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La consécration des « durs » du Hamas à Gaza

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  • La consécration des « durs » du Hamas à Gaza

    Dix ans de blocus de la bande de Gaza ont discrédité l’aile politique du Hamas au profit des « durs », tenants d’une répression accrue de la population locale.

    Un laborieux processus de consultations internes a conduit, le 13 février, à la désignation de Yahya Sinouar à la tête du Hamas à Gaza. Il y supplante Ismaïl Hanyeh, chef du gouvernement palestinien depuis 2006, mais à l’action limitée à Gaza depuis la rupture, en 2007, avec l’Autorité palestinienne de Cisjordanie. Khaled Mechaal demeure, certes, chef du Bureau politique du Hamas, l’instance suprême du mouvement, mais le fait qu’il réside au Qatar laisse à Sinouar le pouvoir effectif. A cela s’ajoute la réunion pour la première fois dans les mains de Sinouar de la légitimité politique et de l’autorité militaire du Hamas.

    LA GLOIRE DU JIHAD

    Sinouar est un militant de la première heure, engagé aux côtés du cheikh Ahmed Yassine et au sein de la branche locale des Frères musulmans, et ce avant même la fondation du Hamas en 1987. Né lui-même en 1962 dans le camp de Khan Younès, dans le sud de la bande de Gaza, Sinouar organise un groupe paramilitaire, appelé le Majd, soit la Gloire, mais qui est aussi l’acronyme arabe pour « Organisation du Jihad et de la Prédication ». Sous ce titre ronflant se cachent des troupes de choc, officiellement vouées à lutter contre les renseignements israéliens (Shin Bet/Shabak), mais de fait consacrées au combat contre les « collaborateurs » et autres « corrompus » palestiniens, c’est à dire tous les adversaires des Frères musulmans (j’ai pu me procurer à Gaza, lors de mes études de terrain pour mon « Histoire de Gaza », le livre, par ailleurs introuvable, consacré par Sinouar lui-même au Majd).

    Le déclenchement de la première intifada (soulèvement) en 1987 contraint les Frères musulmans à se transformer en Mouvement de la Résistance Islamique, désigné sous son acronyme arabe de Hamas. Alors que cette intifada refuse le recours aux armes, le Hamas critique le processus de paix lancé à Madrid en 1991 et fonde peu après sa branche armée, les brigades Ezzedine al-Qassam, du nom d’un cheikh syrien tombé sous les balles britanniques en Palestine en 1935. Sinouar ne vit pas ces développements car, emprisonné en Israël en 1988, il est condamné à 462 années de prison. Il est libéré en 2011, avec un millier de ses compatriotes, dans le cadre d’un échange complexe avec Israël où les brigades Qassam relâchent en retour Gilad Shalit, un tankiste capturé en 2006 par un commando incluant un des propres frères de Sinouar.

    LES « DURS » AUX COMMANDES

    L’aile politique du Hamas a été discréditée par son incapacité à lever le blocus de la bande de Gaza, imposé par Israël depuis 2007, avec la complicité de plus en plus active des militaires égyptiens. Les pourparlers de « réconciliation » avec le Fatah ont certes débouché en 2014 sur un gouvernement « d’union nationale », mais l’existence de celui-ci est demeuré virtuelle. Cette impasse inter-palestinienne a tout au moins permis au Hamas d’éviter la tenue d’élections qui auraient pu le désavouer à Gaza (aucun scrutin général ne s’y est déroulé depuis 2006 et la gestion très partisane du Hamas a creusé son impopularité).

    Quant aux brigades Qassam, il leur est lourdement reproché, lors des trois conflits avec Israël (en 2008-09, en 2012 et en 2014) d’avoir plutôt protégé leurs propres forces que la population. En outre, le chef des Qassam, Mohammed Dayef, grièvement blessé par Israël, n’est plus que l’ombre de lui-même. Ce double processus de discrédit de l’aile politique et d’effacement de la branche militaire a ouvert la voie à Sinouar : le nouveau chef du Hamas à Gaza met en effet un terme à la dyarchie gouvernement/Qassam et il unifie sous sa seule autorité les services de sécurité du « ministère de l’Intérieur », d’une part, et la branche armée du mouvement islamiste, d’autre part.

    UN « CAUCHEMAR DANS LE CAUCHEMAR »

    Une telle évolution s’inscrit dans un contexte régional de militarisation généralisée des politiques arabes. Il y a longtemps que Bachar al-Assad est entouré d’une clique de moukhabarates (le terme générique pour « renseignements ») et que le chef des « services » est en Jordanie le numéro deux de fait du régime. Quant au président égyptien, Abdelfattah Sissi, il a entamé son ascension politique comme directeur du renseignement militaire. Le Hezbollah a imposé sa structure paramilitaire au cœur du pouvoir libanais. Et les prétendants les plus sérieux à la succession de Mahmoud Abbas émanent du monde du renseignement.

    Sinouar illustre une fois encore cet accaparement du pouvoir par des services de sécurité eux-mêmes militarisés. A Gaza comme ailleurs, la mobilisation contre «le sionisme » ou « le terrorisme » couvre une répression méthodique de la population locale. Un très beau témoignage sur la vie à Gaza, sous le joug du Hamas, vient d’être livré par la journaliste féministe Asmaa Alghoul dans « L’Insoumise de Gaza », écrit en collaboration avec Sélim Nassib. Pour les femmes et les hommes de ce territoire palestinien, l’avènement de Sinouar signifie la poursuite du « cauchemar dans le cauchemar », ainsi qu’un manifeste de jeunes de Gaza décrivait, dès 2010, le cauchemar de la domination du Hamas dans le cauchemar des frappes israéliennes.

    Seule la levée du blocus de Gaza pourrait renverser une aussi désastreuse tendance. Mais Israël et le Hamas semblent avoir moins que d’intérêt que jamais à un tel geste.

    le Monde
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