Menace de retrait de la CPI : quelle solution pour l’Afrique ? (Rouguiatou Baldé, doctorante guinéenne au Canada)
Lors de son précédent sommet en Éthiopie, l’Union Africaine (UA) a appelé au retrait massif du continent de la Cour pénale internationale (CPI) pour envoyer un message clair aux Occidentaux de cesser de s’en prendre à eux. Pour crypter tous les tenants et aboutissants de cette menace, votre quotidien électronique, Guinéenews, a sollicité la contribution de Rouguiatou Baldé, une doctorante guinéenne à l’Université de Montréal (Canada) où elle effectue actuellement un doctorat en Criminologie.
Ses recherches portent particulièrement sur la victimologie, la justice transitionnelle, la justice internationale pénale, et les crimes organisés. Elle est également titulaire d'une maîtrise en justice pénale, d'une maîtrise en économie, option finance, et d'une maîtrise en chimie, option contrôle des qualités des produits naturels et industriels.
Le bras de fer entre l'Afrique et la Cour pénale internationale : une cour partiale ?
Certains pays africains ont fait part de leur intention de se retirer du Statut de Rome de la Cour pénale internationale (CPI) en 2016 et, par la suite, en janvier 2017, l'Union africaine[1] (UA) a adopté une stratégie de « retrait collectif » du même statut.[2] Dans leurs arguments, ils ont notamment évoqué la critique postcoloniale d'une justice de « Blancs » ne visant que les Africains. Effectivement, neuf des 10 cas présentement sous investigation ont pris place en Afrique, notamment en République démocratique du Congo (RDC), en Ouganda, en Centrafrique (RCA) à deux reprises, au Soudan, au Kenya, au Libye, en Côte d'Ivoire et au Mali.[3] Cela dit, des examens préliminaires dans de pays non africains sont en cours : en Afghanistan, en Colombie, en Palestine, en Ukraine, et à propos de l’intervention britannique en Irak, ainsi que sur des navires immatriculés en Grèce et au Cambodge, en Géorgie. [4]
En négligeant cette diversité, la critique du genre « deux poids, deux mesures » semble appliquer le principe du « tout ou rien », posant l'hypothèse que, puisque la CPI ne se roule pas les pouces ailleurs (ce qui n'est pas vrai), elle ne devrait rien faire en Afrique. Toutefois, le fait que d'autres crimes de masse soient commis ailleurs ne devrait pas entraîner l’impunité de ceux commis en Afrique. Par ailleurs, l'argument pourrait être inversé : « l'afrocentrisme » est loin de représenter un parti pris contre l'Afrique, mais plutôt en faveur des victimes africaines, qui sont quasiment les seules à avoir reçu l'attention de la Cour. Qu'est ce qui explique cela/pourquoi?
Des motifs objectifs
Tout d'abord, des causes objectives peuvent être identifiées. Depuis que la Cour a commencé ces activités, c'est en Afrique que le plus grand regroupement de crimes relevant de sa compétence a pris place. Cela ne veut pas dire qu'il n’en existe pas ailleurs, mais qu'un plus grand pourcentage des cas est africain. Le nombre de pays africains qui ont ratifié le Statut de Rome (34 pays africains sur 124 au total) représente le plus grand contingent de l'Assemblée des États parties; cela explique aussi que ce groupe soit plus exposé aux poursuites judiciaires.
Une seconde raison repose sur le principe de complémentarité. En effet, la CPI n'intervient que si une procédure judiciaire n'est pas déjà entamée, « à moins que cet État n’ait pas la volonté ou soit dans l’incapacité de mener véritablement l’enquête ou les poursuites » (art. 17 § 1a du Statut de Rome). Pourtant, hormis la question de volonté de ces pays, plusieurs pays africains sont incapables d’entamer ces poursuites. Le fragile State Index 2016,[5] dont la capacité judicaire est l'un des critères, montre que tous les pays présentement visés se retrouvent dans les catégories soit « Alerte très élevée » (RCA, Soudan), « Alerte élevée » (Côte d’Ivoire, RDC) ou soit « Alerte » (Kenya, Libye, Mali, Ouganda).
Des motifs subjectifs
« L'afrocentrisme » se justifie aussi à travers des décisions subjectives. Sur les 9 cas africains, l'autosaisie par le procureur n'a eu lieu que dans l'affaire kényane et cela s'est fait suite à la réception des noms de la part de la commission d'enquête kényane. La Cour n’a été saisie que deux fois (Soudan et Libye) par le Conseil de Sécurité National, avec l'appui des pays africains au sein du Conseil. Dans le reste des cas, ce sont des États africains qui ont saisi la Cour, dans l'espoir de l'utiliser pour se débarrasser d'une opposition sur leur territoire. Les États africains non seulement n’ont saisi la Cour que pour des situations africaines, alors qu'ils étaient libres de notifier le procureur sur n'importe quel autre continent, mais aussi ils ne l'ont fait que pour des situations dans leur pays, notamment l'Ouganda, le RDC, la Côte D'Ivoire, le Mali, le RCA, les Comores et le Gabon. Ainsi, les pays africains sont à la fois orientés sur l'Afrique et sur eux‑mêmes dans le désir d'instrumentaliser la CPI : ils l'ont africanisée.
Partition du populisme
Si les pays africains étaient vraiment concernés par « l'afrocentrisme » de la CPI, ils s’intéresseraient aux affaires autres qu'africaines. Ils défendraient davantage les démarches auprès du Conseil de sécurité concernant des cas autres qu'africains (la Syrie, par exemple). Le fait que la Cour ne cible que des pays d’Afrique ne gêneraient pas les chefs d'État africains tant que celle‑ci n'agisse qu'à leur demande et contre leurs ennemis. En effet, dès que la CPI a commencé à s'intéresser notamment aux présidents Omar Al-Bachir, Mouammar Kadhafi et Uhuru Kenyatta, l'UA a réagit contre l'intérêt des victimes. D’ailleurs, puisque les crimes de masse touchent en premier la population et la communauté, il serait logique que les dirigeants qui veulent se retirer du Statut de Rome consultent leur population par voie de référendum, sous l'œil attentif d'observateurs de l'UA.
En fait, la révolte contre la CPI concernerait moins le néocolonialisme que l'égoïsme d'un petit groupe de leaders ayant des raisons de penser qu'ils pourraient à leur tour intéresser la CPI. En jouant la partition du populisme anticolonialiste, ils cachent leur peur.
Lors de son précédent sommet en Éthiopie, l’Union Africaine (UA) a appelé au retrait massif du continent de la Cour pénale internationale (CPI) pour envoyer un message clair aux Occidentaux de cesser de s’en prendre à eux. Pour crypter tous les tenants et aboutissants de cette menace, votre quotidien électronique, Guinéenews, a sollicité la contribution de Rouguiatou Baldé, une doctorante guinéenne à l’Université de Montréal (Canada) où elle effectue actuellement un doctorat en Criminologie.
Ses recherches portent particulièrement sur la victimologie, la justice transitionnelle, la justice internationale pénale, et les crimes organisés. Elle est également titulaire d'une maîtrise en justice pénale, d'une maîtrise en économie, option finance, et d'une maîtrise en chimie, option contrôle des qualités des produits naturels et industriels.
Le bras de fer entre l'Afrique et la Cour pénale internationale : une cour partiale ?
Certains pays africains ont fait part de leur intention de se retirer du Statut de Rome de la Cour pénale internationale (CPI) en 2016 et, par la suite, en janvier 2017, l'Union africaine[1] (UA) a adopté une stratégie de « retrait collectif » du même statut.[2] Dans leurs arguments, ils ont notamment évoqué la critique postcoloniale d'une justice de « Blancs » ne visant que les Africains. Effectivement, neuf des 10 cas présentement sous investigation ont pris place en Afrique, notamment en République démocratique du Congo (RDC), en Ouganda, en Centrafrique (RCA) à deux reprises, au Soudan, au Kenya, au Libye, en Côte d'Ivoire et au Mali.[3] Cela dit, des examens préliminaires dans de pays non africains sont en cours : en Afghanistan, en Colombie, en Palestine, en Ukraine, et à propos de l’intervention britannique en Irak, ainsi que sur des navires immatriculés en Grèce et au Cambodge, en Géorgie. [4]
En négligeant cette diversité, la critique du genre « deux poids, deux mesures » semble appliquer le principe du « tout ou rien », posant l'hypothèse que, puisque la CPI ne se roule pas les pouces ailleurs (ce qui n'est pas vrai), elle ne devrait rien faire en Afrique. Toutefois, le fait que d'autres crimes de masse soient commis ailleurs ne devrait pas entraîner l’impunité de ceux commis en Afrique. Par ailleurs, l'argument pourrait être inversé : « l'afrocentrisme » est loin de représenter un parti pris contre l'Afrique, mais plutôt en faveur des victimes africaines, qui sont quasiment les seules à avoir reçu l'attention de la Cour. Qu'est ce qui explique cela/pourquoi?
Des motifs objectifs
Tout d'abord, des causes objectives peuvent être identifiées. Depuis que la Cour a commencé ces activités, c'est en Afrique que le plus grand regroupement de crimes relevant de sa compétence a pris place. Cela ne veut pas dire qu'il n’en existe pas ailleurs, mais qu'un plus grand pourcentage des cas est africain. Le nombre de pays africains qui ont ratifié le Statut de Rome (34 pays africains sur 124 au total) représente le plus grand contingent de l'Assemblée des États parties; cela explique aussi que ce groupe soit plus exposé aux poursuites judiciaires.
Une seconde raison repose sur le principe de complémentarité. En effet, la CPI n'intervient que si une procédure judiciaire n'est pas déjà entamée, « à moins que cet État n’ait pas la volonté ou soit dans l’incapacité de mener véritablement l’enquête ou les poursuites » (art. 17 § 1a du Statut de Rome). Pourtant, hormis la question de volonté de ces pays, plusieurs pays africains sont incapables d’entamer ces poursuites. Le fragile State Index 2016,[5] dont la capacité judicaire est l'un des critères, montre que tous les pays présentement visés se retrouvent dans les catégories soit « Alerte très élevée » (RCA, Soudan), « Alerte élevée » (Côte d’Ivoire, RDC) ou soit « Alerte » (Kenya, Libye, Mali, Ouganda).
Des motifs subjectifs
« L'afrocentrisme » se justifie aussi à travers des décisions subjectives. Sur les 9 cas africains, l'autosaisie par le procureur n'a eu lieu que dans l'affaire kényane et cela s'est fait suite à la réception des noms de la part de la commission d'enquête kényane. La Cour n’a été saisie que deux fois (Soudan et Libye) par le Conseil de Sécurité National, avec l'appui des pays africains au sein du Conseil. Dans le reste des cas, ce sont des États africains qui ont saisi la Cour, dans l'espoir de l'utiliser pour se débarrasser d'une opposition sur leur territoire. Les États africains non seulement n’ont saisi la Cour que pour des situations africaines, alors qu'ils étaient libres de notifier le procureur sur n'importe quel autre continent, mais aussi ils ne l'ont fait que pour des situations dans leur pays, notamment l'Ouganda, le RDC, la Côte D'Ivoire, le Mali, le RCA, les Comores et le Gabon. Ainsi, les pays africains sont à la fois orientés sur l'Afrique et sur eux‑mêmes dans le désir d'instrumentaliser la CPI : ils l'ont africanisée.
Partition du populisme
Si les pays africains étaient vraiment concernés par « l'afrocentrisme » de la CPI, ils s’intéresseraient aux affaires autres qu'africaines. Ils défendraient davantage les démarches auprès du Conseil de sécurité concernant des cas autres qu'africains (la Syrie, par exemple). Le fait que la Cour ne cible que des pays d’Afrique ne gêneraient pas les chefs d'État africains tant que celle‑ci n'agisse qu'à leur demande et contre leurs ennemis. En effet, dès que la CPI a commencé à s'intéresser notamment aux présidents Omar Al-Bachir, Mouammar Kadhafi et Uhuru Kenyatta, l'UA a réagit contre l'intérêt des victimes. D’ailleurs, puisque les crimes de masse touchent en premier la population et la communauté, il serait logique que les dirigeants qui veulent se retirer du Statut de Rome consultent leur population par voie de référendum, sous l'œil attentif d'observateurs de l'UA.
En fait, la révolte contre la CPI concernerait moins le néocolonialisme que l'égoïsme d'un petit groupe de leaders ayant des raisons de penser qu'ils pourraient à leur tour intéresser la CPI. En jouant la partition du populisme anticolonialiste, ils cachent leur peur.
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