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Dans l’antre du terrorisme

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  • Dans l’antre du terrorisme

    Entre Paris et Alep, Pascal Manoukian raconte ces destins trahis par la contagion du mal

    « La stratégie de Daech consiste à monter les Français contre les musulmans, à attiser l’islamophobie. » C’est le romancier français Pascal Manoukian, ex-reporter d’image en zone de conflit et directeur de l’agence de presse télévisuelle Capa jusqu’en 2015, qui s’exprime ainsi.

    Dans son premier roman, Les échoués, paru l’an dernier, il s’est penché sur le sort des migrants. Un sujet qui tient à coeur à ce petit-fils d’une survivante du génocide arménien. « Je ne peux pas concevoir la peur de l’autre. Je ne vois que ce que ma grand-mère est devenue », dit Pascal Manoukian, rencontré dans un café parisien.

    Il explique que sa grand-mère, sans doute, faisait peur quand elle a débarqué dans un camp de réfugiés à Marseille, après avoir été esclave puis placée dans un orphelinat en Syrie. À ses yeux, c’est une question de perception : « Si les gens ne regardaient pas les migrants pour ce qu’ils sont, mais qu’ils tentaient plutôt d’imaginer ce qu’ils vont devenir : les professeurs de nos enfants, les gardes-malades de nos parents… »

    Les échoués nous plongeait dans l’enfer quotidien des migrants tentant d’échapper à leur sort. « Je pense que j’étais en dessous de la réalité malgré la violence du récit, lance Pascal Manoukian. Dans mon deuxième roman, pareil. »

    Avec Ce que tient ta main droite t’appartient, il nous fait entrer dans l’antre du terrorisme. « C’est une histoire d’aujourd’hui, constate l’auteur de 61 ans. Pour les trentenaires, aujourd’hui, s’amener à la terrasse des cafés est dangereux. »

    Un trentenaire perd la femme qu’il aimait lors d’un attentat meurtrier, à la terrasse d’un café. C’est le point de départ de cette histoire qui va nous conduire jusqu’en Syrie, sur les traces de Daech.

    La mémoire d’un drame

    On pense tout de suite aux attentats du 13 novembre 2015 au Bataclan et sur les terrasses environnantes du quartier République à Paris. Père de deux trentenaires habitués de ce quartier, Pascal Manoukian raconte qu’une jeune fille qui avait fréquenté la même école que son fils a perdu son amoureux ce jour-là. « Il y avait un anniversaire à la terrasse, elle n’a pas voulu y aller parce qu’elle devait se rendre voir sa mère… et son fiancé s’est retrouvé parmi les victimes. »

    Dans Ce que tient ta main droite t’appartient, c’est Karim qui est occupé ailleurs tandis que sa femme, Charlotte, enceinte, fait la fête avec des copines sur une terrasse. Quand il décide d’aller la rejoindre, l’attentat a eu lieu : Charlotte est morte déchiquetée.

    Parmi les autres victimes se trouve un vendeur de fleurs ambulant. Un migrant, musulman, déjà présent dans Les échoués : il avait quitté le Bangladesh, espérant trouver en France une vie meilleure.

    « On parle beaucoup de la présence possible de terroristes chez les migrants, fait remarquer Pascal Manoukian. Sans doute, pourquoi pas… Mais on ne parle jamais de l’inverse : des victimes parmi les clandestins. »

    Il est lui-même en contact avec plusieurs clandestins à Paris. « Certains étaient terrorisés en novembre 2015 : ils ont quitté la guerre, l’islamisme radical, ils ont fait tout ce chemin pour se retrouver en situation de guerre. »

    Il rapporte que l’un d’entre eux, qui habite le quartier République, lui a dit : « Je ne veux pas mourir ici, j’ai fait 6000 kilomètres enfermé dans des conteneurs, j’ai été frappé, violé parfois, et là, ils me retrouvent. »

    Une vision à 360 degrés. C’est ce que privilégie l’homme d’images dans ses romans. Pour lui : « Le terrorisme s’imagine de tous les côtés de la scène. Même si les gens qui le pratiquent sont monstrueux… »

    L’appropriation de l’horreur

    Le kamikaze de Ce que tient ta main droite t’appartient est un chrétien converti à l’islam. Au départ, Pascal Manoukian s’est posé cette question : que doivent penser les 99 % de musulmans qui vivent leur islam en accord avec les lois de la République en France quand un converti, au nom de l’islam, commet un attentat ?

    « Imaginons, dit-il, que des musulmans se convertissent au catholicisme et qu’ils fassent sauter un centre commercial parce que c’est écrit dans la Bible que les riches ont moins de chances d’entrer au paradis qu’un chameau par le trou d’une aiguille… On serait tous terrorisés. C’est ça qui se passe pour les musulmans, alors qu’une minorité d’entre eux, y compris des convertis, tout à coup se radicalisent et se réclament de Daech. »

    Après la mort de Charlotte, Karim, un musulman non pratiquant d’origine algérienne, est effondré. Il cherche à comprendre comment on a pu interpréter si mal la religion de son père, comment les paroles de paix qu’il lui a apprises ont pu se transformer en paroles de guerre. Il décide alors de se rendre en Syrie, pour se venger du recruteur du kamikaze qui a tué son amoureuse. Dans le groupe de Français qui l’accompagnent : un jeune couple et son petit enfant, de même qu’une adolescente qui s’impatiente de commencer une nouvelle vie avec son futur mari.

    On va suivre leurs parcours, tandis qu’ils vont se retrouver dans un enfer sans nom. Population affamée, bombardements, actes de barbarie répétés, villages entiers décimés sous l’oeil d’une caméra, esclavage sexuel… Une façon pour le romancier de décourager ceux et celles qui voudraient partir en Syrie.

    « C’est très facile de partir, mais très compliqué de revenir, fait-il remarquer. Il y a tout un système qui fait en sorte de compromettre assez vite le type qui arrive en lui faisant violer des femmes, exécuter des prisonniers, de façon qu’il ne puisse plus rentrer en disant : je suis parti et je regrette, je reviens. Il y a cette compromission et cette violence… Il suffit d’aller sur Internet. »

    L’ubérisation du terrorisme

    S’il s’est nourri des images rapportées par les journalistes de Capa qu’il avait envoyés en Syrie et s’est inspiré des scènes de guerre qu’il avait lui-même vécues au Moyen-Orient et ailleurs, Pascal Manoukian a aussi épluché Internet à fond, pendant six mois, sur les traces de Daech. Facebook et autres : outils de recrutement par excellence du groupe État islamique. Afin non seulement d’emmener des jeunes en Syrie, mais aussi de semer la terreur partout.

    L’auteur parle d’une ubérisation du terrorisme. « Daech favorise maintenant l’auto-entrepreneuriat. On dit aux jeunes : c’est plus la peine de venir en Syrie, il y a trop de risques, en plus le califat est menacé physiquement. Restez chez vous, retrouvez des copains d’école, faites un petit groupe, et franchisez-vous ! »

    Ce qui fait qu’au final, constate-t-il, ça englobe les vrais terroristes et les faux… C’est-à-dire : « Tous ces gens dépressifs qui à la fin veulent donner un dernier sens à leur suicide, avant leur quart d’heure de gloire. On peut comprendre que ça tremble aux terrasses des cafés… »

    Pendant ce temps, déplore l’ex-journaliste, les médias traditionnels, délaissés par les jeunes, ne font plus leur travail : « On nous demande d’expliquer le monde de plus en plus simplement alors qu’il se complexifie. On préfère les enquêtes sur l’huile d’argan plutôt que sur les sujets importants. »

    Une guerre de valeurs, c’est ce devant quoi nous met Daech. « Ils sont en guerre contre tout ce qu’on représente. Et ils cherchent à provoquer un clash. » Alors, comment lutter contre les valeurs de Daech sans renoncer aux nôtres ? « C’est bien notre défi, parce que c’est tout ce qu’ils cherchent. Nous, en France, on a liberté, égalité, fraternité. Et avec ça, il faut résister. »

    Il confie que sa fille lui a annoncé, alors qu’il terminait son roman, qu’elle avait retrouvé un ancien ami à elle, avec qui elle vivait, un Franco-Syrien. « Il n’est pas pratiquant, elle n’est pas pratiquante, et ils vont à la terrasse des cafés », s’enthousiasme Pascal Manoukian.
    Ce que tient ta main droite t’appartient

    Pascal Manoukian, Don Quichotte, Paris, 2017, 288 pages

    le Devoir
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