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L'art de mentir en politique

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  • L'art de mentir en politique

    Dans l’arène politique, il est impossible de ne pas mentir, au moins par omission. Pour réduire les risques, les acteurs disposent de stratégies discursives bien rodées : celles 
de l’oubli, du flou, de la dénégation et de la raison d’État.

    Depuis tout petits, on nous apprend que le mensonge est un vilain défaut, que mentir, « ce n’est pas bien » parce que l’on trompe les gens. Et pourtant combien de vies ont été épargnées grâce au mensonge sous la torture, combien d’êtres fragiles sauvés d’une humiliation qui leur aurait été psychologiquement fatale, combien d’amis, de frères, de parents protégés pour avoir nié leurs actes. Le mensonge n’est pas une catégorie unique. Il en est du mensonge comme de la vérité : il est pluriel. Il y a des vérités qui ne sont pas bonnes à dire, il y a des mensonges qui sont bons à proférer.

    Ce qui compte, dans le mensonge, n’est pas son fait mais le motif qui le suscite. D’une manière générale, il est un acte de langage qui obéit à trois conditions : énoncer le contraire de ce que l’on sait ou pense ; en être conscient, ce qui en fait un acte volontaire ; donner à son interlocuteur des signes qui fassent croire à celui-ci que ce que l’on énonce est identique à ce que l’on sait ou pense, ce qui distingue le mensonge de l'ironie. Mais la signification de cet acte dépend, elle, des circonstances de l’énonciation, des motifs qui y président, des effets qu’il produit. Il n’y a donc pas de mensonge en soi, pas plus qu’il n’y a de menteur en soi. Il n’y a de mensonge que dans une relation en fonction de l’enjeu que recouvre cette relation et du regard de celui qui peut détecter le mensonge. 

    On ne peut, ici, en donner tous les détails, mais on envisagera le cas du mensonge en politique. En effet, le mensonge n’a pas la même signification ni la même portée selon que l’interlocuteur est singulier ou pluriel, ou que le locuteur parle en privé ou en public. Lorsque celui-ci parle sur une scène publique, et qu’il est investi d’une certaine charge, le mensonge a un effet de retour sur lui, lui imputant une certaine responsabilité. 


    Quelques cas de mensonge politique


    Tout homme politique sait qu’il lui est impossible de dire tout, à tout moment, et de dire les choses exactement comme il les pense ou les réalise, car il ne faut pas que ses paroles entravent son action. Il lui faut jouer de stratégies discursives pour ne pas perdre de sa crédibilité. L’homme politique ne peut faillir de ce point de vue : en toutes circonstances, rester crédible. L’on pourrait même dire avec quelque cynisme que l’homme politique n’a pas à dire le vrai, mais à paraître dire le vrai, ce qu’ont prôné tant Machiavel, pour qui le prince doit être un « grand simulateur et dissimulateur », qu’Alexis de Tocqueville pour qui certaines questions doivent être soustraites à la connaissance du peuple qui « sent bien plus qu’il raisonne ». 


    L’homme politique peut se trouver en situation de candidature électorale s’adressant à des électeurs à qui il propose un projet sans savoir s’il pourra le tenir ; il peut se trouver également en situation d’élu s’adressant à ses concitoyens à qui il annonce les mesures qu’il compte prendre pour résoudre une crise, mais sans savoir s’il pourra honorer ses engagements ; il peut aussi être mis en cause dans différentes affaires et être soumis à un interrogatoire de la part des médias, voire de la justice. Dans chacun de ces cas, il sera conduit à employer diverses stratégies pour éviter de déchoir.

    La stratégie du flou qui consiste à faire des déclarations suffisamment générales, alambiquées et parfois ambiguës pour qu’il soit difficile de le prendre en défaut, de lui reprocher d’avoir menti sciemment. Par exemple, tel responsable politique de droite, dont on connaît les options libérales déclarant : « On ne touchera pas à la Sécurité sociale, mais on en contrôlera les dépenses » ; ou tel responsable de gauche déclarant à propos des retraites : « On ne touchera pas aux retraites par répartition, mais il faudra les compléter par un système de capitalisation. » Ou bien encore, plus récemment, ne pas repousser l’âge de la retraite, mais allonger la durée des cotisations. Qui nous dit que la décision n’a pas été prise de complètement changer les systèmes de la Sécurité sociale ou des retraites ? D’autant que la chose s’est déjà avérée en d’autres circonstances : des déclarations d’un gouvernement s’engageant à ne pas privatiser telle entreprise nationale, mais seulement à procéder à une ouverture du capital, porte ouverte à la privatisation complète de l’entreprise en question. 


    La stratégie du silence : on livre des armes à un pays étranger, on met un ministère sur écoute, on fait couler le bateau d’une association écologiste, mais on ne dit ni n’annonce rien. On tient l’action secrète. On a affaire ici à une stratégie qui suppute qu’annoncer ce qui sera effectivement réalisé à terme provoquerait des réactions violentes empêchant de mettre en œuvre ce qui est jugé nécessaire pour le bien de la communauté. C’est ce même genre de stratégie qui est parfois employé dans les cercles militants, chaque fois qu’il s’agit de « ne pas désespérer Billancourt », comme Jean-Paul Sartre l’avait déclaré. Il n’empêche qu’il y a tromperie. Tromperie des citoyens du fait de la distorsion entre les paroles d’engagement et les actes réalisés, mais, diront certains, une tromperie nécessaire car elle n’est pas destinée à protéger des personnes dans leurs agissements délictueux, mais à servir le bien commun.

    La stratégie de la raison suprême se produit chaque fois que l’homme politique a recours à ce que l’on a coutume d’appeler la raison d'État. Le mensonge public est alors justifié parce qu’il s’agit de sauver, à l’encontre de l’opinion, ce qui est bon pour la nation. Platon défendait déjà cette raison « pour le bien de la République », et certains hommes politiques ont eu recours à celle-ci – serait-ce de façon implicite – en des moments de forte crise sociale.

    En France, par exemple, c’est au nom de cette raison que Charles de Gaulle a lancé son « Je vous ai compris » au peuple algérien. Dans de tels cas, on peut se demander s’il s’agit d’un vrai mensonge. On a le sentiment que l’on a affaire à un discours qui ne relève ni du vrai ni du faux, car il en sort une vérité bonne pour le peuple, dans certains cas. C’est souvent au nom d’une raison supérieure que l’on doit taire ce que l’on sait ou dire le contraire de ce que l’on pense, c’est au nom de l’intérêt commun que l’on doit savoir garder un secret.


    Faux témoignage

    La stratégie de dénégation, lorsque l’homme politique, pris dans des affaires dénoncées par les médias ou qui font l’objet d’une action en justice, nie son implication. Dans l’hypothèse où il aurait une quelconque responsabilité dans ces affaires, nier revient à mentir en portant ce que l’on appelle un faux témoignage. Mais la stratégie de dénégation vient souvent compléter une stratégie de détournement de la vérité : il y a d’abord détournement, puis, pour le renforcer, recours à la dénégation. Les stratégies employées jouent sur l’impossibilité d’apporter la preuve de l’implication des personnes dans les affaires de corruption. Ces cas sont particulièrement condamnables parce qu’ils touchent le lien de confiance qui s’établit entre les citoyens et leurs représentants, surtout lorsqu’il est fait recours au mensonge d'État non pas pour servir la cause du peuple, mais celle d’une personne ou d’un groupe particulier. Cela s’est produit avec George W. Bush et le mensonge sur les armes de destruction massive afin de justifier la guerre d’Irak et du même coup sa position de pouvoir, et avec José Maria Aznar lors de l’attentat de Madrid en accusant l’ETA et maquillant la piste d’Al-Qaïda afin de favoriser la réélection du Parti populaire. C’est, plus récemment, le cas de Jérôme Cahuzac qui a longtemps nié avoir des comptes en Suisse et en Asie avant de le reconnaître. La tromperie à des fins de pouvoir personnel ne se justifie pas car elle met en pièces ce qui fonde la démocratie. J. Cahuzac a menti, non seulement au Premier ministre et au chef de l'État (en faisant l’hypothèse que ceux-ci ignoraient les faits), mais, par le biais de la représentation nationale, à tous les citoyens.


    Les autres cas peuvent se discuter, et bien des penseurs du politique l’on fait. Car on se trouve ici à la frontière de ce que sont les deux forces qui animent la vie politique : l’idéalité des fins et la mise en œuvre des moyens pour les atteindre. Perversité du discours politique qui doit entretenir en permanence la coexistence d’une désirabilité sociale et collective sans laquelle il ne peut y avoir de quête d’un bien souverain, et d’un pragmatisme nécessaire à la gestion du pouvoir sans lequel il ne peut y avoir d’avancée vers cette idéalité. Contradiction, et non des moindres, du politique, entre le devoir de vérité et les possibilités de l’action.


    Perversité ou mentir vrai, comme l’a dit Louis Aragon, à propos du genre romanesque ? Car entrent ici en collusion une vérité des apparences mise en scène par le discours et une vérité des actions mise en œuvre par des décisions. Dans le discours politique, les deux s’entremêlent en un vrai-semblant sans lequel il n’y aurait pas d’action possible dans l’espace public. C’est peut-être là l’un des fondements de la parole politique.

    SH

  • #2
    L'art de mentir en politique
    Les politique est, en elle-même, l'art de mentir !
    "نحن قوم أعزنا الله بالإسلام ..." Omar Ibn El Khettab RA

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