.

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