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Mouloud Feraoun le féministe

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  • Mouloud Feraoun le féministe

    Il était le père. Il était l’écrivain. L’instit, il l’était. Et il fut le fou amoureux de son épouse. Un amour rural et inédit ! Il s’appelle Mouloud Feraoun. Fouroulou, si vous voulez !
    Il fut le père d’Ali et de Fazia … tel père tel fils, tel père telle fille !
    En 1938, Mouloud Feraoun (1913-1962) s’est marié. Sa femme, la maman d’Ali et de Fazia n’est que Lalla Dehbia, une simple jeune femme kabyle. À l’image de la majorité des Algériennes de cette époque, la jeune femme était analphabète. Elle avait à peine seize ans, le jour du mariage, à l’image des jeunes filles mariées précocement.
    Lui, Mouloud Feraoun, le jeune homme, était instituteur du village Tizi Hibel. Être instituteur cela signifie qu’il appartenait à la classe d’élites, au rang des savants.
    Instituteur : cravate, élégance, cartable, tableau noir, craie blanche et rigueur. Mais Mouloud Feraoun l’instit était aussi hanté par la littérature universelle.
    Habité aussi par la culture berbère, celle de ses ancêtres, celle de Si Mohand Ou Mhand et les autres.
    Et parce qu’il était rêveur, la tête dans la poésie et les pieds dans la boue de la société kabyle colonisée et humiliée, Mouloud Feraoun cherchait une sortie de cette misère et cette sortie ne peut être possible que par le savoir d’un côté et par la révolution des opprimés afin de décrocher leur liberté, de l’autre côté.
    Jeune marié, il se trouvait en train de partager sa vie avec une jeune épouse qui avait l’âge de ses élèves, ou presque. Dans sa classe, il y avait des élèves de quinze ans ! Dahbia, sa femme en avait seize !
    Et le poète ne manque pas d’imagination et de rêve !
    Par un matin d’école, d’un jour kabyle, Mouloud Feraoun décide de ramener avec lui son épouse dans sa classe. Il lui a réservé une place parmi ses élèves. Ainsi sa femme est devenue son élève.
    Nous sommes en 1938 !
    Mouloud Feraoun remplit le rôle d’instituteur pendant la journée, accomplit le rôle d’époux hors heures d’école. Et assume, avec bonheur, le soir et les dimanches, le rôle du liseur de la littérature universelle, à sa femme. Épouse ou élève !?
    Mouloud Feraoun a décidé d’organiser des séances de lecture littéraires pour sa jeune femme. Pour elle seule, il lisait, à voix haute, les Tolstoï, les Gorki, les Proust, les Zola, les Balzac… La vie conjugale prend d’autres ailes !
    La jeune femme Lalla Dehbia, avec brio, jouait le rôle d’élève à l’heure de l’école, accomplissait, avec responsabilité, le devoir d’épouse à la maison, et personnifiait avec amour le rôle de la complice littéraire à l’heure des séances de lecture. Par cette relation inédite avec sa jeune épouse, Mouloud Feraoun voulait passer un message à la société traditionnelle, un appel pour la scolarisation de la fille. L’indépendance, comme la liberté, comme la révolution, ont besoin de la lumière, et la lumière c’est le savoir. Ce comportement féministe, humain et progressiste envers la jeune épouse, venant de la part d’un écrivain, d’un Mouloud Feraoun, dans une société rurale, n’est pas passé inaperçu et sans refus. Il a suscité la colère chez le père de Mouloud Feraoun. Ainsi, le grand-père trouvait dans le geste de son fils envers son épouse, la belle-fille, l’image d’un rebelle qui bouleverse le rituel du village. Certes cette génération de Mouloud Feraoun, de Mouloud Mammeri, de Mohamed Dib, de Kateb Yacine, de Malek Haddad, de Kaddour M’hamasadji, de Malek Ouari, de Nabile Farès, de Jean Amrouche… cette génération des bâtisseurs de la littérature algérienne produisait la bonne littérature romanesque ou poétique, mais produisait aussi une nouvelle idée de la femme, une idée qui dérangeait l’ordre établi dans une société traditionnelle et colonisée.
    Il n’y a pas de bonne littérature sans une bonne, sans une belle relation avec la femme. Avant de produire une belle littérature, il faut, d’abord, réaliser une belle vie avec la femme aimée et aimante !

    Amin Zaoui
    « La voix de la mer parle à l'âme. Le contact de la mer est sensuel et enlace le corps dans une douce et secrète étreinte. »

  • #2
    Merci Rosella pour cet article intéressant de l'écrivain Amine Zaoui.
    Amine Zaoui trouve souvent le moyen de surprendre voire provoquer ses lecteurs dans le but louable de les sortir des lieux communs et leur montrer de nouveaux chemins. Le thème de la vie privée de nos grands écrivains est encore peu exploré, cependant j'accepte volontiers l'a priori qu'ils ont été les précurseurs d'une révolution "souterraine" dans les relations hommes-femmes à l'intérieur des familles algériennes. Amine Zaoui nous en fournit un bel exemple en présentant un aspect peu connu de la vie à deux de Mouloud Feraoun et de son épouse Lalla Dehbia.

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    • #3
      Sa femme, la maman d’Ali et de Fazia n’est que Lalla Dehbia, une simple jeune femme kabyle.
      Dehbia, on la retrouve dans Le Fils du Pauvre.

      Mouloud Feraoun est l'auteur algérien qui me touche le plus.
      Un auteur si authentique, sans fioriture aucune...

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      • #4
        Bonsoir Slimane, Bachi

        Il est regrettable que Feraoun, Mammeri, Dib et bien d'autres sommités de la littérature algérienne ne soient pas assez enseignés à l'école.
        « La voix de la mer parle à l'âme. Le contact de la mer est sensuel et enlace le corps dans une douce et secrète étreinte. »

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        • #5
          Oui, Rosella, on ne regrettera jamais assez que l'objectif premier de l'école algérienne a dès le début de l'indépendance été de former des sujets passifs pas des citoyens actifs. Vu cet objectif plus idéologique que patriotique, on comprend facilement pourquoi nos grands écrivains - Dib, Feraoun, Mammeri, Kateb...ont toujours été scandaleusement peu inscrits aux programmes de l'école algérienne tous cycles confondus.
          Dernière modification par Slimane53, 04 avril 2017, 21h04.

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