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Le fabuleux roman d'une sonate en Noir et Blanc

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  • Le fabuleux roman d'une sonate en Noir et Blanc

    Dans "La Sonate à Bridgetower" (Actes Sud), le virtuose Emmanuel Dongala fait revivre George Bridgetower dans l'Europe bouillonnante de la fin XVIIIe siècle.

    Connaissez-vous la Sonata mulattica de Beethoven ? Sans nul doute, mais plus sûrement sous le nom de Sonate à Kreutzer, même si le violoniste Rodolphe Kreutzer n'en a jamais voulu. D'ailleurs, elle ne lui fut pas dédiée en première intention. Beethoven la composa pour un jeune prodige de ses amis nommé… George Bridgetower. D'où La Sonate à Bridgetower, titre du nouveau roman d'Emmanuel Dongala*, qui rétablit la « vérité » historique en une fiction enjouée, passionnante, érudite et virevoltante. On doit ce livre à l'un des écrivains africains les plus importants de notre époque, que l'on avait laissé sur Photo de groupe au bord du fleuve, en 2010. Longtemps professeur de chimie et de littérature à l'université Simon's Rock, dans l'État du Massachusetts, après avoir quitté le Congo en 1995 pour les États-Unis, Emmanuel Dongala, de père congolais et mère centrafricaine, a publié son premier roman Un fusil dans la main un poème dans la poche en 1974. Il est notamment l'auteur de Johnny chien méchant (2002), mais encore du formidable Jazz et vin de palme, en hommage à un autre étoile de la musique, le jazzman John Coltrane.

    Georges Bridgetower croise le chevalier de Saint-George

    Autre temps, autre musique, avec sa Sonate, qui vient éclairer avec brio ce tournant européen de la fin XVIIIe, nous plonge dans un maelstrom culturel et politique en exploitant superbement la saveur romanesque de l'histoire et de ses personnages. Georges Bridgetower a neuf ans lorsqu'il débarque à Paris en 1789, chaperonné par son auguste père, natif de la Barbade, Frederick de Augustus de Bridgetower. Sous ses allures étudiées de soi-disant prince d'Abyssinie, l'homme fait grand effet en débarquant d'Autriche (il n'est en réalité que le page personnel du prince Estherazy) dans le Paris musical, afin d'y introduire son prodige de fils, qui a reçu des leçons de Haydn lui-même, ami du prince. Ce dernier lui a remis une lettre de recommandation pour le chevalier Saint-George, (1745-1799) musicien accompli et escrimeur qui a les faveurs de Marie-Antoinette, pour se lancer sur la scène parisienne. Pourquoi lui ? George et Saint-Georges ont un point commun : ils sont mulâtres. Fréderick, le père du jeune violoniste descend bien d'un prince du royaume de Kongo, son grand-père fut esclave d'un planteur, et il a épousé une Polonaise, mère de Georges, restée en Autriche avec leur fils cadet. Le chevalier Saint-George, quant à lui, est né de l'union d'une esclave de la Guadeloupe et d'un blanc« nobliau des colonies » qui l'a reconnu et tout fait pour son éducation jusqu'à lui donner un titre.

    Olympe de Gouges et Condorcet

    La « stratégie » européenne de Frédérick pour produire son fils est calquée sur celle de Léopold, père de… Wolfgang. Il couve son petit Mozart à lui en espérant qu'il remplisse aussi la bourse… Voilà pour l'intrigue de départ, superbement mise en place de ville en ville (Paris, Londres, aux atmosphères merveilleusement restituées, puis Vienne) et nourrie par le regard de l'auteur sur la condition des Noirs à l'époque. Dans les salons parisiens, où le chevalier convie le père et son fils, on croise ainsi Olympe de Gouges : « Sachez monsieur, dit-elle à Frédérick, que l'espèce d'hommes nègres m'a toujours intéressée à son déplorable sort. » On lit les gazettes (reproduites en fac-similé dans le roman) comme le Mercure de France, et les livres du moment sur l'épaule des héros Paul et Virginie, ou un traité contre l'esclavage de Condorcet paru sous pseudonyme. Pris dans la tourmente révolutionnaire, alors qu'ils visitent Paris et le faubourg Saint-Antoine, père et fils filent à Londres où après de rudes retrouvailles avec le quartier où Frederick a grandi, la capitale fait un accueil encore plus miraculeux au violoniste : il joue pour la reine d'Angleterre et passe bientôt sous la tutelle du prince de Galles qui l'aime comme un fils. Le père jaloux en prend ombrage…

    Bridgetower et Beethoven, frères « noirs »

    La façon dont Georges s'émancipe de la figure paternelle, tout en la retrouvant à travers sa prise de conscience des origines et les luttes (de la révolution haïtienne au rétablissement de l'esclavage par Bonaparte), est remarquablement contée. Tout comme le périple de l'artiste qui s'achève à Vienne en 1803, où l'on aboutit à l'apothéose. La rencontre de Georges Bridgetower avec Beethoven, et la scène de ladite sonate qui restera d'anthologie.

    le Point
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