Pendant près d’une décennie, l’Algérie nouvellement indépendante a apporté un soutien actif aux militants africains-américains, notamment les plus radicaux, qu’elle a même accueillis à bras ouverts sur son sol. Flash-back.
Le pirate de l’air dégaine son arme et menace le personnel de bord. Le vol 841 Detroit-Miami de la Delta Air Lines ne suivra pas son trajet initial. Le chef du commando, Melvin McNair, un militant noir américain, exige d’être emmené avec ses complices à Alger. Nous sommes en juillet 1972. En juin, un vol Los Angeles-Seattle avait également été détourné vers la capitale algérienne, cette fois par un vétéran noir de la guerre du Vietnam, Roger Holder.
Ces détournements d’avion renvoient à la relation complice – tombée aujourd’hui progressivement dans l’oubli – que le régime algérien, à l’indépendance, avait nouée avec les mouvements révolutionnaires internationaux, dont l’aile radicale des militants africains-américains.
Les Black Panthers à Alger
« Roger Holder savait qu’un groupe de Black Panthers vivait à Alger. C’est ce qui l’a poussé à choisir cette destination », nous explique Brendan Ian Koerner, auteur de The Skies Belong to Us, un ouvrage consacré aux détournements d’avion aux États-Unis.
À l’époque, les Black Panthers, révolutionnaires marxistes africains-américains, disposent d’un siège dans la capitale algérienne. « Si vous vous promenez dans la Casbah, il suffit d’arrêter une personne âgée à hauteur de l’ancien local pour qu’elle vous parle de ces révolutionnaires “à la coupe de cheveux amusante”, c’est‑à-dire des afros imposantes », nous explique le sociologue Saïd Bouamama.
« Le siège était dans le centre. Ses énormes baies vitrées étaient recouvertes d’affiches. Je me souviens avoir croisé Eldridge Cleaver », se remémore l’écrivain algérien Tahar Lamri, qui approche la soixantaine. Eldridge Cleaver. Ce nom ne dit plus rien aujourd’hui à la majorité des Algériens. Mais à l’époque les journalistes américains se pressaient pour le rencontrer. « Notre autre homme à Alger », titrait même à son sujet le New York Times. « Un exilé privilégié », écrivait de son côté Newsweek.
Recherché par la police, Cleaver se réfugie en 1969 en Algérie, où il sera choyé. Alors « ministre de l’Information » des Black Panthers, il fait montre d’une intransigeance qui le conduit à « placer aux arrêts révolutionnaires » – c’est-à-dire séquestrer – le célèbre Timothy Leary, un militant blanc hippie favorable à l’usage de psychotropes, ce qu’Eldridge condamne fermement.
« Les nègres de la France »
L’Algérie avait tout pour plaire aux militants africains-américains, y compris le plus pacifiste d’entre eux, Martin Luther King, qui, en octobre 1962, passa deux heures en tête à tête avec Ahmed Ben Bella, le président algérien, de passage à New York pour s’exprimer à la tribune des Nations unies, qui lui affirme que « la ségrégation et le colonialisme sont liés ».
Séduit, Martin Luther King écrira après leur rencontre : « Nous sommes frères. » Le pasteur n’est pas le premier à relever des similitudes entre la lutte pour l’indépendance et le combat contre l’apartheid.
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