-LARBI BEN M'HIDI
par Benyoucef Benkhedda
Sans Ben M'hidi le Congrès de la Soummam n'aurait pas réussi, et Abane n'aurait pu faire triompher ses thèses.
Ben M'hidi était le type-même du militant PPA chez qui nationalisme et religion étaient intimement mêlés, vivant au rythme du peuple, partageant ses joies et ses peines, ses vicissitudes et ses aspirations, toujours prêt à le servir.
Mohammed-Larbi Ben M'hidi est né en 1923 dans une zaouïa, au douar El-Kouahi, à 50 kms environ de Constantine. Comme les centaines - ou milliers - de zaouïa qui parsemaient l'Algérie, celle des Ben M'hidi dispensait un enseignement arabe, l'étude du Coran et donnait une formation morale adéquate. Toutes ces zaouïa étaient des centres de résistance à l'envahissement culturel de l'occupant, aux essais d'évangélisation entrepris par l'Eglise, et aux tentatives d'assimilation que la France menait systématiquement dans tous les domaines, afin de faire de l'Algérie une «province française» et de la dépouiller de ses valeurs séculaires arabo-islamiques.
En 1943, Si Larbi adhère au PPA. La Seconde guerre mondiale battait son plein et les Anglo-Américains avaient débarqué en Afrique du Nord véhiculant avec eux les principes universels de la Charte de l'Atlantique relatifs aux libertés fondamentales et au droit des peuples à disposer d'eux-mêmes. Il s'en suivit, dans les années 1944-1945, en Algérie, une atmosphère de détente à la faveur de laquelle fut lancé un grand mouvement populaire: les AML (les Amis du Manifeste de la Liberté) qui regroupait le PPA, l'Association des Oulama et les élus proches de Ferhat Abbas, que ce dernier présidait. Si Larbi en était l'animateur à Biskra.
En quelques mois, le mouvement atteint les coins les plus reculés du pays et les colonialistes prennent peur devant la vague nationaliste qui déferle partout.
L'armistice est annoncé pour le 8 mai 1945 et le PPA appelle les Algériens à manifester en faveur de l'Indépendance. Si Larbi est à la tête du défilé à Biskra. Il est arrêté le lendemain, puis relâché au bout de trois ou quatre semaines. Il sera bouleversé et traumatisé par le génocide de mai 1945 perpétré par l'armée française, témoin qu'il fut du spectacle insoutenable des massacres collectifs de civils. Le bilan est effarant: 45 000 morts; en outre l'unité des AML est brisée suite aux arrestations dont ils sont l'objet.
Le PPA en tire aussitôt la leçon: l'absence d'une organisation armée capable de s'opposer à la violence colonialiste. En 1947 il crée l'OS (Organisation spéciale) sa branche militaire. Mohammed Belouizdad est chargé de la diriger. Si Larbi est désigné pour mettre sur pied l'organisation de l'OS dans le Constantinois. Il sera membre de l'état-major régional de cette structure.
En 1950, il échappe avec Boudiaf à la grande répression qui frappe l'OS dont l'état-major est arrêté y compris son chef: Ben Bella. En 1954, Ben M'hidi participe à l'Assemblée des «22» du CRUA, et quatre mois après, le 23 octobre, il fait partie des «6» qui prirent la décision historique de l'action insurrectionnelle du 1er Novembre. Il se voit attribuer la responsabilité de toute l'Oranie, vaste département de l'Ouest, qui s'étend de l'Algérois aux confins du Sahara et de la frontière marocaine.
Boudiaf et Ben M'hidi se déplacent entre Nador (Riff marocain), Madrid et Le Caire à la recherche des armes, problème vital pour les maquis naissants. Au Caire, Si Larbi rejette catégoriquement le fait que «les frères» égyptiens s'immiscent dans les affaires de la délégation extérieure du FLN; il dénonce le choix porté par Fethi Dib sur Ben Bella pour en faire l'interlocuteur du FLN auprès du Raïs. On rapporte qu'au cours d'une discussion houleuse avec Ben Bella, Ben M'hidi prit la décision de quitter Le Caire et de retourner au pays. Il se rendit au Maroc où il confia l'intérim de la zone 5 (Oranie) à Boussouf; puis, il rentra en Algérie.
Je l'accueillis moi-même un jour de mai 1956, à la gare d'Alger où il arriva par le train de nuit en provenance d'Oran, installé dans un wagon-lit, et muni de faux papiers. (La surveillance policière n'était pas aussi draconienne qu'elle le sera quelques mois après, lorsque la bataille d'Alger atteindra son paroxysme au début de l'année 1957). Je le mis en contact avec Abane chez Mohammed Ouamara (Rachid) 133 bis, Boulevard du Télemly, siège de notre PC. Les deux chefs ne se quitteront plus. Ils se retrouvent constamment, le plus souvent chez Rachid. Une totale unité de vue avait fini par régner entre eux, favorisée par la formation politique et militante identique qu'il avaient reçue au PPA-MTLD. La même conception de la lutte dans ses aspects politique et militaire, la même appréhension de voir la Révolution instrumentalisée de l'extérieur, les mêmes priorités les rapprochaient et guidaient leurs pas. Surtout, ils partageaient avec une impérieuse ferveur l'impératif de l'unité patriotique du peuple algérien. C'était un mot d'ordre auquel ils tenaient viscéralement pour l'avoir pratiqué et développé à l'époque du PPA-MTLD, quand le Parti en avait fait un argument de bataille d'une portée psychologique sans pareille, plusieurs années durants avant 1954.
Chez Ben M'hidi, la nécessité d'une stratégie unitaire était renforcé par l'expérience qu'il avait vécue à Biskra en 1944-1945 au sein des AML. Là, il eut l'occasion de se «frotter» avec des personnalités de l'Association des Oulama et d'autres formations qui n'étaient pas de sa sensibilité. Par exemple, le Docteur Saâdane, un ami personnel de Ferhat Abbas qui avait beaucoup d'affection et de sympathie pour Si Larbi dont il appréciait le courage et le dévouement à la cause publique, alors même qu'une notable différence d'âge les séparait.
L'identité de vue entre Ben M'hidi et Abane est définitivement scellée au moment où ils quittent Alger, en route pour le Congrès, escortés par les hommes de Déhilès. Au Congrès de la Soummam, l'appui de Ben M'hidi à Abane sera déterminant. Sans lui, ce dernier n'aurait pu faire triompher ses conceptions.
En effet, pour Zighoud et les éléments du Nord-Constantinois, Abane était un inconnu. En dehors de son militantisme au PPA-MTLD et de son séjour en prison, ils ne connaissaient pas grand'chose de lui. Par contre, ils avaient une entière confiance en Krim et Ouamrane avec lesquels ils entretenaient d'excellents rapports, ainsi qu'en Ben M'hidi: membre de l'OS dès sa création en 1947, membre des «22» du CRUA, puis du Comité des «6 historiques» du 1er Novembre 1954, c'étaient là autant de titres et de références qui imposeront Si Larbi comme l'homme du consensus. Entouré de respect et de considération, ce n'est pas un hasard si l'honneur de présider les travaux du Congrès lui reviendra. Le succès de la Soummam est donc à porter au compte non du seul Abane mais, davantage, au compte du tandem exemplaire qu'il formait avec Ben M'hidi.
Ben M'hidi était un homme pieux, nourri des principes coraniques; il pratiquait assidûment sa prière partout où il allait. Il était profondément attaché aux valeurs islamiques contenues dans le programme du PPA-MTLD, et reprises dans la Proclamation du 1er Novembre 1954. Dans le Parti, on le surnommait «carburation» et pour cause! L'esprit vif, il était toujours en mouvement, et son activisme inné lui faisait répéter: «Il faut donner au Parti de la carburation», voulant dire par là des motifs d'action. En fait il était l'ennemi de tout immobilisme.
Il avait l'Algérie dans le sang. Hamid Ouamara, le fils de Mohammed Ouamara, chez qui nous avions établi en 1956-1957 notre PC, rapporte l'anecdote suivante: «Les débats du CCE ce jour-là, avaient pris un tour passionné. Si Larbi, nerveusement, et sans qu'il s'en rende compte, tailladait la table avec un petit canif. La réunion terminée et une fois les membres du CCE partis, je poussais la curiosité de voir ce qu'il avait dessiné. Il avait gravé dans la table en bois de chêne, réputé pour sa dureté, la phrase suivante: «L'Algérie libre vivra!», des mots qui témoignent de sa passion patriotique.»
L'activité militante de Ben M'hidi ne l'empêchait pas d'avoir d'autres activités sociales et culturelles. Il aimait le théâtre et il avait adapté à l'arabe la pièce Pour la Couronne de François Coppée. Il y tenait le rôle de Constantin défenseur de la patrie contre son père, le roi Michel qui, pour conserver son trône, acceptait toutes les compromissions et se soumettait aux pires diktats de l'occupant.
Dans son jeune âge, Ben M'hidi avait fait partie des SMA (Scouts Musulmans Algériens). Il avait été aussi joueur et dirigeant de l'équipe de football locale: l'USB (Union sportive de Biskra). Dans la lutte, il avait pour principe d'entraîner aussi bien les jeunes que les vieux. Pour lui, tous les Algériens, quel que soit leur âge ou leur condition sociale, sont appelés à lutter pour l'indépendance de leur pays. Là encore, une autre anecdote de Hamid: «Un jour, je servais de la limonade aux cinq membres du CCE réunis autour de la grande table du salon. Mon père était assis parmi eux. Arrivé au tour de Ben M'hidi, celui-ci me fit signe de stopper: «Arrête, me dit-il, apporte un verre.» Ce que je fis immédiatement. Il plaça les deux verres vides devant lui, les remplit et offrit, l'un à mon père, l'autre à moi-même et me dit: Bois! C'est la génération de ton père et ta génération, Hamid, qui ensemble, libèreront l'Algérie.»
Pour Ben M'hidi, comme pour Abane, l'indépendance demeurerait une chimère sans l'unité effective du peuple. Tous les soulèvements et autres mouvements de résistance contre le système colonial n'avaient-ils pas été une succession d'échecs y compris du temps de Abdelkader, et cela, faute d'unité dans le combat collectif et faute de direction nationale ? La grande leçon de l'occupation coloniale de l'Algérie par la France ne réside-t-elle pas dans l'incapacité des Algériens d'opposer un front sans fissures à l'adversaire ? Seul le FLN, un siècle plus tard, saura cimenter cette unité des rangs et des objectifs et l'inscrire génialement dans une logique de victoire inéluctable.
La stratégie du consensus et de l'union nationale a été rondement menée par ces deux champions de l'unité tous azimuts que furent Abane et Ben M'hidi. Le succès du Congrès de la Soummam est leur œuvre commune. Travaillant en tandem, dans une intelligente et constante concertation, ils furent non seulement des acteurs-phares de notre lutte, mais aussi, on ne le soulignera jamais assez, des partenaires d'égal mérite. Ils se sont complétés l'un l'autre dans la tâche gigantesque de consolidation du mouvement de libération à un moment crucial de son histoire: quand il fallut, à partir du printemps 1956, gérer avec audace et maîtrise, son passage du stade insurrectionnel initial à la phase révolutionnaire proprement dite. Et là, leur apport, stratégiquement parlant, a été à la fois immense et décisif. Sans eux, on n'aurait donné cher ni de la tenue des assises de la Soummam, ni de l'élaboration d'une plateforme qui aura permis malgré tout à la Révolution algérienne de se situer politiquement et militairement, et de se doter d'un édifice institutionnel conséquent. Pour avoir énergiquement contribué à asseoir la légitimité et la légalité révolutionnaires, et à mettre en place un programme cohérent et une direction homogène, ils ont droit à notre reconnaissance. Que grâce leur soit rendue de toute notre ferveur.
par Benyoucef Benkhedda
Sans Ben M'hidi le Congrès de la Soummam n'aurait pas réussi, et Abane n'aurait pu faire triompher ses thèses.
Ben M'hidi était le type-même du militant PPA chez qui nationalisme et religion étaient intimement mêlés, vivant au rythme du peuple, partageant ses joies et ses peines, ses vicissitudes et ses aspirations, toujours prêt à le servir.
Mohammed-Larbi Ben M'hidi est né en 1923 dans une zaouïa, au douar El-Kouahi, à 50 kms environ de Constantine. Comme les centaines - ou milliers - de zaouïa qui parsemaient l'Algérie, celle des Ben M'hidi dispensait un enseignement arabe, l'étude du Coran et donnait une formation morale adéquate. Toutes ces zaouïa étaient des centres de résistance à l'envahissement culturel de l'occupant, aux essais d'évangélisation entrepris par l'Eglise, et aux tentatives d'assimilation que la France menait systématiquement dans tous les domaines, afin de faire de l'Algérie une «province française» et de la dépouiller de ses valeurs séculaires arabo-islamiques.
En 1943, Si Larbi adhère au PPA. La Seconde guerre mondiale battait son plein et les Anglo-Américains avaient débarqué en Afrique du Nord véhiculant avec eux les principes universels de la Charte de l'Atlantique relatifs aux libertés fondamentales et au droit des peuples à disposer d'eux-mêmes. Il s'en suivit, dans les années 1944-1945, en Algérie, une atmosphère de détente à la faveur de laquelle fut lancé un grand mouvement populaire: les AML (les Amis du Manifeste de la Liberté) qui regroupait le PPA, l'Association des Oulama et les élus proches de Ferhat Abbas, que ce dernier présidait. Si Larbi en était l'animateur à Biskra.
En quelques mois, le mouvement atteint les coins les plus reculés du pays et les colonialistes prennent peur devant la vague nationaliste qui déferle partout.
L'armistice est annoncé pour le 8 mai 1945 et le PPA appelle les Algériens à manifester en faveur de l'Indépendance. Si Larbi est à la tête du défilé à Biskra. Il est arrêté le lendemain, puis relâché au bout de trois ou quatre semaines. Il sera bouleversé et traumatisé par le génocide de mai 1945 perpétré par l'armée française, témoin qu'il fut du spectacle insoutenable des massacres collectifs de civils. Le bilan est effarant: 45 000 morts; en outre l'unité des AML est brisée suite aux arrestations dont ils sont l'objet.
Le PPA en tire aussitôt la leçon: l'absence d'une organisation armée capable de s'opposer à la violence colonialiste. En 1947 il crée l'OS (Organisation spéciale) sa branche militaire. Mohammed Belouizdad est chargé de la diriger. Si Larbi est désigné pour mettre sur pied l'organisation de l'OS dans le Constantinois. Il sera membre de l'état-major régional de cette structure.
En 1950, il échappe avec Boudiaf à la grande répression qui frappe l'OS dont l'état-major est arrêté y compris son chef: Ben Bella. En 1954, Ben M'hidi participe à l'Assemblée des «22» du CRUA, et quatre mois après, le 23 octobre, il fait partie des «6» qui prirent la décision historique de l'action insurrectionnelle du 1er Novembre. Il se voit attribuer la responsabilité de toute l'Oranie, vaste département de l'Ouest, qui s'étend de l'Algérois aux confins du Sahara et de la frontière marocaine.
Boudiaf et Ben M'hidi se déplacent entre Nador (Riff marocain), Madrid et Le Caire à la recherche des armes, problème vital pour les maquis naissants. Au Caire, Si Larbi rejette catégoriquement le fait que «les frères» égyptiens s'immiscent dans les affaires de la délégation extérieure du FLN; il dénonce le choix porté par Fethi Dib sur Ben Bella pour en faire l'interlocuteur du FLN auprès du Raïs. On rapporte qu'au cours d'une discussion houleuse avec Ben Bella, Ben M'hidi prit la décision de quitter Le Caire et de retourner au pays. Il se rendit au Maroc où il confia l'intérim de la zone 5 (Oranie) à Boussouf; puis, il rentra en Algérie.
Je l'accueillis moi-même un jour de mai 1956, à la gare d'Alger où il arriva par le train de nuit en provenance d'Oran, installé dans un wagon-lit, et muni de faux papiers. (La surveillance policière n'était pas aussi draconienne qu'elle le sera quelques mois après, lorsque la bataille d'Alger atteindra son paroxysme au début de l'année 1957). Je le mis en contact avec Abane chez Mohammed Ouamara (Rachid) 133 bis, Boulevard du Télemly, siège de notre PC. Les deux chefs ne se quitteront plus. Ils se retrouvent constamment, le plus souvent chez Rachid. Une totale unité de vue avait fini par régner entre eux, favorisée par la formation politique et militante identique qu'il avaient reçue au PPA-MTLD. La même conception de la lutte dans ses aspects politique et militaire, la même appréhension de voir la Révolution instrumentalisée de l'extérieur, les mêmes priorités les rapprochaient et guidaient leurs pas. Surtout, ils partageaient avec une impérieuse ferveur l'impératif de l'unité patriotique du peuple algérien. C'était un mot d'ordre auquel ils tenaient viscéralement pour l'avoir pratiqué et développé à l'époque du PPA-MTLD, quand le Parti en avait fait un argument de bataille d'une portée psychologique sans pareille, plusieurs années durants avant 1954.
Chez Ben M'hidi, la nécessité d'une stratégie unitaire était renforcé par l'expérience qu'il avait vécue à Biskra en 1944-1945 au sein des AML. Là, il eut l'occasion de se «frotter» avec des personnalités de l'Association des Oulama et d'autres formations qui n'étaient pas de sa sensibilité. Par exemple, le Docteur Saâdane, un ami personnel de Ferhat Abbas qui avait beaucoup d'affection et de sympathie pour Si Larbi dont il appréciait le courage et le dévouement à la cause publique, alors même qu'une notable différence d'âge les séparait.
L'identité de vue entre Ben M'hidi et Abane est définitivement scellée au moment où ils quittent Alger, en route pour le Congrès, escortés par les hommes de Déhilès. Au Congrès de la Soummam, l'appui de Ben M'hidi à Abane sera déterminant. Sans lui, ce dernier n'aurait pu faire triompher ses conceptions.
En effet, pour Zighoud et les éléments du Nord-Constantinois, Abane était un inconnu. En dehors de son militantisme au PPA-MTLD et de son séjour en prison, ils ne connaissaient pas grand'chose de lui. Par contre, ils avaient une entière confiance en Krim et Ouamrane avec lesquels ils entretenaient d'excellents rapports, ainsi qu'en Ben M'hidi: membre de l'OS dès sa création en 1947, membre des «22» du CRUA, puis du Comité des «6 historiques» du 1er Novembre 1954, c'étaient là autant de titres et de références qui imposeront Si Larbi comme l'homme du consensus. Entouré de respect et de considération, ce n'est pas un hasard si l'honneur de présider les travaux du Congrès lui reviendra. Le succès de la Soummam est donc à porter au compte non du seul Abane mais, davantage, au compte du tandem exemplaire qu'il formait avec Ben M'hidi.
Ben M'hidi était un homme pieux, nourri des principes coraniques; il pratiquait assidûment sa prière partout où il allait. Il était profondément attaché aux valeurs islamiques contenues dans le programme du PPA-MTLD, et reprises dans la Proclamation du 1er Novembre 1954. Dans le Parti, on le surnommait «carburation» et pour cause! L'esprit vif, il était toujours en mouvement, et son activisme inné lui faisait répéter: «Il faut donner au Parti de la carburation», voulant dire par là des motifs d'action. En fait il était l'ennemi de tout immobilisme.
Il avait l'Algérie dans le sang. Hamid Ouamara, le fils de Mohammed Ouamara, chez qui nous avions établi en 1956-1957 notre PC, rapporte l'anecdote suivante: «Les débats du CCE ce jour-là, avaient pris un tour passionné. Si Larbi, nerveusement, et sans qu'il s'en rende compte, tailladait la table avec un petit canif. La réunion terminée et une fois les membres du CCE partis, je poussais la curiosité de voir ce qu'il avait dessiné. Il avait gravé dans la table en bois de chêne, réputé pour sa dureté, la phrase suivante: «L'Algérie libre vivra!», des mots qui témoignent de sa passion patriotique.»
L'activité militante de Ben M'hidi ne l'empêchait pas d'avoir d'autres activités sociales et culturelles. Il aimait le théâtre et il avait adapté à l'arabe la pièce Pour la Couronne de François Coppée. Il y tenait le rôle de Constantin défenseur de la patrie contre son père, le roi Michel qui, pour conserver son trône, acceptait toutes les compromissions et se soumettait aux pires diktats de l'occupant.
Dans son jeune âge, Ben M'hidi avait fait partie des SMA (Scouts Musulmans Algériens). Il avait été aussi joueur et dirigeant de l'équipe de football locale: l'USB (Union sportive de Biskra). Dans la lutte, il avait pour principe d'entraîner aussi bien les jeunes que les vieux. Pour lui, tous les Algériens, quel que soit leur âge ou leur condition sociale, sont appelés à lutter pour l'indépendance de leur pays. Là encore, une autre anecdote de Hamid: «Un jour, je servais de la limonade aux cinq membres du CCE réunis autour de la grande table du salon. Mon père était assis parmi eux. Arrivé au tour de Ben M'hidi, celui-ci me fit signe de stopper: «Arrête, me dit-il, apporte un verre.» Ce que je fis immédiatement. Il plaça les deux verres vides devant lui, les remplit et offrit, l'un à mon père, l'autre à moi-même et me dit: Bois! C'est la génération de ton père et ta génération, Hamid, qui ensemble, libèreront l'Algérie.»
Pour Ben M'hidi, comme pour Abane, l'indépendance demeurerait une chimère sans l'unité effective du peuple. Tous les soulèvements et autres mouvements de résistance contre le système colonial n'avaient-ils pas été une succession d'échecs y compris du temps de Abdelkader, et cela, faute d'unité dans le combat collectif et faute de direction nationale ? La grande leçon de l'occupation coloniale de l'Algérie par la France ne réside-t-elle pas dans l'incapacité des Algériens d'opposer un front sans fissures à l'adversaire ? Seul le FLN, un siècle plus tard, saura cimenter cette unité des rangs et des objectifs et l'inscrire génialement dans une logique de victoire inéluctable.
La stratégie du consensus et de l'union nationale a été rondement menée par ces deux champions de l'unité tous azimuts que furent Abane et Ben M'hidi. Le succès du Congrès de la Soummam est leur œuvre commune. Travaillant en tandem, dans une intelligente et constante concertation, ils furent non seulement des acteurs-phares de notre lutte, mais aussi, on ne le soulignera jamais assez, des partenaires d'égal mérite. Ils se sont complétés l'un l'autre dans la tâche gigantesque de consolidation du mouvement de libération à un moment crucial de son histoire: quand il fallut, à partir du printemps 1956, gérer avec audace et maîtrise, son passage du stade insurrectionnel initial à la phase révolutionnaire proprement dite. Et là, leur apport, stratégiquement parlant, a été à la fois immense et décisif. Sans eux, on n'aurait donné cher ni de la tenue des assises de la Soummam, ni de l'élaboration d'une plateforme qui aura permis malgré tout à la Révolution algérienne de se situer politiquement et militairement, et de se doter d'un édifice institutionnel conséquent. Pour avoir énergiquement contribué à asseoir la légitimité et la légalité révolutionnaires, et à mettre en place un programme cohérent et une direction homogène, ils ont droit à notre reconnaissance. Que grâce leur soit rendue de toute notre ferveur.
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