Pr Chitour : "Halte au Gaspillage, notre sport national"
« Il faut passer d’une situation l’ébriété énergétique vers une situation de sobriété énergétique, pour sauver l’Algérie » a indiqué le professeur émérite de thermodynamique à l’Ecole polytechnique d’Alger (ENP) et éminent spécialiste des questions énergétiques, Chems-Eddine Chitour, dans le cadre d’une interview réalisée à l’occasion de la journée de nationalisation des hydrocarbures.
Dans cette entrevue, il plaide pour la rationalisation de la consommation énergétique et la mise en œuvre d’une stratégie énergétique, le réajustement des tarifs et la promotion des énergies renouvelables.
Comment se présente la situation énergétique actuelle du pays ?
Chems-Eddine Chitour: L’Algérie a des ressources en pétrole, gaz naturel et gaz de schiste, elle a même un gisement de charbon inexploité parce que les études montraient qu’il n’était pas rentable pour le moment. Il sera possible de ré exploiter le gisement de Kenadsa près de Bechar si les prix du charbon évoluent
L’Algérie a environ de 12 milliards de de barils de pétrole, 2500 milliards de m3 de gaz naturel et près de 20000 milliards de m3 de gaz naturel provenant des schistes.
Elle a un immense gisement solaire, en tenant compte du rendement de conversion, un seul km² de Sahara pourrait produire 250 GWh d’électricité par an. Ainsi il suffirait de couvrir un carré de 300 km de côté pour répondre aux besoins actuels d’énergie électrique dans le monde entier (20 000 TWh).
Elle peut aussi développer l’énergie éolienne. Elle dispose de 250 sources d’énergie géothermique avec un gradient de 40 à 90°C. Elle a aussi la possibilité de développer la petite hydraulique, en outre nous avons une nappe phréatique au Sahara de l’ordre de 45.000 milliards de m3 qui est en fait la vraie richesse de loin plus importante que les hydrocarbures.”
Quelle est la production actuelle ?
Nous produisons 1 million de barils jour soit 50 millions de tonnes de pétrole par an, nous produisons également près de 80 milliards de m3 de gaz naturel et nous exportons près de 50 milliards (moitié par gazoduc, moitié par méthaniers sous forme de GNL). Pour le pétrole proprement dit, on n’exporte qu’une partie et l’autre partie est raffinée qui servira notamment de carburant où on atteint une consommation de plus de 16 millions de tonnes.
Nous sommes obligés d’importer du gasoil pour satisfaire la demande croissante. En 2014-2015 les importations étaient autour de 3 milliards de dollars. Malgré les dispositions prises, une grande partie de carburants “s’évapore” par les frontières marocaines, tunisiennes et celles au Sud, cette hémorragie est due au prix différentiel entre les pays voisins et l’Algérie. Au Maroc par exemple le gasoil est 7 fois plus cher qu’ici, l’essence aussi. En France l’essence est à 1.6 euro c’est l’équivalent de 200 DA au prix officiel.
Nous consommons environ 50 millions de tonnes équivalent pétrole par an soit 1,25t par habitant/an. Nous consommons environ 1250kWh/an/habitant. Cela paraît modeste comparé aux consommations mondiales, mais nous avons un modèle de consommation basé principalement sur le résidentiel et sur les transports (40% chacun) la consommation énergétique de l’industrie et celle de l’agriculture sont à 10% chacun)
Nous disposons d’un parc de 18.000MW en centrales thermiques, nous avons installé pour 380MW d’énergie solaire soit 2 % du bilan global. Les pouvoirs publics envisagent la construction de centrales solaires et fermes éoliennes pour environ 22.000 MW d’ici 2030. Au rythme actuel, il est sera très difficile d’y arriver. D’autant que l’on ne sait pas à quoi correspondraient ces 22.000 MW dans la consommation en énergie électrique à 2030.
Mais quelles sont les contraintes actuelles du pays ?
Il faut avoir en tête plusieurs paramètres importants. La population est autour de 40 millions d’habitants est de plus en plus exigeante en terme de confort, ce qui est normal mais il faut le dire : le gaspillage est devenu un sport national ce qui n’est pas normal. Une faible prise de conscience des habitudes de consommation où tout est pratiquement gratuit à l’égard du coût de l’eau, des carburants, du pain, du lait. A titre d’exemple nous avons une augmentation de la consommation d’énergie qui dépasse les 10 % par an.
Comme contrainte que nous subissons les dangers des changements climatiques. A chaque inondation ce sont des pertes humaines, des infrastructures détruites et des coûts qui se chiffrent en dizaines de millions de dollars. Comme autre contrainte externe, Il y a la chute du prix du pétrole, quand cela a été décidé au niveau mondial, les algériens l’ont subi parce que nous n’avons pas été assez vigilants, il faut donc sortir de cette dépendance. L’Algérie ne se tient pas le ventre à chaque fois que le prix du pétrole “yoyote” ! La situation ne peut pas durer ainsi si on veut pérenniser l’utilisation rationnelle de l’énergie et laisser un viatique aux générations futures.
Autre danger qui est un véritable problème de santé publique le gasoil (diesel) est très dangereux, il tend à être supprimé en Europe et les compagnies automobiles pensent à le supprimer. A titre d’exemple Volkswagen ne produira pas de véhicules Diesel d’ici 2025 au plus tard, par contre elle se lance dans le segment de voitures électriques.
Que doit faire notre pays pour assurer l’avenir des générations futures?
Lorsque le président Boumediene avait dit « Nous avons décidé de nationaliser les hydrocarbures » ce jour-là l’Algérie avait décidé de prendre en charge son destin et beaucoup de choses ont été faites notamment les 5 raffineries du pays, les complexes plastiques, GNL... cela correspondait à une époque mais il y a eu des bouleversements à l’échelle du monde et la scène mondiale a profondément changé : les changements climatiques, les guerres pour l’énergie, les bouleversements technologiques ont permis aux Etats Unis de rendre rentable le gaz de schiste et le pétrole de schiste à 50 $ le baril, ce qui fait qu’il pensent produire sans frein d’abord en étant autosuffisants ensuite en concurrençant l’OPEP .
Si l’accord des rentiers de l’OPEP n’est pas révisé avant juin avec une nouvelle baisse cumulative de la précédente les prix vont dégringoler à moins de 30 $ selon une étude récente !
Il nous faut un cap une vision, une stratégie mobilisatrice où tout le monde serait impliqué. Cette vision vers un développement humain durable doit reposer sans être exhaustif sur quelques principes :
Comment l’Algérie pourrait-elle économiser de l’énergie?
“Notre pétrole est une richesse. Nous devons en faire le meilleur usage c'est-à-dire son utilisation en pétrochimie, le gaz de schiste le sera également quand la technologie sera mature et respectueuse de l’environnement, c’est une richesse importante mais cela ce n’est pas pour notre génération c’est pour les futures.
Il va falloir trouver un mécanisme pour augmenter le prix de l’essence et du gasoil pour rationaliser la consommation de telle façon à consommer mieux en consommant moins et diriger les subventions qu’aux catégories à faible pouvoir d’achat. Au lieu de subventionner tout le monde, il faut cibler ceux qui réellement ont besoin d’aide en ce qui concerne l’eau, l’électricité, les carburants, le pain, le lait... comme cela se fait dans beaucoup de pays comme l’Egypte qui met à la disposition des catégories vulnérables des cartes pour le pain, et cela marche et diminue drastiquement le gaspillage. Il faut pour cela beaucoup de pédagogies et des médias lourds avec des spots bien faits, voire susciter des débats pour que tout le monde se sente concerné.
A titre d’exemple si nous avons une politique des économies d’énergie, l’électroménager importé ou fabriqué en Algérie doit être de classe A. Nous devons penser à subventionner des chauffes eaux solaires pour les 8 millions de logements. Nous aurons un gain qui divisera par deux la consommation de gaz naturel surtout si on y ajoute le calorifugeage.
Maintenant que le kWh solaire a le même coût que le kWh thermique, les grandes compagnies pétrolières et automobiles se lancent dans le segment transport électrique, en plus du rail de plus en plus développé, ce sont les bus et les camions qui sont développés.
La situation actuelle ne peut pas durer ainsi, qu’es ce qu’il faut faire ? Économiser, avoir une nouvelle vision du futur qui passe par l’éducation, la citoyenneté et faire preuve d’imagination.
A suivre ...
« Il faut passer d’une situation l’ébriété énergétique vers une situation de sobriété énergétique, pour sauver l’Algérie » a indiqué le professeur émérite de thermodynamique à l’Ecole polytechnique d’Alger (ENP) et éminent spécialiste des questions énergétiques, Chems-Eddine Chitour, dans le cadre d’une interview réalisée à l’occasion de la journée de nationalisation des hydrocarbures.
Dans cette entrevue, il plaide pour la rationalisation de la consommation énergétique et la mise en œuvre d’une stratégie énergétique, le réajustement des tarifs et la promotion des énergies renouvelables.
Comment se présente la situation énergétique actuelle du pays ?
Chems-Eddine Chitour: L’Algérie a des ressources en pétrole, gaz naturel et gaz de schiste, elle a même un gisement de charbon inexploité parce que les études montraient qu’il n’était pas rentable pour le moment. Il sera possible de ré exploiter le gisement de Kenadsa près de Bechar si les prix du charbon évoluent
L’Algérie a environ de 12 milliards de de barils de pétrole, 2500 milliards de m3 de gaz naturel et près de 20000 milliards de m3 de gaz naturel provenant des schistes.
Elle a un immense gisement solaire, en tenant compte du rendement de conversion, un seul km² de Sahara pourrait produire 250 GWh d’électricité par an. Ainsi il suffirait de couvrir un carré de 300 km de côté pour répondre aux besoins actuels d’énergie électrique dans le monde entier (20 000 TWh).
Elle peut aussi développer l’énergie éolienne. Elle dispose de 250 sources d’énergie géothermique avec un gradient de 40 à 90°C. Elle a aussi la possibilité de développer la petite hydraulique, en outre nous avons une nappe phréatique au Sahara de l’ordre de 45.000 milliards de m3 qui est en fait la vraie richesse de loin plus importante que les hydrocarbures.”
Quelle est la production actuelle ?
Nous produisons 1 million de barils jour soit 50 millions de tonnes de pétrole par an, nous produisons également près de 80 milliards de m3 de gaz naturel et nous exportons près de 50 milliards (moitié par gazoduc, moitié par méthaniers sous forme de GNL). Pour le pétrole proprement dit, on n’exporte qu’une partie et l’autre partie est raffinée qui servira notamment de carburant où on atteint une consommation de plus de 16 millions de tonnes.
Nous sommes obligés d’importer du gasoil pour satisfaire la demande croissante. En 2014-2015 les importations étaient autour de 3 milliards de dollars. Malgré les dispositions prises, une grande partie de carburants “s’évapore” par les frontières marocaines, tunisiennes et celles au Sud, cette hémorragie est due au prix différentiel entre les pays voisins et l’Algérie. Au Maroc par exemple le gasoil est 7 fois plus cher qu’ici, l’essence aussi. En France l’essence est à 1.6 euro c’est l’équivalent de 200 DA au prix officiel.
Nous consommons environ 50 millions de tonnes équivalent pétrole par an soit 1,25t par habitant/an. Nous consommons environ 1250kWh/an/habitant. Cela paraît modeste comparé aux consommations mondiales, mais nous avons un modèle de consommation basé principalement sur le résidentiel et sur les transports (40% chacun) la consommation énergétique de l’industrie et celle de l’agriculture sont à 10% chacun)
Nous disposons d’un parc de 18.000MW en centrales thermiques, nous avons installé pour 380MW d’énergie solaire soit 2 % du bilan global. Les pouvoirs publics envisagent la construction de centrales solaires et fermes éoliennes pour environ 22.000 MW d’ici 2030. Au rythme actuel, il est sera très difficile d’y arriver. D’autant que l’on ne sait pas à quoi correspondraient ces 22.000 MW dans la consommation en énergie électrique à 2030.
Mais quelles sont les contraintes actuelles du pays ?
Il faut avoir en tête plusieurs paramètres importants. La population est autour de 40 millions d’habitants est de plus en plus exigeante en terme de confort, ce qui est normal mais il faut le dire : le gaspillage est devenu un sport national ce qui n’est pas normal. Une faible prise de conscience des habitudes de consommation où tout est pratiquement gratuit à l’égard du coût de l’eau, des carburants, du pain, du lait. A titre d’exemple nous avons une augmentation de la consommation d’énergie qui dépasse les 10 % par an.
Comme contrainte que nous subissons les dangers des changements climatiques. A chaque inondation ce sont des pertes humaines, des infrastructures détruites et des coûts qui se chiffrent en dizaines de millions de dollars. Comme autre contrainte externe, Il y a la chute du prix du pétrole, quand cela a été décidé au niveau mondial, les algériens l’ont subi parce que nous n’avons pas été assez vigilants, il faut donc sortir de cette dépendance. L’Algérie ne se tient pas le ventre à chaque fois que le prix du pétrole “yoyote” ! La situation ne peut pas durer ainsi si on veut pérenniser l’utilisation rationnelle de l’énergie et laisser un viatique aux générations futures.
Autre danger qui est un véritable problème de santé publique le gasoil (diesel) est très dangereux, il tend à être supprimé en Europe et les compagnies automobiles pensent à le supprimer. A titre d’exemple Volkswagen ne produira pas de véhicules Diesel d’ici 2025 au plus tard, par contre elle se lance dans le segment de voitures électriques.
Que doit faire notre pays pour assurer l’avenir des générations futures?
Lorsque le président Boumediene avait dit « Nous avons décidé de nationaliser les hydrocarbures » ce jour-là l’Algérie avait décidé de prendre en charge son destin et beaucoup de choses ont été faites notamment les 5 raffineries du pays, les complexes plastiques, GNL... cela correspondait à une époque mais il y a eu des bouleversements à l’échelle du monde et la scène mondiale a profondément changé : les changements climatiques, les guerres pour l’énergie, les bouleversements technologiques ont permis aux Etats Unis de rendre rentable le gaz de schiste et le pétrole de schiste à 50 $ le baril, ce qui fait qu’il pensent produire sans frein d’abord en étant autosuffisants ensuite en concurrençant l’OPEP .
Si l’accord des rentiers de l’OPEP n’est pas révisé avant juin avec une nouvelle baisse cumulative de la précédente les prix vont dégringoler à moins de 30 $ selon une étude récente !
Il nous faut un cap une vision, une stratégie mobilisatrice où tout le monde serait impliqué. Cette vision vers un développement humain durable doit reposer sans être exhaustif sur quelques principes :
- Halte au gaspillage sous toutes ses formes à la fois par une politique intelligente où la moindre calorie est récupérée pour la laisser aux générations futures
- Mettre en place une politique de substitution du solaire thermique aux chauffes eaux au gaz naturel et rendre les habitations sobres en énergie.
- Réserver le pétrole qu’aux usages nobles, tout ce qui peut se faire pour diminuer la consommation par l’efficacité énergétique doit être fait.
- Mettre en place un objectif à 2030 avec un plan Marshall pour les énergies renouvelables pour être au rendez vous en programmant pour chaque année ce qu’il faut faire ; une moyenne de 1500MW à installer par an.
- Développer la géothermie, le biogaz.
- Rentabiliser les 15 millions de tonnes issues des décharges pour récupérer à la fois l’énergie (la chaleur du biogaz) et toutes les matières recyclables (plastiques, papiers verre, métaux)
- Former l’ingénieur, le technicien de demain en réhabilitant les disciplines scientifiques.
Comment l’Algérie pourrait-elle économiser de l’énergie?
“Notre pétrole est une richesse. Nous devons en faire le meilleur usage c'est-à-dire son utilisation en pétrochimie, le gaz de schiste le sera également quand la technologie sera mature et respectueuse de l’environnement, c’est une richesse importante mais cela ce n’est pas pour notre génération c’est pour les futures.
Il va falloir trouver un mécanisme pour augmenter le prix de l’essence et du gasoil pour rationaliser la consommation de telle façon à consommer mieux en consommant moins et diriger les subventions qu’aux catégories à faible pouvoir d’achat. Au lieu de subventionner tout le monde, il faut cibler ceux qui réellement ont besoin d’aide en ce qui concerne l’eau, l’électricité, les carburants, le pain, le lait... comme cela se fait dans beaucoup de pays comme l’Egypte qui met à la disposition des catégories vulnérables des cartes pour le pain, et cela marche et diminue drastiquement le gaspillage. Il faut pour cela beaucoup de pédagogies et des médias lourds avec des spots bien faits, voire susciter des débats pour que tout le monde se sente concerné.
A titre d’exemple si nous avons une politique des économies d’énergie, l’électroménager importé ou fabriqué en Algérie doit être de classe A. Nous devons penser à subventionner des chauffes eaux solaires pour les 8 millions de logements. Nous aurons un gain qui divisera par deux la consommation de gaz naturel surtout si on y ajoute le calorifugeage.
Maintenant que le kWh solaire a le même coût que le kWh thermique, les grandes compagnies pétrolières et automobiles se lancent dans le segment transport électrique, en plus du rail de plus en plus développé, ce sont les bus et les camions qui sont développés.
La situation actuelle ne peut pas durer ainsi, qu’es ce qu’il faut faire ? Économiser, avoir une nouvelle vision du futur qui passe par l’éducation, la citoyenneté et faire preuve d’imagination.
A suivre ...
Commentaire