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LARBI BEN M'HIDI par Benyoucef Benkhedda

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  • LARBI BEN M'HIDI par Benyoucef Benkhedda

    -LARBI BEN M'HIDI
    par Benyoucef Benkhedda

    Sans Ben M'hidi le Congrès de la Soummam n'aurait pas réussi, et Abane n'aurait pu faire triompher ses thèses.

    Ben M'hidi était le type-même du militant PPA chez qui nationalisme et religion étaient intimement mêlés, vivant au rythme du peuple, partageant ses joies et ses peines, ses vicissitudes et ses aspirations, toujours prêt à le servir.

    Mohammed-Larbi Ben M'hidi est né en 1923 dans une zaouïa, au douar El-Kouahi, à 50 kms environ de Constantine. Comme les centaines - ou milliers - de zaouïa qui parsemaient l'Algérie, celle des Ben M'hidi dispensait un enseignement arabe, l'étude du Coran et donnait une formation morale adéquate. Toutes ces zaouïa étaient des centres de résistance à l'envahissement culturel de l'occupant, aux essais d'évangélisation entrepris par l'Eglise, et aux tentatives d'assimilation que la France menait systématiquement dans tous les domaines, afin de faire de l'Algérie une «province française» et de la dépouiller de ses valeurs séculaires arabo-islamiques.

    En 1943, Si Larbi adhère au PPA. La Seconde guerre mondiale battait son plein et les Anglo-Américains avaient débarqué en Afrique du Nord véhiculant avec eux les principes universels de la Charte de l'Atlantique relatifs aux libertés fondamentales et au droit des peuples à disposer d'eux-mêmes. Il s'en suivit, dans les années 1944-1945, en Algérie, une atmosphère de détente à la faveur de laquelle fut lancé un grand mouvement populaire: les AML (les Amis du Manifeste de la Liberté) qui regroupait le PPA, l'Association des Oulama et les élus proches de Ferhat Abbas, que ce dernier présidait. Si Larbi en était l'animateur à Biskra.

    En quelques mois, le mouvement atteint les coins les plus reculés du pays et les colonialistes prennent peur devant la vague nationaliste qui déferle partout.

    L'armistice est annoncé pour le 8 mai 1945 et le PPA appelle les Algériens à manifester en faveur de l'Indépendance. Si Larbi est à la tête du défilé à Biskra. Il est arrêté le lendemain, puis relâché au bout de trois ou quatre semaines. Il sera bouleversé et traumatisé par le génocide de mai 1945 perpétré par l'armée française, témoin qu'il fut du spectacle insoutenable des massacres collectifs de civils. Le bilan est effarant: 45 000 morts; en outre l'unité des AML est brisée suite aux arrestations dont ils sont l'objet.

    Le PPA en tire aussitôt la leçon: l'absence d'une organisation armée capable de s'opposer à la violence colonialiste. En 1947 il crée l'OS (Organisation spéciale) sa branche militaire. Mohammed Belouizdad est chargé de la diriger. Si Larbi est désigné pour mettre sur pied l'organisation de l'OS dans le Constantinois. Il sera membre de l'état-major régional de cette structure.

    En 1950, il échappe avec Boudiaf à la grande répression qui frappe l'OS dont l'état-major est arrêté y compris son chef: Ben Bella. En 1954, Ben M'hidi participe à l'Assemblée des «22» du CRUA, et quatre mois après, le 23 octobre, il fait partie des «6» qui prirent la décision historique de l'action insurrectionnelle du 1er Novembre. Il se voit attribuer la responsabilité de toute l'Oranie, vaste département de l'Ouest, qui s'étend de l'Algérois aux confins du Sahara et de la frontière marocaine.

    Boudiaf et Ben M'hidi se déplacent entre Nador (Riff marocain), Madrid et Le Caire à la recherche des armes, problème vital pour les maquis naissants. Au Caire, Si Larbi rejette catégoriquement le fait que «les frères» égyptiens s'immiscent dans les affaires de la délégation extérieure du FLN; il dénonce le choix porté par Fethi Dib sur Ben Bella pour en faire l'interlocuteur du FLN auprès du Raïs. On rapporte qu'au cours d'une discussion houleuse avec Ben Bella, Ben M'hidi prit la décision de quitter Le Caire et de retourner au pays. Il se rendit au Maroc où il confia l'intérim de la zone 5 (Oranie) à Boussouf; puis, il rentra en Algérie.

    Je l'accueillis moi-même un jour de mai 1956, à la gare d'Alger où il arriva par le train de nuit en provenance d'Oran, installé dans un wagon-lit, et muni de faux papiers. (La surveillance policière n'était pas aussi draconienne qu'elle le sera quelques mois après, lorsque la bataille d'Alger atteindra son paroxysme au début de l'année 1957). Je le mis en contact avec Abane chez Mohammed Ouamara (Rachid) 133 bis, Boulevard du Télemly, siège de notre PC. Les deux chefs ne se quitteront plus. Ils se retrouvent constamment, le plus souvent chez Rachid. Une totale unité de vue avait fini par régner entre eux, favorisée par la formation politique et militante identique qu'il avaient reçue au PPA-MTLD. La même conception de la lutte dans ses aspects politique et militaire, la même appréhension de voir la Révolution instrumentalisée de l'extérieur, les mêmes priorités les rapprochaient et guidaient leurs pas. Surtout, ils partageaient avec une impérieuse ferveur l'impératif de l'unité patriotique du peuple algérien. C'était un mot d'ordre auquel ils tenaient viscéralement pour l'avoir pratiqué et développé à l'époque du PPA-MTLD, quand le Parti en avait fait un argument de bataille d'une portée psychologique sans pareille, plusieurs années durants avant 1954.

    Chez Ben M'hidi, la nécessité d'une stratégie unitaire était renforcé par l'expérience qu'il avait vécue à Biskra en 1944-1945 au sein des AML. Là, il eut l'occasion de se «frotter» avec des personnalités de l'Association des Oulama et d'autres formations qui n'étaient pas de sa sensibilité. Par exemple, le Docteur Saâdane, un ami personnel de Ferhat Abbas qui avait beaucoup d'affection et de sympathie pour Si Larbi dont il appréciait le courage et le dévouement à la cause publique, alors même qu'une notable différence d'âge les séparait.

    L'identité de vue entre Ben M'hidi et Abane est définitivement scellée au moment où ils quittent Alger, en route pour le Congrès, escortés par les hommes de Déhilès. Au Congrès de la Soummam, l'appui de Ben M'hidi à Abane sera déterminant. Sans lui, ce dernier n'aurait pu faire triompher ses conceptions.

    En effet, pour Zighoud et les éléments du Nord-Constantinois, Abane était un inconnu. En dehors de son militantisme au PPA-MTLD et de son séjour en prison, ils ne connaissaient pas grand'chose de lui. Par contre, ils avaient une entière confiance en Krim et Ouamrane avec lesquels ils entretenaient d'excellents rapports, ainsi qu'en Ben M'hidi: membre de l'OS dès sa création en 1947, membre des «22» du CRUA, puis du Comité des «6 historiques» du 1er Novembre 1954, c'étaient là autant de titres et de références qui imposeront Si Larbi comme l'homme du consensus. Entouré de respect et de considération, ce n'est pas un hasard si l'honneur de présider les travaux du Congrès lui reviendra. Le succès de la Soummam est donc à porter au compte non du seul Abane mais, davantage, au compte du tandem exemplaire qu'il formait avec Ben M'hidi.

    Ben M'hidi était un homme pieux, nourri des principes coraniques; il pratiquait assidûment sa prière partout où il allait. Il était profondément attaché aux valeurs islamiques contenues dans le programme du PPA-MTLD, et reprises dans la Proclamation du 1er Novembre 1954. Dans le Parti, on le surnommait «carburation» et pour cause! L'esprit vif, il était toujours en mouvement, et son activisme inné lui faisait répéter: «Il faut donner au Parti de la carburation», voulant dire par là des motifs d'action. En fait il était l'ennemi de tout immobilisme.

    Il avait l'Algérie dans le sang. Hamid Ouamara, le fils de Mohammed Ouamara, chez qui nous avions établi en 1956-1957 notre PC, rapporte l'anecdote suivante: «Les débats du CCE ce jour-là, avaient pris un tour passionné. Si Larbi, nerveusement, et sans qu'il s'en rende compte, tailladait la table avec un petit canif. La réunion terminée et une fois les membres du CCE partis, je poussais la curiosité de voir ce qu'il avait dessiné. Il avait gravé dans la table en bois de chêne, réputé pour sa dureté, la phrase suivante: «L'Algérie libre vivra!», des mots qui témoignent de sa passion patriotique.»

    L'activité militante de Ben M'hidi ne l'empêchait pas d'avoir d'autres activités sociales et culturelles. Il aimait le théâtre et il avait adapté à l'arabe la pièce Pour la Couronne de François Coppée. Il y tenait le rôle de Constantin défenseur de la patrie contre son père, le roi Michel qui, pour conserver son trône, acceptait toutes les compromissions et se soumettait aux pires diktats de l'occupant.

    Dans son jeune âge, Ben M'hidi avait fait partie des SMA (Scouts Musulmans Algériens). Il avait été aussi joueur et dirigeant de l'équipe de football locale: l'USB (Union sportive de Biskra). Dans la lutte, il avait pour principe d'entraîner aussi bien les jeunes que les vieux. Pour lui, tous les Algériens, quel que soit leur âge ou leur condition sociale, sont appelés à lutter pour l'indépendance de leur pays. Là encore, une autre anecdote de Hamid: «Un jour, je servais de la limonade aux cinq membres du CCE réunis autour de la grande table du salon. Mon père était assis parmi eux. Arrivé au tour de Ben M'hidi, celui-ci me fit signe de stopper: «Arrête, me dit-il, apporte un verre.» Ce que je fis immédiatement. Il plaça les deux verres vides devant lui, les remplit et offrit, l'un à mon père, l'autre à moi-même et me dit: Bois! C'est la génération de ton père et ta génération, Hamid, qui ensemble, libèreront l'Algérie.»

    Pour Ben M'hidi, comme pour Abane, l'indépendance demeurerait une chimère sans l'unité effective du peuple. Tous les soulèvements et autres mouvements de résistance contre le système colonial n'avaient-ils pas été une succession d'échecs y compris du temps de Abdelkader, et cela, faute d'unité dans le combat collectif et faute de direction nationale ? La grande leçon de l'occupation coloniale de l'Algérie par la France ne réside-t-elle pas dans l'incapacité des Algériens d'opposer un front sans fissures à l'adversaire ? Seul le FLN, un siècle plus tard, saura cimenter cette unité des rangs et des objectifs et l'inscrire génialement dans une logique de victoire inéluctable.

    La stratégie du consensus et de l'union nationale a été rondement menée par ces deux champions de l'unité tous azimuts que furent Abane et Ben M'hidi. Le succès du Congrès de la Soummam est leur œuvre commune. Travaillant en tandem, dans une intelligente et constante concertation, ils furent non seulement des acteurs-phares de notre lutte, mais aussi, on ne le soulignera jamais assez, des partenaires d'égal mérite. Ils se sont complétés l'un l'autre dans la tâche gigantesque de consolidation du mouvement de libération à un moment crucial de son histoire: quand il fallut, à partir du printemps 1956, gérer avec audace et maîtrise, son passage du stade insurrectionnel initial à la phase révolutionnaire proprement dite. Et là, leur apport, stratégiquement parlant, a été à la fois immense et décisif. Sans eux, on n'aurait donné cher ni de la tenue des assises de la Soummam, ni de l'élaboration d'une plateforme qui aura permis malgré tout à la Révolution algérienne de se situer politiquement et militairement, et de se doter d'un édifice institutionnel conséquent. Pour avoir énergiquement contribué à asseoir la légitimité et la légalité révolutionnaires, et à mettre en place un programme cohérent et une direction homogène, ils ont droit à notre reconnaissance. Que grâce leur soit rendue de toute notre ferveur.
    Les libertés ne se donnent pas, elles se prennent

  • #2
    BELKACEM KRIM et son rôle dans la Révolution Algérienne par Benyoucef Ben Khedda

    BELKACEM KRIM
    et son rôle dans la Révolution Algérienne
    par Benyoucef Ben Khedda

    Krim Belkacem est l'un des grands noms de la Révolution Algérienne que l'on retrouve associé aux grands événements de l'histoire de notre Guerre de libération: chef de la Kabylie du PPA-MTLD avant 1954,
    membre du groupe des « six » c'est à dire de l'état-major initial de la Révolution, membre de la direction du FLN sans discontinuité de 1954 à 1962, signataire des Accords d'Evian à la veille du 19 mars 1962.
    Un nom ignoré d'une grande partie de la jeunesse algérienne, comme des milliers d'autres, occultés par tous les régimes en place depuis l'indépendance pour peu qu'ils se soient refusé à se mettre à leur entière dévotion.

    Bien avant 1954, il a parcouru à pied ou à dos de mulet le Djurdjura, ses monts et ses vallées pour semer le nationalisme et l'idée d'indépendance de l'Algérie.

    L'on a tendance chez nous à ne voir l'histoire de notre pays qu'en fonction de tel ou tel personnage sans se soucier du rôle fondamental joué par l'école de sa formation sur le terrain. Cette école-là est celle du nationalisme pur et dur, incarnée par le PPA-MTLD. C'est en son sein que furent nourris de patriotisme sans concession des centaines de militants qui, à l'instar de Krim, y assimileront les principes du radicalisme anti-colinialiste, et constitueront, plus tard, tout naturellement, l'ossature du FLN. Du PPA-MTLD Krim a puisé et affiné les quatre piliers qui fondent sa pédagogie de militant activiste de la première heure:

    l'idée d'indépendance, dont il a fait son credo, et qu'il a poursuivie avec une obstination et une ténacité intransigeantes jusqu'à sa concrétisation finale;
    l'organisation des masses sans laquelle les idées les plus généreuses ne serait qu'illusions et chimères;
    le principe de la lutte armée qui, dès 1948, inspira son itinéraire de maquisard en rupture de ban avec la légalité coloniale, et à la mise en oeuvre duquel il participera en pionnier convaincu que le colonialisme, intrinsèquement violent et injuste, ne saurait se réformer de lui-même;
    une idéologie fondée sur les valeurs islamiques dont on retrouve l'impact dans la Proclamation du Premier novembre 1954.
    Cependant ces idées forces s'avéraient insuffisantes pour entraîner le peuple dans le combat. Elles exigeaient la recherche constante de l'union nationale, une union nationale que le PPA-MTLD avait érigé en objectif majeur de lutte conséquente et durable.

    C'est donc là, dans le PPA-MTLD, que le militant a appris à aimer sa patrie, son peuple, sa langue, sa religion. C'est dans ses rangs qu'ont surgi ceux qui ont déclenché l'action insurrectionnelle du Premier novembre 1954 et la presque totalité de ceux qui ont mené le combat jusqu'à l'indépendance.

    Krim et le CRUA

    La crise au sommet du PPA-MTLD, qui a éclaté au printemps de 1954, a provoqué la scission entre les Centralistes et Messali. Un troisième groupe apparut: le CRUA, composé des anciens de l'OS, qui affirme sa «neutralité» entre les deux factions. Krim qui, à l'époque, était chef de la Kabylie du PPA-MTLD, penchait plutôt pour Messali, qu'il créditait d'un engagement sincère en faveur de l'action armée. Cela explique que les «22» du CRUA ne l'aient pas intégré à eux lors de leur réunion d'El Madania de juillet 1954. N'empêche qu'au lendemain de cette réunion, Boudiaf et Ben Boulaïd parviennent à le contacter et à le convaincre de la thèse du CRUA. Avec son second, Ouamrane, Krim finit par adhérer à leur décision de passer à l'action directe dans un proche avenir, et il se joint à eux. Désormais il est membre du groupe des «six» qui prendra la décision historique de déclencher l'action insurrectionnelle du Premier novembre 1954.

    Yves Courrière dans son livre Les fils de la Toussaint déforme la vérité historique. Il tente de faire croire que Krim aurait été écarté de la liste des «22» pour des motifs régionalistes «en vertu du vieil antagonisme arabo-berbère» dit-il. C'est faux. Au début de la crise opposant les Centralistes à Messali, Krim de bonne foi, avait cru devoir prendre parti pour ce dernier. Mais, à la suite de ses discussions avec Boudiaf et Ben Boulaïd, il s'était rendu compte de son erreur et, en conséquence, se rangea promptement dans leur camp. C'est ainsi que la Kabylie fut présente au rendez-vous du Premier novembre 1954. En fait la version d'Yves Courrière procède de l'idéologie colonialiste: Diviser pour régner, l'adage bien connu: partir d'une vérité pour affirmer un mensonge. (Hak ourida bihi batel).

    Au début de l'année 1955, Krim cautionne Abane à sa sortie de prison. Il lui confie la responsabilité de l'organisation FLN de la ville d'Alger quand, en mars de la même année, Bitat sera arrêté.

    Il se distingua dans la mise en échec de l'opération dite de la «Force K» plus connue sous le nom de « L'affaire de l'oiseau bleu », qu'il supervisa personnellement. Il s'agissait, rappelons-le, d'une opération montée par les services français en vue d'injecter dans les maquis de Tigzirt et d'Azzefoun trois cents éléments triés sur le volet et armés de fusils et de mitraillettes. En contact avec la wilaya III, l'ensemble de ces éléments ralliera l'ALN avec armes et bagages fin septembre 1956.

    Krim a été, avec Zighoud et Abane, l'un des quelques initiateurs du Congrès de la Soummam et l'un de ses participants les plus en vue. Il apporta le prestige de son nom à ce Congrès historique, dont le mérite fut double: doter la Révolution d'une Direction absente de la scène politique et militaire dès après le déclenchement du Premier novembre 1954, et en faire le porte-parole de l'Algérie en guerre; poser une exigence de principe la nécessité de «cimenter l'union nationale anti-impérialiste» afin de libérer la patrie au nom du combat unanime de tous ses enfants.

    Le signataire des Accords d'Evian

    C'est à lui que revint l'honneur d'avoir apposé sa signature au bas des Accords d'Evian, mission dont l'investit le GPRA, au nom du FLN.

    D'abord secrètes (et cela dès 1956), les négociations ne sont devenue officielles qu'après les manifestations historiques de décembre 1960 quand le peuple algérien est descendu dans la rue, à Alger et dans les grandes villes, aux cris de «Vive l'Algérie musulmane», «Vive le GPRA».

    Elles ne prirent fin qu'à la veille du 19 mars 1962. Elles furent ponctuées par des difficultés majeures consécutives aux divergences fondamentales qui opposaient le GPRA au général de Gaulle.

    Celui-ci, comme tous les gouvernements qui se sont succédés à Paris, a d'abord joué la carte de la division. Il mit ainsi en avant sa fameuse théorie de «l'Algérie algérienne», laquelle serait «associée à la France et en union étroite avec elle (la France) pour l'économie, l'enseignement, la défense, les relations internationales». C'est, sans plus, l'autonomie interne, c'est-à-dire la souveraineté limitée. Et comme si cette limitation ne suffisait pas, de Gaulle conçut le projet de fractionner la nation. Il misa sur la création de régions autonomes plaquées sur les communautés ethniques existantes, et cela, dit-il, «afin que les communautés diverses, française, arabe, kabyle, mozabite etc., qui cohabitent dans le pays, y trouvent des garanties quant à leur vie propre et un cadre pour leur coopération». Une telle solution, qui se voulait d'inspiration fédérale n'était au fond qu'un stratagème destiné à institutionnaliser un régionalisme à base plus ou moins tribaliste voire même raciste. Son but? Asséner un coup mortel à la cohésion que la lutte de libération avait affermie. A terme, cette «recette» signifiait la disparition programmée du peuple algérien derrière l'habit d'Arlequin d'une multitude d'«ethnies», et de collectivités tribales consacrant son irréversible morcellement. L'admettre eût été consentir à la «balkanisation» pure et simple de l'Algérie.

    A ce concept diviseur, le GPRA oppose celui de la nation algérienne formée d'un même peuple, façonnée depuis des siècles par une histoire et une culture arabo-islamique communes qui ont donné à l'Algérie son vrai visage et sa personnalité renforcée dans la lutte anticolonialiste. Aux côtés de ce peuple, une communauté dominante: la minorité européenne pour laquelle de Gaulle réclamera en vain, le bénéfice de la double nationalité. Devenu ministre des Affaires étrangères du GPRA, Krim avait parfaitement compris que ladite minorité ne devait être utilisée part les Français ni comme cheval de bataille ni comme moyen de chantage afin de conforter leurs privilèges et que son règlement ne devait être conçu que dans le cadre d'un Etat algérien unitaire.

    Multipliant manoeuvres et artifices pour mieux «coincer» les Algériens, de Gaulle n'hésite pas à brandir la menace de la partition au cas où ces derniers opteraient pour l'indépendance. Son plan consiste à envisager en faveur des Européens des «zones» pour leur «regroupement et leur établissement». En somme, une forme d'«apartheid» qui empêcherait les Algériens d'être chez eux. De plus, la France garderait le Sahara et l'infrastructure pétrolière en place. «Toutes dispositions seraient prises pour que l'exploitation, l'acheminement, l'embarquement du pétrole saharien qui sont l'oeuvre de la France et intéressent tout l'Occident, soient assurés quoiqu'il arrive» affirmait avec force le chef de l'Etat français. Ce pétrole va prolonger la guerre de trois ans.

    La volonté de diviser transparaît également chez de Gaulle dans sa façon de choisir ses interlocuteurs. Si pourparlers il y a, il entendait les entreprendre avec «toutes les tendances politiques» (MNA, PCA, et autres formations et personnalités diverses). C'est l'idée de «table ronde» qui est ressurgit avec, comme corollaire, la non-reconnaissance au FLN de sa qualité de porte-parole unique de la Résistance algérienne.

    Le désaccord est profond entre de Gaulle et le GPRA. Pour ce dernier, il y a des conditions politiques et militaires à remplir avant d'arriver à la paix. Il faut qu'il y ait cessez-le-feu d'abord, et le cessez-le-feu ne peut se concevoir sans l'accord préalable sur les problèmes politiques de fond à l'origine du conflit.

    Le GPRA et le gouvernement français s'opposent sur la plupart des autres points. Ainsi, pour la partie française, l'ordre public doit toujours être assuré par les forces françaises, «Le Sahara? Pas question», réplique Pompidou aux deux délégués du GPRA Tayeb Boulahrouf et Ahmed Boumendjel; il ajoute: «Le Sahara, c'est une mer, elle a ses riverains; l'Algérie, c'est un de ces riverains, et la France se doit de les consulter tous». Mers-El-Kébir est revendiqué comme propriété française, à l'image de Gibraltar, enclave britannique en territoire espagnol. De Gaulle ne veut pas entendre parler de «guerre», pas plus que de «cessez-le-feu», mais de «trêve».

    Le GPRA, de son côté, refuse de discuter séparément du cessez-le-feu et des autres questions relatives au futur Etat algérien et à ses attributs. Il rejette la «trêve» qui est la cessation toute provisoire et inconditionnelle des actions militaires de part et d'autre, tandis que le cessez-le-feu implique, lui le règlement préalable des questions politiques et militaires en suspens. En ce sens, il ne saurait être qu'un aboutissement: l'aboutissement à un accord global pour une paix définitive. Il repousse énergiquement aussi toute idée des «tendances représentatives» des populations, qui n'est rien d'autre qu'un artifice de division en vue d'isoler le FLN. De même, il écarte tout plan visant à la partition territoriale de l'Algérie.
    Les libertés ne se donnent pas, elles se prennent

    Commentaire


    • #3
      BELKACEM KRIM et son rôle dans la Révolution Algérienne par Benyoucef Ben Khedda

      A une première rencontre officielle en février 1961 à Lucerne, en Suisse, on peut résumer les divergences profondes entre les deux partenaires, comme suit:

      De Gaulle
      GPRA

      Autonomie interne Pleine souveraineté
      Algérie amputée du Sahara Intégrité du territoire, Sahara compris.
      Morcellement de l'Algérie en ethnies Unité de la nation algérienne : il n'y a pas deux peuples mais un seul de culture arabo-islamique, et une minorité européenne étrangère.
      Table ronde Le FLN, interlocuteur unique
      Trêve Cessez-le-feu


      Je saisis cette occasion pour affirmer solennellement, encore une fois qu'il n'y a jamais eu de clauses secrètes entre le GPRA et le gouvernement français. Ces accords ont paru intégralement et publiquement le 19 mars 1962. J'ai publié un démenti à ce propos, ainsi que M'hammed Yazid membre du GPRA et Réda Malek ancien Premier ministre, qui ont participé tous les deux aux négociations d'Evian. (Cf. Le Matin du 24 octobre 1997).

      Si après l'indépendance, le gouvernement algérien a signé un quelconque accord sur les armes chimiques et bactériologiques c'est à lui de répondre et de donner des explications.

      En fin de compte, on ne se lassera pas de le rappeler aussi souvent que nécessaire, les négociations se sont terminées par une immense victoire de l'Algérie dans la totale intégrité de son territoire.

      Une grande victoire

      Notre victoire sur la France fut une victoire éclatante, et l'une des plus glorieuses de notre histoire. Elle peut être une leçon: celle d'un petit peuple, qui réussit à triompher d'une grande puissance moderne parce que sa cause était juste et qu'il était uni, malgré l'appui sans réserve de l'Occident et des quinze Etats membres de l'OTAN à cette puissance. Sa victoire, on ne le répètera jamais assez, s'est terminée par le retrait d'une armée d'occupation de 500 000 hommes appuyés par 200 000 supplétifs. Elle a acculé un million d'Européens enracinés dans le pays depuis plus d'un siècle à un départ massif vers la France. Surtout, elle a contraint cette dernière à reconnaître solennellement à l'Algérie sa souveraineté nationale dans le cadre de son intégrité territoriale, Sahara compris.

      Tout cela est prodigieux, tout cela est fantastique, et doit constituer une source d'enrichissement et de fierté pour chaque Algérien. Tout cela honore notre mémoire collective. C'est un patrimoine moral exceptionnel qui consolide la nation et ses valeurs patriotiques.

      Une victoire mal gérée

      A l'indépendance, l'Algérie dispose de cinq atouts majeurs pour son développement:

      - un peuple uni, prêt à se lancer dans la bataille du développement,
      - la souveraineté nationale qui lui permet d'opter en toute liberté pour un choix de développement,
      - le Sahara et ses immenses richesses,
      - un prestige international sans pareil.

      Quel a été le bilan de quarante années d'indépendance?

      Le Sahara pourvoyeur de devises qui nous a permis de survivre est en passe de nous échapper au profit des grandes sociétés transnationales; l'Algérien du Nord rencontre les pires difficultés pour s'y rendre, comme si la partition du territoire national était un fait acquis.

      La souveraineté nationale se perd au profit des grandes puissances et de leurs instruments de domination mondiale: notamment le FMI et autres instances financières internationales qui nous humilient et nous imposent leurs diktats.

      Le peuple quant à lui, uni et discipliné en 1962, est plus divisé que jamais. Le virus du régionalisme est à l'oeuvre et cela à un point tel que certains poussent l'irresponsabilité et l'audace jusqu'à réclamer l'autonomie de leur province, encouragés dans la voie du séparatisme par l'ancienne puissance coloniale. A l'heure de la mondialisation et alors que l'Union Européenne poursuit sa consolidation, ces champion de la dislocation du pays veulent nous faire marcher à reculons et nous plonger dans la régression. L'affaiblissement des valeurs islamiques a donné lieu à l'exaltation du particularisme narcissique. Un coup terrible est en train d'être asséné à l'unité nationale. Faut-il ne pas oublier que c'est grâce à cette unité nationale que l'indépendance a été acquise? Nos ancêtres ont perdu la guerre contre l'occupant colonial parce qu'ils ont lutté en ordre dispersé; malgré leur héroïsme et leurs immenses sacrifices, ils ont été défaits. A aucun moment ils n'ont opposé un front commun à l'ennemi. Seul le FLN, en faisant appel à tous les Algériens sans distinction de région, d'origine, de classe, ou de parti, a pu unifier les rangs de la Révolution, libérer la patrie et inscrire à son compte une victoire sans précédent.

      Parmi les grands militants qui, au sein du mouvement national, ont combattu le régionalisme et son sous-produit le tribalisme, il est tout à fait opportun de citer, en plus de Krim Belkacem, quelques noms emblématiques de la Kabylie, et de leur rendre ici un hommage mérité:

      Radjef Belkacem, l'un des pionniers de l'Etoile Nord-Africaine, membre du Comité central du PPA-MTLD jusqu'à 1954;

      Kéhal Arezki qui a succédé à Messali à la tête du PPA, lorsque le chef du Parti était en prison à Alger en 1938;

      Abane Ramdane, chef de la wilaya de Sétif du PPA-MTLD en 1949, chef de la wilaya d'Oran en 1950, membre du comité central du PPA-MTLD en 1950, membre du Comité de coordination et d'exécution (CCE) du FLN, partisan acharné de l'unité du peuple et artisan clairvoyant de l'élargissement du Front aux anciennes formations politiques: UDMA, Association des Oulama...;

      Amar Ouamrane, chef de wilaya du PPA-MTLD de la Basse-Kabylie avant 1954, colonel de la wilaya 4 en 1955-1956, membre du CCE en 1957;

      Mohammedi Saïd, colonel de la wilaya 3 en 1956-1958, chef d'Etat-major de l'ALN en 1957 - 1958, ministre du GPRA en 1961-1962, Vice-Président du premier gouvernement de l'Algérie indépendante;

      Dehilès Slimane, colonel de la wilaya 4 en 1956-1957, membre du CNRA, les colonels Amirouche (1957-1959) et Mohand oul Hadj (1959-1962), le syndicaliste Aïssat Idir, membre du comité central du PPAMTLD (1951-1954), premier Secrétaire général de l'UGTA, 1956, assassiné par les forces de sécurité françaises en 1957.

      C'est parce que nous avons évacué de nos pensées et de nos actes les valeurs patriotiques et spirituelles de Novembre 1954 que nous avons perdu la bataille du développement. Pire, nous avons sombré dans une terrible crise morale dont nous n'arrivons même pas à percevoir le bout, et cela parce que le mobile matériel est devenu la clé du succès, le critère de la consécration sociale, l'unique finalité de l'existence réussie.

      Nous nous sommes trop éloignés des préceptes lumineux de la Proclamation du Premier novembre 1954, et de l'exemplarité de comportement et de sacrifice des chefs illustres de la Révolution – et Krim en fut un -. Nous avons perdu de vue le message légué par nos glorieux chouhadas, quand nous ne l'avons pas tout simplement dévoyé. Ne nous étonnons donc pas que nous soyons aujourd'hui en porte-à-faux avec l'intangibilité de l'objectif ultime tel que nous l'a assigné la Révolution de Novembre 1954:
      Les libertés ne se donnent pas, elles se prennent

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