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Nala Aloudat : "L'islam s'est enrichi de l'histoire et de traditions locales"

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  • Nala Aloudat : "L'islam s'est enrichi de l'histoire et de traditions locales"

    ENTRETIEN. La commissaire de l'exposition "Trésors de l'Islam en Afrique, de Tombouctou à Zanzibar" à l'IMA nous en délivre les tenants et les aboutissants

    Inaugurée le 13 avril par le président français Hollande en présence de ses homologues du Burkina Faso, Marc Christian Roch Kaboré, du Mali, Ibrahima Boubacar Keïta, de Mauritanie, Mohamed Ould Abdel Aziz, avec Jack Lang, président de l'Institut du monde arabe, l'exposition « Trésors de l'Islam en Afrique, de Tombouctou à Zanzibar » va se tenir jusqu'au 30 juillet 2017.

    Riche de manuscrits rares et de nombreux autres témoignages de l'islam en Afrique, cette exposition se veut l'écho de la vigueur et de la pluralité de l'islam en deçà du Sahara et sur les bords de l'océan Indien. Pour Le Point Afrique, Nala Aloudat, sa commissaire dénoue les fils de cet écheveau islamique africain.

    Le Point Afrique : En quoi est-il pertinent d'organiser aujourd'hui une exposition sur ce thème des « Trésors de l'Islam en Afrique, de Tombouctou à Zanzibar » ?

    Nala Aloudat : Il s'agit tout d'abord d'un sujet inédit. Aujourd'hui, bien souvent la question de l'islam est exclue de l'exposition des arts de l'Afrique subsaharienne, et à l'opposé, l'Afrique subsaharienne n'est jamais représentée dans les grandes collections d'art islamique. Il était d'autant plus urgent de faire cette exposition qu'aujourd'hui les préjugés sur l'islam et sur l'Afrique se multiplient. Par ailleurs, et c'est sans doute le véritable élément déclencheur du projet, la situation que connaissent certains pays africains avec la présence de djihadistes radicaux sur leur territoire remet en cause des siècles de tradition de l'islam en Afrique

    Le mot « Trésors » ne peut qu'attiser la curiosité du public. Pouvez-vous lever le voile sur deux ou trois trésors que vous proposez de découvrir dans cette exposition ?

    Une sélection inédite de manuscrits provenant de Tombouctou constitue l'un de nos plus grands trésors. Ils témoignent de l'effervescence intellectuelle qui régnait dans ce grand centre urbain à partir de la fin du XVIe siècle et abordent des disciplines extrêmement variées : la religion, bien entendu, mais également les mathématiques, l'histoire, la littérature, la prosodie, la géographie… Ils sont d'autant plus précieux que nous avons bien failli ne jamais plus les voir : en 2012, c'est avec beaucoup de courage qu'ils ont pu être sauvés des destructions menées par les djihadistes

    Les architectures religieuses constituent également des trésors de l'exposition. Nous en montrons différents types à travers le continent. L'exemple des mosquées rurales en banco de la vallée du Niger est particulièrement frappant. Dans l'exposition, des photographies en noir et blanc révèlent leur beauté sculpturale et la grande diversité de formes qu'elles adoptent.

    Mais sur cette question des « trésors », au-delà de l'esthétisme de nombreuses pièces exposées (orfèvrerie, broderie, sculpture du bois…), on peut également entendre le mot en écho à ce qu'en dit l'historien François-Xavier Fauvelle : « Il n'y a de trésors que là où manque la documentation archéologique qui aurait dû accompagner la découverte. Fruits de collectes hâtives, de fouilles désinvoltes ou sélectives, les trésors sont peut-être une aubaine pour l'historien ; ils sont à coup sûr l'illustration des processus d'élimination qui ont ramené toute la documentation potentielle d'un site, voire d'une région ou d'une période, à cette forme résiduelle. Le trésor est ce qui demeure quand tout le reste a disparu. »

    Quel angle d'approche avez-vous choisi pour faire de cette exposition un tournant dans la connaissance et l'appréciation de l'islam en Afrique ?

    Nous avons choisi d'aborder la question par différents biais, afin de ne pas l'enfermer dans une approche qui soit, ou bien uniquement historique, ou bien purement religieuse.

    Si la première partie retrace l'histoire de la diffusion de l'islam en Afrique subsaharienne, la seconde en dresse un portrait plus actuel, en témoignant des différentes pratiques de l'islam sur le continent. La dernière section ouvre le parcours au-delà du fait religieux, à la création. L'art et l'artisanat sont mis à l'honneur, car ils révèlent l'existence d'une véritable culture matérielle liée à l'islam.

    L'autre spécificité de notre approche est que tout au long du parcours, l'art contemporain dialogue avec les œuvres patrimoniales : il interroge les différentes thématiques et structure la scénographie. L'idée était de mettre en avant toute la contemporanéité de ce sujet qui fait écho au quotidien dans beaucoup de pays africains.

    Que dit l'existence de manuscrits islamiques du rapport de l'Afrique à l'écrit ?

    Elle rappelle que, contrairement à ce qu'on a longtemps voulu croire, l'Afrique subsaharienne ne se résume pas à l'oralité. Dès le XVIe siècle, des manuscrits circulent sur le continent et de grands centres d'enseignement émergent comme Kano au Nigeria, Harar en Éthiopie, ou encore Djenné et Tombouctou au Mali.

    La cohabitation entre islam et pratiques anté-islamiques (masques, rituels animistes) ne manque pas d'interroger. Que dire pour dissiper tout malentendu quant à l'islam en Afrique ?

    Il faut rappeler que dans la plupart des aires géographiques dont nous traitons dans l'exposition, l'islam a durant des siècles assimilé plutôt que détruit. Dans la région qui correspond à l'actuelle Côte d'Ivoire par exemple, à partir du XIe siècle, la coexistence de l'islam avec d'autres traditions religieuses est bien connue. Elle explique que nous trouvons dans l'exposition un certain nombre de masques du XIXe siècle qui ont été utilisés dans le cadre de cérémonies religieuses musulmanes. C'est pour cela que nous parlons d'une « appropriation » : l'islam s'est enrichi dans chacune des régions où il s'est implanté de l'histoire et de traditions locales.

    Vous avez choisi d'introduire l'art et l'artisanat dans le quotidien des musulmans dans cette exposition. Pourquoi et quelles indications pouvez-vous nous donner quant à vos choix pour les illustrer ?

    Nous avons souhaité le faire, car les cultures musulmanes en Afrique ont une production qui se distingue de celle du reste du monde musulman. Il faut impérativement qu'elle ait une place aujourd'hui dans l'étude des arts de l'Islam.

    Nous montrons d'une part la circulation des formes et des savoir-faire à travers le continent, et d'autre part les différentes spécificités régionales, ou spécialités : je peux citer l'exemple des boubous brodés dont nous présentons les différents types en Afrique de l'Ouest, ou encore la calligraphie qui nous permet de différencier six styles d'écriture d'est en ouest du continent.

    S'il vous fallait en quelques mots qualifier l'islam en Afrique, vous diriez…

    Je dirais que l'islam est pluriel, et que cette pluralité est particulièrement frappante en Afrique, où les différentes régions islamisées ont pu développer avec une certaine indépendance leur propre culture de l'islam. Et c'est cette pluralité qui fait l'extraordinaire richesse du patrimoine musulman africain.

    lePoint fr
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