Être Femme journaliste en Algérie / Salima Tlemçani
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14 fév 2017
Mise à jour 14.02.2017 à 08:06
Propos recueillis par Esthere Garnier et Damien Miloch
Elle avait, la première, en juillet 2001, révélé le sort des Algériennes qui cherchaient leur avenir à Hassi Messaoud, l'eldorado pétrolier en plein désert. Salima Tlemçani a raconté dans les colonnes de son journal, le quotidien francophone El Watan la sombre réalité de ces pionnières parties tenter leur chance pour une vie meilleure. Une enquête qui fait froid dans le dos. "Ces femmes étaient suivies, attaquées chez elles, battues, parfois torturées, souvent violées, systématiquement dépouillées de leurs biens et enfin menacées de mort si jamais elles parlaient. Leurs agresseurs : des hommes, semble-t-il du coin, agissant en bandes, armés de grands couteaux, de gourdins et de haches. Les victimes : des femmes seules, originaires du nord de l’Algérie, venues chercher du travail dans cette ville théoriquement ultrasécurisée".Un reportage, parmi d'autres, pour lequel la journaliste fut récompensée de prix multiples. Un petit réconfort pour cette plume toujours menacée en son pays, qui signe ses chroniques d'un pseudonyme et qui préfère ne pas apparaître. Rencontre signe ses chroniques d'un pseudonyme et qui préfère ne pas apparaître. Se retrouver sur une liste de journalistes condamnés à mort, c’était très dur à supporter et à vivre
Salima Tlemçani
Comment êtes-vous devenue journaliste ?
Salima Tlemçani : Je n’ai pas fait d’école de journalisme mais des études de biologie marine. Ma spécialité était l’aquaculture. C’était à l’époque du parti unique où seuls les journaux privés existaient. J’ai profité des événements de 1988 et la création de journaux en 1990. J’ai alors proposé des articles sur l’environnement. Mon premier reportage a été publié dans un hebdomadaire qui s’appelait « l’Eveil » et qui n’existe plus aujourd’hui. Il appartenait à un parti islamiste qui a disparu maintenant. Je voyais l’ambiance. C’était au début des années 90. J’étais la seule femme au milieu de ces hommes, je ne portais pas le voile en plus. J’ai ensuite intégré un autre journal, « le quotidien d’Algérie ». J’y ai travaillé de 91 à 92 puis j’ai rejoint l’équipe d’El Watan.
Avec les années noires, votre travail à El Watan a rapidement évolué…
Salima Tlemçani : J’ai travaillé sur des questions environnementales au début. J’ai mené des enquêtes économiques, mais jamais je n’aurais pensé qu’un jour je pourrais me transformer en «croque-mort », devenir quelqu’un qui compte les cadavres. C’était la situation sécuritaire qui l’imposait. Je voyais mal comment continuer à écrire sur l’environnement alors que dans chaque coin de rue, il y avait des dizaines de morts, des collègues qui se faisaient assassiner. Je me retrouvais plongée dans des conditions extrêmement difficiles car c’était une période où on ne faisait plus son métier. On faisait en sorte de faire tourner un journal. C’était un combat de chaque jour pour que le journal soit dans les mains des lecteurs. C’était une question de vie ou de mort. Les terroristes s’attaquaient aussi aux femmes, et particulièrement à celles qui ne portaient pas le foulard.
Comment gériez-vous cette peur ?
Salima Tlemçani : Se retrouver sur une liste de journalistes condamnés à mort, c’était très dur à supporter et à vivre. Vous finissez par côtoyer la mort au quotidien et vous finissez par admettre que vous allez mourir, votre seul souhait est que ça soit une mort immédiate. Pas une mort de souffrance, égorgée avec un couteau non aiguisé, ou torturée, ou violée ou je ne sais quoi. Pendant 10 ans, oui j’ai eu peur. Peur de perdre un membre de ma famille, tué à cause de moi. J’ai vécu avec la peur de me retrouver entre les mains d’un groupe aussi sanguinaire que sauvage. J’ai vécu avec la peur d’arriver au bureau et d’apprendre la mort d’un collègue, assassiné. Quand le geste le plus banal, d’aller acheter des croissants à côté, juste là, en bas de la maison, devient dangereux, c’est fini. Vous entrez dans une spirale infernale et votre seul compagnon c’est la peur.
Qu’est-il advenu de cette peur ?
Salima Tlemçani : C’est fini. Elle n’existe plus.
Quelle est la situation de la presse algérienne aujourd’hui ?
Salima Tlemçani : La presse vit une situation complètement différente de celles des années 1990. On est entré dans une situation que la presse occidentale a vécue aussi et qui est toujours d’actualité. C’est le poids des lobbys financiers de plus en plus important dans les rédactions. Je me demande parfois si ce n’est pas la fin de la presse. D’un côté on vous étouffe financièrement, d’un autre il y a des magnas de la finance qui sont prêts à racheter toute la presse.
Le combat a changé de visage et de forme ?
Salima Tlemçani : Les mentalités rétrogrades et l’idéologie islamiste avancent d’une manière incroyable au sein de la société. C’est moins flagrant et plus insidieux. C’est très pernicieux au sein de l’école. Le combat au début, c’était pour la vie contre la mort. Maintenant, c’est plutôt pour des principes, des idéaux et valeurs que l’on est obligés de se battre au quotidien. On a affaire, non pas à des groupes extrémistes qui sont des ennemis identifiés, mais à la société en grande partie. Des intellectuels parfois, des journalistes, des hommes politiques qui, lorsqu’il s’agit des droits des femmes, vous disent que cela n’est pas prioritaire et on passe à autre chose.
Le code de la famille conditionne-t-il trop la société algérienne ?
Salima Tlemçani : Le code de la famille c’est la source de toutes les violences à l’égard des femmes.Instauré en 1884 et inspiré de la Charia, le "Code de la Famille" algérien dénie l’égalité homme-femme, notamment en matière de mariage, divorce et tutelle des enfants. Fortement défendu par les islamistes conservateurs.Mais il est considéré comme normal puisque nous sommes un pays musulman. Le problème c’est la Charia, qui n’est appliquée que lorsqu’il s’agit de la femme et de l’enfant. On ne l’applique pas quand il s’agit d’importation d’alcool, de prostitution, de corruption. Les lois sont universelles, alors pourquoi le Coran ne s’applique qu’aux femmes et aux enfants ? Parce que la femme et la famille constituent le socle de la société et changer cela c’est changer la société. Il y a un donc un refus de changer et donc un refus de lâcher l’emprise sur la femme et la famille. C’est ça qui se passe aujourd’hui. C’est un combat.
Les sujets sur les femmes sont souvent relégués au second plan
Salima Tlemçani
Ce combat existe-t-il dans les rédactions ?
Salima Tlemçani : Oui. Les sujets sur les femmes et sur la société sont souvent relégués au second plan. Pour les mettre en avant, c’est difficile. On est toujours à transformer la date du 8 mars, à lui donner un cachet folklorique, à offrir des roses ou embrasser les femmes. Mais vous savez au fond, ceux là mêmes qui sont les premiers à offrir des roses violentent leurs épouses et ne laissent pas leurs filles aller à l’école. Voici les paradoxes que l’on vit quotidiennement et qui nous mettent en situation de militante engagée. C’est un combat éternel qui n’en finit pas.
Aujourd’hui en Algérie, 65% des diplômés sont des femmes, mais seulement 17% d’entre elles travaillent (Source Le Monde- 2014). Pourquoi ?
Salima Tlemçani : Vous savez, on vit une situation paradoxale : des filles réussissent très bien, elles sont au premier rang et obtiennent les meilleures notes. Sur les 100 meilleurs bacheliers, plus de 70 sont des filles. Malheureusement, quand elles dépassent l’étape de l’université, la donne change car il y a le problème du mariage. Si on monte dans l’échelle sociale, elles sont aussi de moins en moins nombreuses. Il y a un problème de chances d’accès aux postes à responsabilité et c’est très révélateur. Il y a une réticence sociale, même au sein des partis les plus démocrates. Par exemple, le parti le plus ancien, le FLN, n’a qu’une seule femme au niveau du bureau politique. Ça vous donne une idée de la réticence, de l’opposition à l’accès des femmes aux postes décisionnaires.
D’où vient cette réticence ?
Salima Tlemçani : Moi je dis toujours que cela renvoie au regard réducteur que l’homme porte à la femme. Je suppose que ce n’est pas particulier à un pays comme le notre, on le voit aussi ailleurs. Mais cela devient plus prononcé car nous vivons des situations très particulières, notamment liées à la progression de l’intégrisme et d’idéologies traditionnelles qui viennent s’imbriquer et qui font qu’aujourd’hui celles qui occupent des postes à haute responsabilité sont moins nombreuses.Quelques Unes de El Watan, le quotidien francophone (dans la double ligne de mire du pouvoir et des terroristes) pour lequel travaille Salima Tlemçani.Il faut être capable de sacrifier sa vie privée, sa famille, son temps, ses amis, car on vous voit toujours comme quelqu’un qui va répéter ce que vous allez dire. C’est ça le journalisme
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