Kamel Daoud sans concession
tsa-algerie 14:13 vendredi 10 février 2017
Morceaux choisis. « L’intellectuel qui secoue le monde » selon l’hebdomadaire français, par ailleurs auteur de Meursault, contre-enquête (prix Goncourt du premier roman en 2015), pousse un coup de gueule. Lui, l’une des voix les plus fortes de sa génération, en a assez que l’on parle de « monde arabe ». « Parler du « monde arabe », c’est nier le pays d’où je viens, ce que je suis, mes différences ». Et estime que cette appellation est davantage le produit d’un fantasme. « Le monde arabe. Quel monde arabe ? C’est une convention d’orientaliste, à la rigueur. Il n’y a personne dans le monde arabe qui parle arabe : chaque pays possède sa propre langue. Nous avons chacun notre histoire ».Son identité est algérienne, rappelle-t-il dans cette interview fleuve à l’hebdomadaire français. « Je suis Algérien, mes papiers sont algériens, je vis en Algérie, je peux être algérien sans vivre en Algérie, et ce pays son histoire, ses ancêtres, ses descendants, ses écrivains, ses visionnaires, ses échecs, ses lâchetés, sa langue, ses langues… ».
Daoud et « l’expérimentation religieuse »
Élevé par ses grands-parents, Kamel Daoud passe ses jeunes années à lire. Puis s’intéresse à la religion. Le déclic arrive à 14 ans, « un enseignant a commencé à m’initier ». Il se refuse toutefois à ce que ce chapitre de son existence soit jugé à la va-vite. « Si je répugne à parler de cette période de ma vie, c’est que je redoute l’interprétation qui sera faite de mon témoignage. On y apposera le terme de « radicalisation » mais on ne verra pas le sens philosophique de ma quête religieuse d’alors. Celle-ci a contribué à forger ma vision de l’être humain et du monde. Elle me permet de défendre aujourd’hui les positions qui sont les miennes sur l’islamisme ». Histoire de dissiper le doute – ou de faire taire les mauvaises langues, il rappelle qu’il a rompu avec la mouvance islamiste « bien avant » qu’elle ne s’organise « de manière partisane et politique » : « le Front islamique est né vers 1988-1989. J’avais déjà liquidé cette illusion bien avant ». Si cette expérience lui permet aujourd’hui, à titre personnel, d’avoir la capacité d’analyser certains mécanismes propres à la formation de l’extrémisme religieux, il veut à tout prix apporter de la nuance à un discours qui pourrait être rapidement mal interprété. S’il a été « tenté par le religieux à un moment, c’est parce que c’était aussi un exercice de liberté. Mais dès qu’il s’est transformé en rangs serrés et en une sorte de fascisme, ça ne m’intéressait plus », insiste l’écrivain. Ce recul n’est toutefois pas donné à tout le monde, dit-il à demi-mot. « Il y avait peut-être aussi le contrepoids de mes lectures », admet-il. « On ne peut pas sortir d’une idéologie totalitaire si on n’a pas les moyens intellectuels de le faire ». Toutefois, il ne veut en aucun cas que l’on compare son « histoire à celle des djihadistes actuels ». Dont acte.
Daech, remake des années noires en Algérie
Outre son histoire personnelle, il est interrogé par Le Point sur les heures les plus sombres de l’Algérie. Dans les années 1990, le pays doit faire face à la violence de ses propres djihadistes revenus d’Afghanistan, les « Afghans » algériens. « Nous entretenons un déni autour de cette période. La loi de réconciliation nationale interdit même qu’on en parle sous peine de prison. C’est une telle parenthèse d’horreur que beaucoup d’Algériens ne veulent même pas s’en souvenir », analyse Daoud, jeune journaliste pendant cette période sanglante. Et met en garde l’Occident. « Pour les Algériens, ce qui se passe aujourd’hui avec Daech a un air de déjà-vu. C’est un remake. Nous avons connu avant tout le monde les massacres de populations, les destructions de monuments…Si vous n’êtes pas intraitables avec les islamistes, l’Histoire se répétera chez vous ». Mais, prévient l’auteur, « on ne lutte pas contre un radicalisme par un autre », la période de terreur vécue par l’Algérie pendant une décennie « pose les grandes questions qui sont traitées aujourd’hui : choix entre liberté et sécurité, démocratie et fascisme, droits de l’homme et droits de défendre, exclusion et inclusion ».
La classe intellectuelle dans le déni
Enfin, face à une certaine classe intellectuelle vent debout contre son interprétation des événements de Cologne en décembre 2015 -d’un Occident qui oscillerait entre angélisme et diabolisation avec l’accueil des réfugiés- Kamel Daoud tient à mettre les points sur les i. Il ne regrette pas un mot et se considère comme « un attentat contre le discours d’une certaine gauche. Ces gens-là aimeraient que je me pose en victime du colonialisme et que je dise que l’islamisme est la religion des opprimés. Eh bien non ! Il y a une forme de racisme dans leurs déclarations condescendantes. Ils ne jugent pas mes propos, mais là d’où je les émets ». Bref, pour Daoud, ces intellectuels sont enfermés dans une vision romantique de l’opposant religieux. Pire, ils considèrent que son identité algérienne ne l’autorise pas à être critique vis-à-vis du monde musulman. Pour rappel, ses deux chroniques publiées dans Le Monde et le New-York Times en février 2016 avaient suscité l’ire d’un collectif de chercheurs qui l’accusaient d’« alimenter les fantasmes islamophobes d’une partie croissante du public européen ». Si Daoud voit, dans ces attaques, le signe d’une « myopie sur le présent et sur la réalité », il considère que la même illusion frappe les féministes qui perçoivent dans la burqa ou le burkini un moyen d’émancipation : « la burqa est le niqab sont un moyen d’asservissement de la femme. Ces tenues ne sont pas le choix d’une liberté, mais de choix dictés, orientés, marqués idéologiquement et à effet de propagande évident. La burqa n’est pas un tatouage d’adolescent, mais un renoncement, une culpabilisation du corps de la femme », déplore l’auteur
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