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Désir de puissance de New Delhi, une quête encore inachevée

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  • Désir de puissance de New Delhi, une quête encore inachevée

    L’Inde ambitionne de devenir une grande puissance et peser dans les affaires du monde. Elle veut prendre le relais de l’Europe et des Etats-Unis, et se mesurer à la puissance montante chinoise. Le nouveau livre d’Olivier Da Lage, rédacteur en chef à RFI, est consacré à ce « désir de puissance » des Indiens. Il se veut aussi une réflexion critique sur la stratégie mise en œuvre par New Delhi pour arriver à ses fins.

    Pendant longtemps, l’Inde a incarné aux yeux des Occidentaux une altérité insaisissable et dérangeante. Son système de castes et son polythéisme foisonnant de monstres plus étranges les uns que les autres et de dieux dotés d’attributs physiques augmentés (troisième œil, quatre bras quand ce n’est pas plus), faisaient de ce pays-continent l’autre par excellence, irréductible à des cohérences connues et répertoriées.

    Une « vision post-datée »

    Si au cours des dernières décennies, l’image de l’Inde a changé, le décalage demeure entre la perception qu’a la planète de l’Inde et l’idée que les Indiens se font d’eux-mêmes. Cette dernière est qualifiée de « vision post-datée » par Olivier Da Lage dans le nouveau livre qu’il vient de consacrer au deuxième mastodonte d’Asie derrière la Chine. Citant l’analyste américain Selig Harrison auquel il a emprunté le concept de la « vision post-datée » des Indiens, l’auteur écrit que ces derniers « estiment que l’Inde est en train d’acquérir le statut d’une grande puissance et veulent que les autres les traitent comme s’ils y étaient déjà parvenus ». C’est ce décalage qui est sans doute le véritable sujet du livre de Da Lage intitulé Inde, désir de puissance, un titre qui traduit à la fois les ambitions de New Delhi et leurs limites.

    Rédacteur en chef à Radio France Internationale (RFI), Olivier Da Lage est l’un des meilleurs connaisseurs français de l’Inde, pays qu’il parcourt régulièrement de long en large et dont il suit l’évolution politique et sociale depuis plusieurs années. Le « désir de puissance » indien que son nouveau livre décrypte, s’incarne de différentes façons. L'auteur en cite notamment deux : primo, « l’aspiration maintes fois proclamée à un siège de membre permanent au Conseil de sécurité des Nations unies » et secundo, le volontarisme du nouveau Premier ministre indien qui a assigné aux diplomates du South Block (le Quai d’Orsay indien) la mission de faire de l’Inde « une puissance dirigeante » au lieu de cette « puissance d’équilibre » qu’elle a été jusqu’ici globalement.

    « En fin de compte, explique l'essayiste, ce désir qui anime aujourd’hui l’Inde est un désir légitime de reconnaissance pour ce qu’elle est, pays-continent plurimillénaire, qui inspire beaucoup d’hommes et de femmes à travers la planète, qui ne veut plus se replier sur elle-même, mais qui comprend aussi que si elle veut sortir sa population de la pauvreté, elle a besoin de s’affirmer sur la scène internationale pour garantir sa sécurité alimentaire et énergétique et pour se protéger contre d’éventuelles agressions par des pays tiers. » Et d’ajouter : « A y regarder de près, cette ambition n’est pas très différente de celle affirmée à travers les âges, par les puissances de type classique, comme l’Egypte, Rome, la Grande-Bretagne, la France ou les Etats-Unis. » Olivier Da Lage reconnaît aussi que ce pays que les Anglais avaient baptisé autrefois « le joyau de la couronne », dispose aujourd’hui de presque tous les attributs de hard power (pouvoir militaire, pouvoir économique, capacité technologique, forte démographie) et de soft power (capacité à produire les normes, rôle dirigeant, influence culturelle, capacité étatique, diplomatie influente), indispensables pour prétendre au statut de puissance globale.

    Les causes du retard

    Alors, si l’ambition est légitime et le pari raisonnable, comme affirme l'auteur, pourquoi n’est-il pas encore gagné ? Toute la première partie du livre d'Olivier Da Lage est justement consacrée à l’analyse des stratégies diplomatiques mises en œuvre par New Delhi pour arriver à ses fins. Les différents « cercles de la stratégie indienne » sont passés au peigne fin, conduisant le lecteur pas à pas, d’une manière très didactique, du premier cercle composé des pays voisins aux alliances nouées au sein des organisations multilatérales, en passant par les cercles successifs de la géopolitique indienne que sont les relations avec l’Asie, l’Afrique, l’Occident et la Russie et enfin avec le Moyen-Orient.

    L'essai fustige « le profil bas pragmatique » devenu la marque de fabrique de la diplomatie indienne. Celle-ci a fait de la discrétion et de la prudence (« ne fâcher personne ») les piliers de sa stratégie de survie dans l’arène internationale. Une stratégie de statu quo et de renoncement de leadership qui a, certes « produit des résultats très satisfaisants », explique l’auteur, en citant un ambassadeur indien, mais qui se révèle contre-productif quand on nourrit l’ambition d’être une grande puissance. Selon Olivier Da lage, c'est sans doute au Moyen-Orient que l’on voit le mieux les dégâts causés par une telle approche. « L’Inde parle avec tous les pays du Moyen-Orient et est acceptée par eux comme une puissance majeure, explique-t-il. Mais le choix indien de dépolitiser ses relations diplomatiques afin de limiter autant que faire se peut les retombées négatives des conflits proche-orientaux la cantonne de fait à un rôle de spectateur sans grande influence. »

    Enfin, pour l’analyste, les principales causes du retard à l’allumage de la puissance indienne sont à chercher dans les difficultés essentiellement « d’ordre intérieur » auxquelles le pays se trouve confronté et pour lesquelles il ne s’est pas donné les moyens nécessaires pour en venir à bout. Dans la deuxième partie de son livre consacrée précisément aux « instruments de puissance », Da Lage pointe du doigt les faiblesses qui empêchent l’Inde de réaliser pleinement ses potentialités et de peser dans les affaires de la planète. « Les plus coriaces ont pour nom, poursuit le journaliste, la corruption, les révoltes maoïstes et les conflagrations des violences intra-ethniques qui sont en train de miner de l’intérieur la société indienne ». Ces faiblesses compromettent la stabilité sociale et politique du pays tant vantée par les autorités indiennes et qui est certainement une condition sine qua non de la puissance.

    On lira Inde, désir de puissance aussi pour les pages que ce livre très exhaustif consacre aux atouts de la stratégie indienne: de son dynamisme économique à sa percée sur le plan des technologies de pointe, en passant par la démographie et les progrès réalisés dans les domaines de l’éducation, de la santé… On regrettera toutefois que l’auteur ne se soit pas attardé sur le rayonnement culturel et intellectuel de l’Inde dont les avancées ne sont certainement pas étrangères à la visibilité grandissante de ce pays. L’intérêt des intellectuels indiens contemporains qui travaillent notamment sur le concept du « subalterne » et sa prise de parole, interrogeant l’universalité occidentale, comme le fait l'universitaire Dipesh Chakravarty dans son opus Provincialiser Europe : la pensée post-coloniale et la différence historique (Editions Amsterdam), consiste précisément à rappeler que les obstacles sur lesquels l’Inde va devoir triompher sur le chemin de la puissance, ne sont pas seulement d’ordre intérieur.

    RFI
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