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Crimes commis par la colonisation française : Lettre à François Hollande

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  • Crimes commis par la colonisation française : Lettre à François Hollande

    Crimes commis par la colonisation française
    Lettre à François Hollande

    huffpostalgerie
    Saint-Exupéry disait dans sa lettre à un otage : "Quelle étrange parenté! elle se fonde sur l'avenir, non sur le passé. Sur le but, non sur l'origine. Nous sommes l'un pour l'autre des pèlerins qui, le long de chemins divers, peinons vers le même rendez-vous".Cette formule, intrigante par son actualité, n'est pourtant pas vraiment satisfaisante lorsqu'on s'y attarde : elle ne prend pas en compte le chemin préalable nécessaire pour que se réalise cet avenir commun avec lequel nous aurions rendez-vous.Comment se tourner et se vouer à construire une identité inclusive lorsque la douleur infligée par une mémoire blessée est encore vivace ?Une identité collective et inclusive est la prémisse nécessaire afin de bâtir une société où personne ne serait laissé pour compte et mis à l'écart. Mais elle ne pourrait se faire sans s'établir sur la plus solide des fondations la vérité.
    Ayant en tête la mémoire de l'époque coloniale, et dans le cœur le sentiment le plus exécrable et le plus dégoûtant qui soit et que je partage avec la majorité du peuple, l'amertume du ressentiment, j'ai pris l'initiative d'écrire à l'actuel président français François Hollande, afin de lui soumettre la demande suivante : reconnaître les massacres, les tortures et la honte infligés à tout un peuple durant près d'un siècle et demi, afin de cesser la guerre des mémoires entre les deux peuples français et algérien, et que s'établisse une véritable réconciliation.
    Fantaisiste ? Palabre d'un idéaliste ? Je ne puis y répondre. Rancunier ? Sans doute. La douleur de cette période coloniale est, aujourd'hui encore, vivante dans les cœurs et jusque dans les paysages, les reliefs, et l'architecture en Algérie. Le colonialisme n'est pas sans apporter son lot d'injustice. Comment ne pas être rancunier lorsque l'on apprend, entre autres, que l'euphémisme ô combien insultant ''d'Évènement d'Algérie '' était le qualificatif utilisé afin de désigner la guerre d'Algérie ? Devons-nous composer avec l'héritage historique qui est le nôtre dans notre noble entreprise qu'est la construction d'un avenir commun ? La réponse sera ne peut qu'être conditionnelle : il le faut, à condition que les blessures qui l'accompagnent soient guéries et que seule la lumière de la vérité s'y reflète.Cette lumière, loin d'être acquise, devra se mériter. Il y faudra un acharnement dans les efforts et la patience nécessaire pour se faire.Cette lettre a été envoyée de mon plein gré il y a plus de deux mois. Je la publie ici dans la mesure où elle saura, peut-être, décrire la nécessité de reconnaître les crimes contre l'humanité subis par le peuple algérien durant la période coloniale et qui fait débat aujourd'hui suite à la déclaration de Macron, candidat à la présidentielle Française.
    Monsieur le Président,
    J'ai l'honneur de solliciter, pour une deuxième fois, votre attention sur le fait que la France doive reconnaître les crimes de guerre et les tortures commis sur le peuple algérien durant la période coloniale.
    Dans la lettre qui précède celle-ci, je vous félicitais de votre décision de reconnaître la responsabilité des gouvernements français dans l'abandon des Harkis après la fin de la guerre d'Algérie. La reconnaissance du drame des Harkis, bien qu'étant un acte honorable de votre part, ne peut mener le front seul, contre la guerre des mémoires. Ce n'est qu'en front commun avec la reconnaissance des injustices et des horreurs subies, par le peuple algérien, que la confrontation sera plus équilibrée et que l'espoir que cesse cette guerre des mémoires soit enfin perceptible et réalisable.M. Dominique Ceaux, à qui vous aviez confié le soin de me répondre, m'a écrit : "La France n'est digne que lorsqu'elle est capable de regarder la vérité en face et reconnaître ses fautes". Seuls les plus grands des pays peuvent se vouer à une telle vocation. Seulement, voyez-vous, Monsieur le Président, j'ai pour la France une si grande estime que je ne puis me résoudre à l'idée que ce grand pays ne reconnaisse qu'en partie ses fautes et qu'il soit, d'après la formule de M. Ceaux, qu'en partie digne.
    Je vous prie, Monsieur le Président, de ne pas vous fier au cœur pressé et optimiste qui est le mien. Je sais, en effet, qu'une telle reconnaissance ne suffira pas à guérir les blessures béantes qu'a causé cette guerre. Elle ne fera que les atténuer afin de les rendre suffisamment supportables pour que la promesse d'une réconciliation entre l'Histoire et la mémoire de ces peuples puisse se faire.
    S'il y a bien une chose que j'ai apprise depuis mon installation au Québec, c'est que peu importe la longueur et la rudesse de l'hiver, les fleurs finissent toujours par emplir nos yeux, las de la blancheur crue et exténuante des paysages enneigés, de mille couleurs. Il en est de même pour la Vérité : elle finira toujours par éblouir nos cœurs ternis et rongés par la douloureuse mémoire que nous avons hérités de l'histoire.Faut-il laisser aux aléas du temps le soin de rétablir la Vérité ? Surtout pas. D'abord parce que je ne crois pas à une hypothétique finalité de l'histoire. Ensuite, parce qu'il ne servirait à rien de faire cette reconnaissance à des ombres.Cette reconnaissance, je veux que nos grands-parents, qui furent les témoins malheureux de cette sombre période, y assistent. C'est à eux que je pense en vous écrivant. À quoi bon attendre qu'ils soient avalés par la maladie et la convulsion du temps ? Nous mourrons tous un jour, je n'en fais pas une fatalité. Les générations se succèdent et laissent chacune une empreinte dans l'histoire. La nôtre, Monsieur le Président, je voudrais qu'elle soit celle qui permette à la génération qui nous a précédés de s'en aller dans la dignité, et à celle qui nous succédera, de s'établir dans la sérénité que seule la réconciliation, qui est entre nos mains, pourra offrir. Je puis maintenant vous le concéder : mon désir le plus intime, Monsieur le Président, c'est de ne plus avoir à essuyer les chaudes larmes qui coulent sur les joues crevassées de ma grand-mère, à la simple évocation de son père, Mouloud, mort au champ d'honneur, et de sa mère, Menoune, qui fut torturée à l'électricité devant ses yeux à l'âge où l'on ne devrait pas se soucier d'autre chose que de s'assurer de colorier à l'intérieur des dessins. Et c'est justement pour que la génération de ma grand-mère ait un semblant de paix qu'il m'incombe de vous faire part de cette détresse.
    Je m'adresse à vous le cœur serré. Soyez assuré que je n'affectionne pas l'idée de vous encombrer d'une telle tâche. Cela dit, il est de mon devoir de vous soumettre la détresse et les plaintes, à la fois assourdissantes et silencieuses, de ces femmes et de ces hommes riches de leurs seuls espoirs, qui ne demandent rien de plus que de réconcilier leurs cœurs avec leurs mémoires, tant qu'il est encore temps. Je n'ignore pas le poids de cette requête et de ce qu'elle engage, seulement, la négation a, depuis trop longtemps, embrumé l'horizon de mon peuple. C'est pour cela que je ne puis renoncer à cette lumière douce et mielleuse que la Vérité seule, teintée de Justice, peut offrir. Avoir soif de cette lumière, est-ce utopique ? Non. Nous appelons utopique ce qui nous semble trop beau pour être vrai ; irréalisable. Or, cette beauté, je refuse de m'en passer et de la confiner dans les sombres champs de la métaphysique, d'une mémoire blessée et de l'Histoire. Cette beauté, il faudrait qu'elle fût aussi accessible que le soleil afin de se délecter des promesses qu'elle offre, sans se soucier de son hypothétique caractère éphémère. J'espère de tout cœur que cette lettre, rédigée au rythme de mon espoir le plus intime, saura garder éveillé en vous, ce goût incommensurable pour la vérité et la dignité dont vous avez fait preuve durant votre remarquable quinquennat.
    Je vous prie d'agréer, Monsieur, l'expression de mes sentiments les plus vrais et vous remercie de votre fidélité et de votre courage.

    Montréal, le 5 janvier 2017

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