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Benjamin Stora / «Emmanuel Macron parle de crime contre l’humanité sur le ton de l’évidence»

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  • Benjamin Stora / «Emmanuel Macron parle de crime contre l’humanité sur le ton de l’évidence»

    Benjamin Stora
    «Emmanuel Macron parle de crime contre l’humanité
    sur le ton de l’évidence»


    liberation.fr 16 février 2017 à 19:16

    En parlant des faits de barbarie commis par la France en Algérie durant la colonisation, le candidat a provoqué un tollé de la droite et de l’extrême droite. L’historien Benjamin Stora rappelle que la vieille garde politique a toujours du mal à verbaliser ce constat.

    • Benjamin Stora : «Emmanuel Macron parle de crime contre l’humanité sur le ton de l’évidence»

    «La colonisation fait partie de l’histoire française. C’est un crime, c’est un crime contre l’humanité, c’est une vraie barbarie et ça fait partie de ce passé que nous devons regarder en face en présentant aussi nos excuses à l’égard de celles et ceux envers lesquels nous avons commis ces gestes.» La phrase, prononcée mardi à la télévision algérienne, est d’Emmanuel Macron. Des propos qui ont provoqué de vives réactions. Pour l’historien Benjamin Stora, ils n’ont pourtant rien de révolutionnaire.
    Qu’est-ce que les propos d’Emmanuel Macron vous inspirent ?
    C’est une vieille question. La qualification de crime de guerre, de crime contre l’humanité, a affleuré sans arrêt dans les débats. Pendant la guerre d’Algérie, déjà, il y avait toute une série d’arguments avancés par des avocats, principalement ceux du Front de libération nationale (FLN), mais aussi par l’historien Pierre Vidal-Naquet. Il y a également eu le grand rapport de Michel Rocard, qui sortait alors de l’ENA, en 1960, qui a fait scandale parce qu’il y expliquait que plus de 2,5 millions de paysans algériens avaient été déplacés de force par l’armée. C’est énorme ! Lui-même, Rocard, parlait de crime contre l’humanité parce que certains paysans sont morts de faim. En 2000, la résistante Germaine Tillion, Vidal-Naquet et d’autres ont publié dans l’Humanité un appel qui demandait à Lionel Jospin de reconnaître les crimes de la guerre d’Algérie - même si ça ne portait pas sur l’ensemble de la colonisation. Dans les travaux des chercheurs portant sur la conquête de l’Algérie, où des crimes ont été commis, il est raconté des massacres, des atrocités que n’importe quel historien sérieux connaît. C’est là depuis longtemps mais ça n’a pas conquis la sphère politique.
    Les réactions de la droite et de l’extrême droite ont été très virulentes. Même François Fillon, qui avait pourtant qualifié lui-même la colonisation «d’abomination», s’en est pris à Macron. Pourquoi est-ce encore un sujet de crispation si fort ?
    Ce sont des réactions convenues. Quand on parle de l’histoire française, on parle des Lumières, de l’aspect glorieux, de la République égalitaire, etc. Mais très peu des zones d’ombre, alors que l’histoire française en a. En 2005, la loi obligeant les professeurs à parler de l’aspect «positif» de la colonisation a provoqué un tollé - elle a été retirée. Lorsque l’on évoque ces sujets dans la classe politique française, on ne prend pas la peine de demander leur point de vue à ceux qui l’ont vécue. En Algérie, la condamnation de la colonisation a été très forte, tout comme en Tunisie, au Maroc, en Afrique, en Indochine… Il n’y a pas un seul historien de ces pays qui s’est amusé à dire que la colonisation avait été positive !
    Est-ce que ces responsables politiques, quand ils évoquent l’histoire coloniale de la France, au fond, n’ont pas du mal à admettre qu’elle n’est plus un empire ?
    Pour la droite et l’extrême droite, l’histoire de France doit être prise comme un bloc. Mais à vouloir faire ça, on finirait par dire qu’il ne s’est rien passé sous Vichy ou sous la Révolution française, comme le massacre des Vendéens ! C’est une lecture à géométrie variable. Il y a aussi, à l’extrême droite, le maintien de la mémoire impériale et le refus de l’Algérie indépendante. On ne s’intéresse qu’à une fraction qui a souffert de la fin de cette histoire, les harkis et les rapatriés. Il faudrait demander leur point de vue aux anciens colonisés qui ont vécu dans des sociétés touchées pendant longtemps. Il faut prendre en compte tous les aspects : c’est vrai que la France a apporté les droits de l’homme et a oublié de les lire [comme l’a déclaré Emmanuel Macron, ndlr]. Cette contradiction entre les principes d’égalité affichés et leur non-application est d’ailleurs à la base des nationalismes anticoloniaux. Si on ne peut toujours pas admettre cela soixante ans après…
    Emmanuel Macron parle de présenter des excuses. Est-ce important ?
    Les excuses, c’est une chose que les Américains ont faite pour le Vietnam, ce qui leur a permis de rouvrir une ambassade et de devenir le premier partenaire commercial du pays. C’est un pragmatisme qui n’existe pas en France. Au fond, c’est un problème de génération. Pour un jeune d’aujourd’hui, de 25, 35 ans, il y a une évidence dans la reconnaissance des actes qui ont été commis, c’est comme le rapport à l’esclavage, à la Shoah, ce sont des séquences historiques admises. Pour la guerre d’Algérie et la colonisation, on n’en est pas là. C’est pour ça que Macron, qui a 38 ans, l’a dit sur le ton de l’évidence. Et ça soulève de l’embarras à gauche, de la protestation à droite et de la virulence à l’extrême droite.
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