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Religions sans frontières

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  • Religions sans frontières

    Dieu ne connaît pas de frontières. La globalisation religieuse est donc un phénomène planétaire. Mais les croyants veulent toujours se distinguer…
    Le burkini a fait les gros titres de la presse française durant l’été 2016. Ce vêtement, conçu par la styliste libano-australienne Aheda Zanetti, est un hybride sémantique de burqa et de bikini. Il dévoile une irruption de l’entre-soi islamique dans l’espace public : il couvre le torse, les membres et la chevelure. Il métisse maillot de bain, combinaison de plongée et pyjama à capuche. Seuls les pieds, les mains et le visage restent à l’air libre. À l’échelle planétaire, le burkini s’est écoulé, selon les dires de sa conceptrice, à un demi-million d’exemplaires depuis sa création en 2004. Ce qui est peu, même si les ventes bénéficient d’une hausse constante.

    La mondialisation offre aux religions de nombreuses opportunités. Et celles-ci sont d’abord médiatiques. Car ce qui circule le mieux sur la planète aujourd’hui, ce sont les nouvelles, sur le burkini comme sur les prises de position du pape. Un média comme Internet favorise aujourd’hui l’image, en photo ou vidéo. Un moyen optimal de plonger le grand public dans l’émotion partagée. Les publicistes de l’islam ou du christianisme ont beau jeu de souligner ainsi que « leurs » croyants sont victimes d’injustices un peu partout dans le monde, entre musulmans rohingyas persécutés en Birmanie et chrétiens d’Orient fuyant les milices islamistes en Irak.

    Une religion prospère par l’évangélisation, la diffusion de « bonne nouvelle ». Ce pourquoi elle ne survivra que si elle est à la pointe en termes de médias. Le christianisme naissant a exploité le codex, le livre de poche relié, pour se diffuser. Le protestantisme a pu se répandre grâce à la révolution informative qu’était l’imprimerie.

    Un regain de visibilité du religieux

    Plus récemment, depuis les années 1980, se manifeste en France et dans le monde un regain de visibilité du religieux, dont nous avons tous en tête quelques indices, telles l’irruption limitée du burkini sur les plages, ou ces prises de position catholiques soutenues par des élites politiques qui flattent ainsi un électorat minoritaire mais fortement mobilisé… Mais à quoi sert vraiment le burkini ? Plusieurs interprétations ont été avancées. Toutes ont un fond de vérité. Car elles dévoilent une part des intentions de celles qui portent cette tenue. Il est possible de diviser arbitrairement les croyants en trois catégories types, le dévot, le bricoleur et le prosélyte et cette typologie s’applique aux porteuses de burkini (encadré ci-dessous).

    Aujourd’hui, les religions qui progressent le plus vite sur la planète sont des versions renouvelées des anciennes, dopées par la maîtrise des réseaux : l’islam rétrograde des wahhabis amène à un durcissement des pratiques religieuses par le financement de mosquées et d’écoles à grand renfort de pétrodollars ; le protestantisme émotionnel des évangéliques leur permet de transformer en universaux les valeurs consuméristes américaines (culte du self-made-man, où la réussite économique est exaltée comme la faveur de Dieu à celui qui croit en Lui) ; le néobouddhisme s’exporte en mettant l’accent sur certaines valeurs clés, comme les recettes pour supporter la souffrance morale… Les religions en deviennent « ignorantes », souligne l’islamologue Olivier Roy. Pour être comprises, elles se libèrent de dogmes qui ne feraient pas sens chez les nouveaux convertis, et adaptent des discours simplifiés.

    Se diffuser et se fragmenter

    Selon le cabinet d’études Pew Research Center, à l’échelle planétaire, deux tendances sont à l’œuvre : les pays développés (Europe, Japon, et secondairement Amérique du Nord) continuent à se séculariser doucement. Mais ils représentent des parts décroissantes de la population mondiale. Les religions prosélytes (islam sunnite teinté de valeurs wahhabies, protestantisme évangélique, néoreligions orientales…) progressent dans les pays émergents. Les dynamiques démographiques nous entraînent vers une planète davantage croyante.

    La messe est-elle dite ? Pas vraiment. Car la seconde tendance est à l’éclatement. La multiplication des Églises évangéliques en atteste. C’est une chose que de diffuser des croyances en les simplifiant, c’en est une autre que de conserver un consensus. La mondialisation favorise la constitution de communautés hétérodoxes. Celles-ci adaptent le dogme global à leurs besoins locaux, piochant librement dans les croyances des autres rendues précisément accessibles par la globalisation. Ce pourquoi on voit aujourd’hui des catholiques d’Amérique latine devenus évangéliques croire en la réincarnation et aux esprits du vaudou. Dieu y reconnaîtra-t-il ses brebis ?
    Trois figures de croyants

    • Le dévot s’applique à vivre sa foi. Il se reconnaîtra dans toutes ces communautés repliées dans une routine quasi sectaire, en une perfection rituelle acharnée à éviter la souillure que représente le contact avec l’autre. En islam, il trouvera refuge dans un mouvement comme le salafisme piétiste ; en christianisme, dans des sectes comme celle des amish. Et de plus en plus souvent, dans des communautés de pensée virtuelles fonctionnant en vase clos sur Internet. Quant à la dévote en burkini, elle vit sa foi selon les critères contemporains de l’islam. Ceux-ci valorisent une application stricte des textes saints au fil d’une exégèse restrictive : quoiqu’elle fasse, une croyante décente est censée se couvrir les cheveux, dissimuler son corps…

    • Le bricoleur pioche à gauche et à droite des éléments issus de différents contextes spirituels. La mise en contact planétaire d’éléments religieux divers fait aujourd’hui son bonheur : un catholique s’initie à la méditation zen, un imam égyptien pioche dans les valeurs de showman des télévangélistes états-uniens… Dans le cas du burkini, la bricoleuse combine les exigences patriarcales de sa religion pour se ménager un espace de liberté, s’afficher dans l’espace public, bénéficier des joies de la baignade… Autant de notions modernes sur lesquelles les grands juristes musulmans, qui ont posé par écrit le droit islamique il y a plus de dix siècles, n’ont pas eu l’occasion de légiférer.

    • Le prosélyte s’emploie à convertir. Plusieurs techniques existent, et la mondialisation dope leur efficacité. Le spectre s’étale des conversations individuelles au hasard du porte-à-porte par les Témoins de Jehovah ou l’organisation musulmane du Tabligh, à l’assistance humanitaire opérée par des ONG islamiques ou protestantes plus ou moins conditionnée par la conversion des récipiendaires, en passant par l’hameçonnage sur les réseaux sociaux informatiques… La prosélyte en burkini l’utilise à des fins publicitaires. En France, plusieurs maires ont jugé que le vêtement portait atteinte à l’ordre public et l’ont interdit. Ce qui a entraîné des procès, médiatiquement commentés dans le monde entier. Des journaux américains et des idéologues salafistes ont dénoncé des atteintes aux libertés religieuses, tandis qu’en France, certains soulignaient que ce vêtement symbolisait la soumission des femmes à un ordre religieux rétrograde.
    Gardons à l’esprit que ces trois figures sont des idéaux-types. Tout croyant est, en proportions diverses, dévot, bricoleur et prosélyte. Et mettons de côté une quatrième figure, celle du fanatique : une personne manipulée qui, soit par dévotion (si Dieu me l’ordonne, je ferai n’importe quoi), soit par prosélytisme (si je fais cela, je montrerai au monde entier la vérité de ma foi), pousse une logique religieuse à des extrémités que la morale réprouve.


    SH


    Laurent Testot
    Journaliste et conférencier, il publiera en avril 2017 Cataclysmes. Une histoire environnementale de l’humanité, Payot.
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