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Dans les usines chinoises, les robots roulent des mécaniques

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    Pékin, qui veut garder son rang d’«atelier du monde», a entrepris d’automatiser ses chaînes de production. Objectif, pallier la perte de compétitivité de sa main-d’œuvre, devenue plus chère qu’en Inde notamment, quitte à menacer les emplois les moins qualifiés.

    C’est une usine comme il en existe tant d’autres dans la région : dans la gigantesque salle d’assemblage du groupe May Cheong, une société de jouets de Hongkong spécialisée dans la fabrication de voitures miniatures pour enfants et collectionneurs, 300 ouvrières en polo rose, courbées sur leur poste de travail, assemblent une à une les mini-Ferrari en plastique ou en métal qui arrivent jusqu’à elles via des tapis roulants. Conformément aux principes du taylorisme, chaque employée ne réalise qu’une seule et même tâche, huit heures par jour, contre l’équivalent de 350 euros par mois environ. Ici, une ouvrière ne fait que poser les roues. Derrière elle, une autre femme place le pare-brise tandis qu’une autre s’occupe des phares, et ainsi de suite jusqu’à la mise en carton.

    Depuis peu, cependant, leurs petites mains expertes commencent à être concurrencées par des travailleurs qui ne fatiguent pas et ne réclament jamais d’augmentation : les robots. Le jouet a beau être l’une des filières les plus difficiles à automatiser, May Cheong, une société née en 1967 et qui exporte vers 110 pays, a décidé d’expérimenter la robotisation face au mouvement général de hausse des salaires. «C’est vraiment le gros changement par rapport à il y a dix ans. On utilise de plus en plus de robots», raconte Tony, un représentant de May Cheong qui vient régulièrement à Shaoguan, à l’extrême sud de la Chine, pour inspecter cette usine, l’une des deux que la firme hongkongaise possède sur le continent.

    10 000 «Foxbots»

    Inauguré en 2003, le site de Shaoguan produit 8 millions de modèles réduits par mois, dont la moitié sous la marque Bburago, le mythique fabricant italien de voitures miniatures (allant du 1/64e pour les plus petites au 1/10e pour les plus grandes) que May Cheong a racheté en 2006, le sauvant de la faillite. Dans la foulée, l’usine historique de la société lombarde a quitté Milan pour la Chine. Les robots ont été introduits dans la chaîne de production, surtout pour la peinture. Derrière une vitre, un bras mécanique pulvérise uniformément de la couleur rouge sur les mini-Ferrari en zinc défilant devant lui. «Avant, on avait plus d’employés, mais avec la hausse du coût de la main-d’œuvre, notre patron a souhaité utiliser davantage de machines. L’automatisation, c’est la priorité désormais», dit Wang Changsheng, l’un des responsables qualité. Au total, entre l’arrivée des robots et les hauts et bas de la demande, l’usine a perdu 2 200 employés par rapport au pic de 2006, où 6 200 ouvriers s’y affairaient.

    May Cheong est loin d’être un cas isolé en Chine. Dans certaines industries, comme l’automobile ou l’électronique, les robots se déploient de façon spectaculaire dans le pays. Un grand bond en avant symbolisé par l’offre de rachat à 4,5 milliards d’euros lancée en mai par le groupe chinois d’électroménager Midea sur les robots allemands Kuka.

    L’automatisation est également promue par Pékin pour que le pays garde son rang d’«usine du monde». Dans le cadre de son plan décennal «Made in China 2025» annoncé en mai 2015, Pékin veut tripler son taux de robotisation à l’horizon 2020, une stratégie qui conduira à l’installation de 650 000 nouveaux robots par an, selon la Fédération internationale de la robotique (IFR). La Chine est déjà depuis 2013 le premier marché mondial pour les robots. L’an dernier, le pays a absorbé à lui seul presque un tiers du marché. Selon l’IFR, la République populaire a acheté en 2015 plus de 68 000 robots, soit davantage que tous les pays d’Europe réunis et douze fois plus qu’en 2009. «Ce développement rapide est unique dans l’histoire de la robotique. Aucun autre marché dans le monde n’a crû de façon si dynamique sur une période si courte», écrit l’IFR dans son dernier rapport annuel.

    La tendance profite surtout aux fabricants étrangers, comme le groupe helvético-suédois ABB ou le japonais Mitsubishi, qui contrôlent 70% du marché. Mais la part des robots chinois, moins chers, progresse. Par exemple, le géant taïwanais Foxconn, premier employeur privé de Chine et sous-traitant d’Apple, fabrique chaque année 10 000 «Foxbots» qui peuvent accomplir vingt tâches différentes. Terry Gou, PDG de Foxconn, veut que ses usines chinoises soient robotisées à 30% d’ici à 2020.

    Derrière ces chiffres spectaculaires se cache un phénomène de rattrapage assez classique. En Chine, le taux de robotisation (nombre de robots pour 10 000 employés) est encore en dessous de la moyenne internationale : dans la manufacture, on ne dénombre que 49 robots pour 10 000 salariés, contre 531 en Corée du Sud, le pays le plus automatisé au monde, suivi par Singapour, le Japon et l’Allemagne. Les premiers robots ont été installés en Europe, au Japon et aux Etats-Unis dès les années 60, mais la Chine, elle, s’est traditionnellement appuyée sur sa réserve de main-d’œuvre, longtemps abondante et bon marché. Grâce à son armée de travailleurs, le pays est devenu le numéro 1 mondial dans la fabrication de la quasi-totalité des produits de consommation.

    Vieillissement accéléré

    Petit à petit, l’économie chinoise s’est tertiarisée. Et le coût de la main-d’œuvre a flambé : dans la confection, le salaire moyen d’un ouvrier a été multiplié par quatre en onze ans. «Il y a un peu plus d’une décennie, les coûts du travail en Chine représentaient environ 1/20e de ceux aux Etats-Unis. Dorénavant, si l’on prend en compte la productivité, la logistique et les autres coûts, l’écart a quasiment disparu», écrivent les consultants du Boston Consulting Group (BCG) dans une récente étude sur le sujet. Par ailleurs, la population en âge de travailler diminue, du fait d’un vieillissement accéléré de la société chinoise, lui-même généré par la politique de l’enfant unique qui a duré trente-six ans. Dans ce nouveau contexte, pour augmenter leur productivité, certaines usines chinoises ont fait le choix de robotiser. D’autres espèrent, grâce à la régularité de ces appareils, améliorer la qualité de leurs produits pour répondre aux exigences de la classe moyenne ou pour conquérir des marchés à l’export.

    Les quelque 772 millions de travailleurs que compte la Chine (en 2014) n’ont cependant pas de quoi être inquiets pour l’instant. En effet, selon le BCG, les industries automatisent lorsque le prix du travail humain devient 15% plus élevé que celui du travail «robotisé». Or le coût horaire de la main-d’œuvre chinoise est encore très bas comparé aux investissements requis pour acheter puis entretenir un robot. Cet écart pourrait se resserrer à mesure que les robots deviennent plus accessibles : selon le BCG, leur prix de base (hors installation, programmation et équipements périphériques, très coûteux) aurait baissé de 40% en dix ans. Il devrait encore diminuer de 20% au cours de la prochaine décennie. Malgré cela, plutôt que de robotiser, d’autres usines chinoises ont préféré quitter le Sud manufacturier pour s’installer à l’intérieur du pays, voire délocaliser en Asie du Sud-Est ou sur le sous-continent indien, devenus plus compétitifs.

    Chaque secteur d’activité a sa stratégie. «La robotisation peut faire sens lorsqu’il s’agit de tâches répétées, sur de très grandes séries, par exemple dans l’automobile», analyse Mathieu Labasse chez Asia Inspection, une société qui audite des usines dans 77 pays. «Dans les biens de consommation comme le jouet, le textile ou l’ameublement, la robotisation est soit trop chère, soit impossible car il s’agit souvent de petites séries, avec des manipulations délicates. Peindre les yeux d’une poupée requiert plus de minutie que peindre une porte de voiture !»

    En Chine, c’est en effet l’automobile qui avale la plupart des robots, avec 35% du total. Il est vrai que le pays est le plus gros producteur de véhicules au monde, avec 22 millions d’unités sur les dix premiers mois de 2016, selon les chiffres officiels. Dans ce secteur, la robotisation est nettement plus élevée que dans la manufacture chinoise, avec 392 robots pour 10 000 employés, selon l’IFR. Ce taux a «augmenté de façon significative depuis 2007», mais les constructeurs japonais sont encore les plus automatisés de la planète, avec trois fois plus de robots sur leurs lignes d’assemblage que leurs concurrents chinois. Du côté des constructeurs étrangers implantés dans le pays, la robotisation permet surtout d’accroître les cadences et la sécurité des employés.

    «Caisse en blanc»

    Exemple à Chengdu, ville du sud-ouest de la Chine, où PSA avait inauguré, début septembre, sa cinquième usine dans le pays. A terme, celle-ci doit produire soixante véhicules par heure, bien davantage que les trois sites plus anciens de Wuhan, au centre de la Chine. «Soixante par heure, c’est beaucoup pour une usine automobile, et c’est pour ça qu’on automatise, explique Jean-Christophe Marchal, vice-directeur général exécutif de DPCA, la joint-venture nouée en 1992 par PSA et Dongfeng. On n’est pas loin du record mondial. L’usine de Chengdu est l’une des plus robotisées à l’échelle du groupe.» Plus de 400 robots en provenance du Japon ou d’Allemagne y ont été installés. La majorité d’entre eux se trouve dans l’atelier de ferrage, là où les tôles formant la «caisse en blanc», structure brute de la voiture, sont soudées entre elles «à 100%» par des robots. L’étape de la peinture est, quant à elle, robotisée à 93%. Mais pour sortir un véhicule flambant neuf de la chaîne, il reste pas mal de travail pour les ouvriers spécialisés chinois.

    Raphaël Balenieri, envoyé spécial à Chengdu et à Shaoguan (Chine)
    Libération
    Si vous ne trouvez pas une prière qui vous convienne, inventez-la.” Saint Augustin
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