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Par Brandon Turbeville – Le 16 mars 2017 Source Washington’s blog
Avec l’apparition récente de frictions entre deux factions différentes de l’État profond étasunien, se déroulant devant l’ensemble du pays, quelques médias alternatifs ont commencé à se demander si certains grands médias ne seraient pas liés à l’État profond, notamment la CIA. Vue l’ampleur inimaginable de la désinformation publiée et promue quotidiennement sur les chaînes grand public, tout cela pour pousser ce dernier à aller dans la direction désirée par l’establishment américain, il est difficile d’en douter. Car de telles connexions entre les grands médias américains et la CIA sont plus que de simples conjectures, elles sont bien connues et documentées depuis un certain temps.
Par exemple, à la fin des années 1940 et au début des années 1950, l’opération Mockingbird, un plan connu par de nombreux chercheurs aujourd’hui, mais que pratiquement personne ne connaissait à l’époque, consistait en un effort secret de la CIA pour influencer et contrôler les médias américains, afin d’influencer et de contrôler les informations reçues (ainsi que les opinions) du peuple américain. Le premier rapport sur ce programme est apparu en 1979 dans la biographie de Katharine Graham, propriétaire du Washington Post, écrite par Deborah Davis 1.
Davis y écrit que le programme a été créé par Frank Wisner, le directeur du Bureau de coordination des stratégies, une unité d’opérations secrètes placée sous l’autorité du National Security Council. Selon Davis, Wisner a recruté Philip Graham du Washington Post pour diriger le projet dans l’industrie des médias. Davis indique qu’« au début des années 1950, Wisner ‘possédait’ des membres respectés du New York Times, de Newsweek, de CBS et d’autres médias de communication ». Davis écrit également qu’Allen Dulles a convaincu Cord Meyer, qui devint l’un des principaux agents opérationnel de Mockingbird, de rejoindre la CIA en 1951 2.
Mais si le livre de Davis a été le premier à mentionner ce nom Mokingbird, Carl Bernstein s’était aussi penché sur l’influence de la CIA sur les médias, en 1977. Selon l’article de Bernstein paru dans le magasine Rolling Stone, après 1953 le programme de contrôle des médias a été supervisé par Allen Dulles, le directeur de la CIA. Bernstein dit que, à ce moment-là, la CIA exerçait son influence sur 25 journaux et agences de presse. Bernstein a écrit :
« Parmi les cadres qui ont prêté leur concours à l’Agence figuraient Williarn Paley du Columbia Broadcasting System, Henry Luce de Tirne Inc., Arthur Hays Sulzberger du New York Times, Barry Bingham Sr. du Louisville Courier-Journal et James Copley du Copley News Service. Parmi les autres organisations qui ont collaboré avec la CIA figurent l’American Broadcasting Company, la National Broadcasting Company, l’Associated Press, United Press International, Reuters, les journaux Hearst, Scripps-Howard, le magazine Newsweek, le Mutual Broadcasting System, le Miami Herald et le vieux Saturday Evening Post ainsi que le New York Herald-Tribune.
De loin, les plus précieuses de ces associations, selon les responsables de la CIA, ont été celles avec le New York Times, CBS et Time Inc.
L’utilisation par la CIA des médias d’information américains a été beaucoup plus étendue que les fonctionnaires de l’Agence ne l’ont reconnu publiquement ou même en sessions privées avec les membres du Congrès. Les grandes lignes de ce qui s’est passé sont indiscutables, les détails sont plus difficiles à trouver. Les sources de la CIA indiquent qu’un journaliste en particulier trafiquait dans toute l’Europe de l’Est pour l’Agence. Le journaliste dit que non, il venait seulement déjeuner avec les chefs de station. Les sources de la CIA disent catégoriquement qu’un correspondant bien connu de l’ABC travaillait pour l’Agence jusqu’en 1973 ; ils refusent de l’identifier. Un haut fonctionnaire de la CIA avec une mémoire prodigieuse dit que le New York Times a fourni une couverture pour une dizaine d’agents de la CIA entre 1950 et 1966 ; il ne sait pas qui ils étaient ni qui, dans la direction du journal, a fait ces arrangements.
Les relations privilégiées de l’Agence avec les « majors » de l’édition et de la radiodiffusion ont permis à la CIA de placer quelques-uns de ses agents les plus précieux à l’étranger, avec une bonne couverture, pendant plus de deux décennies. Dans la plupart des cas, les dossiers de l’Agence montrent que les fonctionnaires des plus hauts niveaux de la CIA (habituellement un administrateur ou le directeur adjoint) s’occupent personnellement d’un seul individu désigné dans la haute direction du média coopérant. L’aide fournie se présentait souvent sous deux formes : fournir des emplois et une « couverture journalistique » (dans le jargon de l’Agence) pour les agents de la CIA sur le point d’être placés dans les capitales étrangères ; et prêter à l’Agence des journalistes attitrés pour des missions particulières, y compris certains des correspondants les plus connus dans le monde journalistique.
Sur le terrain, les journalistes ont été utilisés pour aider à recruter et à traiter des étrangers comme agents ; à acquérir et évaluer des informations et déposer de fausses informations auprès de fonctionnaires de gouvernements étrangers. Beaucoup ont signé des accords de confidentialité, s’engageant à ne jamais divulguer quoi que ce soit au sujet de leurs relations avec l’Agence. Certains ont signé des contrats de travail. Certains ont été assignés à des officiers de l’Agence pour traiter certains cas spécifiques avec eux. D’autres avaient des relations moins structurées avec l’Agence, même s’ils accomplissaient des tâches semblables : ils étaient briefés par le personnel de la CIA avant les voyages à l’étranger, puis interrogés par la suite et utilisés comme intermédiaires avec des agents étrangers. De façon appropriée, la CIA utilise le terme « reporting » pour décrire une grande partie de ce que les journalistes ayant coopéré ont fait pour l’Agence. « Nous leur demandons : Voulez-vous nous faire une faveur ?, a déclaré un haut responsable de la CIA. Nous savons que vous allez en Yougoslavie. Ont-ils pavé toutes les rues ? Où avez-vous vu des avions ? Y avait-il des signes de présence militaire ? Combien de Soviétiques avez-vous vus ? Si vous rencontrez un Soviétique, obtenez son nom et épelez-le bien […] Pouvez-vous organiser une réunion ? Ou transmettre un message ? » Beaucoup de fonctionnaires de la CIA considéraient ces journalistes bien utiles comme des agents. Les journalistes avaient tendance à se considérer comme des amis de confiance de l’Agence en lui accordant des faveurs occasionnelles, généralement sans rémunération, mais pour l’intérêt national.
[…]
Au cours de l’enquête de 1976 sur la CIA par le Comité sénatorial du renseignement présidé par le sénateur Frank Church et nommée Comité Church, les membres de la commission et deux ou trois enquêteurs ont pris conscience de cette association avec la presse. Mais les hauts fonctionnaires de la CIA, dont les anciens directeurs William Colby et George Bush, ont persuadé le comité de restreindre son enquête sur la question et de délibérément dénaturer la portée réelle des activités dans son rapport final. Le rapport multi-volume ne contient que neuf pages dans lesquelles l’utilisation des journalistes est discutée dans des termes délibérément vagues et parfois trompeurs. Il n’est fait aucune mention du nombre réel de journalistes qui ont accompli des tâches secrètes pour la CIA. Il ne décrit pas non plus adéquatement le rôle joué par les cadres des journaux et des radiodiffuseurs dans la coopération avec l’Agence.
Ce genre de relations entre la presse et l’Agence ont commencé pendant les premières années de la Guerre froide. Allen Dulles, qui devint directeur de la CIA en 1953, chercha à établir une capacité de recrutement et de couverture au sein des institutions médiatiques les plus prestigieuses d’Amérique. En opérant sous le couvert de correspondants accrédités, Dulles pensait que les agents de la CIA à l’étranger se verraient accorder un degré d’accès et de liberté de mouvement impossible à obtenir sous presque tout autre type de couverture.
Les éditeurs américains, à l’instar de tant d’autres dirigeants institutionnels et du monde des affaires à l’époque, étaient disposés à consacrer les ressources de leurs entreprises à la lutte contre le « communisme international ». En conséquence, le point de vue traditionnel séparant la presse américaine et le gouvernement était souvent indiscernable. Une agence de presse était rarement utilisée pour couvrir les agents de la CIA à l’étranger sans le consentement de son propriétaire principal, du directeur ou de l’éditeur. Ainsi, contrairement à l’idée que la CIA a insidieusement infiltré la communauté journalistique, il est largement prouvé que les principaux éditeurs américains et les dirigeants de journaux se sont autorisés, à eux-mêmes et à leurs organisations, à se mettre au service des agences de renseignement. « Ne prenons pas de mauvais journalistes, pour l’amour de Dieu, s’est écrié William Colby, à un moment donné, aux enquêteurs du Comité Church. Allons à la direction, ils nous attendent à bras ouverts. » En tout, environ vingt-cinq organisations médiatiques, y compris celles qui sont énumérées au début de cet article, ont fourni une couverture à l’Agence.
Par Brandon Turbeville – Le 16 mars 2017 Source Washington’s blog
Avec l’apparition récente de frictions entre deux factions différentes de l’État profond étasunien, se déroulant devant l’ensemble du pays, quelques médias alternatifs ont commencé à se demander si certains grands médias ne seraient pas liés à l’État profond, notamment la CIA. Vue l’ampleur inimaginable de la désinformation publiée et promue quotidiennement sur les chaînes grand public, tout cela pour pousser ce dernier à aller dans la direction désirée par l’establishment américain, il est difficile d’en douter. Car de telles connexions entre les grands médias américains et la CIA sont plus que de simples conjectures, elles sont bien connues et documentées depuis un certain temps.
Par exemple, à la fin des années 1940 et au début des années 1950, l’opération Mockingbird, un plan connu par de nombreux chercheurs aujourd’hui, mais que pratiquement personne ne connaissait à l’époque, consistait en un effort secret de la CIA pour influencer et contrôler les médias américains, afin d’influencer et de contrôler les informations reçues (ainsi que les opinions) du peuple américain. Le premier rapport sur ce programme est apparu en 1979 dans la biographie de Katharine Graham, propriétaire du Washington Post, écrite par Deborah Davis 1.
Davis y écrit que le programme a été créé par Frank Wisner, le directeur du Bureau de coordination des stratégies, une unité d’opérations secrètes placée sous l’autorité du National Security Council. Selon Davis, Wisner a recruté Philip Graham du Washington Post pour diriger le projet dans l’industrie des médias. Davis indique qu’« au début des années 1950, Wisner ‘possédait’ des membres respectés du New York Times, de Newsweek, de CBS et d’autres médias de communication ». Davis écrit également qu’Allen Dulles a convaincu Cord Meyer, qui devint l’un des principaux agents opérationnel de Mockingbird, de rejoindre la CIA en 1951 2.
Mais si le livre de Davis a été le premier à mentionner ce nom Mokingbird, Carl Bernstein s’était aussi penché sur l’influence de la CIA sur les médias, en 1977. Selon l’article de Bernstein paru dans le magasine Rolling Stone, après 1953 le programme de contrôle des médias a été supervisé par Allen Dulles, le directeur de la CIA. Bernstein dit que, à ce moment-là, la CIA exerçait son influence sur 25 journaux et agences de presse. Bernstein a écrit :
« Parmi les cadres qui ont prêté leur concours à l’Agence figuraient Williarn Paley du Columbia Broadcasting System, Henry Luce de Tirne Inc., Arthur Hays Sulzberger du New York Times, Barry Bingham Sr. du Louisville Courier-Journal et James Copley du Copley News Service. Parmi les autres organisations qui ont collaboré avec la CIA figurent l’American Broadcasting Company, la National Broadcasting Company, l’Associated Press, United Press International, Reuters, les journaux Hearst, Scripps-Howard, le magazine Newsweek, le Mutual Broadcasting System, le Miami Herald et le vieux Saturday Evening Post ainsi que le New York Herald-Tribune.
De loin, les plus précieuses de ces associations, selon les responsables de la CIA, ont été celles avec le New York Times, CBS et Time Inc.
L’utilisation par la CIA des médias d’information américains a été beaucoup plus étendue que les fonctionnaires de l’Agence ne l’ont reconnu publiquement ou même en sessions privées avec les membres du Congrès. Les grandes lignes de ce qui s’est passé sont indiscutables, les détails sont plus difficiles à trouver. Les sources de la CIA indiquent qu’un journaliste en particulier trafiquait dans toute l’Europe de l’Est pour l’Agence. Le journaliste dit que non, il venait seulement déjeuner avec les chefs de station. Les sources de la CIA disent catégoriquement qu’un correspondant bien connu de l’ABC travaillait pour l’Agence jusqu’en 1973 ; ils refusent de l’identifier. Un haut fonctionnaire de la CIA avec une mémoire prodigieuse dit que le New York Times a fourni une couverture pour une dizaine d’agents de la CIA entre 1950 et 1966 ; il ne sait pas qui ils étaient ni qui, dans la direction du journal, a fait ces arrangements.
Les relations privilégiées de l’Agence avec les « majors » de l’édition et de la radiodiffusion ont permis à la CIA de placer quelques-uns de ses agents les plus précieux à l’étranger, avec une bonne couverture, pendant plus de deux décennies. Dans la plupart des cas, les dossiers de l’Agence montrent que les fonctionnaires des plus hauts niveaux de la CIA (habituellement un administrateur ou le directeur adjoint) s’occupent personnellement d’un seul individu désigné dans la haute direction du média coopérant. L’aide fournie se présentait souvent sous deux formes : fournir des emplois et une « couverture journalistique » (dans le jargon de l’Agence) pour les agents de la CIA sur le point d’être placés dans les capitales étrangères ; et prêter à l’Agence des journalistes attitrés pour des missions particulières, y compris certains des correspondants les plus connus dans le monde journalistique.
Sur le terrain, les journalistes ont été utilisés pour aider à recruter et à traiter des étrangers comme agents ; à acquérir et évaluer des informations et déposer de fausses informations auprès de fonctionnaires de gouvernements étrangers. Beaucoup ont signé des accords de confidentialité, s’engageant à ne jamais divulguer quoi que ce soit au sujet de leurs relations avec l’Agence. Certains ont signé des contrats de travail. Certains ont été assignés à des officiers de l’Agence pour traiter certains cas spécifiques avec eux. D’autres avaient des relations moins structurées avec l’Agence, même s’ils accomplissaient des tâches semblables : ils étaient briefés par le personnel de la CIA avant les voyages à l’étranger, puis interrogés par la suite et utilisés comme intermédiaires avec des agents étrangers. De façon appropriée, la CIA utilise le terme « reporting » pour décrire une grande partie de ce que les journalistes ayant coopéré ont fait pour l’Agence. « Nous leur demandons : Voulez-vous nous faire une faveur ?, a déclaré un haut responsable de la CIA. Nous savons que vous allez en Yougoslavie. Ont-ils pavé toutes les rues ? Où avez-vous vu des avions ? Y avait-il des signes de présence militaire ? Combien de Soviétiques avez-vous vus ? Si vous rencontrez un Soviétique, obtenez son nom et épelez-le bien […] Pouvez-vous organiser une réunion ? Ou transmettre un message ? » Beaucoup de fonctionnaires de la CIA considéraient ces journalistes bien utiles comme des agents. Les journalistes avaient tendance à se considérer comme des amis de confiance de l’Agence en lui accordant des faveurs occasionnelles, généralement sans rémunération, mais pour l’intérêt national.
[…]
Au cours de l’enquête de 1976 sur la CIA par le Comité sénatorial du renseignement présidé par le sénateur Frank Church et nommée Comité Church, les membres de la commission et deux ou trois enquêteurs ont pris conscience de cette association avec la presse. Mais les hauts fonctionnaires de la CIA, dont les anciens directeurs William Colby et George Bush, ont persuadé le comité de restreindre son enquête sur la question et de délibérément dénaturer la portée réelle des activités dans son rapport final. Le rapport multi-volume ne contient que neuf pages dans lesquelles l’utilisation des journalistes est discutée dans des termes délibérément vagues et parfois trompeurs. Il n’est fait aucune mention du nombre réel de journalistes qui ont accompli des tâches secrètes pour la CIA. Il ne décrit pas non plus adéquatement le rôle joué par les cadres des journaux et des radiodiffuseurs dans la coopération avec l’Agence.
Ce genre de relations entre la presse et l’Agence ont commencé pendant les premières années de la Guerre froide. Allen Dulles, qui devint directeur de la CIA en 1953, chercha à établir une capacité de recrutement et de couverture au sein des institutions médiatiques les plus prestigieuses d’Amérique. En opérant sous le couvert de correspondants accrédités, Dulles pensait que les agents de la CIA à l’étranger se verraient accorder un degré d’accès et de liberté de mouvement impossible à obtenir sous presque tout autre type de couverture.
Les éditeurs américains, à l’instar de tant d’autres dirigeants institutionnels et du monde des affaires à l’époque, étaient disposés à consacrer les ressources de leurs entreprises à la lutte contre le « communisme international ». En conséquence, le point de vue traditionnel séparant la presse américaine et le gouvernement était souvent indiscernable. Une agence de presse était rarement utilisée pour couvrir les agents de la CIA à l’étranger sans le consentement de son propriétaire principal, du directeur ou de l’éditeur. Ainsi, contrairement à l’idée que la CIA a insidieusement infiltré la communauté journalistique, il est largement prouvé que les principaux éditeurs américains et les dirigeants de journaux se sont autorisés, à eux-mêmes et à leurs organisations, à se mettre au service des agences de renseignement. « Ne prenons pas de mauvais journalistes, pour l’amour de Dieu, s’est écrié William Colby, à un moment donné, aux enquêteurs du Comité Church. Allons à la direction, ils nous attendent à bras ouverts. » En tout, environ vingt-cinq organisations médiatiques, y compris celles qui sont énumérées au début de cet article, ont fourni une couverture à l’Agence.
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